Proposer un référendum pour éviter d’aborder les questions de fond. Telle est la stratégie choisie par les dirigeants de l’UMP après les annonces de François Hollande concernant l’accélération de la réforme territoriale et l’éventualité de reporter les élections régionales et cantonales de 2015 à 2016. Lors de son intervention sur RMC et BFM-TV, le président de la République a d’ailleurs tenté de se prémunir contre les attaques de l’opposition en déclarant : « On verra qui sont les réformateurs et qui sont les conservateurs. »
Mise en difficulté par cette réforme initiée en 2010 sous le mandat de Nicolas Sarkozy – avant d’être « détricotée » par la majorité socialiste –, la droite a donc décidé d’attaquer sur la forme, plutôt que sur le fond. Jean-François Copé, François Fillon, Xavier Bertrand, Jean-Pierre Raffarin… Depuis 24 heures, les ténors de l’UMP multiplient les interventions médiatiques pour dénoncer le « tripatouillage électoral » du chef de l'État et appeler ce dernier à « s’adresser au peuple français ». Des revendications que Manuel Valls a balayées mercredi en séance de questions au gouvernement, en demandant à l’opposition de rejoindre la majorité « dans cette idée de réforme territoriale, sans arrière-pensée ni idée de référendum ».
« Le référendum, qui est prévu par la Constitution, est toujours périlleux car on n’est jamais sûrs que les Français répondent vraiment à la question qui leur est posée », a prévenu mardi le secrétaire d'État à la réforme territoriale, André Vallini. « Demander un référendum est habile, mais à double tranchant, indique le député et maire PS d'Annonay (Ardèche), Olivier Dussopt. Ça peut aussi être un moyen de ne pas répondre aux questions. C'est compliqué pour la droite de dire non à cette réforme, qui ressemble à ce qu'ils avaient eux-mêmes proposé. » D'autant que chacun garde en mémoire l'échec du référendum alsacien d'avril 2013, que beaucoup avaient imputé au « climat politique », en pleine affaire Cahuzac.
Puisque tout le monde s’accorde, à quelques exceptions près, à dire qu'une réforme territoriale de grande ampleur est nécessaire, c'est donc sur le report des élections que la droite a décidé de se crisper. Sur ce sujet, la députée des Yvelines Valérie Pécresse, qui mise beaucoup sur les régionales en Ile-de-France, est même allée jusqu’à comparer François Hollande à « un chef d’État de République bananière ». Une expression également employée par le secrétaire général de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde.
Reporter des élections n’est pourtant pas nouveau. « La droite a fait pareil en son temps, reconnaît le député et maire de Châlons-en-Champagne (Marne), Benoist Apparu. Il faut arrêter ces petits jeux et travailler sur le fond du sujet. » Mais sur le fond du sujet, justement, il n'y a rien à dire, ou presque. La droite se contente donc de fustiger « les incohérences » et de moquer « le grand bazar socialiste ».
Un mois après avoir écouté le discours de politique générale de Manuel Valls, dans lequel étaient annoncées la suppression des conseils départementaux à l'horizon de 2021, la réduction de moitié du nombre de régions françaises d'ici au 1er janvier 2017 et la suppression de la clause de compétence générale, l’opposition se plaît à railler les annonces de François Hollande qu’elle juge « en parfaite contradiction » avec ce qui avait été avancé par son premier ministre.
« Nous sommes au terme d’un processus qui dénote un désordre hallucinant, explique le député et maire du Havre (Seine-Maritime) Édouard Philippe. Il y a d’abord eu l’idée d’un grand projet de loi, puis il a été scindé en trois parties. Une seule a été présentée au Parlement et elle a déjà suscité une forte opposition à gauche. Ensuite, Valls a fait son discours de politique générale et seulement trois semaines après, Hollande a dit tout le contraire de son premier ministre. C’est moins du tripatouillage que de l’amateurisme… »
Parmi les « incohérences » pointées par la droite, figure la fameuse question de la clause de compétence générale, disposition juridique qui permet aux différentes collectivités de s’occuper de tout. Supprimée par Nicolas Sarkozy en 2010, elle a finalement été réintroduite par François Hollande après son élection, avant que Manuel Valls annonce de nouveau sa suppression. « On a juste perdu deux ans… », souffle le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, qui estime pour autant que « la droite ne ferait rien de différent si elle était au pouvoir que de fusionner les régions et les départements ». « Cette loi ressemble fortement à ce que nous voulions faire. Sur le fond, quand le texte arrivera, nous le voterons », tranche-t-il.
