« Moi ma vie est limpide depuis que je suis né, a assuré le député et maire PS de Sarcelles François Pupponi aux juges, en 2012. Je suis un ancien fonctionnaire des impôts ; puis j’ai été maire et député et je m’occupe de la sécurité publique en banlieue, et là vous me parlez d’un monde de voyous qui n’est pas le mien. »
Depuis deux ans pourtant, la justice s’entête à contredire l’ancien bras droit de Dominique Strauss-Kahn. Le 17 juin dernier, les enquêteurs de la Direction centrale de la police judiciaire ont perquisitionné son bureau dans l’affaire de ses « frais de bouche » réglés aux dépens d’une société d’économie mixte de chauffage urbain, la SEM Sarcelles Chaleur, qu’il présidait. En septembre 2011, les policiers de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) avaient déjà effectué une perquisition à la mairie de Sarcelles, ainsi qu'à sa maison familiale de Sainte-Lucie-de-Tallano, en Corse-du-Sud, dans le cadre de l’enquête pour « blanchiment et extorsion en bande organisée » visant plusieurs gangs en lutte pour le contrôle du cercle Wagram, à Paris. François Pupponi avait alors été contraint de quitter l’équipe de Martine Aubry, où il était chargé des questions de sécurité…
Depuis, l’ami de DSK n’en sort pas. Il est toujours mis en cause dans l’affaire du cercle Wagram, placé sous statut de « témoin assisté » dans un dossier disjoint pour des « menaces » qu’il nie. Les juges s'interrogent également sur ses liens avec certains gérants du cercle, condamnés à des peines allant jusqu'à six ans de prison en décembre dernier. À partir du 16 septembre, le procès du deuxième volet de l'affaire se tiendra à Paris, bientôt suivi du procès en appel du premier, consacré à la prise de contrôle du cercle Wagram, en janvier 2011. On va donc encore reparler de François Pupponi, aux côtés d’autres personnalités ayant frayé avec le cercle, comme l’ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini.
Les frais de bouche de la SEM Sarcelles Chaleur ont été révélés au parquet, et rendus publics par Marianne, dès 2007. D’après les factures détaillées de carte bleue obtenues par Mediapart, François Pupponi fréquentait régulièrement aux frais de la SEM plusieurs établissements apparus dans l’enquête du Carlton, et semble-t-il, prisés par l’ancien patron du FMI. La société a ainsi payé deux nuits, 466 euros, dans un palace lillois, L’Hermitage Gantois, à François Pupponi, début avril 2006, et plusieurs dîners à L’Aventure, un restaurant fréquenté par la jet-set, près de la place Victor Hugo, à Paris.
C’est à L’Aventure que l’ancien directeur de la sûreté publique du Nord apparu dans l’affaire du Carlton, le commissaire Jean-Christophe Lagarde, fait la connaissance de DSK ; et c'est à L’Hermitage Gantois que ce policier conduira une jeune femme jusqu’à la suite réservée par l'ex-patron du FMI. Même s'ils sont sans rapport avec ces frasques, les frais de François Pupponi s'apparentent juridiquement à une « prise illégale d'intérêt » voire un « détournement de fonds publics ». « Les dépenses apparaissent suspectes et lointaines de l’objet de la SEM Sarcelles Chaleur qui était de fournir du chauffage aux Sarcellois dans des bonnes conditions et au prix le plus bas possible, dénonçait en 2008 une association locale dans un courrier adressé au procureur. En quoi l’objet de la SEM justifierait le paiement d’œuvre d’art (clichés photographiques) de champagne dans un café branché de la capitale ou même des nuitées dans des hôtels de luxe ? »
L’élu de Sarcelles a d’abord contesté les faits. « Pendant dix ans, j’ai mené des contrôles fiscaux. Il faudrait vraiment que je sois c... pour faire des dépenses personnelles avec la carte bleue d’une SEM », affirmait-il à L’Express en 2010.
Trois ans après ces premières déclarations, François Pupponi « ne veut plus parler de ces affaires » et renvoie systématiquement nos demandes à son avocat, Me Jean-Dominique Lovichi. Ce dernier estime que les paiements avec la carte bleue de la SEM Sarcelles Chaleur ne sont « rien au regard du travail que le député maire de Sarcelles a effectué à la tête de la société sans jamais être indemnisé ». Pour lui, cette affaire, comme celle du Wagram, est une énième « manigance politique » visant à déstabiliser son client. Des « manigances » fomentées selon lui non par des opposants de droite, mais par certains des « camarades socialistes qui souhaiteraient prendre sa place ».
