« Ça ne me dit rien », « Je n’ai jamais participé à ce type de réunion », « Je ne m’intéresse pas à ce genre de choses »… Les multiples conventions organisées par l’UMP entre janvier et juin 2012 n’ont guère marqué les esprits. Pourtant, selon Libération, qui a consulté les factures réglées par le parti pour leur organisation, elles auraient coûté près de 12,7 millions d’euros. Un montant colossal facturé à une filiale du groupe Bygmalion – Events & Cie – détenue par des proches de Jean-François Copé.
Les liens financiers entre l’UMP et le groupe de communication, fondé en 2008 par Bastien Millot et Guy Alves, font déjà l’objet d’une enquête préliminaire ouverte le 5 mars par le parquet de Paris, dans la foulée des premières révélations du Point. Les investigations, confiées à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, visent à identifier d'éventuelles infractions de « faux », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance ».
Jeudi matin, en marge d’une conférence de presse sur l’Outre-Mer au siège du parti, Copé a dénoncé de nouvelles « allégations » à dix jours des élections européennes, « le tout mélangé, amalgamé, mal vérifié ». Assurant n’être « dupe de rien, ni moi, ni personne à l’UMP » et faire « confiance à la justice », il a rappelé avoir « produit, après l’histoire du Point, un document de sept pages avec les éléments ». Le 8 avril, le patron de l’opposition avait tenté d’éteindre la polémique en défendant sa gestion financière devant plusieurs ténors de l’UMP, auxquels il n’avait toutefois pas présenté de documents comptables.
En consultant ces derniers, Libération a pu dénombrer 55 « réunions thématiques » organisées durant le premier semestre de 2012 et payées à Bygmalion. Interrogé par le quotidien, Jérôme Lavrilleux, le directeur de cabinet de Copé, a confirmé l’existence de « 80 événements » (conventions, réunions thématiques ou d’information, conseil national…) sur l’ensemble de l’année 2012 et le fait que 19 millions d’euros ont bien été versés, cette année-là, à Bygmalion (les meetings de campagne compris).
Outre les prestations orchestrées dans le cadre de la présidentielle, Bygmalion aurait donc pris en charge plus de 50 réunions sur des sujets aussi divers que « l’accès au crédit », « le terrorisme » ou la « réforme des retraites ». Plusieurs d’entre elles auraient coûté 299 000 euros. « Un chiffre rond qui revient fréquemment », précise Libération. Le problème, c’est qu’aucun des secrétaires nationaux “référents” sur les sujets invoqués – et donc censés intervenir dans ce type d’événements – ne se souvient avoir participé à de telles conventions.
Le député UMP de Paris Pierre Lellouche, dont le nom apparaît sur l’une des factures en tant qu’organisateur d’une « conférence » sur « l’accès au crédit » organisée le 30 mai 2012 – soit trois semaines après la défaite de Nicolas Sarkozy –, a démenti avoir participé à cette réunion. « Je ne sais pas de quoi l'on parle. J’étais en campagne pour les législatives à ce moment-là. Ils doivent donner des explications, je les attends », dit-il à Mediapart sans préciser qui vise exactement ce « ils ». L’élu parisien a d’ailleurs fait savoir qu’il avait saisi son avocat « pour le charger de toutes démarches nécessaires afin de défendre (son) nom et de sanctionner l'usage qui en est fait ».
Plusieurs autres responsables UMP, interrogés par Mediapart, tiennent le même discours. « À partir de janvier 2012, nous étions tous en campagne, sur le terrain, explique un parlementaire fillonniste sous couvert d’anonymat. Des conventions ont bien eu lieu au cours des six derniers mois de 2011 pour définir notre projet pour la présidentielle et la plupart n’étaient pas publiques. Dans tous les cas, elles n’auraient jamais coûté 300 000 euros ! »
Deux ans après, difficile – pour ne pas dire impossible – de trouver trace de ces 55 réunions réalisées alors que le projet de l’UMP pour la présidentielle était déjà « verrouillé ». Elles semblent pourtant avoir nécessité des moyens substantiels et auraient dû, de facto, rencontrer une plus grande visibilité. Libération a réussi à en repérer seulement six, dont « quatre correspondent à des factures de 2 000 euros, soit les plus basses de la pile des factures ».
Une poignée de « réunions thématiques » ont effectivement eu lieu début 2012. Elles ont rassemblé plusieurs responsables de l’UMP autour de diverses thématiques (« La vocation maritime de la France », « Un nouveau patriotisme », « Au service de la France silencieuse », « Produire en France »…). Sont-elles concernées par les factures de Bygmalion ? « Ça m’étonnerait franchement, tranche un élu qui a participé à l’une d’entre elles. Elles ont été organisées au nouveau siège de l’UMP. » Aucun frais de location, donc, puisque le siège du parti, inauguré en décembre 2011 rue de Vaugirard (Paris XVe), comprend une salle dédiée, pouvant accueillir jusqu’à 800 personnes. Pas plus de frais de sonorisation, l’UMP étant dotée de sa propre régie. La plupart de ces réunions ont d’ailleurs été filmées et sont encore visionnables sur la chaîne YouTube du parti.
