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Rémunérations : le double langage du patronat

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Le symbole est désastreux pour le gouvernement. Au moment où il se débat avec sa majorité pour faire adopter son plan de 50 milliards d’économies et l’augmentation du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), des patrons viennent apporter la démonstration des soupçons que nourrit une partie de la majorité : que le patronat n’est pas prêt à jouer le jeu du pacte de responsabilité.

Et pas n’importe quels patrons : Pierre Gattaz et Denis Kessler ! Le premier est président du Medef, le second ancien vice-président de l’organisation patronale et une des références du monde patronal. Il est l’homme qui préconisait en 2007 de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance.

François Hollande et Pierre GattazFrançois Hollande et Pierre Gattaz © Reuters

Depuis des semaines, ces deux figures du monde patronal multiplient les critiques à l’égard du gouvernement, estimant que les 50 milliards d’économies sont tout à fait insuffisants, qu’il faut aller plus loin dans les remises en cause. Le premier prône la modération salariale. Le second plaide pour le renoncement aux 35 heures, la fin des régimes spéciaux de retraite, le durcissement des conditions de l’assurance chômage. Et tous les deux laissent planer en filigrane le démantèlement du Smic. Une rigueur et une modération qui ne sont manifestement que pour les autres.

Lundi, Le Canard enchaîné révélait que Pierre Gattaz, en tant que PDG de l’entreprise Radiall, s’était accordé une hausse de 29 % de sa rémunération pour la porter à 426 000 euros. Le lendemain, Denis Kessler, comme PDG du groupe de réassurance Scor, se faisait voter une augmentation de 28 % de la part variable de son salaire à 1,3 million d’euros, sa rémunération totale dépassant les 5 millions d’euros, stock-options et actions de préférence comprises.  

« Ce double discours n’est pas responsable. C’est Pierre Gattaz lui-même, qui a incité à la modération dans le monde patronal. Et il fait exactement le contraire. Il ne respecte pas ses engagements. Symboliquement, c‘est désastreux. La confiance, cela se crée », commente Juliette Méadel, secrétaire nationale PS à la politique industrielle et auteure d’un rapport sur les aides publiques aux entreprises, en écho aux propos très critiques de François Hollande sur le sujet sur BMFTV.

Avec trois autres secrétaires nationaux du PS, elle est signataire d’un communiqué incendiaire sur le comportement de Pierre Gattaz et Denis Kessler (lire ici). « À un moment où tout le monde se serre la ceinture, tout cela n’est pas tolérable. Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement ? Il faut réfléchir à la traduction des engagements dans le pacte de responsabilité », assure-t-elle.

Les doutes émis par des députés socialistes, la gauche, des syndicalistes, des économistes, sur la politique d’allégement en faveur des entreprises et du CICE risquent de reprendre. L’attitude d’un Pierre Gattaz et d’un Denis Kessler n’est-elle pas le préambule de ce qui risque de se passer par la suite ? Les 30 milliards d’euros supplémentaires – qui viennent s’ajouter à quelque 175 milliards d’euros d’allégements et niches fiscales existants – accordés aux entreprises, ne vont-ils pas servir à améliorer les dividendes et les rémunérations des dirigeants plutôt qu’à l’investissement et à l’emploi ? Tout cet argent ne va-t-il pas être dépensé en pure perte ?

À voir comment se comportent les dirigeants des grands groupes, ces questions ne peuvent que resurgir. En mai 2013, Pierre Moscovici, alors ministre des finances, avait enterré sans autre forme de procès le projet d’encadrement des rémunérations abusives des dirigeants patronaux. Un projet qui figurait, pourtant, dans les promesses présidentielles de François Hollande. « Il n’y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises. J’ai choisi d’agir dans le dialogue. Dans cet esprit, j’ai rencontré la semaine dernière la présidente du Medef, Laurence Parisot, et le président de l’Afep, Pierre Pringuet, qui se sont engagés à présenter rapidement un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance. Ils m’ont assuré qu’ils étaient prêts à des avancées importantes, notamment en recommandant le "Say on Pay", qui permettra à l’assemblée des actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants », avait-il annoncé abruptement.

