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Les femmes journalistes veulent «prendre la Une»

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Des plateaux 100 % masculins, des plaisanteries douteuses, parfois un sexisme crasse, des inégalités de salaire dans la presse : les médias sont à l’image de la société, voire encore pire. C’est le constat fait par un collectif de femmes journalistes, qui a lancé lundi un manifeste signé par plus de 400 professionnels des médias (dont des journalistes de Mediapart - lire notre boîte noire).

Intitulé Prenons la Une, il dénonce « la trop grande invisibilité des femmes dans les médias ». « Nous, femmes journalistes, ne supportons plus les clichés sexistes qui s’étalent sur les Unes. Pourquoi réduire encore si souvent les femmes à des objets sexuels, des ménagères ou des hystériques ? Par ces déséquilibres, les médias participent à la diffusion de stéréotypes sexistes. Or ils devraient à l’inverse représenter la société dans toutes ses composantes », expliquent les signataires du manifeste, publié par Libération et consultable sur le Tumblr du collectif.

Dans le viseur du collectif : les Unes de certains hebdomadaires comme le désormais fameux « Ces femmes qui lui gâchent la vie » de l’Express, les récents commentaires des Jeux olympiques de Sotchi sur France Télévisions dont le « moi, je connais plus d'un anaconda qui aimerait venir l'embêter un petit peu cette jeune Cléopâtre canadienne » du patineur Philippe Candeloro, ou encore cette saillie samedi dernier de Thierry Ardisson dans Salut les terriens sur Canal Plus expliquant qu'« une femme qui présente une émission de rugby, c’est comme un homme qui met de la crème hydratante ».

Un journaliste du Point, Frédéric Lewino, a récemment lancé dans une vidéo postée par l’hebdomadaire : « Depuis la création du Point, nous avons toujours eu la chance d'avoir des journalistes politiques non seulement excellentes, mais canon ! » Quant à la Voix du Nord, le quotidien régional titrait en septembre dernier : « Elles n’ont pas fait le choix d’être violées et elles le crient. » Comme si cela pouvait être un choix…

Mediapart a également chroniqué deux exemples, celui d’un article sur les violences conjugales dans La Provence, ou bien celui, plus détaillé, de « la bataille des dames » opposant Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo, et lancé le MachoScope qui recense le machisme en politique.

Mais au-delà de ces dérapages caricaturaux, c’est l’invisibilité des femmes dans les médias que dénonce le collectif Prenons la Une. « Dans les émissions de débat et les colonnes des journaux, les femmes ne représentent que 18 % des experts invités. Les autres femmes interviewées sont trop souvent présentées comme de simples témoins ou victimes, sans leur nom de famille ni leur profession », expliquent les signataires du manifeste.

Il suffit souvent d’allumer sa télévision pour s’en rendre compte. Ou bien de lire la presse. Par-delà le sentiment diffus d’une surreprésentation des hommes parmi les personnes interrogées par les médias, plusieurs études récentes sont parvenues à le quantifier.

L’an dernier, le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel) a par exemple publié deux rapports édifiants. « La part des femmes intervenant dans les éditions d’information analysées est inférieure à 20 % (contre un peu de plus de 80 % pour les hommes) quel que soit le type de média (chaînes généralistes, chaînes d’information, stations généralistes). Cette part se fixe encore en deçà concernant la radio (moins de 17 %) », a ainsi constaté le CSA à partir d’un comptage des éditions diffusées au cours du 1er trimestre 2013 sur les chaînes généralistes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6), les radios généralistes (RMC, RTL, France Info, France Inter) et les chaînes d’information en continu de la TNT (BFM TV, iTélé, LCI).

Même chose pour les émissions dites de plateau, comme le Grand Journal, Ce soir ou jamais, Mots croisés, On n’est pas couché ou C dans l’air. Selon le recensement du CSA entre le 18 mars et le 31 mars 2013, « dans l’ensemble des émissions analysées, le temps de parole des femmes (quel que soit leur rôle à l’antenne) ne représente que 30 % du temps de parole total ». Un blog a également analysé la seule matinale de France Inter pendant un an. Résultat : seulement 16,26 % des invités sont des femmes.

Il n’y a pas que la télé et la radio à être concernées. Depuis 2008, la Commission sur l’image des femmes dans les médias a produit plusieurs rapports précis couvrant l’ensemble du champ médiatique (Internet mis à part malheureusement !). Le constat est exactement le même : tous médias confondus, les auteurs ont compté 18 % d’expertes pour 82 % d’experts (notion par ailleurs contestable). Et quand elles interviennent, les femmes sont souvent là pour témoigner, ou dans le rôle de victimes. « La légitimité du savoir est masculine », rappelle l’étude publiée en 2011.

Commission sur l’image des femmes dans les médiasCommission sur l’image des femmes dans les médias

Surtout, les chercheurs qui ont travaillé sur ces questions décrivent fort bien les effets pervers de cette invisibilité des femmes dans les médias : elle contribue à renforcer les inégalités existant dans la société. Bien sûr, la faible présence de femmes sur les plateaux ou dans les articles est en grande partie due à la réalité sociale. En politique par exemple, malgré les avancées provoquées par la loi sur la parité, elles sont bien moins nombreuses que les hommes – le travail des journalistes, y compris le nôtre à Mediapart, le reflète (lire par exemple cet article sans aucune femme citée).

Il arrive aussi souvent  – les journalistes peuvent en témoigner – que les femmes, y compris des élues ou des chercheuses chevronnées, refusent de répondre à la presse en mettant en doute leur légitimité (un homme, c’est rare) ou en excluant de parler sur une autre question que leur champ de compétence précis (bis). Les femmes effectuant encore l’écrasante majorité des tâches domestiques, elles sont aussi parfois moins disponibles le soir.

« Certains invités masculins, forts de leur notoriété, sont devenus coutumiers des plateaux de télévision. Ils parviennent sans doute plus facilement à prendre la parole, et à la conserver, face à des femmes moins habituées aux plateaux de télévision et qui éprouveraient donc plus de difficultés à s’imposer dans le débat », écrivait l’an dernier le CSA.

Mais les médias ne se contentent pas de refléter une réalité sur laquelle ils ne pourraient rien. Ils la renforcent, par réflexe, par habitude ou par machisme du quotidien. Il existe ainsi un guide des expertes, qui reste peu utilisé. « Le miroir du monde offert par les news est comme un miroir de cirque. Il déforme la réalité. Il gonfle l’importance de certains groupes et en repousse d’autres dans les marges. Quand il vient à refléter les femmes, leurs points de vue et leurs perspectives sur le monde, le miroir présente une très grande et persistante zone noire », écrivait dès 1995 le Projet mondial de monitorage des médias (GMPP).

Tumblr du collectif Prenons la Une Tumblr du collectif Prenons la Une © http://prenons-la-une.tumblr.com/

Pour le collectif Prenons la Une, ces inégalités dans le traitement médiatique sont également alimentées par les inégalités au sein des rédactions. « Ces stéréotypes sont à la fois la cause et le résultat des inégalités professionnelles, des propos et attitudes sexistes au sein des rédactions, mais aussi du manque de sensibilisation des journalistes à ces sujets », affirme le manifeste publié lundi.

Avant d’ajouter : « Plus de 7 directeurs de rédaction sur 10 sont des hommes. Quant aux salaires, ceux des femmes journalistes restent inférieurs de 12 % en moyenne à ceux de leurs confrères. Ces inégalités se reflètent mécaniquement dans les contenus de l’information. Comment accorder de la crédibilité à la parole d’expertes quand on peine à reconnaître les capacités des femmes journalistes à diriger des rédactions ? »

Selon les données de la Commission de la carte professionnelle des journalistes, les femmes représentent plus de 40 % des journalistes. Comme dans d’autres branches professionnelles, elles sont aussi plus nombreuses parmi les précaires : en 2012, selon une étude de l’Observatoire des métiers de la presse, elles représentaient 58 % des CDD et 53 % des pigistes (les journalistes rémunérés à l’article).

La Scam a également publié l’an dernier un rapport intitulé « De quoi vivent les journalistes ? », d’après un questionnaire auquel plus de 3 400 journalistes ont répondu. « Alors que leur poids dans l’enquête est équivalent, les femmes représentent 62 % des plus bas revenus
 (– de 20 000 €/an) et seulement 16 % des plus hauts (supérieurs à 100 000 €/an) », précise le compte-rendu.

L’an dernier, une grève inédite a d’ailleurs éclaté dans un quotidien français : la grève des signatures des femmes journalistes des Échos durant une journée pour protester contre la composition exclusivement masculine de la hiérarchie. Et ce, malgré une rédaction quasi paritaire. Elles ont depuis obtenu l’organisation d’un audit interne indépendant.

BOITE NOIREJe suis membre du collectif Prenons la Une, avec une vingtaine d’autres femmes journalistes.

Je suis donc également signataire du manifeste cité, comme de nombreux journalistes de Mediapart, et deux de ses cofondateurs Edwy Plenel et François Bonnet (la liste est consultable ici). Il peut être également signé par des citoyen-ne-s.

Je suis donc complètement juge et partie mais c’est assumé – nous en avons discuté collectivement.

Nous avons décidé d'en faire un article parce que l'appel a été signé par de très nombreux journalistes (plus de 400 lundi à 19 heures) et parce que le traitement des médias légitime, et parfois renforce, les inégalités dans le reste de la société.

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A Nice, la qualité de l'eau de la Coulée verte est mise en cause

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Christian Estrosi veut « continuer à faire de Nice une ville jardin de la Méditerranée ». Et pour cela, le député et maire UMP a bien l’intention de prolonger l’un des projets phare de son mandat : la Coulée verte. Depuis son inauguration en octobre 2013, cette promenade plantée, qui traverse le centre-ville niçois, connaît un vif succès, notamment grâce à son miroir d’eau, ses brumisateurs et ses jets d’eau avec lesquels les enfants s’aspergent.

Or, c’est précisément cette eau qui risque de poser problème à la municipalité. Olivier Bettati, ancien adjoint de Christian Estrosi qui se présente aux municipales de mars contre l'édile niçois, a déposé plainte, le lundi 3 mars, auprès du procureur de Nice, en demandant à ce dernier « de bien vouloir enregistrer (sa) constitution de partie civile ». L’opposant – qui est également conseiller municipal et conseiller général – s’appuie sur un rapport des services municipaux, daté du 18 novembre 2013, révélant que l’eau de la Coulée verte est « de qualité non conforme au titre II, chapitre 1er du code de la santé publique ».