Dans son long interrogatoire du 16 février 2012, que Mediapart s’est procuré, François Pupponi a aussi minimisé ses liens avec le cercle Wagram et avec ses patrons. Au cercle Wagram, il y est « allé quelques fois, très rapidement, avant 2008 ». « La plupart du temps lorsque j’allais au cercle, c’était parce que des gens du village y étaient pour voir un cousin ou un frère. » « Depuis que je suis député, je ne crois plus y être allé »,a-t-il assuré. « J’apprends aujourd’hui que j’étais membre du cercle (…) Je n’ai jamais joué, et je n’ai jamais eu entre les mains une carte du cercle. Ce qui est possible, c’est que sans me le dire mes amis aient établi et payé une carte à mon nom, mais je ne le savais pas. »
La justice a pu faire un historique autrement plus embarrassant pour l’élu socialiste.
Le juge cible deux relations de l'élu socialiste : « L’enquête tend à démontrer que le cercle Wagram était géré en sous-main depuis des années par des personnalités réputées appartenir au grand banditisme corse, et notamment Francis et Angelo Guazzelli et Richard Casanova. Dans ce contexte, on pourrait penser que MM. Ferracci et Terrazzoni étaient en quelque sorte les représentants ou la vitrine de ces gérants occultes ; qu’en pensez-vous ? »
Réponse de François Pupponi : « Sincèrement voir Philippe Terrazzoni et Michel Ferracci comme des voyous… Je découvre à travers la presse et le dossier qu’ils seraient liés à des réseaux mafieux, les bras m’en tombent ! Je croyais naïvement que les cercles de jeux étaient sous contrôle de la police… Et ce que personne ne savait, moi j’aurais dû le savoir ? »
« Michel Ferracci, Hervé Pacini et Philippe Terrazzoni, nous sommes de la même génération, issus de la même micro région, et cela fait 30 ou 40 ans qu’on se connaît, sans être des intimes », poursuit-il. Selon un témoin, Philippe Terrazzoni, condamné à trois ans de prison lors du premier procès, aurait mis à disposition de Pupponi la discothèque La Scala, devenue depuis la VIP Room, pour y fêter son élection à l'Assemblée, en décembre 2007. Mieux, selon les juges, ce sont même « les moyens du cercle Wagram (personnel, entrées, boisson) (qui) ont été mis à sa disposition » à cette occasion.
« Aucune fête n’a été organisée. Des amis du village sont montés à Paris, certifie Pupponi. L’habitude dans ce cas, c’est de tous se retrouver dans un lieu. Le maire du village était là, des proches tel Simon Albertini qui a d’ailleurs monté la charcuterie. On m’a prévenu que tout le monde se retrouvait à la Scala, on s’est retrouvés à 30 ou 40 et nous avons mangé de la charcuterie. Il n’y avait ni personnel, ni rien, c’était une soirée amicale, sachant que la Scala était fermée ce soir-là. »
Mais les enquêteurs ont trouvé plusieurs témoins, y compris la propriétaire du club, pour confirmer la mise à disposition gracieuse du lieu : « C’était pour M. Pupponi qui fêtait le fait d’être député. » « Vous devez comprendre le contexte, a corrigé Pupponi. Un homme politique issu d’une micro région est élu député. C’est une source de fierté pour les gens de la région. Ils décident de monter à Paris pour fêter cela. Ils montent de la charcuterie et M. M. propose de se réunir dans sa boîte de nuit qui est fermée ce soir-là. Bien entendu, je rejoins mes amis. Je n’ai pas cherché à savoir qui avait organisé l’événement. »
Les fréquentations corses du député et maire de Sarcelles sont passées à la loupe. Parmi elles, il y a Paul Canarelli, un homme d’affaires familier de Terrazzoni et Ferracci. Bien connu en Corse-du-Sud, il a été, selon l’enquête, « très proche de Richard Casanova », figure de proue du gang de la Brise de Mer, assassinée à Porto-Vecchio en 2008. Casanova était un « habitué » du célèbre domaine de Murtoli, propriété de Canarelli rebaptisée « bergeries de la Sarkozie » par Le Monde. Selon la police, l'homme d'affaires est aussi en relation avec le beau-frère et « héritier » de Casanova, Jean-Luc Germani, actuellement en fuite et condamné par contumace en décembre à six ans de prison dans le premier volet de l'affaire du Wagram.
