C’est le plan B sur lequel ne comptait plus le gouvernement. À quelques heures d’un conseil d’administration qui devait entériner la cession de la branche énergie d’Alstom à son concurrent américain, General Electric (GE), pour quelque 12,7 milliards de dollars (autour de 10 milliards d’euros), le concurrent allemand Siemens a fait une contre-proposition. Selon Le Figaro – informations qui nous ont été confirmées –, le groupe allemand a proposé d'ouvrir des négociations en vue de procéder à des échanges d'actifs entre les deux groupes. Il reprendrait les activités d’énergie d’Alstom : turbines, centrales à charbon et au gaz, hydro-électricité, énergies renouvelables, réseaux. La branche représente environ 70 % du groupe et est convoitée aussi par GE. En contrepartie, Siemens apporterait à Alstom une partie de son activité ferroviaire, afin de conforter le dernier métier du groupe (TGV, trains, tramways, métro). Une soulte devrait être aussi versée à Alstom afin de compenser le déséquilibre dans les échanges d’actifs.
La réaction rapide de Siemens face à la proposition de GE en dit long sur les enjeux qui entourent Alstom. Le groupe allemand ne peut pas laisser son concurrent américain prendre une avance qui serait irrattrapable sur son propre marché, l’Europe, dans un secteur aussi stratégique que l’énergie. Ayant ses propres difficultés, il offre donc à son concurrent français une sorte de paix des braves après des années de combat. Sa lettre d'intention , toutefois, laisse dubitatif : dans le grand échange d'actifs proposé, Siemens offre, en échange de la reprise de toute l'activité énergie d'Alstom, son activité de train à grande vitesse (ICE), distancée technologiquement par le TGV et aux perspectives commerciales brouillées mais entend conserver les activités de tram et de métro, qui sont sur des marchés porteurs. Ce n'est pas exactement l'alliance du siècle, de la grande entente industrielle européenne, que certains font miroiter.
Alstom, qui n’a jamais caché sa colère vis-à-vis de Siemens, avait jusqu’alors exclu tout accord avec lui. Un rapprochement entre les activités énergie des deux groupes serait très coûteux socialement et industriellement, tant les doublons sont fréquents, a-t-il expliqué. Mais il lui est impossible d’ignorer la nouvelle proposition de Siemens. Comme l'espérait le gouvernement, le conseil d'administration , réuni dimanche, a décidé de se donner deux jours de réflexion supplémentaires. «Nous avons arrêté le processus qui conduisait à une vente éclair. Maintenant, nous avons un peu de temps pour étudier les dossiers» , se félicite-t-on au cabinet d'Arnaud Montebourg.
Sans attendre, la machine à communication s’est mise en route. On parle déjà des nouveaux Airbus de l’énergie et du transport. Dans un premier temps, le gouvernement, soulagé, s'est précipité pour saluer cette solution qui lui semblait lui ouvrir une porte de sortie honorable. Manuels Valls n’avait-il pas défendu dans son discours d’investiture un Airbus de l’énergie ? Dès l'annonce de cette nouvelle proposition, Arnaud Montebourg faisait savoir qu’il annulait sa rencontre avec le président de GE, prévue dimanche, compte tenu de l’offre de Siemens. Après examen, la position du gouvernement se veut plus distanciée. François Hollande devrait recevoir ce lundi Jeffrey Immelt, pdg de GE, puis Joe Kaeser, pdg de Siemens, à l'Elysée pour discuter du dossier et des engagements que l'un et l'autre sont prêts à prendre.
Le soulagement – provisoire – du gouvernement est à la hauteur de l’angoisse antérieure : « Le gouvernement est tétanisé. Après PSA, après Lafarge, après Publicis, la perte d’Alstom est pour eux une catastrophe absolue. La droite ne va pas manquer de les accuser d’avoir perdu un bijou de famille, sauvé il y a dix ans par Nicolas Sarkozy. Dans les faits, il n’y est pour rien. Il hérite d’une situation difficile. Il n’a aucun moyen et il n’est même pas actionnaire. Tout ce qui peut lui être reproché est de n’avoir rien vu venir », racontait samedi un familier du dossier.