Capture d'écran des voeux de Christian Estrosi, avec la « coulée verte » en fond.Capture d'écran des voeux de Christian Estrosi, avec la « coulée verte » en fond. © estrosi-2014.fr

Selon les mots de la responsable de l'unité microbiologique de la Direction de l'environnement et de l'énergie de la Métropole Nice Côte d'Azur, cette eau « est de très mauvaise qualité bactériologique avec une forte présence de germes de contamination fécale que sont les entérocoques ». « Ça me laisse penser que ces jets sont alimentés avec l’eau brute de la ville et non l’eau traitée », ajoute la biologiste dans un mail adressé au directeur de l'environnement et des espaces verts de la ville de Nice, cité dans la plainte.

Olivier Bettati a lui-même fait confirmer ces analyses par un autre laboratoire qui a effectué un prélèvement devant huissier de justice, le 26 février. Il dénonce aujourd'hui « l'inaction coupable du maire de Nice » qui ne peut s'envisager, selon lui, « comme une simple négligence, mais bel et bien comme action volontaire de taire un danger qui ternirait de façon indélébile l'image de la réalisation majeure de son mandat ».

« Les autorités municipales n’ayant pris aucune mesure de santé publique d’arrêt des jets d’eau, ni aucune disposition de veille ou d’alerte sanitaire à l’endroit d’une population qui a été et reste en contact d’eau contaminée », l'opposant a également saisi, le samedi 1er mars, le préfet des Alpes-Maritimes, « afin qu’il prenne les mesures d’urgence qui s’imposent ».

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Les reportages bidonnés du « Monsieur sécurité » de Michèle Tabarot

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À quoi sert la police municipale au Cannet (Alpes-Maritimes) ? Dans la ville de la numéro deux de l'UMP, plusieurs policiers municipaux expliquent à Mediapart avoir été sollicités par leur chef pour « bidonner » de nombreux reportages, notamment sur TF1, depuis la fin des années 1990, premier mandat de Michèle Tabarot. L'objectif : « promouvoir la politique de Michèle Tabarot », selon l'un d'eux.

Dans ces reportages, que Mediapart a retrouvés, plusieurs agents jouent les faux témoins pour vanter l'action de la police municipale. Cet usage détourné de leur mission de « police administrative » et « judiciaire », était mis au service des objectifs de communication de la maire.

Au Cannet, ils sont surnommés les « cow-boys ». Les 90 agents de la police municipale sont un véritable pilier de la gestion de Michèle Tabarot. Dans cette commune de 42 000 habitants, la députée et maire UMP ne lésine pas sur les moyens en matière de sécurité : 3,7 millions d’euros alloués à la police municipale, des effectifs de policiers multipliés par trois entre son arrivée en 1995 et 2007, une centaine de caméras de vidéosurveillance.

À la tête de cette police municipale omniprésente, on trouve Alain Cherqui, un personnage décrit jusque dans les rangs de la majorité comme très « autoritaire ». Devenu l'homme de confiance de Michèle Tabarot, il a par la suite été promu par la maire directeur adjoint des services en charge de la sécurité et directeur de la Palestre, la salle de spectacles de la ville.

Son action est régulièrement vantée dans le magazine municipal – parfois sur 6 pages –, mais aussi dans l’édition locale de Nice-Matin (exemples ici, là, ou encore là)« Plein d'énergie et d'enthousiasme, comme à son habitude, (Alain Cherqui) amène dans ses bagages plus que la sécurisation des lieux, même si elle reste un objectif primordial », pouvait-on ainsi lire dans le quotidien, le 18 janvier 2011. « Pour faire connaître mon action, je passe par Nice-Matin », avait d'ailleurs expliqué à Mediapart Alain Cherqui, au printemps 2013.

Les numéros de mars-avril 2010 et octobre-novembre 2011 du magazine municipal.Les numéros de mars-avril 2010 et octobre-novembre 2011 du magazine municipal.

Mais à un mois des élections municipales, le « Monsieur sécurité » de Michèle Tabarot a voulu frapper plus fort. Le 18 février, il a annoncé la création du premier « police drive » de France, un guichet ouvert 24h/24 à côté du commissariat pour dénoncer des incidents en restant installé dans sa voiture. Les travaux sont encore en cours et la date d’inauguration indéterminée, mais l’effet est réussi. L’annonce a été relayée sur quasiment tous les sites d’information, radios et chaînes de télévision nationales. À l’AFP, Alain Cherqui affirme que l'idée plaît « énormément ». En revanche, comme l'a révélé Bakchich.info, le ministère de l'intérieur comme la préfecture des Alpes Maritimes ont peu goûté le procédé, qui semble contrevenir aux textes encadrant la police municipale, et notamment la signalétique des commissariats.

Alain Cherqui, directeur de la police municipale, sur BFM-TV, le 20 février.Alain Cherqui, directeur de la police municipale, sur BFM-TV, le 20 février.

Le 20 février, dans son journal de 13 heures, TF1 consacrait un reportage à ce « projet original qui verra bientôt le jour ». On y voit le patron de la police municipale vanter le concept et des habitants expliquer que c’est « une super idée », c’est « rapide », « innovant »« Comme je suis une femme seule, si je suis poursuivie, je viens directement ici », explique une femme, au volant de son Austin.

Des propos soufflés par Alain Cherqui, affirme cette automobiliste, retrouvée par Mediapart. « Je passais au niveau du police drive, j'ai ralenti pour voir, M. Cherqui m'a fait signe de venir. Il m'a dit : “Vous pouvez faire une démonstration ? Vous reculez, vous ré-avancez, et vous appuyez sur le bouton” », explique Corinne Maréchal. « Les caméras étaient plus loin à ce moment-là. Il m'a dit : “Vous êtes une femme seule. Vous voyez, c'est une bonne idée, ça apporte un plus au Cannet.” Je devais montrer que c'était très bien », raconte-t-elle. « J'ai fait ce qu'il m'a dit car la police, c'est la police. À aucun moment il ne m'a pas dit que c'était pour TF1. C'est après que j'ai demandé à la journaliste : “Mais je ne vais pas passer à la télé ?” »

Les journalistes de TF1 n'ont pas assisté à cette conversation avec M. Cherqui, d'après le responsable du bureau de Nice de la chaîne, Vincent Capus, qui a consulté les rushes de ce micro-trottoir. « Notre journaliste a posé ses questions. Après, le personnage (Alain Cherqui), il est comme il est. Effectivement, il briefait les gens pour dire comment ça marchait. C'est quelqu'un qui crie tout le temps, notre journaliste l'a constaté », ajoute-t-il.

Interrogé sur sa proximité avec les témoins du reportage, Alain Cherqui nous répond : « C’était des amis à moi qui sont venus, on avait mangé un couscous juste avant, et c'est le con de ma mère qui est venu, pourquoi vous ne dites pas ça ? Des amis à moi ? Connasse, va ! » crie-t-il en raccrochant.

Pourtant, d'après plusieurs policiers municipaux, leur chef est allé bien plus loin. Quatre d'entre eux affirment à Mediapart, preuves à l'appui, que de nombreux reportages, en majorité sur TF1, ont été « bidonnés » ces quinze dernières années. Ils y ont eux-mêmes pris part.

L'un des policiers qui participait à leur organisation, « à la demande du patron »raconte : « On passait des coups de téléphone, et tout sujet était bon : sur la surveillance dans les bus, le “téléphone GPS”, les contrôles routiers, les quads, les scooters, les campagnes anti-alcool. Chaque reportage était bidonné. On se mettait en civil dans un véhicule, on jouait les conducteurs énervés ou alcoolisés, on appelait un ami pour faire le motard en excès de vitesse, etc. Sur certaines chaînes (France 3, M6), c'était à l'insu des journalistes, ils n'y voyaient que du feu. »

Cet agent note que ces reportages sont souvent réalisés « aux alentours d’élections ou d’événements politiques »« Alain Cherqui met en scène la police municipale pour promouvoir la politique de Michèle Tabarot. Le but est clairement électoraliste. Il faut faire du “Tabarot, Tabarot, Tabarot”. C'est un service public utilisé à des fins politiques », estime-t-il.

Reportage sur les quads de la police municipale du Cannet, diffusé sur TF1 le 5 août 2003.Reportage sur les quads de la police municipale du Cannet, diffusé sur TF1 le 5 août 2003.

Ancien policier municipal du Cannet muté dans les Hauts-de-Seine, Bruno Mercier se souvient, lui, d'avoir « assisté à un tournage TF1 où l’on faisait une campagne sur les contrôles alcoolémie »« On me voit en arrière-plan procéder à un contrôle éthylotest. Dans une fausse interview, un motard déclare qu’il trouve ce contrôle intéressant et vante l’initiative du Cannet. » Il s'agissait en réalité d'un « policier municipal » qui œuvrait « sur demande du chef de service » et « avec la complicité du journaliste de TF1 », assure-t-il.

« Tout était simulé. Le lendemain, on en parlait avec les collègues au bureau, on en rigolait », rapporte un autre policier en détaillant plusieurs reportages. « Les rôles étaient distribués, relate un quatrième policier, qui y a participé il y a quelques années. C’est “Toi tu fais le récalcitrant”, “Toi le policier”, ou bien on faisait la logistique, en bloquant la route si nécessaire. À l’époque des élections, cela se faisait beaucoup. »

« Régulièrement, Alain Cherqui sort une nouveauté (quads, scooters électriques, portables GPS, etc.) et il en fait la publicité », explique l'un des agents. Dans ces reportages vidéo – en majorité sur TF1, mais pas seulement –, qui vantent l'action de la police, il apparaît en effet souvent.

Alain Cherqui apparaît régulièrement dans des reportages sur TF1 (ici en 2002, 2003 et 2008)Alain Cherqui apparaît régulièrement dans des reportages sur TF1 (ici en 2002, 2003 et 2008)

Sur les images, Mediapart a pu identifier plusieurs policiers municipaux en civil jouant les témoins. En voici quelques exemples.

