« Le premier ministre sonne la fin de la récré », gazouillait mardi matin une députée PS sur Twitter. Après avoir essuyé la plus véhémente rébellion parlementaire depuis deux ans, Manuel Valls a contenu l'hémorragie, mais il ne l’a pas empêchée : son plan d'économies de 50 milliards, contesté par une centaine de parlementaires, légèrement amendé après la levée de boucliers des députés PS, a été voté par 265 voix contre 232. Une majorité toute relative : 41 socialistes se sont abstenus. « C’est beaucoup… », lâchait, juste après le vote, ce cadre PS qui en attendait dix de moins.
Sans surprise, la droite a voté contre – seul l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre, a voté pour – et trois députés se sont abstenus (Jérôme Chartier, Arlette Grosskost et Fernand Siré). Le plus gros du groupe UDI (17 des 29 députés du groupe) a campé sur sa position d’une « abstention d’encouragement ».
C’est la première fois depuis deux années de quinquennat Hollande qu’autant de députés PS s’abstiennent sur un texte majeur du gouvernement. En octobre 2012, 20 des 297 députés socialistes avaient voté contre le traité européen et 9 s'étaient abstenus. En avril 2013, l'accord emploi n'avait été voté qu'avec une majorité relative : 35 socialistes s'étaient abstenus, comme une grande partie de l'UMP et de l'UDI, 6 avaient voté contre. Un vote passé inaperçu, en pleine affaire Cahuzac, mais qui traduisait déjà les états d’âme du PS.
Cette fois, toutes les tendances du PS sont concernées, et non plus la seule aile gauche. Parmi les abstentionnistes, on retrouve les aubrystes Pierre-Alain Muet, vice-président de la commission des finances, Christian Paul ou Jean-Marc Germain, pas vraiment habitués à la dissidence. Autres réfractaires : l'ancienne ministre Delphine Batho, le hollandais Philippe Noguès ou le “montebourgeois” Arnaud Leroy. Le Front de gauche, douze écologistes (sur dix-sept) et les trois chevènementistes apparentés au groupe PS ont voté contre. « Le discours du Bourget est dans le trou et on a refermé le caveau », déplore le communiste Nicolas Sansu. « Malgré les concessions, l’équilibre général de ce plan n’a pas changé et sa trajectoire est trop abrupte », a justifié Barbara Pompili, coprésidente du groupe écolo.
Le détail du scrutin sur le site de l’Assemblée nationale
Les 41 socialistes qui se sont abstenus :
Seule consolation pour le gouvernement : aucun député PS n’a voté contre – trois d’entre eux se sont ravisés dans la journée. Il faut dire que le gouvernement a tout fait pour réduire la contestation.
Mardi matin, lors de la réunion des députés PS, le premier ministre a montré ses muscles. « Il était hyper autoritaire, on entendait les mouches voler », raconte un élu. Valls s’en est pris au « pilonnage » médiatique des frondeurs socialistes. Et a usé d’un argument massue, dans la pure tradition de la Cinquième République : ce scrutin (consultatif) est un vote de confiance, trois semaines à peine après le premier. « C'est un moment décisif. À vous d'assumer la majorité », a-t-il lancé.
Dans l'hémicycle, quelques heures plus tard, Valls a poursuivi dans la même veine. « Ce gouvernement ne demande pas de vote “à blanc”, “juste pour voir”, une indication, un message. Le résultat du vote conditionne à la fois la légitimité du gouvernement, sa capacité à gouverner avec sa majorité, et surtout la crédibilité de la France. » Pression maximale. Face à une majorité dubitative, Valls a défendu son plan d’économies, « calibré pour assurer le respect de nos engagements, bien réparti et juste ». « Qui veut gouverner doit choisir, assure-t-il, ressuscitant la formule de Pierre Mendès France lors de son discours d’investiture, en 1953. Préparer l’avenir, ce n’est pas l’austérité. » Le discours est poliment applaudi dans les rangs socialistes. À la fin, environ une quarantaine de députés évitent de se lever ou d’applaudir.
