L’année 2015 sera chargée, sur le plan judiciaire, pour Éric Woerth. Selon des informations obtenues par Mediapart, l’ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy et ancien trésorier de l’UMP doit en effet être jugé les 23, 24 et 25 mars 2015 au tribunal correctionnel de Bordeaux, dans l’affaire de la Légion d’honneur attribuée à Patrice de Maistre. Dans ce volet de l’affaire Bettencourt, jugé séparément, Éric Woerth est soupçonné d’avoir remercié l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt d’avoir embauché son épouse en le décorant. Un échange de bons procédés qui leur vaudra à l’un et à l’autre d'être jugés pour « trafic d’influence ». Ils avaient été renvoyés en correctionnelle le 4 juillet 2013 par les juges d’instruction de Bordeaux, malgré des réquisitions de non-lieu prises le 10 mai par l’alors procureur Claude Laplaud, remplacé depuis par Marie-Madeleine Alliot.
Patrice de Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal. Malgré les dénégations des uns et des autres, un courrier d’Éric Woerth à Nicolas Sarkozy de mars 2007, pendant la campagne présidentielle, atteste que Patrice de Maistre, généreux donateur et membre du Premier cercle de l’UMP, avait réclamé sa décoration à son ami Woerth. C’est également à cette époque que le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt rapatriait clandestinement des fonds depuis la Suisse pour en remettre une partie à Éric Woerth, selon les juges d'instruction. Les magistrats instructeurs ont estimé que l’octroi de cette décoration à Patrice de Maistre était bien lié à l’embauche par celui-ci de Florence Woerth, l’épouse du ministre du budget, au sein de la société Clymène.
Avant ce procès, une épreuve plus longue attend Éric Woerth, député et maire (UMP) de Chantilly (Oise), qui devra passer quatre à cinq semaines sur le banc des prévenus du tribunal de Bordeaux : il doit, en effet, être jugé à partir du 26 janvier 2015 pour « recel » dans le volet principal de l’affaire Bettencourt, en compagnie de neuf autres personnalités dont Patrice de Maistre.
Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel signée par les juges le 7 octobre 2013, et dont Mediapart a révélé de larges extraits, deux rendez-vous très discrets avec Patrice de Maistre, pendant la campagne présidentielle de 2007, font peser de lourds soupçons sur Éric Woerth. « Il résulte de l’information qu’Éric Woerth a perçu des sommes en espèces qui lui ont été remises par Patrice de Maistre », écrivent les juges d’instruction Jean-Michel Gentil et Valérie Noël à la page 244 de leur ordonnance. « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. »
La chronologie reconstituée par les magistrats instructeurs est limpide. Maistre demande l’argent à la comptable de Liliane Bettencourt le 11 janvier 2007, lors d’un rendez-vous dans les locaux de la société Clymène, qui gère les investissements de Liliane Bettencourt, sise rue des Poissonniers, à Neuilly. Claire Thibout retire 50 000 euros le 17. Elle les remet le 18 à Maistre, dans l’hôtel particulier des Bettencourt. Et dès le 19 au matin, Woerth et Maistre se rencontrent discrètement dans un bar. Sur l’agenda de Claire Thibout, figure à cette date une mention très explicite : « 8h30 : Patrice et Trésorier – rue des Poissonniers – Paye et sécurité. » Le même jour, André Bettencourt signe une lettre de soutien au candidat Nicolas Sarkozy.
Le second rendez-vous entre Éric Woerth et Patrice de Maistre, toujours aussi discret, a lieu le 7 février 2007. Quelques jours plus tôt, le 30 janvier, Maistre s’était rendu en Suisse chez l’avocat René Merkt, gestionnaire des comptes cachés de Bettencourt. Il avait ensuite lâché cette phrase devant Claire Thibout : « Des fois ça sert d’avoir des comptes en Suisse. »
Les juges ont établi qu’à la suite de ce déplacement en Suisse, quelque 400 000 euros avaient été mis discrètement à la disposition de Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt le 5 février. Le 7 février au matin, Woerth et Maistre se retrouvent donc pour la seconde fois dans un bar. Le 10, Nicolas Sarkozy rend visite à André Bettencourt.
« La réalité des rendez-vous est établie. La réalité de l’obtention des fonds et de leur remise l’est également. Les déclarations tant de Patrice de Maistre que d’Éric Woerth sur l’objet de ces deux rendez-vous sont peu crédibles au regard des déclarations corroborées de Claire Thibout sur la chronologie des faits », écrivent les juges.
Les magistrats vont plus loin : « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. » Jurisprudence à l’appui, les magistrats expliquent que le délit de « recel » suppose la connaissance de l’origine frauduleuse de la chose reçue, mais « pas que le receleur ait connu précisément le délit d’origine. Il importe donc peu qu’il ignore les circonstances dans lesquelles a été commise l’infraction d‘origine ».
« De l’absence de relations entre ces deux personnes, qui se connaissaient depuis peu, et ne s’étaient rencontrés qu’une fois en septembre 2006 pour parler du soutien que l’un, Patrice de Maistre, à titre personnel ou au nom de son employeur Liliane Bettencourt, pouvait apporter à l’autre, Éric Woerth, en sa qualité de trésorier de l’UMP, du fait que c’est cette qualité de “trésorier” qui était justement mentionnée dans l’agenda de Claire Thibout pour le premier rendez-vous, il apparaît que l’objet du rendez-vous du 19 janvier 2007 était bien lié à un soutien financier », écrivent les juges.
Ils notent par ailleurs que pour des raisons de « discrétion » et de « confidentialité », ces rendez-vous avaient lieu dans un bar, et qu’Éric Woerth a évoqué de façon très vague, sur procès-verbal, une « aide » que souhaitait apporter Maistre.
Les magistrats concluent ainsi : « Par sa profession, ses mandats électifs exercés, ses fonctions anciennes de trésorier d’un parti politique et surtout ses fonctions de trésorier de la campagne électorale d’un candidat à l’élection présidentielle au moment des faits, Éric Woerth ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse de sommes importantes remises en espèces, sans déclarations, sans enregistrements ni reçus. »
« De l’ensemble de ces faits, des déclarations de Claire Thibout, des circonstances de ces deux rendez-vous, il apparaît qu’Éric Woerth a accepté, à deux reprises, des sommes en espèces provenant d’un circuit financier manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre, et il importe peu qu’il n’ait pas connu le détail des circonstances de la commission du délit d’où provenaient les fonds recelés, 50 000 euros le 19 janvier 2007 et entre 100 000 et 400 000 euros le 5 février 2007 » (il s’agit en fait du 7 février – ndlr).
« Dès la réception réitérée de ces fonds, dans de telles conditions, Éric Woerth n’a pu – voire n’aurait pas dû – ignorer leur origine frauduleuse. Il n’a pas pu avoir le moindre doute sur celle-ci, quand bien même il ne connaissait pas précisément la qualification pénale du délit commis par Patrice de Maistre, d’abus de faiblesse ou de blanchiment de fraude fiscale qui lui sont reprochés ».
Pour le cas particulier d’Éric Woerth, les juges préfèrent ne pas choisir entre ces deux hypothèses et le renvoient donc devant le tribunal pour « recel d‘un délit commis par Patrice de Maistre au préjudice de Liliane Bettencourt ».
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