Dès novembre, les deux organisations patronales ont élaboré un nouveau code, recommandant de soumettre les rémunérations des dirigeants aux votes des actionnaires. Mais il ne faut pas se tromper sur le sens de cette mesure : il s’agit, dans un esprit libéral, de permettre aux actionnaires de contrôler si les intérêts des dirigeants sont bien alignés sur ceux des actionnaires. De plus, les recommandations faites par le code Afep-Medef sont très compréhensives. Elles conseillent une transparence sur toutes les composantes des rémunérations – part fixe, part variable, stock-options, actions de performance, retraite chapeau, conventions réglementées – mais si le groupe omet certains détails, il n’y a aucune sanction.

Surtout, les actionnaires peuvent se prononcer sur la rémunération des dirigeants, mais leur vote n’est que consultatif, à la différence de ce qui se pratique en Suisse ou en Grande-Bretagne. En d’autres termes, qu’ils approuvent ou s’opposent aux rémunérations versées aux dirigeants des groupes, cela ne change rien.  Les dirigeants touchent les montants prévus. Au mieux, les votes peuvent servir à influencer les politiques futures de rémunération.

Ce nouveau dispositif du « Say on Pay » est en train d’être inauguré lors des assemblées générales des groupes qui se tiennent actuellement. Premier constat : plus cela change, plus c’est pareil. La transparence et le vote indicatif, qui étaient censés apporter plus de contrôle et de modération, n’ont modifié en rien les comportements des dirigeants. Il y a toujours les mêmes excès, les mêmes débordements, les mêmes augmentations parfois sans rapport avec les performances des entreprises. Pis, accuse Colette Neuville, présidente de l’association des actionnaires minoritaires (Adam), « la transparence qui devrait être un outil de modération et de contrôle, conduit à un dévoiement du système. Tout le monde s’aligne par le haut, en se justifiant par des comparaisons. Puisque le concurrent est payé à ce niveau, il n’y a pas de raison de ne pas s'aligner sur lui. » Il le vaut bien donc je le vaux bien.

Chaque année est marquée par un cas stupéfiant. L’an dernier, Maurice Lévy, PDG de Publicis, défrayait la chronique en se faisant verser 16 millions d’euros de rémunérations, dont une partie liée à des salaires différés. Cette année, le président de Publicis se montre plus « raisonnable » : il se contente de 4,5 millions d’euros. Ce qui le place, en dépit de tout, en tête des rémunérations du Cac 40, alors que sa fusion avec l’américain Omnicom est en train de capoter : le montage d’évasion fiscale entre Pays-Bas et Grande-Bretagne se heurte à l’agrément des différentes autorités fiscales.

Mais Arnaud Lagardère a pris le relais dans l’outrance : sa rémunération dépasse les 16 millions d’euros. Son salaire de 2,4 millions d’euros a augmenté en raison d’une hausse de 15 % de son bonus porté à 1,6 million d’euros. Un dividende statutaire correspondant à 1 % du bénéfice est aussi versé aux dirigeants de la société en commandite. L’an dernier, il était de 0,9 million, cette année, il s’élève à 13 millions d’euros. Une grande partie de cette somme revient à Arnaud Lagardère.

« Trop, c’est trop », s’est indigné le cabinet Proxinvest, qui conseille un certain nombre de fonds et de grands investisseurs. Celui-ci a recommandé aux actionnaires de voter contre la rémunération exorbitante d’Arnaud Lagardère. Car il faut aussi compter les dividendes. Actionnaire du groupe à hauteur de 9,3 %, Arnaud Lagardère va toucher les dividendes, soit 16,3 millions d’euros. Mais le groupe, profitant de la cession de sa participation dans EADS, puis de la vente des 20 % qu’il détenait dans Canal+, a aussi multiplié la distribution de dividendes exceptionnels. Ces distributions ont permis à Arnaud Lagardère d’empocher 183 millions d’euros au cours des deux dernières années. De quoi rembourser ses emprunts. Le dirigeant du groupe s’était en effet considérablement endetté en 2007-2008 pour augmenter sa participation dans le groupe.

« La réduction de votre dette personnelle est-elle devenue l’objet social du groupe ? » a demandé un petit actionnaire lors de l’assemblée générale. Cela n’a pas empêché les actionnaires d’approuver massivement la rémunération du dirigeant, par 94 % des suffrages. Par rapport aux 99 % des votes recueillis sur les autres résolutions, cela est, paraît-il, presque un désaveu.

