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La République bien peu « exemplaire » de Pierre Moscovici

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Tous ceux qui souffrent du plan d’austérité dont il a été l’un des artisans seront sans doute ravis de l’apprendre : l’ex-ministre des finances, Pierre Moscovoci, n’a pas, lui, trop à craindre de l’avenir. Car il va bénéficier d’une disposition peu souvent utilisée du Code électoral qui lui permettra de trouver un point de chute confortable d’ici six mois, soit comme commissaire européen s’il parvient à décrocher le poste, soit comme député s’il n’y parvient pas. L’artifice est parfaitement légal mais assez peu conforme à la « République exemplaire » que François Hollande avait promise et qui est, de jour en jour, un peu plus écornée.

Le début de l’histoire s’est joué mardi 6 mai. Ce jour-là, un mois après la démission du précédent gouvernement, Pierre Moscovici a retrouvé son siège de député, comme ce fut le cas également pour quelques anciens ministres, parmi lesquels Jean-Marc Ayrault ou encore Cécile Duflot. Mais comme on le sait, pour n’avoir pas brillé à Bercy, il n’en espère pas moins décrocher en novembre prochain un poste de commissaire européen. Un subterfuge a donc été trouvé par l’Élysée et Matignon lui permettant de défendre sa candidature à Bruxelles mais de rester en fin de compte député dans l’hypothèse où il ne décrocherait pas le poste. Un subterfuge qui aurait de surcroît l’avantage d’éviter une élection partielle dont les socialistes ne veulent surtout pas, parce qu’ils cesseraient alors très vraisemblablement d’être majoritaires à l’Assemblée.

Le subterfuge est le suivant. Par un décret en date du 5 mai, publié le 6 mai au Journal officiel (on peut le consulter ici), Pierre Moscovici a été chargé par Manuel Valls « d’une mission temporaire ». Le décret précise que cette mission se déroulera dans le cadre des « dispositions de l'article LO 144 du code électoral susvisé ».

Pour comprendre la nature du subterfuge, il faut donc savoir précisément quelle est cette mission ; et savoir également ce que prévoient ces dispositions du code électoral.

Dans le premier cas, cela tombe pile-poil : « Le premier ministre m'a confié une mission parlementaire pour six mois, sur la contribution des politiques européennes à la croissance et à l'emploi, bien sûr à l'échelle européenne, aussi à l'échelle française, ainsi que sur la manière dont les agents économiques, et notamment les entreprises, pouvaient s'approprier ces politiques », a expliqué Pierre Moscovici à l'AFP à sa sortie d'une rencontre avec Manuel Valls à Matignon. En clair, l’ex-ministre a hérité d’une mission bidon pour faire la tournée des capitales européennes et rencontrer les chefs d’État et de gouvernement afin de préparer au mieux sa candidature, et essayer d’être en bonne place pour succéder à Michel Barnier, dont le mandat arrive à échéance en novembre.

Invité de l'émission politique de Linternaute.com, 20 Minutes et Ouest-France, mercredi matin, Pierre Moscovici a, certes, tenté de justifier la raison d’être de son nouveau travail : « C'est une mission qui a une substance : quelle est la contribution des politiques européennes à l'emploi et à la croissance ? (…) Je vais inventorier, faire un diagnostic des politiques européennes, de la façon dont elles sont appliquées en France. » Mais la vraie « substance » est dans l’explication suivante : « Je ferai pour ça un tour d'Europe. »

Quant aux subtilités du code électoral, elles sont les suivantes. Quand un parlementaire est chargé d’une mission pour six mois ou moins, il peut cumuler cette mission avec sa fonction de député. Voici l’article du code électoral qui l’autorise. Mais si d’aventure, la mission est prolongée au-delà de six mois, alors le cumul n’est plus permis et, dans ce cas, c’est le suppléant du député qui le remplace, et cela jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale. Voilà les dispositions du code électoral qui l’édictent.

En clair, cessant d’être ministre, Pierre Moscovici aurait pu accepter de redevenir député, et de démissionner de son poste s’il avait été choisi comme commissaire européen. Ce qui aurait conduit à une élection législative partielle, pour pourvoir à son remplacement.

Il aurait pu tout autant choisir de redevenir un simple citoyen, et ne revendiquant aucun privilège du gouvernement, il aurait pu être réaffecté à son corps d’origine, qui est la Cour des comptes – ce qui constitue déjà une garantie de l’emploi dont ne jouissent pas de nombreux autres élus. Ce qui ne l’aurait pas empêché de briguer le poste de commissaire européen. Mais dans cette hypothèse, cela aurait aussi conduit à une élection partielle.

Pierre Moscovici a donc choisi une autre voie qui lui permettra d’être gagnant dans tous les cas de figure. Et sans qu’il n’y ait d’élection législative partielle. Grâce à ces subtilités du Code électoral, il va en effet pouvoir cumuler dans un premier temps ses fonctions de chargé de mission et de député – même s’il n’exercera plus son droit de vote – et cela jusqu’au 6 novembre prochain. Or, à cette échéance, il saura s’il a une chance de devenir commissaire européen. Dans cette hypothèse favorable, sa mission pourra donc être prolongée de quelques jours ou de quelques semaines, avant qu’il ne soit adoubé par Bruxelles. Et toujours dans cette hypothèse, son suppléant le remplacerait donc à l’Assemblée, jusqu’au remplacement de l’Assemblée, c'est-à-dire jusqu'aux législatives de 2017.

Et dans l’hypothèse contraire, s’il n’est pas adoubé pour aller à Bruxelles – ce qui semble aujourd’hui assez probable –, Pierre Moscovici aura la possibilité de ne pas demander la prolongation au-delà de 6 mois de sa mission ; et il reviendra s’asseoir comme si de rien n’était sur les bancs de l’Assemblée. À quelques jours près, du cousin main…

Du cousu main, d’autant qu’avec le retour de l’écologiste Cécile Duflot à l’Assemblée et donc le départ de sa suppléante qui était socialiste, le Parti socialiste ne dispose plus, désormais, que de 290 députés à l’Assemblée nationale, soit 1 député de plus seulement que la majorité absolue. Avec le départ de Pierre Moscovici, la majorité socialiste serait donc en danger, car une élection partielle aurait de fortes chances de se conclure par une nouvelle bérézina. D’où aussi le stratagème qui a été mis sur pied.

Tout cela est donc parfaitement légal. Mais prétendre que c’est une illustration de la « République exemplaire » serait abusif. C’est plutôt un petit arrangement entre copains pour des raisons de convenance mutuelle.

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