C’est une dépêche de l’agence Bloomberg dévoilant, mercredi 23 avril, les vues de GE sur Alstom qui a sonné l’alerte au gouvernement. La surprise était d'autant plus grande que Patrick Kron, lors de sa dernière discussion avec le ministre du redressement productif il y a un mois, n'avait rien dit de ses difficultés et ne s'était pas ouvert de ses projets. Pourtant, cela faisait plusieurs semaines que des rumeurs alarmantes circulaient sur la situation du groupe. Tous parlaient de son besoin urgent de capitaux et de l’impossibilité de son principal actionnaire, Bouygues (qui détient 29 % du capital), de suivre, au moment où il est lui-même aux prises à de grandes difficultés avec le téléphone (lire notre article : La guerre des télécoms va commencer).Alors qu'il y a encore deux mois, le groupe Bouygues semblait exclure la vente de cette participation, il dit maintenant que celle-ci n'est plus prioritaire et peut être cédée. Le groupe a besoin des millions d'Alstom pour soutenir la guerre enagagée dans les télécoms.
Le président d’Alstom, Patrick Kron, avait avoué lui-même ses difficultés dès l’automne. En novembre, au moment de la publication de ses résultats semestriels – Alstom a un exercice décalé, allant du 1er mars à fin février –, le groupe affichait une chute de 22 % de son chiffre d’affaires semestriel, à 9,3 milliards d’euros. Ses dettes avaient augmenté en un an, passant de 2,8 à 3,2 milliards d’euros. Surtout, le groupe avait un "free cash-flow" négatif de 511 millions d’euros. Dans sa lettre aux actionnaires, Patrick Kron annonçait un nouveau plan d’économies et de réduction de coût et des cessions d’actifs pour 1 à 2 milliards d’euros. Il disait aussi espérer une accalmie sur le marché européen de l’énergie, totalement déprimé, où plus aucun grand contrat et projet ne se signait.
Les difficultés de la branche énergie d’Alstom sont d’abord là : dans l’effondrement de son principal marché, l’Europe. Totalement désarticulé par la politique énergétique européenne qui n’a eu comme seul objectif qu’une libéralisation sans guide du marché (teintée de soutien aux énergies renouvelables pour se donner bonne conscience), le marché de l’énergie en Europe souffre désormais d’une absence de ligne, d’un sous-investissement chronique dans les capacités de production comme dans les réseaux, tout en offrant une électricité de plus en plus chère.
La récession qui touche la zone européenne depuis cinq ans a fini d’assombrir le tableau. Pour la première fois depuis des décennies, la consommation d’électricité baisse, non pas en raison des économies d’énergie mais en raison de la chute de l’activité économique. Les résultats des principaux producteurs d’électricité européens cette année portent la marque de cet effondrement. Tous – l’italien Enel, l’allemand RWE, le français GDF Suez par exemple – ont annoncé des milliards de dépréciations d’actifs. Tous ont décidé de fermer ou de geler des capacités de production, notamment des centrales à gaz. Tous ont renoncé à leurs projets d’investissement.
Comment imaginer que les fournisseurs d’équipements se portent bien quand leurs clients vont mal ? La révolution de palais chez Siemens, concurrent d’Alstom, qui a conduit au renversement de Peter Löscher en juillet 2013, tout comme le voyage éclair de son successeur, Joe Kaeser, se précipitant à Moscou – un de ses principaux clients dans la branche énergie –, au moment où les États-Unis et l’Europe mettent en place les premières sanctions contre la Russie pour son rôle en Ukraine, pour assurer le gouvernement russe de son amitié, démontrent les difficultés rencontrées par tous.
Plus petit, moins bien assuré technologiquement, Alstom subit de plein fouet ce renversement du marché. Depuis plus d’un an, ses seuls contrats en Europe sont liés à de la maintenance et à l’amélioration des équipements que le groupe avait installés. Et encore, tous ces contrats ont été passés à prix cassés, car la guerre des prix naturellement fait des ravages. L’Europe ne représente plus que 35 % de son chiffre d’affaires contre plus de 40 % auparavant.
Alstom a bien cherché à compenser en allant chercher sur des marchés extérieurs. Ayant des liens historiques avec la Chine depuis le milieu des années 1970, le groupe a créé une joint-venture pour fabriquer là-bas turbines et centrales à charbon. Mais en Chine aussi, l’heure n’est plus à l’expansion à tout crin. Les grands projets d’équipements sont abandonnés, alors que le gouvernement chinois resserre le crédit, pour tenter de juguler la gigantesque bulle financière qui s’est formée depuis 2009.