Pendant ce temps, les hésitants sont travaillés au corps. Jean-Jacques Urvoas, un proche de Valls, croit bon de qualifier les frondeurs de « djihadistes », qui « se promènent avec une ceinture d’explosifs autour de la taille ». Le nouveau ministre des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, poursuit les apartés et les coups de fil qu’il multiplie depuis des jours. Pas toujours très efficaces à en croire ce parlementaire : « Il m’a appelé, ça a duré 45 minutes, lui a parlé 44 minutes ! » « Le Guen, c’est le candidat qui fait du porte-à-porte, et dont tu dis : “Ouf, heureusement qu’il est passé, j’ai failli voter pour lui” », dit un autre. À chacun, le ministre a en tout cas passé ce message : sans un “oui” massif, une crise de régime ou une dissolution de l'Assemblée nationale menacent.
Chargé des élections au PS, Christophe Borgel, s’y colle aussi. De même qu’Yves Colmou, conseiller spécial de Manuel Valls, un très bon connaisseur des élus locaux. « Ils mettent une pression terrible », glisse un parlementaire. « Plus ils me chauffent, plus je vais finir par voter contre ! » lance dans l’après-midi Pascal Cherki (aile gauche). Pour convaincre les parlementaires, Borgel leur sert en aparté un argument massue : « Il faut soutenir Valls, il est le seul capable de tenir tête à François Hollande. » Preuve, au passage, du rejet grandissant que le chef de l’État suscite dans la majorité.
Pendant près d’un mois, la centaine de députés mécontents (des élus de l’aile gauche, des aubrystes, des proches d’Arnaud Montebourg, etc.) ont tenté d’obtenir une réduction du plan d’austérité de 50 milliards d'euros, plus de contreparties au pacte de compétitivité de François Hollande, des mesures en faveur du pouvoir d’achat. D’abord hostile, le gouvernement a finalement lâché un peu de lest lundi (lire ici) en direction des petits salariés, des retraités qui touchent moins de 1 200 euros par mois. Sans pour autant baisser le montant de l’ardoise. Pas de quoi satisfaire une partie des mutins. « La question de fond est politique. Les concessions du premier ministre sont symboliques. Cette politique nous mène dans le mur, elle n’est pas bonne pour le pays, elle n’est même pas bonne électoralement », déplore Mathieu Hanotin, un proche du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.
« Il y a eu des avancées, mais elles sont dérisoires. Ce n’est ni le moment, ni le montant opportun », assure Nathalie Chabanne, de l’aile gauche. « Je m’abstiens pour ces Français qui veulent que la gauche les protège et fasse des choix justes. Ce n’est pas un vote de défiance, mais un message d’alerte », explique Christian Paul. « Ce vote, c’est un bon signe compte tenu des pressions, se félicite Laurent Baumel, ex-strauss-kahnien, un des animateurs de la contestation. On aurait été nettement plus sans toute cette dramatisation. »
Il y a trois semaines, onze socialistes s'étaient abstenus lors du vote de confiance à Manuel Valls, une première sous la Cinquième République. En trois semaines, trente socialistes de plus ont basculé vers l’abstention. « Ce n’est que le début de l’histoire. Il faudra désormais négocier avec la majorité à chaque vote », assure un cadre socialiste. Sur les grands textes, les majorités absolues semblent désormais appartenir au passé.
Dès juin, une partie du pacte de responsabilité sera examinée par les députés. « Nous veillerons à ce que les baisses de prélèvements (prévues dans le pacte de compétitivité – ndlr) soient assorties de contreparties », promet déjà Christian Paul. Manuel Valls n’en a pas fini avec sa majorité, qui commence à goûter la liberté de parole. Voire sa liberté de vote.
La droite, elle, a massivement voté contre le plan Valls. « Il y a une tradition républicaine : quand on est dans l’opposition, on ne vote pas les mesures budgétaires de la majorité », explique l’UMP Dominique Bussereau. Sur le fond, l’opposition s’est pourtant montrée particulièrement silencieuse depuis une semaine au sujet des 50 milliards d'économie. Nul n’est vraiment monté au créneau pour les critiquer jusqu’à ce mardi. Embarrassée par le virage social-libéral annoncé par François Hollande en janvier, l’UMP campe sur une position d’opposition pure et simple.
Au cours de la réunion du groupe matinale, seul le filloniste Jérôme Chartier a pris la parole pour expliquer qu’il ne se voyait pas voter contre, estimant l’analyse du premier ministre « bonne », mais pas assez audacieuse. « Elle est similaire à celle qui avait été proposée dans le programme de rigueur présenté par François Fillon et Nicolas Sarkozy en novembre 2011 », a expliqué le député au Monde.
