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Démocratie sanitaire (2/4). Les associations de patients veulent peser sur les choix politiques

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Sur le site internet de l'Association française des diabétiques (AFD), le choix des mots est sans équivoque : l'AFD veut participer à la « gouvernance de la santé ». Fini d'être de simples mouvements de solidarité au service des pairs, les associations de malades réclament d'avoir vatients, j'y ai participé en mon nom propre : on me disait que c'était hors-sujet ! Aujourd'hui, nous consultons bien volontiers le corps médical mais il n'intervient plus dans notre positionnement. »

Yvanie Caillé.Yvanie Caillé.

L'émancipation des usagers est effectivement récente, de même que leur mue en acteurs militants pour une représentation véritable au sein des instances de décision. « Dans les maladies rénales, l’histoire pèse lourd. » Yvanie Caillé, directrice de l'association Renaloo décrypte cette « culpabilité » qui a pu assaillir les malades du rein : « Il y a 50 ans, ni la dialyse ni la greffe n’étaient disponibles, tous les patients mouraient. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’ils puissent tous accéder à un traitement et donc à la survie, mais au prix fort. On leur rappelle encore régulièrement le prix d’une année de leur vie (environ 80 000 € pour la dialyse et 20 000 € pour la greffe – Ndlr), pour qu’ils se souviennent qu’ils devraient déjà être bien contents d’être traités… Cela a été et reste un frein à notre prise de parole pour revendiquer nos droits. Mais les choses avancent. » Organisatrice des États généraux du rein en 2013, la militante, patiente elle-même, se souvient aussi de la violence des réactions de certains professionnels : « La parole des malades s'est vraiment libérée, c'était formidable. Mais ce cri de détresse, devenu largement audible, a été très mal perçu par certains médecins, qui n’y ont vu que “des pleurnicheries” ou se sont sentis personnellement mis en cause. La maladie et les traitements rendent les patients malheureux, pas les médecins…, qui doivent néanmoins entendre les difficultés exprimées pour tenter de mieux y répondre ! »

Depuis la loi du 4 mars 2002, dite parfois « loi Kouchner », le droit individuel des patients a singulièrement progressé. Les associations ont obtenu le droit de siéger dans diverses instances, à plusieurs niveaux : au sein des agences régionales de santé, des commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge dans les établissements, dans les commissions de recours et contentieux, au conseil de la caisse nationale d'assurance maladie... Pas suffisant, pour Christian Saout, l'ancien président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) : « Sur les droits collectifs, on joue encore petit bras… » Et de plaider pour une présence accrue, notamment au sein d'organismes plus stratégiques comme la commission économique des produits de santé – chargée notamment d'orienter les prix et la politique du médicament – où sont représentés les caisses nationales d'assurances maladies, des médecins, des pharmaciens mais aucun patient. Même traitement en ce qui concerne la commission de la transparence sur le médicament, qui examine notamment le fameux « service rendu » par un médicament… « Quand on voit des traitements à 80 000 euros pour des hépatites C, c'est sûrement bien pour le malade, mais est-ce que le coût est justifié par rapport au traitement précédent ?, s'interroge Christian Saout. Aucun usager n'est consulté sur le sujet. »

Xavier Rey Coquais, responsable associatif dans le VIH :
« La ministre a tout intérêt à avoir un équilibre des lobbys. »

 

Si l’État hésite encore à s'engager dans le cadre qu'il avait tracé en 2002, c'est peut-être par prudence face à la nébuleuse associative. Associations de patients phagocytées par le milieu médical, apparition de petites notabilités, inquiétudes sur la réelle représentativité des mouvements… Le monde associatif n'échappe pas à certaines dérives. Mais le cœur du problème réside dans son financement : en 2012, les industriels de santé ont déclaré avoir versé 5,9 millions d’euros à 301 associations de patients en France. « Certaines ont de vraies difficultés à gagner leur indépendance », concède un observateur du secteur… « 30 à 40 % de notre budget vient (sic) de contrats avec les labos, on conçoit des projets et on cherche des industriels pour participer à leur financement, détaille Gérard Raymond, de l'association française des diabétiques. Nous n'avons aucun contrat exclusif avec l'un d'entre eux. Le reste, ce sont des dons de personnes. Les subventions institutionnelles représentent pour nous 4 %, comment voulez vous boucler un budget avec ça ? »

Remise du rapport de Claire Compagnon à Marisol Touraine.Remise du rapport de Claire Compagnon à Marisol Touraine.

La revendication d'un financement public plus soutenu pour conforter la représentation des usagers est un sujet récurrent de discorde entre les associations et les gouvernements. « On nous a promis la démocratie sanitaire, mais sans nous donner les moyens d'y participer ! Personne ne demande à être payé, mais au moins que les associations, moyennant un contrôle sérieux de leurs pratiques, puissent financer la formation de leur représentant, les frais de déplacements et de coordination. » Cette ligne, défendue par Christian Saout, est d'ailleurs peu ou prou celle de Claire Compagnon, auteur du rapport remis à Marisol Touraine et intitulé « L'an II de la démocratie sanitaire ». Passée par Aides et la Ligue contre le cancer, cette ancienne responsable associative veut « un statut pour les représentants des usagers », et estime que « comme pour la démocratie politique et la démocratie sociale, un financement public suffisant et pérenne devrait être envisagé pour les représentants de la démocratie sanitaire », qu'elle évalue d'ailleurs autour de 16,5 millions d'euros par an.