Le groupe a essayé de vendre ses centrales, ses turbines, ses éoliennes dans les autres pays émergents, et surtout en Amérique centrale et du Sud. Le renchérissement de la monnaie européenne face au dollar – près de 10 % en un an – a compliqué la situation du groupe, qui n’a pour lui ni des technologies assez en avance par rapport à ses concurrents, ni l’arme diplomatique dont sait si bien se prévaloir GE, notamment en cas de besoin. « En dépit d’un euro fort, nous avons remporté de beaux contrats », expliquait Patrick Kron encore en décembre. La crise des pays émergents, contrecoup de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine, depuis le début de l’année, a douché ses espoirs : Brésil, Afrique du Sud, Turquie, Mexique sont tous en train de batailler pour lutter contre la fuite des capitaux étrangers. Leur arme pour le faire – la hausse des taux d’intérêts – est en train de donner un coup d’arrêt à l’activité et donc à de nombreux projets. Les équipements d’énergie sont parmi les premiers touchés.
Confronté, comme ses concurrents, à ces retournements, Alstom a un handicap supplémentaire : le groupe n’a pas la structure financière nécessaire pour porter des activités très dévoreuses de capitaux, et qui s’inscrivent dans un très long cycle de retour sur investissement.
« D’une certaine façon, Alstom ne s'est jamais remis de sa faillite de 2003 », dit un connaisseur du dossier. Cette faillite avait été provoquée par un péché originel : les conditions de sa séparation du groupe Alcatel en 1999. Les actionnaires principaux – Alcatel et le britannique GEC – avaient alors exigé un dividende exceptionnel de 5 milliards d’euros au moment de la séparation. Ils laissaient un groupe sous-capitalisé, avec des problèmes techniques, juridiques et financiers énormes, liés au rachat des turbines à gaz d’ABB, après avoir pompé toute sa trésorerie.
Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, avait pris le costume de Batman pour sauver in extremis Alstom de la faillite, alors que toutes les banques lui avaient retiré leur soutien. L’État était entré au capital à hauteur de 31 %, en lui apportant 2,8 milliards d’euros. Le redressement avait été spectaculaire. En 2006, l’État sortait du capital du groupe en revendant sa participation au groupe Bouygues avec une plus-value de 1,26 milliard d’euros. Nicolas Sarkozy était présenté en sauveur industriel de la France.
Mais cette sortie n’était accompagnée d’aucune augmentation de capital. L’État a pris sa plus-value sans se soucier du reste. La structure financière d’Alstom était toujours aussi fragile : à peine 4,5 milliards d’euros, nettement insuffisants pour les métiers du groupe. Selon différentes évaluations, le groupe en l’état actuel aurait besoin de 3 à 4 milliards d’euros, soit à peu près autant que ses fonds propres.
À aucun moment, il n’a été question de les augmenter. Par peur de diluer le groupe Bouygues, qui n’aurait pas eu les moyens de suivre ? Cette donnée a pesé dans les discussions entre Patrick Kron et Martin Bouygues qui entretiennent les meilleures relations du monde. Mais le PDG de Bouygues, qui fait une confiance aveugle au PDG d'Alstom dans la conduite du groupe, ne serait certainement pas opposé à un projet, même s’il le diluait, si sa pertinence lui avait été démontrée.
Lors de son entrée au capital d’Alstom, Martin Bouygues, il est vrai, avait un autre projet en tête : le rapprochement du groupe avec Areva, le fabricant de chaudières nucléaires. Évoqué au moment de la faillite d’Alstom en 2003, il avait été combattu alors avec la dernière des énergies par Anne Lauvergeon, PDG d’Areva. La guerre sur la filière nucléaire qui avait conduit à la sortie de la Compagnie générale d’électricité (CGE, ancêtre d’Alcatel-Alstom) de la filière en 1976, reprenait, avec la même violence et les mêmes coups fourrés. Anne Lauvergeon ira même plaider contre Alstom et le gouvernement français devant la commission européenne pour s’opposer à son sauvetage.
La seule mention d’un éventuel rapprochement entre Areva et Alstom relança une guerre à mort entre les ennemis jurés d’hier. Pendant des mois, la presse tint la chronique des attaques et des ripostes, de la propagande et des coups bas, menés par Anne Lauvergeon et Patrick Kron. Pendant cette guerre ouverte entre les deux dirigeants, l’État fut aux abris, incapable de trancher franchement. Ce n’est qu’en 2010 que Nicolas Sarkozy finit par écarter le projet de rapprochement entre Areva et Alstom. Entre-temps, Bouygues et Alstom, de toute façon, avaient changé d’avis : compte tenu des difficultés que rencontrait le groupe nucléaire sur l’EPR, sans compter le reste, ils ne voulaient pas rentrer au capital d’un groupe où régnait l’obscurité comptable. Ils ne savaient où ils mettraient les pieds.
