Dresser un bilan de l’affaire Bettencourt en cette année 2013 a de quoi donner le vertige. Les aspects personnels et familiaux de l’affaire sont désormais connus. Déposée en toute discrétion fin 2007 par Françoise Meyers-Bettencourt, la fille unique de Liliane Bettencourt, la plainte initiale contre X pour « abus de faiblesse » n’a été rendue publique que fin 2008. Elle a ensuite débouché sur une affaire d’État, en juin 2010, avec la divulgation par Mediapart et Le Point d’extraits d’enregistrements réalisés par le majordome de l'héritière L'Oréal dans son hôtel particulier de Neuilly.
Les tentatives d’étouffer l’affaire, menées de concert par l’Élysée de Sarkozy, les conseillers de la milliardaire et l’ancien procureur de Nanterre, ont échoué. Aujourd’hui, les prédateurs et autres courtisans qui profitaient de la générosité et de la vulnérabilité de Liliane Bettencourt ont été écartés un à un. L’île d’Arros, que ses conseillers faisaient louer à l’octogénaire alors qu'elle en était propriétaire, a été réintégrée à son patrimoine, enfin déclarée au fisc, puis vendue. Une bonne partie des biens du photographe François-Marie Banier a été saisie à titre conservatoire par la justice.
Liliane BettencourtSur le plan du respect de la morale publique et du bon fonctionnement des institutions, le bilan est peut-être plus impressionnant encore. Un ancien président de la République est aujourd'hui mis en examen pour « abus de faiblesse » sur la femme la plus riche de France. Son ancien trésorier et ministre du budget est renvoyé en correctionnelle pour « trafic d’influence », dans une affaire de Légion d’honneur remise dans des conditions plus que troubles. Un redressement fiscal record, de plusieurs dizaines de millions d’euros pour l’héritière de L’Oréal, est allé dans les caisses de l’État. Un procureur de la République a été désavoué publiquement, et finalement muté avec l'accord du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Surtout, l’affaire Bettencourt a permis de découvrir une série d’anomalies et de turpitudes politiques soigneusement cachées jusque là. Les effets concrets, pour les riches, du bouclier fiscal mis en place par Sarkozy. Les renvois d'ascenseur au sein du Premier cercle de l’UMP. Le financement public des « partis de poche ». L'instrumentalisation de la justice par l'Élysée. Tout cela a été exposé en plein jour grâce à l‘affaire Bettencourt. Sans oublier la mise en place de la « Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique ».
Sur le plan judiciaire, pas moins de six procédures sont en cours. Dans le volet principal de l’affaire, celui qui concerne les abus de faiblesse, les malversations et les financements politiques, quelque douze personnes sont mises en examen pour différent délits : Nicolas Sarkozy, Éric Woerth, l’ex-gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, le photographe François-Marie Banier, son compagnon Martin d'Orgeval, les notaires Jean-Michel Normand et Patrice Bonduelle, du gestionnaire de l'île d'Arros, Carlos Vejarano, les avocats fiscalistes Pascal Wilhelm et Fabrice Goguel, l’homme d’affaires Stéphane Courbit et l’infirmier Alain Thurin.
D’une prudence extrême dans cette affaire, le parquet de Bordeaux a, le 28 juin, requis un non-lieu en faveur de Nicolas Sarkozy, Éric Woerth, Stéphane Courbit, Patrice Bonduelle, Pascal Wilhelm et Alain Thurin (lire notre article ici). Les juges d’instruction (Valérie Noël, Cécile Ramonatxo et Jean-Michel Gentil) sont libres de suivre ou non ces réquisitions. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux doit encore se prononcer le 24 septembre sur la validité de ces mises en examen (lire notre article ici).
Dans une procédure connexe, Éric Woerth et Patrice de Maistre viennent, le 4 juillet, d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « trafic d’influence » par les trois juges d’instruction bordelais dans l’affaire de la légion d’honneur, cela contre l'avis du parquet (lire notre article ici). Patrice de Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal.
Malgré les dénégations des uns et des autres, un courrier d’Éric Woerth à Nicolas Sarkozy de mars 2007, pendant la campagne présidentielle, atteste que Patrice de Maistre, généreux donateur et membre du Premier cercle de l’UMP, avait réclamé sa décoration à son ami Woerth. C’est également à cette époque que le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt est fortement soupçonné d’avoir fait rapatrier des fonds depuis la Suisse pour les remettre à Éric Woerth, afin de financer la campagne de Nicolas Sarkozy. Les magistrats instructeurs estiment que l’octroi de cette décoration à Patrice de Maistre était bien lié à l’embauche par celui-ci de Florence Woerth, l’épouse du ministre du budget, au sein de la société Clymène qui gère les investissements de Liliane Bettencourt.
Une troisième procédure judiciaire pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » suit son cours parallèle. L’ex-majordome de Liliane Bettencourt, Pascal Bonnefoy et cinq journalistes ont été mis en examen en mars et avril 2012 dans ce volet de l’affaire, après la publication, en juin 2010, dans Le Point et sur Mediapart, d'extraits de conversations enregistrées clandestinement par Pascal Bonnefoy, entre mi-2009 et mi-2010, au domicile de l'héritière de L'Oréal.
Les journalistes concernés sont Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, Hervé Gattegno, alors rédacteur-en-chef à l'hebdomadaire, Edwy Plenel et Fabrice Arfi, respectivement président et journaliste à Mediapart, ainsi que Fabrice Lhomme, à l'époque journaliste à Mediapart et désormais au Monde. Le parquet de Bordeaux a, le 9 juillet, requis le renvoi en correctionnelle du majordome et des cinq journalistes.
Dans un quatrième volet, annexe à l’affaire elle-même, la magistrate Isabelle Prévost-Desprez est mise en examen depuis juillet 2012 pour « violation du secret professionnel ». Le juge d’instruction bordelais Philippe Darphin soupçonne la présidente de la XVe chambre correctionnelle de Nanterre d’avoir divulgué des informations sur le dossier Bettencourt à deux journalistes du Monde. Le parquet de Bordeaux a, fin juin, requis le renvoi en correctionnelle d’Isabelle Prévost-Desprez.
Une cinquième affaire a été lancée par Le Monde, qui a porté plainte après l'espionnage de ses journalistes travaillant sur l'affaire Bettencourt par l'examen de leurs “fadettes” téléphoniques. L'ancien procureur de Nanterre Philippe Courroye et son adjointe, Marie-Christine Daubigney, ont d'abord été mis en examen par une juge d'instruction de Paris, avant que la cour d'appel annule ces poursuites pour des motifs de procédure en mars dernier, une décison confirmée par la Cour de cassation le 25 juin. L'affaire n'est cependant pas encore close et peut éventuellement donner lieu à de nouvelles mises en examen.
Enfin, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire et modérée) a porté plainte le 9 avril dernier contre le député UMP Henri Guaino, après ses sorties virulentes contre les juges d'instruction de Bordeaux ayant osé mettre Sarkozy en examen. Deux infractions sont visées par le syndicat : « l’outrage à magistrat » (passible d’un an de prison et 15 000 euros d’amende), et le « discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle » (passible de six mois de prison et 7 500 euros d’amende). Cette affaire-là suit, elle aussi, son cours, dans le cadre d'une enquête préliminaire dirigée par le parquet de Paris (lire notre article ici).
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