Censurée par le Conseil constitutionnel en 2009, la taxe carbone s’apprête-t-elle à faire son grand retour dans le débat fiscal national ? Jeudi 13 juin, le comité pour la fiscalité écologique (CFE), un organe de concertation et d’évaluation présidé par l’économiste Christian de Perthuis, doit adopter un ensemble de mesures à proposer pour le prochain projet de loi de finances. Parmi ses propositions, selon le quotidien Les Échos, figurent la création d’une taxe carbone et la réduction de l’écart de taxation entre le diesel et l’essence. « Nous avons hérité en France d’une fiscalité énergétique à finalité de rendement. Cette fiscalité tarifie très mal les nuisances environnementales », justifie de Perthuis.
Concrètement, le comité propose d’élargir l’assiette de la taxe intérieure sur la consommation de carburants et de combustibles (TIC), pour prendre en compte leurs émissions de CO2. Ce mécanisme augmenterait mécaniquement le coût de l’essence, plus émettrice de dioxyde de carbone que le diesel. Mais il serait mis en œuvre de façon très progressive : la première année, les ménages n’en ressentiraient même aucun effet, grâce à la réduction de la composante restante de la TIC.
L’écart de taxation entre l’essence et le diesel passerait de 18 à 17 centimes. Le taux de la taxe démarrerait à 7 euros la tonne de CO2 en 2014 (contre 17 euros la tonne dans le projet de taxe carbone défendu en 2009 par Nicolas Sarkozy, un niveau alors dénoncé comme trop faible pour impacter les comportements, voir ici). Un crédit d’impôt serait ensuite proposé à certains ménages pour les accompagner, tandis que les entreprises bénéficieraient du crédit d’impôt compétitivité (Cice), qui abaisse le coût du travail. Ce dispositif pourrait rapporter 2 milliards d’euros en 2016, et 3,5 milliards en 2020.
L’info à peine publiée, la mèche a pris en un éclair : « C’est un scénario noir », car « l’heure n’est plus à jouer avec les assiettes fiscales mais à les alléger », tonne l’éditorialiste des Échos, Jean-Francis Pécresse. Tandis que le parti de gauche proteste contre une taxe « toujours injuste, toujours punitive », qui « au lieu de s'attaquer à la structure de production et de consommation va peser directement sur les ménages et sur des comportements contraints ».
En réalité, la proposition du comité doit encore franchir un long chemin institutionnel : être adoptée jeudi, puis être éventuellement retenue par le gouvernement pour le projet de loi de finances 2014, et hypothétiquement, être votée par les parlementaires à la rentrée. Même si l’Assemblée a adopté la semaine dernière une résolution en faveur de la fiscalité écologique (voir ici), rien ne garantit l’issue d’un tel vote.
Surtout, l’exécutif renvoie des signaux contradictoires. Bercy, et en particulier la direction du budget, pousse pour l’établissement d’une fiscalité qui permettrait d’alléger les dépenses de l’État en rabotant les niches et de créer de nouvelles recettes. Plusieurs options sont sur la table : hausse de la TGAP, du diesel…
Mais Matignon se montre d’une extrême prudence sur le sujet, déjà très préoccupé par l’inévitable hausse des tarifs de l’électricité en juillet prochain (voir ici notre article) et conscient de l’explosion du prix du gaz depuis 2005 : +79,6 % pour le tarif réglementé des particuliers, selon la commission de régulation de l'énergie (Cre). Dans ces conditions, toute nouvelle hausse du prix des combustibles est vue comme politiquement risquée.
Par ailleurs, le gouvernement s’inquiète de la capacité du secteur du transport routier (350 000 emplois), déjà en grandes difficultés économiques, à supporter une éventuelle hausse du prix à la pompe. « C’est un peu la quadrature du cercle », résume l’entourage de Jean-Marc Ayrault.
Résultat : le premier ministre veut agir sur le long terme et éviter à tout prix de paraître promouvoir une fiscalité punitive. La marge de manœuvre est donc plus qu’étroite. Aucune hausse de la TICPE (l’ancienne TIPP) sur le gazole, dans sa formule classique, n’est prévue à ce jour. Et si le budget 2014 comprend une forme de fiscalité environnementale, elle ne devrait être que symbolique, qu'il s'agisse d'un effort sur la taxation des hydrocarbures ou d'une forme de taxe carbone. Une douce entrée en matière avant une montée en pression fiscale dans les budgets 2015 et 2016 ?
Plus l’échéance de l’élection présidentielle se rapprochera, plus cette perspective s’éloignera. De son côté le ministère de l’écologie et de l’énergie semble plus investi dans la recherche de taxes pour financer la future agence de la biodiversité. En résumé : le retour de la taxe carbone, sous la forme d’un outil fiscal incitatif aux économies d’énergies fossiles, semble bien improbable.
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