Charles Pasqua et André Santini vont à nouveau se retrouver au tribunal. Selon des informations obtenues par Mediapart, ils seront rejugés à partir du 22 septembre, et pour une durée de deux semaines, pour « détournements de fonds publics » par la cour d'appel de Versailles, dans l'affaire de la fondation Hamon, un des nombreux scandales financiers ayant éclaboussé le département des Hauts-de-Seine. Charles Pasqua a longtemps été président du conseil général ainsi que sénateur, il est retraité depuis peu. Quant à André Santini, il est l'inamovible député et maire (UDI) de la riche commune d'Issy-les-Moulineaux.
En première instance, Charles Pasqua et André Santini avaient été condamnés, le 21 janvier 2013, à deux ans de prison avec sursis et une amende par le tribunal correctionnel de Versailles. L'ancien ministre de l'intérieur Pasqua avait écopé d'une amende de 150 000 euros et deux ans d'inéligibilité, tandis que Santini, lui aussi ancien ministre, avait écopé d'une amende de 200 000 euros et une peine de cinq ans d'inéligibilité. Jean Hamon, collectionneur d'art, avait quant à lui été condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis, 200 000 euros d'amende et interdiction de gérer une entreprise commerciale durant cinq ans. Parmi les onze prévenus, seul l'architecte Jean-Michel Wilmotte avait été relaxé.
Charles Pasqua et André Santini étaient jugés en tant que président et vice-président du Syndicat mixte de l'île Saint-Germain (SMISG), une structure qui devait construire un musée en échange d'une donation de 192 œuvres d'art par Jean Hamon. Un musée qui n'a jamais vu le jour. Il leur était reproché des surfacturations et l'émission de fausses factures. André Santini avait fait appel du jugement.
Des peines de deux ans de prison avec sursis et une amende de 100 000 euros chacun, ainsi que la privation des droits civiques pendant deux ans, avaient été requises lors du procès, en octobre 2012. « M. Pasqua et M. Santini signaient les factures », avait indiqué le procureur. « Il est évident que M. Pasqua n'allait pas tout vérifier, ni M. Santini, mais du fait qu'il s'agissait d'un système organisé, ils avaient conscience que M. Hamon s'enrichissait sur le dos du Syndicat mixte », avait-il soutenu.
Retour sur cette affaire
Juillet 2003. Le comptable de l'homme d'affaires Jean Hamon se rend à la PJ de Versailles pour dénoncer des malversations de son employeur, avec lequel il est en conflit. Il balance une série de fausses factures, quelques prêts litigieux, et des achats personnels imputés financièrement aux sociétés de Jean Hamon. Surtout, il accuse son patron d'avoir embauché un ami d'André Santini, cela pour renvoyer l'ascenseur à l'élu des Hauts-de-Seine. Or la société qui rémunère ce proche est financée par des fonds publics, qui sont virés par le Syndicat mixte de l'île Saint-Germain. Un syndicat cofondé par la commune d'Issy-les-Moulineaux et le puissant conseil général des Hauts-de-Seine, et qui est codirigé par André Santini et Charles Pasqua.
Créé en 2000, le Syndicat mixte avait pour objet de créer un musée d'art contemporain sur l'île Saint-Germain, à Issy-les-Moulineaux. Annoncé en fanfare en 2001, le musée devait théoriquement accueillir deux cents œuvres d'art contemporain, des pièces de choix, dont des César, Dubuffet, Arman ou Garouste, toutes léguées par Jean Hamon, et globalement estimées à 8 millions d'euros.
Personnage à facettes, ce collectionneur d'art contemporain et nouveau mécène a également été promoteur. Il a fait fortune dans l'immobilier et possède une exploitation agricole de deux cents vaches Salers à côté de son magnifique château, dans les Yvelines.
La fondation Hamon devait, selon Pasqua et Santini, ouvrir ses portes en 2004. D'ici là, le syndicat s'engageait à régler à Jean Hamon les frais de conservation, d'entretien et d'exposition des toiles que l'homme d'affaires promettait de léguer au futur musée, et qui se trouvaient dans son château. Quant au proche d'André Santini, il était salarié pour venir y organiser des visites de groupes scolaires.
Pour le futur chantier du musée, plusieurs dizaines d'arbres sont abattus, et des frais d'études importants sont engagés par le Syndicat mixte de l'île Saint-Germain. Mais une association de défense de l'environnement et des riverains dépose des recours, et obtient le gel du projet, puis l'annulation pure et simple du permis de construire. Le projet de musée tombe à l'eau, mais Jean Hamon continue à percevoir des fonds pour le stockage et la conservation de ses toiles. Quelque 800 000 euros, selon l'enquête judiciaire.
Le mécène est mis en examen pour « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « escroquerie » et « recel de détournements de fonds publics » par la juge Nathalie Andreassian, en septembre 2003, et passe même quinze jours à la prison de la Santé. Cette nouvelle inquiète le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy. Elle laisse de marbre le patron du département des Hauts-de-Seine, Charles Pasqua, qui en a vu d'autres. André Santini, quant à lui, se sent personnellement visé. La juge d'instruction n'en a cure. Elle met en examen une flopée de hauts fonctionnaires et cadres dirigeants du conseil général des Hauts-de-Seine, ainsi que l'architecte parisien Jean-Michel Wilmotte, et enfin André Santini et Charles Pasqua, tous deux poursuivis en 2006.