Dans un reportage diffusé au journal de 20 heures de TF1 le 5 août 2003 et consacré aux nouveaux quads de la police municipale du Cannet pour « mieux lutter contre la délinquance », un policier municipal (en noir avec des lunettes) interprète un promeneur sermonné parce qu'il fume dans « une zone boisée à risque ». En 2001, il figurait dans un autre reportage… comme policier.

À gauche (en noir, avec des lunettes), un policier municipal joue un promeneur sermonné une cigarette à la main.À gauche (en noir, avec des lunettes), un policier municipal joue un promeneur sermonné une cigarette à la main.

Dans un sujet sur les nouveaux portables de géolocalisation, diffusé au 20 heures de TF1, le 1er novembre 2002 (voir les extraits dans notre vidéo plus haut), deux adjoints de l'époque d'Alain Cherqui, Claude Russo et Jacques Leroux, simulent un accrochage avec des policiers municipaux :

À droite, avec des lunettes, le bras droit de l'époque du directeur de la police municipale, dans un reportage de TF1 en 2002.À droite, avec des lunettes, le bras droit de l'époque du directeur de la police municipale, dans un reportage de TF1 en 2002.
À gauche, en noir, un autre membre de la police municipale à l'époque, dans le même reportage.À gauche, en noir, un autre membre de la police municipale à l'époque, dans le même reportage.

Le premier apparaît aux côtés de M. Cherqui comme policier municipal dans un article de Nice-Matin, en 2012 :

Le second figure également comme policier dans un reportage diffusé au 13 heures de TF1, le 26 juin 2001, et consacré aux pouvoirs accrus des policiers municipaux :

Jacques Leroux apparaît comme policier municipal dans un autre reportage de TF1, le 26 juin 2001.Jacques Leroux apparaît comme policier municipal dans un autre reportage de TF1, le 26 juin 2001.

Dans le sujet sur les portables de géolocalisation, le journaliste agrémente la mise en scène de la police par une interview de Philippe Tabarot, frère et collaborateur de Michèle Tabarot, présenté comme le « responsable de la sécurité » de la mairie. « Face à des délinquants toujours plus violents, les municipalités se doivent de faire des efforts pour leurs administrés et pour leurs agents », explique le conseiller, en vantant ce nouveau « procédé ».

Philippe Tabarot dans le reportage de TF1 sur les "téléphones GPS", le 1er novembre 2002.Philippe Tabarot dans le reportage de TF1 sur les "téléphones GPS", le 1er novembre 2002.

« Parfois, on retrouve le même témoin dans plusieurs reportages », affirme un policier. C'est le cas de René d'Asta. Cet ami d'Alain Cherqui, agent immobilier au Cannet, figure dans au moins deux reportages différents de TF1. Dans le premier, diffusé le 9 janvier 1998, il soutient la police municipale contre le projet de loi de désarmement ; dans le second, sur les patrouilles de nuit, le 12 février 2002, il se présente comme victime d'une tentative de cambriolage (voir notre vidéo plus haut).

René d'Asta lors d'un micro-trottoir de TF1, diffusé le 9 janvier 1998.René d'Asta lors d'un micro-trottoir de TF1, diffusé le 9 janvier 1998.
René d'Asta, présenté comme victime d'une tentative de cambriolage, dans un reportage de TF1, le 12 février 2002.René d'Asta, présenté comme victime d'une tentative de cambriolage, dans un reportage de TF1, le 12 février 2002.

« Toutes les nuits, c’est au total trois patrouilles qui sillonnent cette ville. (…) Ici, la donne a changé en cinq ans puisque aujourd’hui sur cette même période, on a constaté 30 % de faits délictueux en moins (…) une situation possible grâce à une présence policière accrue »explique le journaliste dans le sujet.

« Il y avait eu une tentative de vol en bas de chez moi car le chien avait aboyé, j'avais vu deux gars partir en courant », assure René d'Asta à Mediapart. « On avait simulé une intervention chez lui après un cambriolage pour montrer l’efficacité de la patrouille de nuit », se souvient de son côté un policier municipal. « C'était un montage, c'est un très bon ami de Cherqui, on se servait de lui pour cela », précise un autre.

Dans les archives de TF1, on trouve des dizaines de reportages sur Le Cannet et sa police municipale, parfois deux consécutifs en deux mois, y compris les plus étonnants. Comme ce reportage de 2008 sur les « comportements très accidentogènes » des « livreurs de pizzas », que les policiers cannetans ont « décidé de traquer », explique le présentateur du 13 heures.

À Mediapart, un journaliste local de la chaîne reconnaît les « nombreux reportages au Cannet, environ une fois par an, sur les contrôles anti-alcool, anti-bruit, les quads, etc. Les communes organisent des opérations, les journalistes des radios et télés arrivent, on interviewe les gens, on ne vérifie pas leur carte d'identité. La télé, ça va vite, vous avez 1 h 30 et vous rentrez monter le sujet, parfois vous faites deux sujets par jour, c'est de l'abattage ». Il confirme le caractère « sulfureux » d'Alain Cherqui, qu'il qualifie lui aussi d'« autoritaire ».

Jusqu'en 2008, une partie de ces reportages était signée Gabriel Natta, chef du bureau de TF1 (créé avec le groupe Nice-Matin) à Nice pendant vingt ans. Désormais à la retraite, il a créé sa société de production de films institutionnels et réalise des sujets “tourisme” pour plusieurs communes, dont Le Cannet (à voir ici). Contacté, il explique qu'il « ne souhaite pas être cité » et qu'il a fait « (son) travail en bonne foi et bonne conscience ».

Film de communication institutionnelle réalisé sur Le Cannet par l'ex-journaliste Gabriel Natta.Film de communication institutionnelle réalisé sur Le Cannet par l'ex-journaliste Gabriel Natta. © Catpure d'écran du site de la mairie du Cannet.

TF1, qui s’est déjà fait épingler pour des bidonnages (exemples ici et ), se contente d'expliquer, via son service de presse, qu'elle n'a « jamais reçu la moindre plainte, information, retour sur une quelconque irrégularité sur les sujets consacrés à la police municipale du Cannet ».

La maire du Cannet était-elle au courant de ces mises en scène ou son « Monsieur sécurité » a-t-il fait du zèle ? « Il ne bouge pas une oreille sans Michèle Tabarot », souligne un policier. « Tous les policiers municipaux sont au courant. M. Cherqui informe toujours Michèle Tabarot de la diffusion », relève un autre, qui précise que ces « bidonnages » ont commencé « à la fin des années 1990, un peu après l'arrivée à la mairie de Mme Tabarot ».

Sollicitée, la secrétaire générale de l'UMP n'a pas donné suite, de même que son conseiller, Philippe Tabarot. Interrogée par Mediapart sur Alain Cherqui en janvier 2013, l'édile expliquait : « C'est un très bon chef de la police, il a gravi tous les échelons, il est reconnu très largement dans le département. »

Des élus de l’opposition se sont déjà posé des questions sur le rôle de la police municipale et son chef au Cannet. Dans Nice-Matin, le 17 février, Jean-Michel Bourdillon, conseiller municipal Front de gauche, fustigeait la « surexposition de la police municipale ».

Candidat dans la ville voisine de Cannes, Philippe Tabarot a lui aussi fait de la police municipale l'un de ses axes de campagne. Pour « ramener la sécurité à Cannes », il propose de « réorganiser complètement » cette police, avec un « vrai patron dont l'expérience fera autorité » et « cent policiers municipaux supplémentaires dans les rues dès les six premiers mois » du mandat.

BOITE NOIRETrois des quatre agents cités n'ont accepté de témoigner que sous couvert d'anonymat, puisqu'ils travaillent encore dans la police municipale.

Nous avons sollicité Michèle Tabarot, et son conseiller Philippe Tabarot, à son cabinet en mairie et auprès de son attaché de presse, Romain Thomas. Nous avons également contacté le directeur général des services de la ville, Daniel Segatori. Nous n'avons obtenu aucune réponse.

Questionnée en juin 2013 sur le rôle de sa police municipale et le budget sécurité de la ville, Mme Tabarot avait précisé à Mediapart que « la part du budget de la ville consacrée à la sécurité représente 8 %, ce qui correspond à une situation normale par rapport aux autres villes comparables ».

Sollicité une seconde fois sur ces reportages de TF1, Alain Cherqui n'a pas répondu. Nous l'avions également interviewé sur la police municipale au printemps 2013.

Contacté, Claude Russo, qui travaille désormais pour le service technique de la mairie, n'a pas démenti sa participation à ces reportages comme témoin. Après nous avoir demandé d'aller « voir avec celui qui a fait tout cela », il a finalement expliqué qu'il y avait figuré de sa « propre initiative ».

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« Se battre » avec les pauvres

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Une diffusion dans une vingtaine de salles seulement, essentiellement dans le circuit indépendant : autant dire qu'il faudra aux réalisateurs de Se battre (Jean-Pierre Duret et Andrea Santana) s'armer eux aussi pour la bataille de la sortie de leur film, mercredi 5 mars. Depuis des semaines d'ailleurs, d'avant-première en avant-première, ils parcourent la France afin d'assurer la visibilité de leur film (Yves Faucoup, dans le Club de Mediapart, en avait rendu compte dès décembre).

L'une de ces séances était organisée à Paris, avec Mediapart, lundi 24 février. Edwy Plenel a salué à cette occasion toute « l'élégance et la bonté » de ce film : « l'élégance de ceux qui savent se tenir » et « la bonté, celle qu'Aimé Césaire, après avoir refusé “de livrer le monde aux assassins / d’aube” », appelait de ses vœux (lire ici son poème). Au-delà de la qualité des images, il a aussi souligné le miroir que ce film nous tend, le miroir d'une France diverse, solidaire, « celle que ceux qui opposent les pauvres entre eux, les origines entre elles, voudraient nous voir oublier ».

Nous vous le présentions ici : plus qu'un documentaire sur la précarité, Se battre est un film sur la fraternité, la générosité qui permettent à ceux dont les fins de mois se pensent en fin de journée, en fin de semaine, de vivre encore avec des rêves, sans être complètement reclus. Jean-Pierre Duret et Andrea Santana ont tourné pendant trois mois à Givors, non loin de Saint-Étienne et Lyon, ville ouvrière au passé révolutionnaire, victime depuis les années 1970 de la désindustrialisation. Leur caméra rencontre ceux qui ne mangent plus que grâce aux colis du Secours populaire.

