Chaque projet de loi subit son lot d’attaques, de lobbying, d’intox, et de rumeurs. Sur la transition énergétique, ce travail de sape est régulièrement relayé par d’importants ministres du gouvernement : Arnaud Montebourg contre ses objectifs de réduction de la demande d’énergie – dont le principe est pourtant inscrit dans le système législatif depuis dix ans ; le ministère du budget, au nom des 50 milliards d’économie à réaliser ; le cabinet du premier ministre Manuel Valls, communiquant vendredi 6 juin sur un « report » de la loi au printemps 2015 (en réalité acté depuis des mois même si la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, a assuré dimanche 8 juin que le projet de loi restait programmé pour une adoption à l’automne 2014). Bataille symbolique de jeux de pouvoirs tendus et d’arbitrages budgétaires toujours en suspens. La présentation du texte a bel et bien été décalée d'une semaine au 18 juin.
Ces derniers jours, Ségolène Royal a pris soin de recevoir des journalistes en son ministère. Officiellement pour les rencontrer et leur demander comment ils souhaitent travailler avec elle. Ce fut surtout l’occasion pour la quatrième ministre de l’écologie en deux ans de se montrer au travail, les mains dans le cambouis de la rénovation thermique, du blocage réglementaire des habitats en bois de grande hauteur, du plantage de l’éolien terrestre… : au boulot, en défense des industries « vertes », alors qu’elle n’a pas la main sur les décisions financières qui feront ou déferont l’ambition de sa loi. Elle doit en présenter les grandes lignes mercredi 18 juin en conseil des ministres, suivi d’une conférence de presse. Le financement du texte pour l’instant ne passe pas : il faut au moins entre 10 et 20 milliards d’euros (pour le logement, les renouvelables, éventuellement de nouvelles infrastructures de transports).
Que restera-t-il du texte qualifié par François Hollande de loi parmi « les plus importantes du quinquennat » ? En l’absence de mesures fiscales (réservées à la loi de finances), en plein plan d’austérité et dans une ambiguïté maintenue sur le nucléaire, le projet législatif s’annonce minimaliste. Certains points essentiels y sont néanmoins attendus, issus des promesses de campagne de François Hollande, des revendications des secteurs d’activité concernés, du débat national sur l’énergie de 2013, des règles européennes. Ils seront donc des indicateurs du sérieux de l’ambition affichée par leur présence dans la loi de programmation. Ou par leur absence.
- 1) Le gouvernement pourra-t-il fermer des réacteurs nucléaires ?
En 2006, la loi TSN a privé le pouvoir politique de la capacité de fermer des réacteurs nucléaires pour des raisons autres que sécuritaires (voir ici pour plus de détails). Seuls l’exploitant, EDF, et l’Autorité de sûreté du nucléaire en ont la capacité. Pour fermer la centrale de Fessenheim, le gouvernement doit retrouver cette prérogative, ce qui doit faire l’objet d’un article de la loi sur la transition énergétique. C’est en tout cas ce qui était prévu, et préparé notamment par l’ancien délégué à la fermeture de la centrale de Fessenheim, Francis Rol-Tanguy, aujourd’hui conseiller de Ségolène Royal. À quelques jours de la présentation du texte, cela ne semble plus acquis. À la place, EDF s’engagerait à revoir tous les cinq ans sa capacité de production, en fonction de l’évolution des besoins en électricité.
- 2) La centrale de Fessenheim va-t-elle s’arrêter ?
Aucun article de la loi ne décidera de la fermeture de la centrale de Fessenheim – ni d’aucun autre réacteur. Le nom de l’installation ne peut pas figurer en tant que tel dans le texte si le législateur veut éviter le risque d’inconstitutionnalité. Le cabinet du prédécesseur de Ségolène Royal avait trouvé une astuce pour garantir la fermeture de la tranche alsacienne : le plafonnement de la puissance nucléaire installée à son niveau actuel (environ 63 300 mégawatts – MW). Selon cette règle, si les deux réacteurs de Fessenheim (d’une puissance de 900 MW chacun) ne fermaient pas, l’EPR actuellement en construction à Flamanville (1 600 MW) ne pourrait pas démarrer – ce qui n’est pas au programme de l’exécutif socialiste (voir plus ici). Si ni cette mesure, ni la précédente ne figure dans la loi, plus rien ne garantira l’arrêt du site alsacien. L’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire à l’horizon 2025 devrait quant à lui figurer dans le texte, mais devient théorique en l’absence d’outils pour le mettre en œuvre.
- 3) Énergies renouvelables : maintien de l’obligation d’achat ?
Les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, biomasse…) bénéficient d’obligations d’achat, fondées sur un tarif d’achat préférentiel de l’électricité, via un guichet ouvert ou par appel d’offres. Ce système d’aide est combattu par les grands énergéticiens et une partie des lobbies patronaux (qui dénoncent le coût à leurs yeux excessif des renouvelables). Une précédente mouture de la loi prévoyait son maintien et la création d’une nouvelle aide : un mécanisme de « complément de rémunération » versé en sus de la vente sur le marché de l'électricité produite par les énergies renouvelables. L’objectif de ce double dispositif sera de gérer une transition progressive vers une meilleure intégration au marché des énergies renouvelables.
- 4) Plus de 30 % d’énergies renouvelables en 2030 ?