Une chose est sûre : l’UMP a dépensé comme jamais en 2012 pour l’organisation de ses “congrès, manifestations et universités”. Sur ce seul poste, 22,9 millions d’euros ont été déboursés par le parti (contre 7,1 millions en 2007), soit une exposition de plus de 220 % ! À titre d’exemple, le parti socialiste a lui aussi revu ce type de dépenses à la hausse en 2012 (+ 74 %), mais déboursé seulement 4,7 millions d’euros.
Et pourtant, à l’UMP, l’âge d’or est terminé. Depuis 2012, le parti a vu ses comptes s’enfoncer dans le rouge. Revoyant ses dépenses à la baisse, il a même dû organiser un “Sarkothon” pour assurer sa survie après le rejet du compte de campagne de Nicolas Sarkozy par le Conseil constitutionnel à l’été 2013. Les conventions désormais proposées par le parti n’ont ainsi plus rien à voir, dans la forme, avec ce qui était organisé il y a deux ans. « J’ai du mal à apprécier les montants fournis par Libération car nous faisons aujourd'hui des formats très différents, indique le député de la Drôme Hervé Mariton, délégué général au projet de l’UMP. Nous sommes très mesurés dans les frais de communication. Cela s’inscrit dans le cadre d’une politique plus générale d’économies... »
Alors certes, l’entourage de Jean-François Copé a un argument “béton” quand tombe une nouvelle révélation sur les factures de Bygmalion : en tant qu’association non soumise au code des marchés publics et libre d’utiliser sa tirelire comme bon lui semble, l’UMP n’a aucune obligation de soumettre ses prestataires à concurrence. Toute poursuite pour « favoritisme » serait donc inepte.
C’est un peu court, d’un point de vue éthique d’abord, quand on sait que 51,7 % des recettes de l’UMP en 2012 provenaient d’un financement public, soit 30,1 millions d’euros. À supposer que les conventions mitonnées par Bygmalion aient été réelles, les citoyens seraient aujourd’hui légitimes à demander des comptes. Sans parler des adhérents qui ont cotisé à hauteur de 5,6 millions d’euros en 2012 et des sympathisants qui ont donné 9,4 millions.
Surtout, d’un point de vue pénal, la défense du cabinet Copé ne tient évidemment plus si les factures de Bygmalion sont frelatées, en partie fictives ou artificiellement gonflées. L’enquête ouverte par le parquet de Paris porte ainsi sur d’éventuels abus de confiance (côté UMP) ou abus de bien social (côté Bygmalion). La justice ne manquera pas, si des surfacturations sont avérées, de s’interroger sur la véritable destination du “surplus”. L’avocat de Bygmalion, Me Patrick Maisonneuve, a d’ores et déjà démenti « toute rétrocommission », sous-entendu au bénéfice du clan Copé.
Mais le parti bruisse de nombreuses interrogations. « Cela pose clairement la question du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy », craint aussi un élu UMP, en “off”. Les révélations de Libération relancent en tout cas le débat sur le système de contrôle des comptes des partis politiques en France, largement défaillant. Comme Mediapart l’a déjà détaillé, l’autorité indépendante chargée de cette mission (la CNCCFP) n’a pas été dotée, à sa création, des outils juridiques nécessaires pour débusquer des irrégularités de ce genre, et surtout les sanctionner.
La réalité du contrôle repose en réalité sur les commissaires aux comptes recrutés par les formations politiques pour certifier leur bilan financier – des professionnels de l’audit certes, mais qu’elles choisissent elles-mêmes et qu’elles rémunèrent. Jusqu’en 2013, eux seuls avaient le pouvoir de réclamer des pièces justificatives (factures des conventions, etc.) et de jauger la sincérité des dépenses. Une fois leur certification apposée, la CNCCFP n’avait guère les moyens (en droit) de contredire leur travail et devait se contenter d'entériner, quasiment à l’aveugle.
Dans un récent avis public, la CNCCFP rappelait ainsi sans fard qu’elle n’a jamais eu « d'accès direct aux comptes des partis », ni aucun « pouvoir d’investigation ». À l’avenir, elle pourrait toutefois prendre un peu de muscle. Dans les projets de loi sur la transparence adoptés cet automne, la Commission a en effet réussi à faire passer quelques dispositions utiles.
Pour la première fois cette année, les agents de la CNCCFP vont pouvoir réclamer « toutes les pièces comptables et tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de (leur) mission ». Dans le cas de l’UMP, pourquoi pas les factures de Bygmalion. Une petite révolution, à condition que les agents de la Commission s’emparent de ces nouveaux pouvoirs, qu’ils talonnent vraiment les trésoriers, qu’ils sanctionnent leurs silences ou leurs lenteurs calculées. Avec six mois de recul, il apparaît évident que le gouvernement a raté l’occasion de lancer les réformes structurelles urgentes en matière de contrôle des partis.
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