Sauf à penser que François Hollande aspire depuis les premières heures de son mandat à se démolir lui-même, les deux dernières annonces de ses ministres importants, et les plus proches de lui, sont incompréhensibles. Mais que cherche donc ce chef d’État, qui vient de subir une défaite historique et dont les premières mesures sont un nouveau renoncement ?
Voilà un président dont le parti, et les alliés potentiels, ont connu la déroute : le PS se retrouve au-dessous de 14 %, l’ensemble de la gauche dépasse à peine un électeur sur trois, les écologistes sont enfoncés, le Front de gauche est enlisé, toutes les forces qui l’ont porté à l’Élysée ont fondu d’un tiers en deux saisons, les militants sont démoralisés, les sympathisants désorientés, les élus en colère, et quel message vient de lancer ce gouvernement descendu aux enfers, à la veille de l’Ascension ?
D’abord que le droit de vote des étrangers aux élections municipales devait à nouveau être enterré. C’est Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur qui l’a annoncé lui-même, alors que le président de la République avait décrété le contraire le 6 mai dernier, second anniversaire de son élection, en assurant que sa promesse de campagne serait tenue pour les prochaines municipales.
La deuxième surprise vient de François Rebsamen, ministre du travail. Après le gel des salaires, voilà qu’il envisage le gel des droits sociaux des travailleurs. Ce n’est plus un gouvernement, c’est un congélateur ! Pendant trois ans, « les seuils sociaux » seraient suspendus. Une entreprise ne serait plus tenue d’installer un comité d’entreprise à partir de cinquante salariés, ni de nommer un délégué du personnel à partir de dix salariés. Vive la flexibilité.
Cazeneuve et Rebsamen mettent en avant le réalisme et le pragmatisme : au nom de la bataille pour l’emploi, on renoncerait à une réforme sociétale qui créerait des polémiques subalternes, donc exit le vote des étrangers, et on se concentrerait sur l’essentiel en desserrant « les freins à l’embauche ».
Ni le ministre de l’intérieur, ni celui du travail, ni le président de la République ne peuvent ignorer la charge symbolique de ces deux marqueurs de gauche, dans le contexte épidermique créé par le désastre européen. Ces décisions sont donc préméditées et elles auront un fort retentissement à gauche. Le risque est grand qu’elles accentuent le désarroi de la base, exprimé mardi lors de la réunion du groupe socialiste à l’Assemblée quand le député du Pas-de-Calais, Guy Delcourt, qui est le contraire d’un frondeur, s’est écrié, en présence de Manuel Valls : « La relation de François Hollande avec les Français pose un vrai problème, c’est lui rendre service de le lui dire. »
L’aile gauche du PS, et la gauche en général, n’y verra pas un renoncement mais un projet cohérent. Une trahison par rapport au discours du Bourget. La mise en œuvre déterminée d’un virage social-libéral ou carrément droitier. Après le retrait de la loi sur la famille puis les cafouillages à l’Assemblée de sa version édulcorée, après les vingt milliards du crédit d’impôt compétitivité emploi, après les cinquante milliards du pacte de responsabilité, le pouvoir élu à gauche acterait la logique du discours patronal sur les charges et le Code du travail : seul l’allègement des premières, et l’assouplissement du second, accompagnés d’une réduction générale des impôts, permettrait de créer de l’emploi dans le cadre de la concurrence mondiale.
Du pur libéralisme, qui, de fil en aiguille, a conduit le président du Medef, et même le socialiste Pascal Lamy, ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce, et très proche du président, à laisser tranquillement entendre que l’ennemi de l’emploi ne serait plus la feuille de paye, comme au temps de Jacques Chirac, mais carrément le smicard.
Cette analyse des choix du président de la République avance donc que François Hollande ne reculerait pas, contrairement aux apparences, mais qu’il avancerait, en mettant en œuvre un projet de moins en moins dissimulé. À l’Assemblée des départements de France certains se demandent même si la réforme des collectivités territoriales ne correspond pas à un changement de pied. Le président ferait l’impasse sur sa gauche en recherchant une nouvelle assise vers le centre droit. Une majorité qui se serait d’ailleurs esquissée à l’occasion du vote sur le pacte de responsabilité auquel les députés UDI ne se sont pas opposés.
Cette vision des choses, qui fait du locataire de l’Élysée un capitaine retors mais avisé, et qui connaîtrait son cap, n’a au fond qu’un défaut : c’est que le pilote est dans le décor. Les électeurs de droite à qui il fait les yeux doux le maudissent comme jamais, et les électeurs de gauche, qui avaient (un peu) cru en lui se mettent à le détester.