D’aucuns à l’UMP ont vu là une stratégie des fillonistes pour « se trouver une spécificité » au sein du parti. Des spéculations auxquelles l’ancien premier ministre a coupé court en déclarant qu’il voterait « contre » le pacte de responsabilité pour ne pas être « complice » d’un plan qui « n’atteindra pas ses objectifs ». Comme bon nombre de parlementaires de droite, Fillon a toutefois noté « un progrès incontestable » par rapport à la politique menée par Jean-Marc Ayrault. « Il (Manuel Valls) essaie de réparer les erreurs économiques et financières qui ont été commises ces deux dernières années », a-t-il affirmé.
L’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy en a d'ailleurs profité pour rappeler les « deux plans d’austérité » réalisés par ses soins. Le second comprenait notamment l’anticipation du passage à 62 ans de l'âge légal de départ en retraite. Une mesure que l’opposition continue de défendre, comme, plus largement, l’ensemble du bilan du précédent quinquennat qui a pourtant vu l’endettement public s’accroître de 600 milliards d’euros, selon la Cour des comptes.
Parmi les députés UMP “hésitants”, figurait également l’ancien ministre Benoist Apparu, qui a fini par trancher lundi. « Il y avait jusqu’alors un certain nombre de mesures similaires à ce que nous avions fait, malgré quelques petites nuances, dit-il. Pour une fois que nous allions dans une direction correcte, qui allait dans le sens des réductions publiques, je ne voulais pas être manichéen. Mais Valls a finalement choisi de raboter les seules mesures qui avaient été précisément chiffrées. » Le député de la Marne a finalement voté contre.
À l’Assemblée nationale, Copé a livré mardi un véritable réquisitoire contre la politique gouvernementale. Le matin même, il avait plaidé devant le groupe UMP en faveur d’une opposition unie, condition sine qua non, selon lui, pour adresser un signal fort aux électeurs, après plus d’un an de divisions internes. Dès lors, chacun a déroulé devant les caméras de télévision un seul message : reconnaître une faible avancée des propositions socialistes, tout en regrettant « le manque de réformes structurelles » et « les hypothèses de croissance farfelues émises par le gouvernement ».
D’après Copé, ce ne sont pas 50 milliards d’économies qu’il faudrait réaliser, mais 130, chiffre directement inspiré du projet économique et social de l’UMP, qui prévoit une série de mesures radicales telles que la fin des 35 heures, la retraite à 65 ans ou la remise en cause des indemnités chômage. Adopté fin janvier, ce projet d’alternance a été critiqué par Alain Juppé, François Baroin et Nathalie Kosciusko-Morizet. « Tant que nous ne serons pas dans une élection présidentielle, les Français ne s’intéresseront pas à ce que l’opposition propose, reconnaît Dominique Bussereau. Le projet de l’UMP est un socle provisoire, mais il n’est pas opérationnel. Nous ne sommes pas obligés d’entrer dans le détail programmatique. »
Les députés UDI ont choisi, eux, une tout autre stratégie. Souhaitant rester dans une « opposition constructive », ils se sont en majorité abstenus mardi. Seuls 7 d’entre eux ont voté contre le plan Valls (contre 3 votes pour et 17 abstentions). Le président par intérim de l’UDI Yves Jégo avait déjà souligné dans Le Journal du dimanche « la bonne nouvelle » du pacte de responsabilité. « Valls, c’est l’anti-Ayrault, mais il ne va pas au bout du courage », a affirmé à son tour Philippe Vigier, président du groupe UDI à l’Assemblée nationale : « Il faut aller plus vite, réaliser de véritables réformes structurelles et briser les lignes habituelles du parti socialiste. »
Vigier en est convaincu : « Cette absence de courage engendrera une nouvelle cure d’austérité dès juin 2014. » L’UDI a de son côté proposé un « contre-pacte » de 80 milliards d'économies, prévoyant notamment le rétablissement des 39 heures, la réduction des effectifs des fonctionnaires et la restructuration des collectivités locales. Le parti centriste se voit déjà constituer pour les votes futurs un réservoir de voix pour un Manuel Valls en difficulté. Pour l’heure, celui-ci rejette l’hypothèse. Pour combien de temps ?
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