Autour de ces ombres s'affairent d'autres ombres, la foule des bénévoles des associations d'entraide qui vont aider au jardin d'insertion, récupèrent les invendus des grandes surfaces, tiennent l'épicerie solidaire, chargent et déchargent tout ce que l'on jette pour l'offrir à quelques-uns des 13 millions de Français pour qui la vie se joue chaque mois à 50 euros près. La bagarre pour aider face à la bagarre pour survivre.

Pour Mediapart, les producteurs du film offrent quatre séquences non montées, quatre rushes que l'on ne verra donc pas à l'écran et qui donnent un aperçu de l'humanité et la générosité du film.

Jean-Pierre Duret et Andrea Santana savent prendre le temps qu'il faut pour que les images leur adviennent :

– Le geste délicat d'une femme qui prend un sac plastique pendu à une branche, cette femme qui n'a plus les moyens de se payer les lunettes grâce auxquelles, auparavant, elle se réfugiait dans une bibliothèque ; 

– Le visage d'Élisabeth devant ses peluches et bougies, comme autant de chaleur passée : ancienne cadre au chemisier blanc impeccable, Élisabeth partage aujourd'hui son colis alimentaire avec son chien et ses chats et coupe la chasse d'eau pour limiter ses factures ;

– Les gestes de Felixia qui « plante des patates, ramasse des patates, mange des patates », et n'achète des chaussures à ses enfants qu'une fois déduits de son salaire le loyer, l'électricité, les courses au supermarché ;

– Le franc sourire de cette mère dont les 600 euros de sa fiche de paye sont un premier pas pour reprendre la vie avec son fils.

– L'inquiétude de Jean-Paul qui se démène pour trouver un ami électricien pour sécuriser le squat d'une famille de Roms, et son plaisir lorsqu'il joue de l'accordéon avec l'un des enfants, lui promettant que la musique les emmènera « en Amérique, Brésil, Algérie, Roumanie, Norvège… ».

Et aussi, qui ouvre et ferme Se battre, la rage de ce jeune champion de kickboxing qui vit en HLM avec sa mère. Vainqueur jusqu'à présent de tous ses combats, il a une stratégie pour gagner.

Ci-dessous, la bande-annonce du film.

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Frais d'enquête: 34 millions d'euros pour le cabinet du patron de la police en dix ans

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Depuis juin 2013, on savait que Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, avait reçu, « à partir de l’été 2002 et au plus tard jusqu’à l’été 2004 », quelque 10 000 euros en liquide par mois, prélevés sur les frais d’enquête et de surveillance (FES) des policiers. Ce qui a valu à l'ancien ministre de l'intérieur ainsi qu'à Michel Gaudin, à l'époque directeur général de la police nationale (et aujourd'hui directeur du cabinet de M. Sarkozy), d’être entendus en garde à vue, le 17 décembre 2013, dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte le 14 juin précédent par le parquet de Paris pour « détournement de fonds publics et recel ».

La facture est en fait bien plus élevée. Selon un référé de la Cour des comptes, rendu public ce 4 mars 2014, ce sont au total 34 millions d’euros de frais d'enquête qui ont été perçus par le cabinet du directeur général de la police nationale entre 2002 et 2012 (où se sont succédé Michel Gaudin, puis Frédéric Péchenard). Quels en ont été les heureux bénéficiaires ? Selon quels critères ? La Cour ne le précise pas, indiquant seulement que l'emploi de ces 34 millions d'euros fut « totalement discrétionnaire ». « Il n'en a été conservé aucune pièce justificative jusqu'en 2011 », précise la Cour.

De façon plus générale, le référé, adressé le 23 décembre 2013 au ministre de l’intérieur Manuel Valls, pointe la nécessité d’une « réforme visant à limiter strictement la circulation d'argent liquide dans la police nationale ». Ces FES, distribués en liquide en redescendant la voie hiérarchique, représentent en effet des sommes colossales : 129 millions d’euros au cours des dix dernières années (allant de 12,97 M€ en 2002 à 10,5 M€ en 2012). La Cour des comptes décrit une « procédure exorbitante du droit commun ».

« Des dotations d'argent liquide sont payées par sept régies placées auprès du directeur général de la police nationale, des directeurs centraux et du préfet de police de Paris, détaille-t-elle. Les personnes désignées pour prendre possession des espèces sont des directeurs et chefs de services centraux, et non les policiers auxquels elles sont destinées. Avant de leur parvenir, l'argent liquide transite entre les mains d'une longue chaîne d'intervenants, gestionnaires centraux et responsables territoriaux. » Ce qui occasionne « l'accumulation, en toute opacité, d'importants reliquats de fonds en liquide au cabinet du DGPN (directeur général de la police nationale) ainsi qu'au niveau des directeurs centraux et de leurs responsables territoriaux ». Bref, des responsables policiers nageant dans l'argent, sans traçabilité, ce qui fait toujours mauvais genre.

Créés par un décret de 1926, les frais d’enquête et de surveillance sont censés couvrir des dépenses « que le fonctionnaire peut être appelé à engager pour l’exécution de la mission qui lui est confiée ». Comme l'avait déjà révélé, en juin 2013, un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), ils sont en fait utilisés pour tout et n’importe quoi. La Cour des comptes tente une liste : primes, frais de représentation des chefs de services, organisation de moments de convivialité, remboursements de frais de déplacement, défraiements de boissons et de repas lors de planques, rémunération d'indics. Dans le plus grand flou comptable : hormis la rémunération des informateurs, encadrée par la loi depuis 2008, « il n'a pas été établi de compte d'emploi de ces sommes en liquide », entre 2002 et 2012, indique la Cour.

Dans sa réponse du 24 février 2014, Manuel Valls souligne que Claude Baland,  son DGPN, « a pris soin dès son arrivée de rompre avec les pratiques antérieures ». À la suite du rapport assassin de l’IGA et de l’IGPN, le ministre de l’intérieur dit avoir mis en place une « traçabilité complète », et interdit l’utilisation des FES pour les primes, les frais de réception et de représentation, ainsi que de fonctionnement courant. Seuls 4,2 millions d’euros de frais ont été distribués en 2013. Une réforme plus globale est en cours de préparation. À terme, le cabinet du DGPN conserverait un montant nécessaire à la « gestion d’une crise d’importance » ou d’une « prise d’otage ».

Michel GaudinMichel Gaudin © Reuters

Arrivant juste après la confirmation, par un rapport de l'IGA, du maquillage massif des statistiques de la délinquance par la préfecture de police de Paris, ce référé tombe au plus mal pour l'ancienne hiérarchie policière sarkozyste. D'après ce rapport, publié le 3 mars 2014, entre 15 000 et 20 000 faits de délinquance se sont purement et simplement volatilisés en 2011 à Paris et dans son agglomération grâce à la seule technique du « déstatage » (délits non enregistrés en statistiques). Les techniques sont connues (requalification des faits en simple contravention, arrêt prématuré de l'enregistrement des plaintes ou même destruction pure et simple), mais leur systématisation à cette échelle est inédite.

« Ces pratiques ont été à partir de 2008 organisées, systématisées et donc pilotées à des fins de minoration des statistiques de la délinquance », dénonce le communiqué de l'IGA. Dans le viseur, bien qu'il ne soit jamais nommé, Michel Gaudin, arrivé à la tête de la préfecture de police de Paris en 2007. Plusieurs des commissaires interrogés font état de consignes venant de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP). « S’il n’est pas exclu que le DSPAP (directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne) prenait ses instructions en la matière du préfet de police, la mission n’a pas pu l’établir », indique prudemment le rapport.

Et certaines pratiques se sont poursuivies après l'arrivée du préfet de police Bernard Boucault, en juin 2012. Les inspecteurs donnent l'exemple d'un commissariat parisien où, après une explosion, en juillet 2013, de vols à l'arraché de téléphones portables, « il aurait été demandé par la DSPAP de ne plus faire apparaître, lors du dépôt de plainte, que le portable avait été enlevé des mains », afin d'enregistrer les faits comme un simple vol à la tire. Ou encore celui d'un responsable qui a continué à enregistrer, jusqu'en janvier 2014, les tentatives de cambriolage comme de simples dégradations, « pour ne pas faire exploser les chiffres ». En juillet 2013, un autre rapport de l'IGA avait, lui, conclu à la disparition, entre 2007 et 2012, de près de 130 000 faits de délinquance sur l'ensemble du territoire. 

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Sarkozy enregistré par Buisson: les premières révélations

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Le Canard enchaîné et le site internet Atlantico publient ce mercredi les premiers extraits d'enregistrements d'échanges entre Nicolas Sarkozy et ses conseillers, réalisés à leur insu en 2011 par son conseiller ultra-droitier Patrick Buisson. Dans son édition du 5 mars, l'hebdomadaire publie le verbatim de l'enregistrement d'une réunion à l'Élysée, le 27 février 2011, autour de Nicolas Sarkozy.

L'enregistrement rend compte des propos échangés à quelques heures du remaniement que le président doit annoncer. Outre le président et son conseiller controversé, sont présents à l'Élysée le secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant, le conseiller spécial Henri Guaino, le conseiller en communication Franck Louvrier, le publicitaire Jean-Michel Goudard et le sondeur Pierre Giacometti.

Selon Le Canard enchaîné, après l'enregistrement télévisé de l'allocution, dans laquelle il annonce le remaniement, M. Sarkozy à son retour lance : « On n'a pas entendu ces connards de chiens qui aboyaient [dans les jardins élyséens] ? » Et l'hebdomadaire satirique de poursuivre : « Buisson spirituel : “Tu parlais des journalistes ?” Puis courtisan : “C'était très bien ! Tu avais les bonnes intonations. Tu as bien détaché les phrases importantes. Faut pas y toucher. »

À l'idée de se séparer du ministre de l'intérieur Brice Hortefeux lors du remaniement, Nicolas Sarkozy lâche : « Vous n'avez pas d'états d'âme sur Brice ? » Patrick Buisson explique alors : « On en a tous. On aime tous Brice. Le problème est de faire un choix politique », avant que le président ne concède : « Brice dit que le sentiment d'insécurité a régressé. Toutes les études montrent que ce n'est pas vrai. » « En matière d'immigration, Brice est inhibé. Une partie de notre électorat manifeste une certaine impatience », conclut l'ancien journaliste du quotidien d'extrême droite Minute.