Un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) d'Ile-de-France est versé au dossier d'instruction en 2007. Il chiffre le coût total du projet avorté à plus de sept millions d'euros. Les magistrats financiers pointent notamment le doublement du coût prévisionnel du musée, mystérieusement passé de 6,8 à 13,4 millions d'euros. Les frais de location et d'entretien des toiles conservées chez Jean Hamon sont également critiqués. La CRC épingle par ailleurs la fameuse SEM 92, le bras armé du conseil général des Hauts-de-Seine pasquaïen pour les grosses opérations immobilières. Maître d'ouvrage du projet de musée, la SEM 92 a accumulé « défaillances » et « irrégularités » dans la passation des marchés, dont ont profité plusieurs entreprises du BTP, stipule le rapport d'observations définitives de la CRC.
Une fois Nicolas Sarkozy parvenu à l'Élysée, l'affaire est suivie comme le lait sur le feu par son conseiller pour la justice, Patrick Ouart. La menace judiciaire est bien réelle, le département des Hauts-de-Seine ayant vu servir toute la garde rapprochée sarkozyste ou presque, après que Charles Pasqua a passé la main à Nicolas Sarkozy. Le pouvoir s'inquiète quand l'avocat de Jean Hamon s'étonne à voix haute que l'on reproche à son client des fonds publics virés sous Charles Pasqua, de 2001 à 2003, alors qu'ils ont continué à l'être, sans être visés par la procédure pénale, de 2004 à 2006, c'est-à-dire après que Nicolas Sarkozy eut succédé à Charles Pasqua à la tête du département le plus riche de France.
Ce même avocat, Philippe Guméry, demande début 2008 à la juge Andreassian d'entendre comme témoin l'ancienne adjointe du directeur général des services du département : une certaine Rachida Dati, qui est alors ministre de la justice. Cette audition sera refusée par la juge d'instruction. Mais le message a été reçu en haut lieu. Du coup, le parquet de Versailles joue prudemment la montre. Alors que la juge d'instruction a clos ses investigations, le procureur Michel Desplan attend plus d'un an pour prendre ses réquisitions, fin 2008... et demander à la juge de rouvrir le dossier, pour approfondir le volet « prise illégale d'intérêts ».
C'est que, depuis 2007, André Santini est secrétaire d'État à la fonction publique (son suppléant, Frédéric Lefebvre, est devenu député), et entend bien rester au gouvernement, alors qu'il est certain que la juge veut le renvoyer en correctionnelle. La guérilla procédurale redouble. Tout en assurant qu'André Santini n'a strictement rien à se reprocher dans ce dossier, son avocat pénaliste, Grégoire Lafarge, adresse des demandes d'annulation à la chambre de l'instruction et à la Cour de cassation. Le temps n'y fait rien : la procédure d'instruction est validée. André Santini quitte le gouvernement en juin 2009, et retrouve son siège de député.
La juge Andreassian, elle, a rouvert son dossier, comme on l'y obligeait. Elle y joint des éléments de procédure issus de la célèbre affaire Elf, qui font écho au dossier de la fondation Hamon. En 1990, en effet, un premier terrain sis à Issy-les-Moulineaux avait fait l'objet d'une étonnante transaction : le groupe Elf Aquitaine l'avait vendu pour 200 millions de francs (30 millions d'euros) à la société Thinet, qui elle-même l'avait cédé quelques jours plus tard pour 300 millions de francs (45 millions d'euros) à la SEM 92. Une bien mauvaise affaire pour les contribuables.
Quelque 60 millions de francs (9 millions d'euros) de commissions occultes s'étaient évaporés au passage, dans cette affaire où les noms de Jean Hamon, d'André Santini, et de son frère, l'homme d'affaires Dominique Santini, avaient (déjà) été cités.
Novembre 2010. Nathalie Andreassian clôt pour la seconde fois ses investigations, et transmet le dossier au parquet de Versailles. Rien ne se passe. Le parquet n'ayant toujours pas pris de réquisitions cinq mois plus tard, la juge d'instruction perd patience, et finit par renvoyer onze personnes devant le tribunal correctionnel le 6 avril 2011. (On peut lire son ordonnance de renvoi ici.)
Quelques semaines plus tôt, les avocats d'André Santini avaient tenté un ultime coup de procédure, en déposant une « requête en suspicion légitime » visant à faire dessaisir la juge d'instruction. En vain.
Sollicité en septembre 2011 par Mediapart, l'avocat de Charles Pasqua, Léon-Lef Forster, avait estimé que ce procès de l'affaire Hamon ne pourrait pas avoir lieu avant l'élection présidentielle, et jugé « tout à fait inadapté que M. Pasqua soit renvoyé devant le tribunal correctionnel, son rôle n'ayant jamais été déterminé dans l'effectivité d'une infraction ».
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