« Je connais Canarelli », a reconnu Pupponi devant les juges. « Il faut que vous compreniez le contexte. Nous sommes tous issus de la même micro région et nous sommes tous deux des “personnalités locales”. On s’est rencontrés, fréquentés au cours de fêtes de village, de rencontres football. Dans ces conditions, des liens se créent, mais ça ne va pas au-delà. » Pourtant, selon la police, Paul Canarelli aurait été « régulièrement en ligne avec le député maire de Sarcelles », et il « laisse transparaître sa réelle influence » à travers lui, « semble jouer les entremetteurs » avec ce dernier. Canarelli a ainsi introduit l’ancien commissaire Roger Marion, ancien directeur central adjoint de la PJ, auprès de Pupponi pour évoquer « des problèmes de police »…
L’affaire du Wagram débute en janvier 2011. Le 19 janvier précisément, une petite équipe débarque au cercle de jeux, en milieu de journée, pour reprendre manu militari l’établissement dont elle a été écartée un an plus tôt. Philippe Terrazzoni en fait partie. À ses côtés, une autre « connaissance » de Pupponi, Hervé Pacini, mais surtout l’un des hommes les plus recherchés de France : Jean-Luc Germani, qui passe pour le nouveau parrain corse. Le hasard veut que plusieurs des protagonistes présents ce jour-là aient été surveillés et placés sur écoutes dans le cadre d’une autre affaire. La police a ainsi pu assister en direct au coup de force. Pour les juges, le putsch du Wagram a permis de révéler une guerre intestine entre voyous corses : les héritiers de feu Casanova d’un côté, clan dont Pupponi serait proche, et les « représentants » de Guazzelli de l’autre. Équipe dirigeante, « putschistes », enquêteurs… Tout le monde était au courant de la reprise en main du cercle. Tout le monde sauf François Pupponi. À la question « Avez-vous appris cet épisode ? », il répond seulement « Non » aux juges.
« Vous avez donc quitté un Philippe Terrazzoni déprimé par son licenciement fin 2009, début 2010, et lorsque vous le croisez début 2011, vous ne lui demandez pas où il en est de ses activités professionnelles », ironise un magistrat.
En réalité, l’exploitation des relevés de la ligne téléphonique de François Pupponi fait apparaître, en janvier 2011, deux appels téléphoniques et quatre SMS de l’élu en direction de Terrazzoni. Il téléphone précisément à son ami le 19 janvier à 18 h 26, durant 42 secondes. « L’appel du 19 janvier a lieu quelques heures après la reprise en main du Wagram, où Philippe Terrazzoni semblait d’ailleurs se trouver au moment de l’appel, puisque c’est le jour du coup de force », souligne le juge. Mais l’élu de Sarcelles ne « s’en souvient pas ».
Les choses se compliquent quelques mois plus tard, lorsqu’un employé de la ville de Sarcelles accuse Pupponi de l’avoir menacé au nom de ses « amis » du Wagram. La belle-fille de cet employé faisait partie de l’équipe éjectée du cercle de jeux le 19 janvier, mais semblait refuser de vouloir partir aussi facilement. « Le maire m'a fait savoir que j'avais trahi ses amis, (…) et que la poursuite de ma carrière à la mairie de Sarcelles était compromise, avait-il raconté aux policiers le 8 juin 2011, dans un procès-verbal publié par Le Monde. Il m'a expliqué que les personnes qui lui ont demandé de délivrer ce message n'étaient pas des enfants de chœur, qu'ils appartenaient au grand banditisme et qu'il y avait un risque pour ma famille. Je lui ai fait savoir qu'il s'agissait pour moi de menaces. (...) Il m'a demandé de protéger ma fille, et (m'a dit) que ses amis ne comprenaient pas pourquoi elle faisait toujours partie du personnel du cercle Wagram. »
Ces accusations provoquent l’ouverture d’une enquête, par deux réquisitoires supplétifs, pour « menaces sous condition, tentative d’extorsion d’engagement en bande organisée, association de malfaiteurs en vue de commettre une extorsion en bande organisée ». Malgré les démentis de François Pupponi et la plainte déposée par ses soins pour « faux témoignage » en janvier 2012, l’employé municipal n’est jamais revenu sur ses déclarations. Bien au contraire. Dans une audition datée de mars 2012, que Mediapart a pu consulter, il indiquait de nouveau : « Monsieur Pupponi François voulait clairement que ma belle-fille démissionne du cercle et ce à la demande des nouveaux responsables. Monsieur Pupponi m’a dit clairement que si ma belle-fille tenait à sa vie il fallait qu’elle démissionne rapidement. » Selon l’avocat du député et maire de Sarcelles, l’instruction de cette « affaire dans l’affaire » est toujours en cours.