La contestation sur les rémunérations patronales ne règne guère dans les rangs d’actionnaires. Carlos Ghosn, le PDG de Renault, est l'un des dirigeants qui a obtenu le plus mauvais score jusqu’à présent. Seuls 64,3 % des votants ont approuvé son salaire de 2,6 millions d’euros, stable par rapport 2013. Mais il perçoit par ailleurs 8,8 millions d’euros au titre de sa présidence chez le japonais Nissan.

À entendre le monde patronal, ce ne sont que quelques contre-exemples qui portent ombrage à l’ensemble. « Les salaires des patrons du Cac 40 reculent pour la troisième année d’affilée » titraient les Échos, lundi. Selon ses calculs, la rémunération moyenne des grands patrons est de 2,25 millions d’euros. Mais tout cela n’est qu’une moyenne qui n'inclut pas de surcroît les stock-options, les actions gratuites et autres actions de performance qui alimentent l’ordinaire salarial des dirigeants depuis des années.

Alors que les groupes qu’ils dirigent sont confrontés à des difficultés parfois importantes, certains dirigeants ont désormais le réflexe de renoncer à tout ou partie de leur rémunération variable. C’est le cas de Martin Bouygues, qui a exclu tout salaire variable, après l’année noire qu’a connue son groupe dans les télécoms.. Les PDG de Danone, de Lafarge, d’Orange, de Pernod-Ricard, d’Accor, ont réduit aussi leur rémunération variable, compte tenu des chiffres décevants de leur groupe. C’est bien le moins. Difficile d’inscrire 15 milliards d’euros de dépréciation d’actifs, comme dans le cas de GDF-Suez, et de s’augmenter en même temps. 

Mais les mauvais résultats et les déboires n’empêchent pas les récompenses. Michel Combres, directeur général d’Alcatel-Lucent, a vu sa rémunération augmenter de 26,36 % à 1,5 million d’euros. 2013 a pourtant été une nouvelle année catastrophique pour le groupe d’équipements téléphoniques, marquée par des milliers d’emplois supprimés, des sites fermés, des résultats en berne. Patrick Kron, PDG d’Alstom, a, lui, bénéficié d’une augmentation de plus de 11 % en 2013, portant son salaire à 2,55 millions d’euros. Le groupe a annoncé un résultat en baisse de 28 % à 556 millions d’euros.

Une mention spéciale doit être attribuée aux dirigeants bancaires. Pour eux, la crise est bien terminée. Jean-Laurent Bonafé, directeur général de BNP Paribas, se classe dans les toutes premières rémunérations du Cac 40 avec 3,4 millions d’euros. En un an, son salaire a augmenté de 20 %. Frédéric Oudéa, de la Société générale, le suit de quelques places avec une rémunération de 2,7 millions d’euros en hausse de 8,5 % sur un an. Jean-Paul Chifflet, directeur général du Crédit agricole, fait presque pâle figure à côté : son salaire s’est élevé à 1,9 million en 2013. Il a, toutefois, doublé en un an. François Pérol, PDG de la BPCE, commence lui aussi à sortir « du carcan » du monde mutualiste. Son salaire total a été de 1,4 million en 2013, en hausse de plus de 27 % par rapport à l’année précédente.

Les dirigeants des grandes banques françaises ont su, cependant, se montrer « solidaires » à l’égard de certains de leurs salariés. Alors que l’Europe a adopté de nouvelles réglementations pour limiter les bonus des traders et autres gérants de fortune, les grands établissements bancaires ont décidé d’avoir leur propre lecture des textes. Ils ont exclu toute une partie de leur personnel, qui normalement aurait dû être concerné par les mesures d’encadrement des bonus. Selon eux, travailler dans la banque d’investissement n’est pas une condition suffisante pour relever de cette réglementation.

Résultat ? Les salariés concernés ont été divisés par neuf chez BNP Paribas. De 3 250 en 2012, ils sont passés à 357. À la Société générale, le nombre a été divisé par huit (360 contre 2 900 en 2012), par quatre au Crédit agricole (308 contre 1 200), par trois chez Natixis (218 contre 721). Il faut savoir rester compétitif et attirer les talents.

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