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Européennes: l'exécutif rentre dans la campagne à reculons

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Ces derniers mois, la majorité s’est délectée d’une expression jargonneuse à souhait : elle allait, disait-elle, « enjamber » les scrutins à venir. Les municipales d’abord, en contenant l’impopularité de l’exécutif par la solidité de leurs baronnies, puis les européennes où elle pariait sur un score égal voire supérieur à la claque déjà subie en 2009. La débâcle de mars a semé le doute. Mais l’exécutif espère encore que, quel que soit le résultat, le scrutin sera aussi vite oublié que la campagne est atone.

Officiellement, elle est ouverte ce lundi 12 mai, pour deux semaines. Peu d’électeurs savent pour l’instant qu’ils auront à se prononcer le 25 mai pour leurs députés européens. Les grands médias télévisés en parlent peu – France Télévisions a même refusé de retransmettre le débat entre les candidats à la Commission européenne. « Mais pourquoi on n’oblige pas le service public à le faire ? C’est une décision scandaleuse », s’insurge l’ancien ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin, remplacé le mois dernier lors du remaniement par Harlem Désir.

Les partis politiques se sont aussi lancés tardivement en campagne, obnubilés jusqu’à fin mars par les municipales et, pour certains, englués dans leurs divisions internes sur l’Europe – c’est par exemple le cas de l’UMP (lire nos articles ici, et ). Le PS commence tout juste sa tournée de grands meetings, avec des ministres en guest stars – comme Marylise Lebranchu à Rezé, près de Nantes lundi – et le premier ministre Manuel Valls sera jeudi à Lille aux côtés de Martine Aubry et Jacques Delors. Il était déjà dimanche soir au 20 h de TF1.

Jusque-là, l’exécutif a plutôt donné l’impression de faire comme si les européennes n’existaient pas. La semaine dernière, le président de la République a même passé une heure sur RMC et BFM-TV sans les évoquer. Aucune question ne lui a été posée sur le sujet, rétorquent ses proches. Mais François Hollande aurait pu prendre l’initiative – il est suffisamment aguerri à l’exercice pour le savoir. Ce n’est que parce que la presse s’en est étonnée que le chef de l’État s’est finalement décidé à publier une tribune jeudi 8 mai dans le Monde. Un choix d’un classicisme déprimant, et sur la forme et sur le fond – Hollande a commencé sa tribune par un long hommage à l’Europe de la paix en ce jour de commémoration de l’armistice.

À l’Élysée, on explique que ce n’est pas le rôle du président de la République de se mêler directement de la campagne et que c’est au parti et au premier ministre de s’exposer. Soit. Sauf que l’Europe fait partie des domaines où le chef de l’État est précisément en pointe – c’est lui qui se rend au conseil européen tous les mois et qui décide de fait de la politique de la France à Bruxelles. La récente modification de l’organigramme de l’Élysée, qui a vu le conseiller Europe de Hollande devenir également secrétaire général aux affaires européennes, en est une nouvelle preuve. En Allemagne d’ailleurs, c’est la chancelière Angela Merkel qui figure sur une partie des affiches de campagne de son parti, la CDU.

Affiche de campagne de la CDU pour les européennesAffiche de campagne de la CDU pour les européennes

« Jusque-là, le président de la République a eu une façon de nier les européennes. C’est ce qu’entre nous on appelait la “tentation du silence”. Pendant longtemps, l’Élysée a cru que le PS allait bien s’en tirer, en faisant un meilleur score que la dernière fois », explique un diplomate spécialiste des questions européennes. « Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de réorienter l’Europe. Cette réorientation existe, mais elle n’est peut-être pas à la hauteur des attentes. Et puis François Hollande se dit qu’il doit d’abord se mobiliser sur la scène nationale – c’est d’ailleurs la demande politique de nos concitoyens », dit aussi un cadre socialiste.

Il y a encore quelques semaines, le discours de la majorité était bien rodé : sur le plan intérieur, les européennes n’ont que peu d’importance ; l’abstention, très élevée, en fait un scrutin mineur ; l’exécutif pourra donc « enjamber » le 25 mai sans dégâts. Certains prédisaient même qu’un FN en tête dans les sondages permettrait de remobiliser l’électorat de gauche et les troupes socialistes.