Le problème est sans doute encore plus vaste que celui de la simple représentativité associative. Contrairement à bien d'autres secteurs, comme l'éducation ou les transports, l’État français a mis du temps avant de s'impliquer réellement dans la santé. La création d'un service public hospitalier date seulement de la loi Debré, en 1958. « C'est même la particularité de la France, par rapport à l'Allemagne et l'Angleterre : le système qui a le plus, voire totalement donné la main aux professionnels, c'est le système français, assure Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po Paris. Cela a beaucoup de vertus car les professionnels intègrent très vite le progrès dans leurs pratiques, mais c'est aussi un système qui favorise les rentes de situation. Depuis vingt ans, c'est moins le cas, mais la réorganisation des pouvoirs reste nécessaire ainsi qu'une plus grande régulation, notamment sur la médecine de ville. » La loi de 2002 est, de ce point de vue, embryonnaire, d'autant plus qu'en 2004, un nouveau texte a remis en cause certaines dispositions. « La démocratie sanitaire c'est la participation de tous, mais également, à mon sens, faire pleinement entrer la santé dans le champ politique, poursuit Didier Tabuteau. Tout le monde doit s'engager : l’État en tant que technostructure, mais également les usagers, les assurés ainsi que les députés ou élus locaux. Or on a une mainmise des professionnels de santé qui est toujours extrêmement puissante, une démocratie sociale et des partenaires sociaux qui ont porté le système pendant des décennies et qui ont du mal à voir un autre mode d'organisation s'instaurer. »

→ Xavier Rey Coquais :
« Ce que l'on a constaté du point de vue des députés et des politiques, c'est une méconnaissance profonde de ce que signifie la santé publique. »

 

Car si les représentants de patients peinent à être pris au sérieux, les usagers sont de plus en plus mis à contribution pour financer le système de soins, via la souscription quasi obligatoire à des complémentaires, mutuelles et assurances privées. L'instauration de franchises, du tiers payant, les dépassements d'honoraires, etc., achèvent de concentrer le rôle de la sécurité sociale sur les dépenses les plus lourdes, pour les pathologies les plus graves, et de compter sur l'usager pour les soins courants. « Le meilleur exemple, c'est les soins dentaires !, selon Didier Tabuteau. On lâche sur les tarifs opposables et on a un champ entier qui passe par un remboursement majoritairement assuré par des complémentaires. Moi je suis fondamentalement convaincu que la Sécurité sociale doit regagner sa place parce c'est plus économique pour le pays et plus juste socialement. Or cette question n'a pas fait l'objet d'un débat politique ! »

Vincent DumezVincent Dumez

Vincent Dumez, lui, est persuadé que le système évoluera, même aux forceps. C'est l'un des patients-partenaires les plus connus… au Québec. Militant, il est bien malgré lui un grand usager (et donc un fin connaisseur) du système de santé : hémophile sévère depuis sa naissance en France, il a été contaminé accidentellement par les virus du sida et de l'hépatite C lors de l'affaire du sang contaminé au Canada.

→ Vincent Dumez :
« Je crois profondément que les patients peuvent jouer un rôle majeur dans la transformation des soins. »

 

Vincent Dumez travaille aujourd'hui comme coordinateur à la faculté de médecine de l'université de Montréal : elle accueille chaque année 210 patients-partenaires pour former des étudiants de première, deuxième et troisième années en sciences de la santé. Cent cinquante patients-formateurs sont également impliqués dans l'ingénierie des programmes en santé. « Ils sont sélectionnés, formés, ils ne sont pas là en posture de témoins, explique Vincent Dumez. L'idée, c'est d'amener les professionnels à considérer que le patient fait partie de l'équipe, puisqu'il va être amené à s'administrer du soin. Ça change tout le paradigme. » Au Québec comme en France, la montée en puissance des maladies chroniques exige de revoir en profondeur le système, avec des médecins qui seront de plus en plus dans une perspective d'accompagnement des malades plutôt que de guérison.

→ Vincent Dumez :
« S’il y a une chose incontournable, ce sont bien les changements qui doivent s’orchestrer dans l'éducation médicale. »


En France, quinze millions de personnes sont touchées par une maladie chronique, ce qui représente 70 % des dépenses de santé. « Simplement pour soigner les personnes atteintes du diabète, il faut 18 milliards d'euros par an, et un milliard de plus tous les ans, note Gérard Raymond de l'AFD. Les patients ont peut-être des idées à partager sur la prévention… » Moins de cure, pour plus de care, c'est dans le cadre de la démocratie sanitaire qu'il faudra trancher.

Prochain volet : Internet, mon médecin et moi

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