Patrick BuissonPatrick Buisson © Reuters

Le site Atlantico a également mis en ligne les enregistrements sonores et les verbatims d'au moins quatre enregistrements, effectués la veille (26 février 2011) lors d'une autre réunion de Nicolas Sarkozy et de ses conseillers à la Lanterne à Versailles, consacré au remaniement qui devait être annoncé le 27 février 2011 : Brice Hortefeux va être remplacé par Claude Guéant à l'Intérieur et Michèle Alliot-Marie par Alain Juppé au Quai d'Orsay.

« Remplacer (le premier ministre François) Fillon par (Jean-Louis) Borloo, c'est grotesque », déclare Sarkozy lors de la réunion (écouter ici). « Y'a qu'une seule personne qui pourrait remplacer Fillon aujourd'hui, c'est Juppé. Je m'entends très bien avec Alain... Même si Fillon n'est pas décevant, il est comme on le sait. »

Dans la voiture qui les ramène de Versailles à Paris après la réunion, M. Buisson et le publicitaire Jean-Michel Goudard, conseiller en communication, ne se privent pas de commenter les décisions et propos de la réunion : « C'est dur, hein ? » demande notamment M. Buisson à propos de la présence de Carla Sarkozy à Versailles (écouter ici). « Ah t'es amusant. Si je la connaissais pas un peu mieux depuis la télé j'aurais trouvé ça “lamentable”, interventions percutantes quand même hein », lui répond M. Goudard.

Angoissé par la plainte d'Anticor dans l'affaire des sondages de l'Élysée, où son nom est cité, Patrick Buisson s'inquiète ensuite du changement de fonction de Claude Guéant, qui passe du secrétariat de l'Élysée à l'Intérieur (écouter ici), et son remplacement par Xavier Musca à ce poste sensible. « Tu vois l’avantage de Guéant, là depuis 3 mois, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet. Il se mouillait un petit peu », explique M. Buisson, mis en cause dans l'affaire des marchés des sondages de l'Élysée. « Ben ça l’intéresse quand même directement parce que… l’Élysée c’était lui à cette époque-là », lui rétorque M. Goudard.

Patrick Buisson, « royaliste » comme il se définit dans l'un des enregistrements (écouter ici), se plaint aussi à propos du remaniement de ne pas avoir « réussi à entraîner la tête » du ministre de la justice Michel Mercier, qu'il qualifie de « totalement calamiteux ». « Il y a plus calamiteux encore », assène Goudard, en nommant la ministre de la santé Roselyne Bachelot qui, selon lui, « ne dit que des conneries ».

M. Buisson est au cœur de l'affaire des sondages, dans laquelle un juge enquête sur la régularité des contrats conclus sous la présidence Sarkozy, sans appel d'offres, entre l’Élysée et neuf instituts de sondage, dont la société de conseil Publifact de M. Buisson.

Les révélations des verbatims et extraits audio ont suscité de nombreuses réactions politiques : au micro de France Info, l'ancien conseiller spécial Henri Guaino a dénoncé une « sorte de viol », expliquant ne pas avoir imaginé qu'un conseiller du président de la République puisse « faire une chose pareille. (...) Il y a apparemment des dizaines, des centaines d'heures (d'enregistrement), il faut être malade », a-t-il fulminé. 

L'ancien secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant s'est dit de son côté « surpris, déçu et choqué ». « C'est pour moi une énorme surprise, je ne m'attendais pas à une chose pareille. Il s'agit d'un procédé incompréhensible et inacceptable », a-t-il déclaré au JDD. Selon l'AFP, François Fillon a, lui, qualifié de « répugnants » les enregistrements. « Inacceptable » et « détestable », a ajouté sur i-Télé le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob.

Invitée de la matinale de France Inter ce mercredi, la garde des Sceaux Christiane Taubira s'est dite « atterrée », parlant de « déloyauté » et d'une atteinte à « la morale publique » et aux « institutions ». De leur côté, le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, et le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, dénonçant les « atteintes aux institutions », ont tous les deux évoqués, mercredi matin (sur le site du PS et sur LCP), la possibilité pour leur parti de demander la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire.

Patrick Buisson, accusé mi-février par Le Point d'avoir enregistré certaines de ses conversations avec l'ancien président, avait alors indiqué qu'il comptait porter plainte contre l'hebdomadaire. Une plainte maintenue selon son avocat Gilles-William Goldnadel, pour qui l'article du Canard enchaîné « ne change rien à la plainte déposée par Patrick Buisson contre l'hebdomadaire Le Point le 21 février ».

Sondages de l'Elysée : plainte pour détournement de fonds publics

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Le procureur financier fait ses premiers pas dans un champ de mines

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Le 4 mai 1999, Élisabeth Guigou inaugurait le pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, rue des Italiens, dans les anciens locaux du Monde. Ce jour-là, les deux juges d’instruction en charge de l’affaire Elf, Eva Joly et Laurence Vichnievsky, disputaient à la ministre de la justice les faveurs des photographes. Il s’agissait alors d’afficher symboliquement la volonté du gouvernement Jospin de lutter plus efficacement contre la délinquance en col blanc, cela sans jamais dire un mot des turpitudes du clan Chirac, installé depuis quatre ans à l’Élysée. Depuis lors, le pôle financier a connu des fortunes diverses, et s'est maintenu vaille que vaille.

Le pôle financier, rue des ItaliensLe pôle financier, rue des Italiens

Quinze années après cet événement soigneusement mis en scène, et quelques « affaires » plus tard, Christiane Taubira a honoré de sa présence la cérémonie d’installation du tout nouveau procureur financier, Éliane Houlette, lundi 3 mars au vieux Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité. Une grand-messe comme les magistrats en raffolent, avec des discours consensuels et un brin convenus, prononcés devant un alignement immobile de robes rouges et noires.

Les éminences et les « huiles » étaient de sortie ce lundi. Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, s’est déplacé pour l’occasion, tout comme le président de la toute nouvelle Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Jean-Louis Nadal, le directeur général des finances publiques, Bruno Bézard, ainsi que de nombreux magistrats (dont le procureur de Paris, François Molins, le procureur général de Versailles, Philippe Ingall-Montanier, le procureur de Nanterre, Robert Gelli, et les juges parisiens Renaud Van Ruymbeke, Claude Choquet et Roger Le Loire), et encore des responsables du fisc, de la police judiciaire et de la gendarmerie, ainsi que quelques avocats d’affaires dont l'omniprésent Jean Veil.

Lors de son discours, le procureur général de la cour d’appel de Paris, François Falletti, qui a failli être poussé vers la sortie récemment par le ministère de la justice, s’est fait un malin plaisir de remercier Christiane Taubira de sa présence. Surtout, il s’est posé en grand arbitre de la future répartition des dossiers, forcément complexe, qu’il faudra dorénavant effectuer entre le procureur financier, le procureur de Paris, et les huit juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée (JIRS).

Enfin, le procureur général Falletti l'a annoncé avec gourmandise, il ne manquera pas de rendre visite aux magistrats qui travailleront aux côtés d'Éliane Houlette, et de dialoguer avec eux aussi souvent que nécessaire. Un homme décidément irremplaçable.

Le discours d'Eliane Houlette, lundi au tribunal (photo M.D.)Le discours d'Eliane Houlette, lundi au tribunal (photo M.D.)

Prenant la parole à son tour, Éliane Houlette s’est attachée à rassurer la magistrature, guère enthousiaste devant l'apparition de ce nouveau poste qui en concurrence plusieurs autres. Elle a notamment rappelé la nécessité de lutter contre la corruption (qui coûte 120 milliards d’euros à l’Europe), et de combattre la fraude fiscale (qui coûte 60 à 80 milliards d'euros chaque année à la France).

Enfin, pour répondre à tous ceux qui critiquent – au-delà de son cas personnel – le lien qui subsiste entre le parquet et le pouvoir exécutif, le procureur financier a répondu que « l’indépendance est affaire d’état d’esprit, de cœur et de courage ». Une citation que n'aurait pas reniée l'emblématique Éric de Montgolfier, ancien procureur de Nice, aujourd'hui à la retraite.

Du courage, il en faudra forcément au procureur financier, pour mener à bien les dossiers les plus emblématiques du moment, ceux qui ne sont pas les plus faciles à « sortir » (c'est-à-dire à renvoyer devant le tribunal, tout en obtenant des condamnations). Cela même si le ministère de la justice veille discrètement à aider le nouveau procureur financier, et à le promouvoir auprès des médias. Volontaire, Éliane Houlette veut, pour sa part, croire qu’à terme, son équipe deviendra aussi reconnue et légitime que le sont aujourd’hui la section antiterroriste ou le pôle « santé publique » du tribunal de Paris, qui furent critiqués en leur temps.

Reste que la question des moyens n’est pas encore résolue. Pour l’heure, Éliane Houlette ne dispose que de quatre magistrats dans son équipe. Deux autres sont en cours de recrutement (d’après la grande « transparence » nationale du 28 février), et ils devraient être une vingtaine à terme. Mais le procureur financier ne peut pas constituer son équipe à sa guise : c’est le ministère de la justice qui propose les postes à pourvoir au parquet, et les candidatures sont ensuite examinées par le CSM.

Par ailleurs, Éliane Houlette n’est pas une femme de réseaux. Sans préférence politique ou appartenance syndicale connue, cette femme libre n’a pas le profil carriériste et politique des vieux crocodiles de la hiérarchie judiciaire, qui se sont d’ailleurs bien gardés de postuler à un poste aussi exposé. Les recrues, jusqu'ici, sont jeunes ou peu connues.

Christiane TaubiraChristiane Taubira

Pour toutes ces raisons, certains magistrats restent actuellement en poste à la section financière du parquet de Paris, alors que les dossiers qu’ils suivaient viennent de passer chez le procureur financier. Jusqu’ici, deux magistrats de la section financière du parquet de Paris ont été affectés aux côtés d’Éliane Houlette (il s’agit du vice-procureur Patrice Amar, qui a été en poste à l'AMF, et d’Ariane Amson, qui a représenté l‘accusation lors des procès « pétrole contre nourriture » et caisse noire patronale de l'UIMM).