« Je ne suis pas sûr que notre score soit plus mauvais que la dernière fois. On était au plancher. Après, ce n’est pas impossible qu’on soit derrière le FN. Mais les européennes, ça a un impact pendant 15 jours », expliquait cet hiver François Rebsamen, qui n’était pas encore ministre du travail mais président du groupe socialiste au Sénat. « Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française », jugeait aussi Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale.

Début mars, une ministre du gouvernement Ayrault rappelait également la stratégie du calendrier du remaniement : « Remanier son gouvernement avant les européennes permet au président de se ressaisir de l’agenda et de ne pas voir son tempo déterminé par les élections. Cela permet de relativiser le résultat des européennes. »

François Hollande à BruxellesFrançois Hollande à Bruxelles © Reuters

L’an dernier, l’exécutif avait aussi pris deux décisions, passées relativement inaperçues mais révélatrices de son envie de réduire au minimum l’enjeu de ce scrutin. Fin mars 2013, après de longues hésitations, le PS s’était opposé à la mise en place d’une circonscription unique, proposée par les radicaux de gauche, et qui avait l’avantage de politiser davantage une élection régionalisée sur huit zones qui ne correspondent à rien. La décision avait été prise par François Hollande. En cause : la peur de voir Marine Le Pen en profiter. « On disait à l’époque que ça allait promouvoir le FN », explique un conseiller du gouvernement, alors en poste.

Quelques mois plus tard, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a quant à lui défendu la dématérialisation des professions de foi. En clair, plus de courrier mais une version numérique adressée aux électeurs. Le gouvernement l’avait inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014 présenté à l’automne, histoire de faire quelques menues économies (27,6 millions d’euros). Mais le ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin s’y était vertement opposé. Il a fini par avoir gain de cause auprès de François Hollande, mais la tentative avait renforcé le sentiment d’un désintérêt profond de l’exécutif français pour le scrutin du 25 mai.

« J'ai l'impression que le PS se protège, et protège peut-être aussi l'UMP, en faisant de telle sorte qu'il n'y ait pas de forte mobilisation pour les européennes », s'était à l’époque emporté l'eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit. Même soupçon alors exprimé par le Parti de gauche : « Après avoir renié ses engagements sur une liste unique nationale, le gouvernement parie clairement sur l'abstention et cherche à museler les voix qui pourraient porter plus haut que la sienne. »

Plus récemment, l’exclusion de plusieurs parlementaires PS actifs à Bruxelles – comme Liêm Hoang Ngoc, Françoise Castex ou Bernadette Vergnaux – a fait grincer les dents au PS (le même phénomène s'est produit à l’UMP). Tout comme le choix de l’ancienne directrice de cabinet de Sylvia Pinel, la PRG Virginie Rozière, pour conduire la liste dans le Sud-Ouest dans le cadre d’un accord avec les radicaux de Jean-Michel Baylet.

« On s'est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désolait un dirigeant du PS en novembre dernier, à l’issue de la douloureuse constitution des listes socialistes (lire ici). « On fait l’inverse de l’Allemagne, qui a une vraie stratégie d’influence au sein des institutions européennes. La France néglige le parlement européen. Même au gouvernement, il n’y a pas assez de ministres à s’y rendre », souligne un spécialiste socialiste des dossiers européens.

La stratégie choisie par le PS a aussi de quoi surprendre : il fait surtout campagne pour Martin Schulz, actuel président du parlement et chef de file des sociaux-démocrates pour la présidence de la Commission. « Cela prouve que les européennes ne sont pas là pour faire élire des députés européens inconnus, mais qu’il y a un vrai enjeu politique à court terme. Schulz, c’est une réorientation de l’Europe possible », décrypte un “hollandais”. « On a vraiment un coup à jouer, estimait aussi récemment Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu'ils auront dit qu’il “faut une autre Europe”, ils n'auront plus grand-chose à dire. Avec Martin (Schulz), on a l'incarnation d'un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »

Mais l’eurodéputé allemand reste largement inconnu en France. Surtout, il est contesté à gauche : son parti, le SPD, est membre de la grande coalition avec la CDU au pouvoir en Allemagne, et Schulz est lui-même accusé d’incarner la politique d’austérité européenne qu’il est pourtant censé combattre. « Schulz, c’est pas Jules Guesde mais c’est quelqu’un qui dit que le budget européen pour la jeunesse doit être augmenté et qu’il faut relancer la croissance », défend un conseiller ministériel. L’exécutif et le PS redoutent désormais une correction le 25 mai. « Le FN en tête serait un échec de notre politique », prévient un ami de François Hollande.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague du Rom et du banquier


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