Le mystère François Hollande (où va-t-il ?, que veut-il ?, et pourquoi se retrouve-t-il à errer dans cet État ?) n’est peut-être pas politique, mais concerne sa personne. Voilà ce qu’on entend de plus en plus dans les allées du pouvoir et de la majorité, à mots couverts, car ces choses-là ne se disent pas : François Hollande a-t-il la dimension du poste ? N’est-il pas une erreur de casting, une bête à concours capable de briller en Primaire, mais mal conçu pour le Supérieur ?
Et si le talon d’Achille de ce drôle de président, dont l’essentiel du programme était de chasser le président (Sarkozy), était d’être ce qu’il est. D’avoir les qualités qu’il a, et que tout le monde lui reconnaît. Une capacité prodigieuse à passer entre les gouttes, en disant à ses interlocuteurs ce qu’ils ont envie d’entendre. Une manière de se mettre à leur place. Cette empathie très chiraquienne a fonctionné en Corrèze. Même madame Chirac a été sensible à la délicatesse de ce président de Conseil général, qui avait pourtant commencé sa carrière en déclarant, au début des années 80 : « Je battrai Jacques Chirac. » Cette capacité à négocier des arrangements qui a aussi fonctionné au Parti socialiste, au bon vieux temps de la synthèse, même si elle a laissé le parti dans un stade plus proche du massacre de Reims que du sacre du même nom…
Hollande c’est l’homme des face-à-face, des comités restreints, des relations directes, emballé c’est pesé, et tout le monde est content, sauf qu’au bout de deux ans, à la présidence de la République, tout le monde est mécontent. Sans doute parce qu’un pays, comme dirait Charles de Gaulle, c’est une certaine idée et pas la somme de petites concessions, en vue d’arrangements moyens.
Hollande a horreur des conflits. En campagne, pour faire plaisir à ses auditoires, il promettait de résister à Angela Merkel et à l’austérité. Une fois élu, pour ne pas déplaire à Merkel et aux tenants de l’austérité, il a signé le traité qu’il devait repousser. Il cède pour ne pas avoir d’ennuis. On dira qu’il n’a cédé qu’à la droite et au patronat. Pas tout à fait : devant les présidents de Conseils généraux, alors qu’il pensait le contraire depuis de longues années, il a assuré que les assemblées départementales ne seraient pas supprimées… De même, devant l’assemblée des maires de France, il a senti la protestation des élus de droite vis-à-vis du mariage pour tous, et il a inventé, dans un élan d’empathie, le monstre juridique d’une loi qui serait facultative et appliquée en fonction des humeurs, avant de se rétracter face à un autre public, celui des associations homosexuelles…
François Hollande, fort de ses réussites locales, en Corrèze, ou de ses affrontements intérieurs, au PS, a développé l’idée qu’on démine un adversaire, et qu’on se le met dans la poche en accédant à ses demandes, ou à une partie d’entre elles. On serait presque entre amis, comme avec l’adversaire Chirac, quoi… Ça marche en petit comité, ça ne fonctionne pas à l’échelle d’un pays.
Que ce président soit un social-démocrate à tendance libérale sur le plan économique, c’est une évidence, voilà pour la cohérence ; qu’il ait cédé à tout propos en est une autre. Il a coupé les poires en deux, il a pris des dizaines de demi-mesures fiscales mais pas entrepris la grande réforme promise, il a fait voter une réforme bancaire plus proche de l’enveloppe vide que de la séparation des activités bancaires et des actions spéculatives, il a même coupé Leonarda en deux, en l’acceptant tout en repoussant sa famille, et cette multitude de prudences, d’atermoiements, d’évitements, n’a fait qu’embraser les oppositions et désespérer les soutiens.
Hollande n’a qu’une idée en tête : calmer le jeu. Ne pas diviser. Et plus il calme, plus il énerve. Plus il « rassemble » comme il dit, plus il morcelle.
On fait souvent le rapprochement entre lui et l’autre François, celui de 1981. À Mitterrand aussi on a fait le procès en trahison, en virage à droite, et de fait, en 1983, Mitterrand a oublié ses 101 propositions et divorcé d’avec les communistes, qu’il n’avait jamais aimés, et qu’il rêvait d’anéantir. Mais entre Hollande et Mitterrand il y a une différence fondamentale. Plus ça va mal, plus il s’enfonce et plus Hollande fait des sourires à son opposition. Plus c’est dur et plus il donne le sentiment de mollir. Mitterrand faisait le contraire. Plus c’était rude et plus il raidissait la nuque. Dans les années 90, sous Rocard le consensuel, alors que la droite se déchaînait sur les affaires, et que la gauche s’enfonçait dans les sondages, Mitterrand avait même inventé une expression. Il avait décrété qu’il fallait « colériser le débat ».
Hollande préfère les analgésiques. Il se trouve que ça met le peuple en colère…
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