Soucieuse de ne pas focaliser la loi sur le nucléaire (« si tout le débat est là-dessus, les gens vont s’en désintéresser » selon son entourage), Ségolène Royal veut mettre en avant les avancées pour les renouvelables. La loi devrait donc poser un objectif pour 2030, qui pourrait atteindre 32 % (dont 40 % pour l’électricité et 15 % pour le carburant). C’est plus que ce que prévoit le paquet énergie climat au niveau européen (au moins 27 %, lire ici), mais beaucoup moins que ce que demandent les ONG écologistes (45 % dans le « vrai projet de loi » des associations), inquiètes par ailleurs de la porte que cet objectif pourrait ouvrir aux agrocarburants.
Jusqu’ici, l’objectif de la France reste de porter à au moins 23 % la consommation d’énergie produite à partir d’énergies renouvelables d’ici 2020. En 2011, à mi-parcours, elle en était à 11,5 %, tandis que la production primaire d’énergies renouvelables (électriques et thermiques) s’élevait à 14 % de l’offre énergétique nationale. La part de l'électricité renouvelable dans la consommation électrique, calculée avec les données de production réelles de l'année, s'élève à 16,1 % en 2012 en France. Pour le reste, la loi devrait renvoyer les décisions sur l’évolution du mix énergétique à une programmation pluriannuelle énergétique, à voter à partir de 2015.
- 5) Stagnation de la consommation d’énergie ?
Le projet de loi devrait reprendre les objectifs fixés par François Hollande lors de la Conférence environnementale en 2013 : réduction de 50 % de la consommation d’énergie d’ici 2050, baisse de 30 % de la consommation de combustibles fossiles d’ici 2030. Deux dates lointaines, hors de portée de l’exécutif et de ses politiques.
Alors, quels horizons à court terme ? Le ministère de l’écologie fait sienne une prévision de quasi-stagnation de la consommation d’électricité d’ici 2025, avec une hausse de 0,3 % à 0,4 %. Ces prévisions figureront-elles dans le texte de loi ? Elles seront déterminantes pour mettre en œuvre l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire. C’est ce qu’a expliqué Laurent Michel, à la tête de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) devant les parlementaires qui l’auditionnaient il y a quelques semaines (voir plus de détails ici). À l’inverse de ses anciennes prévisions, l’administration prévoit désormais une baisse très importante de la consommation d’électricité dans les logements et le tertiaire (adieu au chauffage électrique) ainsi que dans l’industrie, d’environ 120 térawatts-heure (TWh) d’ici 2030. Et une hausse par ailleurs, liée à la croissance économique, à la démographie et aux nouveaux usages (technologies de l’information et de la communication notamment) : « On part sur un scénario d’évolution de la demande électrique relativement modérée », a ajouté le responsable de la DGEC, pour qui l'« on va même probablement vers une baisse » si les transferts d’usage (la montée en charge des voitures électriques, par exemple) tardent à se faire. Conclusion : dans l’hypothèse de 50 % de nucléaire en 2025, il faudrait fermer « une vingtaine de réacteurs ».
- 6) Obligation de rénover les logements ?
En 2013, 160 000 logements ont fait l’objet d’une opération de rénovation énergétique, très en deçà de l’objectif officiel de 500 000 travaux d’ici 2017. Face à ce retard irrattrapable pour tenir le délai, le monde des économies de l’énergie réclame l’instauration d’une obligation de travaux, soit lors des moments importants de la vie d’un bâtiment (réfection de toiture et ravalement), soit lors de la transaction du bien, à fixer dans le temps. C’est notamment une proposition poussée par le plan bâtiment durable. Ségolène Royal s’est montrée intéressée par cette idée, mais inquiète de ses potentiels effets pervers. Si bien qu’une autre méthode, plus douce, pourrait être de prévoir l’extinction du prêt à taux zéro sur les travaux de rénovation à partir d’une certaine date.
- 7) Un bouclier contre la précarité énergétique ?
Une contribution climat énergie a été instaurée en France à l’automne 2013 : à partir de 2014, les taxes intérieures sur les consommations (TIC) augmentent par le biais d’une taxe sur les émissions de CO2 qui frappe les carburants et les combustibles fossiles. Mais cette fiscalité avantage les entreprises au détriment des ménages dans un premier temps (voir ici plus de détails), alors qu’aucune mesure de compensation spécifique n’a été prévue. Pour le gouvernement, l’extension des tarifs sociaux du gaz à 4 millions de ménages (loi Brottes sur l’énergie) et la baisse à 5 % de la TVA sur les travaux de rénovation énergétique sont des mesures d’accompagnement qui ont vocation à compenser la hausse du coût de l’énergie. La création d’un « bouclier énergétique », soit une compensation sous la forme d’un chèque énergie, est réclamée par les associations de lutte contre la précarité. Elle avait été évoquée plus tôt dans l’année. Plus personne n’en parle aujourd’hui.
- 8) Déblocage du tiers financement ?
Loué par François Hollande et Ségolène Royal, créé par la loi ALUR, le tiers financement, c’est-à-dire le fait de faire payer le coût des travaux de rénovation thermique dans un logement par les économies de chauffage qu’ils permettent, est aujourd’hui bloqué par le lobby bancaire (lire ici).
Pour permettre aux premières sociétés d’économie mixte régionales qui ont vu le jour de mener à bien leurs opérations de rénovation, il faudrait que la loi de transition énergétique décide que les opérateurs de tiers financement puissent déroger au monopole bancaire sur le crédit, garanti par le code monétaire et financier. Pour l’instant, rien ne l’assure.
Ces réformes seront, ou non, instaurées par la loi à venir. Viendra ensuite le temps du débat parlementaire. Puis de la parution des décrets. Une étape parfois longue, très longue à venir. En 2010, l’article 3 de la loi Grenelle 2 de l’environnement rendait obligatoires les travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments tertiaires ou dans lesquels s'exercent une activité de service public à partir de 2020. Le décret d’application n’a toujours pas été publié.
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