La question des assistants spécialisés, qui devraient être au nombre de cinq, n’est pas non plus tranchée. Ils devraient provenir des services du fisc, des douanes, et de la Banque de France. En revanche, tous les juges d’instruction de la JIRS parisienne sont déjà habilités à travailler avec le procureur financier. Quant au problème des locaux, d’autres services se sont poussés pour faire un peu de place, et le procureur financier et ses troupes s’installent progressivement au pôle financier, rue des Italiens.

Le chômage technique ne la menace pas. Éliane Houlette a déjà plus de 103 dossiers sur son bureau, dont la très grande majorité provient du parquet de Paris. Aux dires de l’intéressée, et selon son voisin et concurrent, le procureur François Molins – qui ne se plaint pas mais fait un peu grise mine –, ce choix s’est fait « en concertation » et « en bonne harmonie ».

Le parquet de Paris a conservé des dossiers « presque achevés » ou « assez simples », explique-t-on, comme l’affaire Karachi, mais aussi les dossiers Tapie, Wildenstein, UBS, Boris Boillon et Dieudonné.

François MolinsFrançois Molins © Reuters

Le procureur financier a, pour sa part, obtenu (outre les dossiers boursiers sur lesquels il est seul compétent) les affaires financières d'une « grande complexité » : Cahuzac, Balkany, Dassault, Guéant, Pérol, Reyl, HSBC, les sondages de l’Élysée et la taxe carbone, qui mêlent pour la plupart fraude fiscale, blanchiment et sociétés-écrans exotiques. Un partage qui a fait l’objet de longues discussions, et qui semble parfois subjectif.

Paradoxalement, alors que l'on pouvait craindre une pénurie d'affaires, certains magistrats se posent aujourd'hui cette question : Éliane Houlette aurait-elle déjà trop de dossiers ? « Si on veut noyer le procureur financier, c’est très simple : il suffit de lui adresser absolument tout ce qui peut être financier, et il ne pourra plus travailler efficacement », avertit un homme du sérail. D’autres critiquent, au contraire, le maintien du fameux « verrou de Bercy », qui permet au ministère du budget de faire son propre tri, et de décider – sans regard extérieur – de ce qui sera transmis ou non à la justice.

Le maintien du lien entre le parquet et le pouvoir exécutif pose, enfin, d’autres questions pour l'avenir. Le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) se dit sérieusement préoccupé par la concentration des affaires les plus sensibles du pays entre les mains du seul procureur financier. « Que se passerait-il si jamais Nicolas Sarkozy était réélu, et qu’il nommait à ce poste un magistrat proche de lui ? » s’inquiète déjà Christophe Régnard.

Au Syndicat de la magistrature (SM, gauche), tout en voulant également rendre le parquet plus indépendant, on milite par ailleurs pour une mesure de type Mani pulite qui aurait un fort impact : le rattachement de la police judiciaire au parquet, ou au moins celui d’un service de PJ auprès du procureur financier. Chiche ?

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A Grenoble, écologistes et PG veulent «réinventer la gauche»

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Grenoble, de notre envoyé spécial

« La place Tien An Men »... « Pierre Mendès France » « Simone Veil »… Au premier rang du meeting, Élisa Martin ne peut s'empêcher d'écarquiller les yeux. Éric Piolle vient de citer à la tribune ses « images de la gauche ». Des figures assez éloignées du panthéon de la gauche mélenchoniste qu'Élisa Martin incarne à Grenoble.

Leur âge mis à part – 41 ans tous les deux –, Élisa Martin, numéro deux de la liste du « rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes » à Grenoble, et sa tête de liste, l'écologiste Éric Piolle, n'ont pas beaucoup de points communs. Ils partagent pourtant la même ambition : ravir ensemble Grenoble (Isère) au parti socialiste, qui détient depuis dix-neuf ans cette cité de 160 000 habitants au pied des Alpes. Leur projet : construire, dans cette ville qui fut souvent un laboratoire de la gauche, une alternative nationale au PS.

Dans cette campagne municipale un peu morne, les regards se tournent volontiers vers Grenoble. Elle est une des 80 villes où le Parti de gauche (PG) et les écologistes partent unis au premier tour. Et elle est la seule où cet attelage a une vraie chance. Les médias défilent. La campagne est nerveuse. « Pas étonnant qu'il y ait des invectives entre candidats : cette élection est une primaire à gauche », résume Simon Labouret, enseignant à Sciences-Po Grenoble.

Au meeting du « rassemblement citoyen » (EELV, PG, etc.), le 28 février.Au meeting du « rassemblement citoyen » (EELV, PG, etc.), le 28 février. © Mathieu Magnaudeix


Coprésident du groupe Europe Écologie-Les Verts (EELV) à la région Rhône-Alpes, Éric Piolle est un ovni politique. Devant 400 supporters réunis sous un chapiteau planté dans le parc Paul-Mistral de Grenoble, le candidat du « rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes », entré en politique il y a quatre ans, a conclu vendredi 28 février le premier meeting de la campagne municipale.

Sous l'œil de la coprésidente du Parti de gauche, Martine Billard, de l'ex-secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts, Pascal Durand, et de Mohamed Mechmache, fondateur d'AC! le feu, il a fustigé le maire socialiste sortant, Michel Destot, accusé d'avoir « fracturé » la gauche en 2008 en s'alliant avec le Modem et des élus de droite. Il a aussi attaqué les « technos » du PS, parti « tenu par des barons et des salariés d'élus, incapable de se renouveler, qui se croit propriétaire du pouvoir ».

Écologiste « qui roule en voiture et mange de la viande », ancien patron cofondateur du collectif anti-austérité Roosevelt 2012, Éric Piolle « défrise » : « Je suis une synthèse politique à moi tout seul. » Il déteste « les étiquettes », affirme qu'« être de gauche, c'est rompre les rangs, bouger les lignes », des phrases-valises qui plaisent à tout le monde. Élevé dans une famille catho de gauche – « l'Évangile reste un moteur spirituel » –, il a gagné beaucoup d'argent quand il dirigeait une division de la multinationale informatique Hewlett-Packard. « À 34 ans, j'étais un peu la star montante. » Pas vraiment le profil du militant écologiste-type. En 2011, il est débarqué pour avoir refusé de délocaliser son unité de 120 salariés. « C'était un projet débile : d'ailleurs le PDG d'HP y a renoncé. » Il connaît les patrons des boîtes high-tech de Grenoble, une des capitales françaises de l'innovation.

Dans cette ville de gauche, où les cadres sont plus nombreux qu'ailleurs, « Éric Piolle est le candidat écologiste idéal pour ratisser très large, assure le chercheur Simon Labouret. Que ce soit sur le plan de la crédibilité à gérer une ville ou des gages à donner à la gauche de la gauche, son programme c'est son histoire : celle d'un cadre d'une grande entreprise hightech licencié pour avoir refusé de délocaliser. »

Piolle apprécie qu'on dise de lui : « Pour un écolo, il n'est pas mal. » Pour ravir Grenoble au PS, il devra rassembler dès le 23 mars de la gauche de la gauche aux centristes, en passant par les socialistes déçus.

Eric Piolle, tête de liste du « rassemblement citoyen »Eric Piolle, tête de liste du « rassemblement citoyen » © M.M.


Après avoir été entre 1983 et 1995 le fief du RPR Alain Carignon, l'homme politique le plus condamné de France, Grenoble est ancrée à gauche. Ici, François Hollande a réuni 64 % des voix au second tour de la présidentielle. Ces dernières années, les écolos ont flirté avec le score du PS (26,5 % aux régionales de 2010). Parfois, ils l'ont dépassé (29 % aux européennes de 2009). Le centre-ville a un conseiller général écologiste depuis 2004.

La ville est depuis longtemps dans le viseur des écolos. Cette fois, aux côtés du PG, qui fait de bons scores dans les quartiers populaires, de l'Ades (une association locale connue pour ses combats anti-Carignon, et depuis 1995 par son activisme juridique contre les grands projets de Michel Destot) et du Réseau citoyen, agglutination de plusieurs collectifs locaux, EELV rêve de « faire la bascule au premier tour » : se retrouver devant le PS, même d'un rien, et lui dicter ses conditions. Par exemple une fusion des listes, au prorata des voix des uns et des autres.

Un tel résultat ferait figure de sanction lourde pour le PS, dans la ville de la ministre de la recherche Geneviève Fioraso. « Ça se joue à 2 000 ou 3 000 voix », assurent les colistiers. « On sera dans un mouchoir de poche », prédit Éric Piolle. « Jérôme Safar, le candidat socialiste, reste le favori, analyse le chercheur Simon Labouret. Mais arithmétiquement, il y a une fenêtre de tir pour la liste de Piolle. Pour l'emporter, ce dernier doit toutefois progresser en notoriété et convaincre qu'il a la légitimité pour être maire. »

En pleine crise du Front de gauche, le PG nationalise l'enjeu. « Je vais revenir faire la fête à la mairie. Ceux qui sont au pouvoir dans ce pays ne sont plus la gauche. Ils gèrent comme Schröder et Blair. Il faut reconstruire de l'espoir, montrer qu'un autre projet est possible », affirme la coprésidente du PG, Martine Billard. « Grenoble va être une ville très intéressante », a lancé Jean-Luc Mélenchon la semaine dernière. Il devrait bientôt faire le déplacement, même si sa présence n'enchante pas certains écologistes.

« Le PS, pour l'essentiel, porte le vieux monde, assure l'ex-secrétaire national d'EELV, Pascal Durand. Le réformisme de transformation fait défaut à la gauche actuelle. Il passait auparavant par le Parlement, mais je n'y crois plus : les lobbies sont trop puissants. Il passe maintenant par le bas. Grenoble peut être le premier lieu en France où ça peut marcher. Et dans ce cas, comme un domino, tout va s'écrouler. » Un vrai discours d'opposant, comme si EELV n'avait pas deux ministres au gouvernement. Une flopée de leaders écolos pourraient venir d’ici le 23 mars : l'actuelle cheffe du parti Emmanuelle Cosse, la ministre Cécile Duflot, voire Daniel Cohn-Bendit – une visite qui ne réjouit pas les adhérents du PG.