Les enquêteurs cherchent également à vérifier une autre déclaration de cet employé municipal qui a indiqué à la police avoir vu un 4×4 BMW X6 noir, « vitres fumées », se garer sur « l’avenue devant la mairie » de Sarcelles le lendemain ou le surlendemain du putsch du Wagram. « Quatre hommes en sont sortis dont un que je connaissais du cercle, Philippe Terrazzoni. Je ne connaissais pas les autres », a-t-il affirmé en audition. Ce n’est que plus tard que l’homme identifiera sur photo Jean-Luc Germani comme faisant partie du petit groupe.
« On marche sur la tête, c'est du pur fantasme ! Comme s'ils venaient rendre des comptes au parrain ! » s’est défendu François Pupponi dans Corse Matin. Depuis, quatre témoins ont fourni des attestations pour certifier qu’ils étaient les hommes sortis du 4×4 aperçu par l’employé ce jour-là. Parmi elles, le directeur général des services techniques de la ville, accompagné d’entrepreneurs. Malgré ces témoignages et les vérifications des enquêteurs, l'employé municipal est resté formel face aux juges : « (le DGST) est très facilement reconnaissable (…), honnêtement en fouillant bien dans ma mémoire, je peux affirmer qu’il n’était pas là », leur assurait-il encore en mars 2012.
Entre-temps, l’enquête sur le coup de force du Wagram a également fait apparaître le rôle d'une société baptisée « Isa Sécurité ». « Ce que j’ai compris, c’est qu’on avait la même sécurité au Wagram et qui travaillait à Sarcelles…, a expliqué Jean Testanière, dirigeant évincé du cercle de jeux lors du putsch. C’est les mêmes qu’on retrouve à Sarcelles qui ont laissé passer les gens le jour du “putsch” au cercle… C’est la même société, les mêmes employés. » Isa Sécurité travaille depuis longtemps pour la mairie de Sarcelles. L’entreprise a aussi fait « la sécurité des meetings » de Pupponi, et « même ceux de Dominique Strauss-Kahn ». D’ailleurs le député et maire de Sarcelles ne le nie pas, il assure seulement qu’il ignorait qu’elle travaillait pour le Wagram… « C’est en travaillant pour Philippe Terrazzoni que j’ai appris que François (Pupponi) était très proche de Philippe et originaire du même village en Corse, a expliqué l’un des responsables de cette société. J’ai demandé à Philippe s’il pouvait dire à François qu’il était satisfait de mon travail au cercle Wagram afin que François Pupponi ait confiance en moi. »
En remontant dans le temps, les enquêteurs ont aussi découvert que la mairie de Sarcelles avait favorisé, fin 2006, une autre société de sécurité basée à Vescovato, en Haute-Corse : la Sisis. Les archives de passation de ce marché avaient disparu de la mairie – elles ont été publiées sur le site Bakchich en novembre 2011 –, mais les enquêteurs ont appris qu’un des putschistes du Wagram, Frederic Federici – également en fuite – avait été « salarié fictif de la Sisis ». Et que cette entreprise elle-même était « gérée en sous-main par le clan Federici ». « J’étais totalement ignorant de tout cela, a encore plaidé Pupponi. Je n’ai jamais eu l’intention de faire travailler une société liée au banditisme. Est-ce que vous imaginez que ce monsieur Vannucci (le gérant venu à Sarcelles, ndlr) s’est présenté à moi avec l’étiquette “voyou” sur la tête ? »
Les voyous ne portent pas d’étiquettes, et c’est tout le problème de François Pupponi.
BOITE NOIREJoint par téléphone à plusieurs reprises – dont la dernière fois le 4 juillet –, François Pupponi nous a indiqué ne pas vouloir s'exprimer sur les affaires, nous renvoyant vers son avocat, Me Jean-Dominique Lovichi.
Plusieurs personnes contactées par Mediapart ont refusé de s'exprimer sur le sujet, nous faisant part du « danger » auquel elles s'exposaient en parlant et du « drôle de climat » qui règne, selon elles, à Sarcelles.
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