Durant toute cette bataille, Patrick Kron avait bien eu des propositions de la part des constructeurs d’énergie japonais. Alors en grandes difficultés, Hitachi et Mitsubishi sont à la recherche d’alliés dans la fabrication d’équipements électriques et de centrales. Alstom, le plus petit des constructeurs, est naturellement approché. « Patrick Kron a-t-il surestimé les difficultés des Japonais ? N’a-t-il pas cru à ce rapprochement ? Je ne connais pas toutes les données du dossier. Mais avec le recul, on se demande s’il n’a pas laissé passer la chance du groupe. Il a sans doute pensé qu’il avait le temps. Mais il ne l’avait pas. L’accélération est impressionnante », relève le même connaisseur du dossier.
Jusqu’en février, Patrick Kron pensait pouvoir faire face seul. Le groupe avait réussi à lever 500 millions d’euros de dettes encore en septembre. Pour trouver les financements nécessaires, il avait annoncé la cotation partielle – de l’ordre de 20 à 30 % – de la filiale ferroviaire. Puis, tout semble s’être retourné. Depuis quelques semaines, Patrick Kron a engagé des discussions discrètes avec GE. « C’est un geste désespéré de sa part. Pour en être réduit à cela, il fallait qu’il ne voie plus aucune autre issue que de sacrifier sa branche énergie », dit un banquier.
Est-ce la chute des pays émergents qui le privait de tout espoir de compenser l’effondrement de l’activité en Europe ? Est-ce l’annonce par des banquiers d’affaires que la cotation partielle du ferroviaire serait difficile voire impossible dans les circonstances actuelles ? Est-ce le retrait discret des banquiers ? Sans doute, tout cela à la fois. Jeudi, l’agence de notation Standard & Poor’s annonçait une dégradation de la note d’Alstom, à BBB-, juste avant le niveau de junk bonds. Une manière, comme d’habitude, d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil.
La liste des repreneurs potentiels pour la branche énergie d’Alstom est des plus courte. Une dizaine d’acteurs mondiaux se partagent ce marché très technologique et hautement compétitif. L’allemand Siemens figure en tête de liste. Mais le passé très lourd et des antagonismes très profonds entre les deux groupes empêchaient des relations de confiance. Le coût social et industriel semblait aussi trop lourd à la direction d’Alstom. «La pire des solutions serait celle de Siemens parce que c'est un concurrent et que de fait il y aurait des doublons, et donc des destructions d'emplois», a déclaré le syndicat CGC d'Alstom. Siemens aurait pris l'engagement de conserver les emplois pendant trois ans, dans sa lettre d'intention. Mais ces promesses ne suffisent pas à effacer des années de guerre commerciale . Dans les usines d'Alstom, l'ennemi c'est Siemens.
C’est donc vers GE, l’autre prétendant évident, que s’est tourné Patrick Kron. Le conglomérat américain, qui a longtemps succombé aux charmes de la finance, est redevenu depuis quelque temps de plus en plus agressif dans les activités industrielles, alors que les États-Unis ont décidé de réinvestir l’industrie trop longtemps oubliée. Porté par un savoir-faire industriel et technologique réel, s’appuyant sur une force de frappe financière démesurée, aidé par les centaines de milliards de dollars que la Réserve fédérale a distribuées gratuitement aux banques, dont la sienne, soutenu par un dollar qui ne cesse de chuter, discrètement relayé par des pouvoirs publics américains qui n’ont jamais oublié de mettre leur diplomatie à son service, GE semble tout-puissant.
Depuis quelque temps, il se montre très attentif au marché français. Mais selon des observateurs, il n’est plus dans le même esprit de coopération que celui qui avait prévalu il y a des années pour la construction du moteur d'avion CFM 56 avec la Snecma (Safran aujourd’hui). Il est dans une logique de conquête. En 2012, il a ainsi raflé sans ménagement l’équipement aéronautique de l'italien Avio face à son partenaire Safran. Ses millions ont fait la différence. « GE a de l’argent. Il est parti à la chasse aux acquisitions. Il profite de l’effondrement industriel, économique, diplomatique français pour faire son marché », dit un observateur, qui redoute la suite : les rachats sur les équipementiers automobiles, d’aéronautique et de défense, d’énergie en France.