Même si le mandat 2001-2008 a été marqué par des dissensions, les écologistes ont gouverné la ville pendant treize ans avec le PS. Dans le passé, le poste d'adjoint au logement et à l'urbanisme, des enjeux clés de la campagne, ont été occupés par des écolos. Dans l'opposition depuis 2008, ils votent souvent avec le PS. Le « rassemblement » EELV-PG a pourtant élaboré un programme de rupture, avec « trois fils directeurs : une ville démocratique, un bouclier social municipal, et une ville à taille humaine », énumère Élisa Martin (PG).

La liste cible ses critiques sur les grands projets de Michel Destot : le grand stade des Alpes, sous-utilisé, contesté par les écologistes et les associations citoyennes ; les projets de rocade autoroutières ; la candidature (ratée) de Grenoble aux Jeux olympiques d'hiver de 2018 ; le projet d'aménagement de l'Esplanade, dont l'Ades a obtenu l'annulation du plan d'urbanisme.

Elle dénonce la folie des grandeurs de la majorité sortante (« il y a un côté prétentieux », admet un adjoint de Destot qui rempile avec Safar), conteste le financement direct par les collectivités de pôles de compétitivité ou du méga-programme Nano 2017. « Avec Michel Destot, Grenoble est devenue une ville pour les magazines en papier glacé : les projets arrivent tout ficelés et les habitants n'ont plus qu'à choisir la couleur des pots de fleurs », résume Éric Piolle.

La dynamique militante est réelle. Les happenings de campagne sont souvent inventifs. Mais mobiliser reste difficile, admet Alain Manac'h, sympathisant écologiste, figure du quartier populaire de la Villeneuve : « J'ai fait une réunion d'appartement chez moi, il y avait moins de monde que d'habitude. Les gens se sont fait tellement tartiner... »

Le candidat PS, Jérôme SafarLe candidat PS, Jérôme Safar © M.M.


En face, le candidat socialiste, Jérôme Safar (photo), dauphin désigné de longue date par Michel Destot, dénonce un « accord d'appareils », une liste « ingérable », « faux nez de Jean-Luc Mélenchon ». Il prédit qu'il sera devant au premier tour, de loin. Ce quadra est l'incarnation de l'apparatchik socialiste : assistant parlementaire de Destot dès 1988, il a été son adjoint à la culture, puis son premier adjoint, chargé des finances et de la sécurité – il a aussi travaillé dans le privé, DRH chez Bouygues.

Destot l'admet : il a « hésité » à passer la main : « Je ne souhaitais pas qu'on perde la ville. J'étais le meilleur candidat, ce n'est pas prétentieux de le dire, ici tout le monde me connaît. Mais le moment était venu. » Le PS compte mettre Jérôme Safar sur orbite pour devenir président de la métropole grenobloise qui verra le jour en 2015 et détiendra bien plus de pouvoirs que la ville.

Pour marquer sa différence, Safar a renouvelé sa liste « à 60 % ». Les figures de droite avec qui gouvernait Michel Destot depuis 2008 (un ancien adjoint d'Alain Carignon, l'ancien président des Amis de Sarkozy en Isère) n'y figurent pas. L'adjoint Modem à l'urbanisme de Michel Destot, Philippe de Longevialle, est parti seul. Safar est soutenu par le PCF (scotché par son alliance électorale avec le PS qui lui garantit quelques grosses mairies dans l'agglomération), le parti radical de gauche ou Go-Citoyenneté, un mouvement local né à la fin des années Carignon.

Il assume le bilan Destot (l'innovation, la sécurité, la rénovation urbaine, l'aide sociale : Grenoble a le deuxième CCAS de France, etc.). Mais revendique « une nouvelle méthode, un nouveau projet », et assume une « rupture » sur l'école, un des points contestés du bilan de l'équipe sortante : s'il est élu, chaque petit Grenoblois aura une tablette au CP.

Aux municipales de 2008. Michel Destot et son adjointe, l'actuelle ministre Geneviève Fioraso, fêtent la victoire.Aux municipales de 2008. Michel Destot et son adjointe, l'actuelle ministre Geneviève Fioraso, fêtent la victoire. © DR

Le candidat socialiste n'est pas très connu des Grenoblois. L'été dernier, un sondage de notoriété commandé par le PS avait donné des résultats décevants. Ce samedi 1er mars, sur le marché de Saint-Bruno, un quartier populaire derrière la gare, deux papis abordent le candidat. « Vous représentez Destot ou Carignon ? » « Michel Destot… C'est moi qui lui succède. » « Destot, c'est mon ami », dit l'un des deux, Ahmed, 82 ans. « C'est moi qui vais devenir votre ami maintenant », plaisante Safar. Rires, tapes sur l'épaule. Le candidat socialiste s'éloigne. Ahmed se confie: « Je vote Destot. Mais lui je m'en fous, je ne le connais pas. »

Jérôme Safar doit surtout affronter le scepticisme des électeurs. « Il y aura de l'abstention. À quel niveau ? Il y a des gens hésitants et ceux qui ne disent rien, ce n'est pas mieux. » Les habitants lui parlent de leur « honte d'être représentés par cette équipe » gouvernementale. « Ils disent qu'il faut les changer, qu'ils ne sont pas capables. Ils veulent de la compétence. » Plaidoyer pro domo du gestionnaire. Façon, aussi, de se démarquer d'un gouvernement impopulaire pour éviter la sanction.

À la Villeneuve, 11 000 habitants, un quartier populaire du sud de la ville, le candidat et des militants distribuent des tracts à la sortie des écoles. L'accueil est poli. Une mère de famille promet de voter PS si on lui trouve un nouveau logement. « J'ai toujours voté à gauche, là je ne sais pas, dit un habitant qui s'occupe de familles roms. Je suis un peu écœuré. La société se décompose. » « Il y a peu de discussions. C'est souvent "merci, bonne soirée" », dit Hélène Vincent, adjointe PS. « On sent un désenchantement. Le gouvernement mène une politique de droite de l'offre qui ne peut pas fonctionner, ça peut décourager des militants et des électeurs », craint un militant socialiste.

La Villeneuve, grand quartier populaire de GrenobleLa Villeneuve, grand quartier populaire de Grenoble © M.M.

Face à la liste rivale, le PS joue la carte du « sérieux ». Éreinte les écologistes et le PG, qui proposent les transports gratuits pour les moins de 25 ans et la remunicipalisation du gaz, de l'électricité et du chauffage. « Ça coûte 100 millions d'euros, c'est autant d'impôts en plus », dit Jérôme Safar. « La liste menée par Éric Piolle veut livrer un combat des gauches, mais l'assemblage bancal qui la compose confine plus à un mélange d'extrême gauche, d'écologie radicale, d'opposants au principe d'innovation, même si ce n'est pas le cas de tous les colistiers, assure le député PS de Grenoble-centre, Olivier Véran. Ce mélange improbable serait dangereux pour l'écosystème grenoblois. »

En privé, un socialiste évoque ces « obscurantistes » qui veulent prendre la ville. Safar, lui, se garde d'être trop dur et pointe le spectre d'un retour de la droite. « Il ne faut pas se tromper d'adversaires quand les temps sont durs pour la gauche, et c'est le cas ces temps-ci. Je crie au feu. On ne peut pas se permettre des divisions artificielles. »

1995. Alain Carignon quitte le tribunal de Lyon après son procès pour corruption.1995. Alain Carignon quitte le tribunal de Lyon après son procès pour corruption. © M.M.

En face, le candidat UMP-UDI bataille pour exister, plombé par la présence sur sa liste, en position éligible, de l'ancien maire Alain Carignon, condamné en 1996 pour corruption, abus de biens sociaux, subornation de témoins : cinq ans d'inéligibilité, 29 mois de prison ferme. Après un long psychodrame, une primaire annulée, une guerre fillonistes-copéistes évitée de justesse, c'est Matthieu Chamussy, élu d'opposition depuis deux mandats, qui conduit la liste.

« Bien sûr j'aurais préféré, et Alain Carignon le sait, que les choses se passent différemment, qu'il fasse un autre choix. Mais comme disait le Général, il n'y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. » Il ne se risque pas plus loin dans la critique. Se réjouit juste de « l'avoir fait reculer significativement de la troisième à la neuvième place ». Malgré l'opprobre, Carignon reste intouchable. « Ce monsieur est majoritaire sur la liste et c'est lui qui tire les ficelles. Il affaiblit la droite et renforce le FN », s'inquiète Jérôme Safar.

Sur le papier, Chamussy n'a aucune chance de devenir maire. À moins que le Front national n'atteigne les 10 % et accède à une quadrangulaire au second tour. Le jeu serait alors un peu plus ouvert. Surtout si la gauche reste divisée. Voilà pourquoi, malgré la rudesse de la campagne, et des positions très tranchées sur des dossiers clés (le développement économique, la vidéosurveillance, l'urbanisme, etc.), Piolle, Martin et Safar pensent déjà au second tour.

Ils se connaissent bien : tous trois dirigent leurs groupes respectifs au conseil régional Rhône-Alpes. Ils refusent par avance de fermer les portes, jugeront au soir du premier tour sur la base des résultats. « Tout est toujours possible », assure Michel Destot, du haut de son Aventin. D'ici là, ce sera la guerre à gauche.

BOITE NOIREModification, jeudi 6 mars. Dans la première version de l'article, une citation (« On sent un désenchantement. Le gouvernement mène une politique de droite de l'offre qui ne peut pas fonctionner, ça peut décourager des militants et des électeurs ») a été attribuée à une élue socialiste grenobloise dont le nom était cité. Celle-ci m'a affirmé par mail ne jamais avoir tenu ses propos. Ils sont notés dans mon cahier, ils ont donc bien été prononcés ce jour-là lors d'une rencontre avec des militants, mais pour être franc, je ne me souviens plus des circonstances exactes de cette prise de notes. Du coup, dans le doute, la citation à été anonymisée. Ce qui n'enlève rien à sa force.