Tout le monde, à l'UMP, n'est pas du même avis que Thierry Solère. Le député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, qui avait irrité Jean-François Copé en s’abstenant lors du vote du plan Valls, se dit « sceptique et attentiste ». « Je suis d’accord pour examiner la réforme territoriale, mais pour l’instant ce n’est qu’un mot. Je ne peux pas être favorable à quelque chose qui n’a pas de substance. On est déjà en train de parler de faire un référendum, alors qu’on ne connaît absolument pas le contenu de cette réforme. » Quant aux « quelques pistes » annoncées pour le moment, ce proche de François Fillon souligne déjà leur « non-sens » : « On parle de supprimer les départements et la compétence générale. Mais la spécification des compétences ne servira plus à rien si les conseils généraux viennent à disparaître… »
Création de grandes régions – au nombre de 11, 12, 15 ou 16 –, maintien ou non des départements, répartition des compétences selon les collectivités… À droite, comme à gauche, chacun ambitionne de réformer, mais nul ne s’accorde sur les modalités de cette réforme. « C’est un clivage qui dépasse les partis politiques, explique un proche d’Alain Juppé. Il divise surtout les élus locaux et les élus nationaux, les jacobins et les partisans de la décentralisation… » « Cette question ne fait pas consensus », admet également le député de Charente-Maritime, Dominique Bussereau.
Figurant parmi les rares parlementaires UMP à avoir voté pour l'abrogation du conseiller territorial instauré par Nicolas Sarkozy, l’ancien ministre – également président du conseil général de Charente-Maritime – a « toujours été partisan de grandes régions qui ressembleraient aux régions européennes », à condition toutefois que soient maintenus les départements et, avec eux, « le lien de cohésion des territoires ».
Autre élu à s’être prononcé en faveur de la suppression du conseiller territorial – « une usine à gaz », selon lui –, le député et maire de Phalempin (Nord), Thierry Lazaro, n’est pas « hostile » à la fusion des conseils généraux et régionaux. Pour autant, il conteste lui aussi « la méthode » employée par le gouvernement socialiste. « Au fond, ils reviennent sur des choses que la droite républicaine avait souhaitées, dit-il. Il ne faut pas être incohérent et s’opposer pour s’opposer. Mais les annonces de François Hollande ne peuvent que semer le trouble. C’est comme pour les rythmes scolaires, ils font tout à la va-vite ! »
Le député de Maine-et-Loire Michel Piron, passé de l’UMP à l’UDI après l’épisode de la guerre Fillon-Copé pour la présidence du parti, estime au contraire que le processus peut « se faire assez rapidement ». « La réforme territoriale est la mère de toutes les réformes, plaide-t-il. Il y a eu un très grand rapport qui peut servir de base à toutes les réflexions : le rapport Balladur. Les réflexions sur le sujet existent. Ce qu’il faut derrière, c’est assumer. Quels sont les blocages ? Il y a au Sénat des personnes qui ne veulent pas entendre que les choses puissent bouger (les présidents de conseil général étant en grande majorité des sénateurs – ndlr). Mais si un projet de loi sur les collectivités est clairement posé, chacun devra prendre ses responsabilités. »
Pour l’heure, tous souhaitent attendre de prendre connaissance des précisions du texte pour voir comment il pourra s’appliquer juridiquement, constitutionnellement et politiquement. « Il faut sortir du flou, conclut le député de Savoie Hervé Gaymard. Ce qu’on nous dit depuis deux-trois jours ne figure pas dans le projet de loi qui a été transmis au Conseil d’État, fin avril. Attendons de voir l’ampleur de ce qui nous sera proposé avant de nous prononcer pour ou contre. »
Mardi, à l’Assemblée nationale, la conférence des présidents a confirmé l’organisation d’un débat sur le sujet. Demandé par le groupe UDI, ce débat, initialement programmé le 10 avril, a été annulé en raison du discours de politique générale qui tombait la même semaine. Il a finalement été reporté au 26 mai, au lendemain des élections européennes. En attendant, l’Élysée a fait savoir que François Hollande allait « entamer des discussions avec des responsables et des dirigeants des partis politiques représentés au Parlement » à compter du 14 mai, date à laquelle le projet de loi devait initialement être présenté en conseil des ministres.
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