Les quelques connaisseurs du dossier ne se font guère d’illusion pour la suite, quel que soit le repreneur de la branche énergie d'Alstom. Ce ne sont pas tellement les technologies ou le savoir-faire du groupe français qui les intéressent, même s'il a des avancées réelles dans certains domaines comme les centrales à charbon. L'un comme l'autre sont là pour prendre des parts de marché, pour rafler son portefeuille de clients – la maintenance des équipements installés se fait sur des dizaines d’années et assure à l’installateur un chiffre d’affaires récurrent. Dans une offre comme dans l’autre, les centres de décision, de recherche, les usines sont sur la ligne rouge du sacrifice, au nom des synergies et de la rentabilité. Les syndicats du groupe en sont tous conscients. Tous demandent qu'aucune solution ne soit prise à la hâte et que l'Etat, grand client d'Alstom rappelent-ils, intervienne pour assurer la pérennité des savoir faire et la garantie de l'emploi.
Le ministre de l’économie Arnaud Montebourg et ses équipes ont bien compris le danger. En quelques jours, ils ont essayé de trouver des solutions possibles. Areva ? Le dossier a été aussi vite fermé qu’il avait été ouvert. Non par opposition des deux groupes mais par impossibilité financière. « Areva est en faillite, même si on ne le dit pas. Mener un rapprochement avec Alstom obligerait à faire la vérité des comptes, sur l'EPR, sur Uramin. Il faudrait renflouer Areva avant de renflouer Alstom. Au moment où l’État cherche 50 milliards d’euros d’économie, il n’a pas les moyens d’apporter 4 milliards », dit un banquier.
Le même constat a été dressé à peu de choses près pour la banque publique d’investissement. Déjà sollicitée pour entrer au capital de PSA, celle-ci n’a guère de moyens supplémentaires pour se porter au secours d’Alstom. Elle peut apporter un soutien à un tour de table, mais pas être le chef de file. L’ennui est que même si Bouygues acceptait de participer partiellement à une augmentation de capital et de se laisser diluer, il n’y a pas d’autres actionnaires volontaires pour l’aider. On se demande une fois de plus où sont les 1 500 milliards d’épargne des Français gérés par les banques ? Ils ne sont censés être ni dans les emprunts d’État – plus de 75 % de la dette française est aux mains d’étrangers, enfin surtout des filiales des banques françaises établies dans des paradis fiscaux –, ni dans les actions des entreprises du Cac 40, dépendant officiellement à plus de 50 % des investisseurs étrangers.
«Alstom est stratégique sur le plan industriel, dans des secteurs stratégiques. Il ne serait pas anormal que l'Etat intervienne y compris en prenant des parts dans le capital. L'Etat pourrait par exemple acheter les parts de Bouygues. Nous n'avons jamais été effarouchés par la nationalisation , y compris si elle doit avoir un caractère temporaire », a déclaré Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, lors de l'émission I-télé, Europe1, Le Monde. Le gouvernement se retrouve pris face à un dilemme: comment expliquer que lui, gouvernement socialiste, exclut cette possibilité, alors que le gouvernement libéral , sous la houlette de Nicolas Sarkozy, n'avait pas hésité à y avoir recours il y a dix ans pour sauver Alstom? Brusquement, les lignes semblent bouger. Alors que l'administration des finances écartait toute intervention dans le capital d'Alstom au nom de la rigueur budgétaire, le gouvernement se dit ouvert désormais à tous les projets de coopération.
L’État n’étant plus actionnaire, n’ayant ni les moyens financiers ni les partenaires pour relayer son action, n’avait plus de marge de manœuvre et en était réduit au ministère de la parole face à GE. Jusqu’à ce que la « divine surprise » de Siemens advienne. Rien n’est fait. Mais sans beaucoup s’avancer, il est sûr que les gouvernements allemand et français vont tout mettre en œuvre pour aider à la réalisation de ce projet. La reprise de la branche énergie par GE serait trop déstabilisatrice industriellement pour Siemens, politiquement pour le gouvernement français. Alstom va avoir toutes les facilités pour réaliser ce projet, et toutes les difficultés s’il s’y oppose.
Cette sortie honorable qui s’esquisse ne doit pas, cependant, masquer la réalité. Si l’Allemagne intervient, c’est que ses intérêts stratégiques sont en jeu. S’il n'en était pas ainsi, le sort d’Alstom lui aurait été indifférent. Et le gouvernement français se serait trouvé totalement pieds et poings liés, réduit au rôle de syndic de faillite, et pour seule arme la parole.
La situation actuelle est le fruit d’un lourd héritage. Depuis vingt ans, l’industrie française subit un désarmement technologique, financier, actionnarial sans précédent. Travaillant sur des temps très longs, ces attaques répétées sont passées pour négligeables et inaperçues. Mais l’addition finit par se payer. Nous y sommes.
BOITE NOIRECet article a été réactualisé lundi matin afin d'inclure les dernières informations du moment. Le dossier Alstom, devenu politiquement critique, évolue d'heure en heure.
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