 

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HLM de la Côte d’Azur: une sale affaire au cœur du royaume Estrosi

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Tout a commencé par une simple enquête pour fraude fiscale. Une petite entreprise de bâtiment niçoise, Export travaux du sud (ETTS), basée à l’Ariane, un quartier défavorisé du nord de la ville, effectue des travaux de rénovation des appartements HLM de l’Office public de l’habitat de Nice et des Alpes-Maritimes Côte d’Azur Habitat. Elle brasse des sommes suspectes d’argent non déclaré. Elle emploie du personnel au noir, ne paie pas ses cotisations à l’Urssaf, multiplie les comptes bancaires éphémères... Le détournement est estimé à 2 millions d’euros.

En juin 2013, au terme d’un an et demi d’investigations discrètes, les enquêteurs de la police judiciaire de Nice arrêtent plusieurs personnes gravitant autour de cette société. Une instruction judiciaire est ouverte, confiée à Alain Chemama, le doyen des juges d’instruction du tribunal de Nice, qui procède à quatre mises en examen pour fraude fiscale, travail clandestin et usage de faux.

Dominique Estrosi-Sassone, présidente de l'Office HLM Côte d'Azur Habitat.Dominique Estrosi-Sassone, présidente de l'Office HLM Côte d'Azur Habitat. © DR

L’affaire aurait pu en rester là, si les policiers n’avaient mis la main sur une clé USB très compromettante, lors d’une perquisition au domicile du patron de la société. Celui-ci s’est lui-même filmé, au moyen d’une mini-caméra cachée dans sa chaussure de sport, en train de remettre des enveloppes garnies de billets au responsable de Gagneraud, une grande entreprise de bâtiment dont il est le sous-traitant. L’enquête monte d’un cran.

En novembre 2013, la PJ procède à de nouvelles interpellations. Trois cadres de Gagneraud sont mis en examen et placés sous contrôle judiciaire. Cette entreprise familiale discrète est l’un des grands acteurs du BTP français, avec un chiffre d’affaires de 555 millions d’euros en 2012. Son président, Roger-François Gagneraud, se classe au 229e rang des grandes fortunes françaises selon l'hebdomadaire Challenges, qui estime la fortune familiale à 200 millions d’euros.

Les cadres sont soupçonnés d’avoir perçu des pots-de-vin de la part de plusieurs sous-traitants, à qui ils avaient confié des travaux de rénovation dans le parc HLM du quartier des Moulins, à Nice. Ils se seraient fait offrir des voyages au Mexique, aux États-Unis, à Cuba, et même une Porsche facturée comme camion-benne grâce à la complicité d’un loueur de véhicules !

Dès la parution du premier article de Nice Matin sur le coup de filet policier, le 20 novembre, Gagneraud fait appel à un communicant de crise, Jean de Belot, ancien directeur de la rédaction du Figaro, pour gérer les retombées médiatiques. Celui-ci explique que l’entreprise avait déjà pris les devants, suite à un audit interne, et licencié les trois cadres mis en examen.

Gagneraud s’est porté partie civile, tout en cherchant à minimiser la portée des détournements, estimant son préjudice à 200 000 € seulement. Objectif : créer un cordon sanitaire entre les salariés soupçonnés de corruption, le reste de la société... et l’office HLM. Car Gagneraud, qui a remporté de nombreux appels d’offres dans les Alpes-Maritimes (l'entreprise a notamment réalisé une partie des travaux du tramway) travaille beaucoup pour Côte d’Azur Habitat.

L’enquête, sur laquelle le parquet de Nice observe un mutisme absolu, pourrait logiquement s'orienter vers le premier bailleur social des Alpes-Maritimes. La cible est politiquement sensible, dans un domaine où la frontière entre la politique et l’affairisme est parfois poreuse, comme l’ont montré, dans le passé, les scandales des HLM de Paris et des Hauts-de-Seine. De Menton à Antibes, Côte d’Azur Habitat est incontournable : l’office possède 20 000 logements, dont 14 000 à Nice et gère un budget annuel de 258 millions d’euros. Le quartier des Moulins, où ont eu lieu les malversations présumées, construit dans les années 1970 à l’ouest de Nice, concentre des enjeux sociaux, économiques et politiques majeurs.

En 2009, lorsqu’il était ministre de l’industrie, le maire (UMP) de Nice Christian Estrosi s’est démené pour obtenir les budgets de rénovation de ses 3 000 logements sociaux, tous propriété de Côte d’Azur Habitat, par le biais de l’agence nationale de rénovation urbaine (ANRU).

La rénovation des Moulins, dotée de 215 millions d’euros de crédits publics, s’est avérée très rentable politiquement. Fortement médiatisée, avec la destruction de plusieurs immeubles, elle a permis à Dominique Estrosi-Sassone d’être élue aux cantonales de mars 2011, dans ce canton détenu par la gauche depuis 14 ans. L’ex-épouse du maire de Nice, dont elle est l'une des adjointes, en plus du poste de présidente de Côte d’Azur Habitat qu'elle occupe depuis 2008, a fait de la politique de la ville sa spécialité, depuis ses premiers pas en politique, en 2001, comme adjointe au logement de l’ancien maire de Nice Jacques Peyrat.

Elle a notamment la haute main sur les attributions de logements, en tant que présidente de la commission d’attribution, qui se réunit deux fois par mois. C'est un poste de pouvoir clé, dans une ville aux loyers très élevés, où l’on manque cruellement de logements sociaux. En décembre 2011, un rapport de la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos) a sévèrement critiqué la procédure interne à l’office HLM : « Le règlement intérieur ne précise pas de critères objectifs d’attribution et ne met pas en place de processus rationnel de sélection des candidats. (...) Cela peut conduire à des attributions discrétionnaires. » Mais depuis la publication du rapport, rien n’a changé.

« Nous attendons le vote de la loi Duflot sur le logement », argumente Dominique Estrosi-Sassone, qui réfute toute accusation de clientélisme. « Nous recevons 8 000 demandes de logement par an et procédons à 1 200 attributions. Franchement, toutes les demandes se valent. Au final, le choix ne peut qu’être subjectif. » En ce qui concerne l’enquête judiciaire en cours, la présidente est tout aussi sereine. « Le marché passé avec Gagneraud est parfaitement légal. Côte d’Azur Habitat n’est en rien impliqué dans cette affaire. »

Le développement de l’enquête judiciaire pourrait cependant lui causer du souci. Un témoignage, recueilli par Mediapart, semble indiquer, en effet, que des agents de l’office HLM pourraient s’être, eux aussi, laissés aller à des comportements délictueux. Selon les déclarations de cet entrepreneur en bâtiment, qui tient à rester anonyme, par peur de représailles, un agent de Côte d’Azur Habitat aurait fait pression sur lui afin d’obtenir des avantages personnels, puis, devant son refus, aurait fait en sorte de l’écarter des appels d’offres.

Cathy Herbert, la directrice général de l’office, nommée en 2008 par Dominique Estrosi-Sassone, semble tomber des nues. « Rien ne nous permet de soupçonner une quelconque malversation de la part d’un de nos 560 salariés. L’office n’a eu jusqu’à présent aucun contact avec la police. Nous avons seulement été contactés par la direction des finances publiques afin de vérifier qu’ETTS était bien déclaré comme sous-traitant », explique-t-elle.

À l’intérieur de l’office HLM, pourtant, les langues commencent à se délier. Pourquoi la direction a-t-elle tout à coup décidé, en 2012, de permuter sept de ses huit chefs d’agence ? Fallait-il mettre fin à des dérives, en éloignant certains responsables de chefs d’entreprise dont ils seraient devenus trop proches ? « Pas du tout, rétorque Cathy Herbert. Il n’y a eu aucune mutation disciplinaire. Juste le besoin d’avoir un œil neuf dans les agences des quartiers les plus difficiles, notamment aux Moulins et à l’Ariane. » À la caserne Auvare, siège de la PJ niçoise, l’enquête est loin d’être close.

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Comment une filiale de la SNCF a viré son lanceur d'alerte

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Jusqu’au bout, il a espéré que sa loyauté paierait. Ou qu’elle lui permettrait au moins de faire cesser les pratiques tolérées par ses supérieurs. Il n’en a rien été. Loïc R. (qui souhaite garder l’anonymat, voir notre boîte noire) a été licencié en décembre 2009, après avoir alerté sa direction sur plusieurs pratiques illicites au sein d’une agence alsacienne de Geodis BM, une filiale de la SNCF spécialisée dans le transport routier. Il y était cadre dirigeant depuis un an. Avant de le virer, ses supérieurs avaient admis connaître ces dérives, mais officiellement, ni Geodis, ni la SNCF ne reconnaissent que ce lanceur d’alerte avait raison, et qu’il a été écarté pour avoir dit la vérité.

Début 2010, Loïc R. avait pourtant alerté la direction de l’éthique de la SNCF. Sans résultat. En février 2013, il reprend espoir : le conseil des prud’hommes de Strasbourg condamne Geodis, jugeant que son licenciement « ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ». Pour les juges, « le lien de causalité » entre les alertes lancées par l’ancien cadre et le début de sa procédure de licenciement « est manifeste ». Fort de ce jugement, Loïc R. tente de renouer le contact avec la direction de la SNCF, par courrier et par téléphone, pour lui exposer une fois de plus les faits. La réponse arrive, en juin 2013, sous la forme d’une lettre menaçante du DRH de Geodis, qui se déclare « surpris par le ton employé dans [son] courrier et les graves accusations qu’il comporte ».

« Votre licenciement n’est aucunement en rapport avec vos insinuations sur les pratiques frauduleuses que vous dénoncez, assure le courrier. En effet, la décision que nous avons prise à votre endroit repose sur une insuffisance professionnelle caractérisée. » Une argumentation que les prud’hommes avaient justement balayée quatre mois plus tôt ! Depuis, rien ne bouge. La position de la SNCF et de sa filiale reste celle qui a été arrêtée dans ce courrier : les accusations de Loïc R. seraient « à la fois déplacées, iniques et mensongères ». C’est ce que des représentants de la SNCF et de Geodis ont confirmé à Mediapart, qui les a sollicités à plusieurs reprises.

Officieusement, on fait savoir que ce dossier est celui d’un ex-salarié pas à la hauteur, qui a tenté de masquer ses insuffisances en agitant des accusations. Officiellement, personne ne souhaite s’exprimer, car le cas va être examiné en appel aux prud’hommes. Et pourtant, ce n’est pas l’ex-employeur qui a fait appel, mais Loïc R. lui-même, estimant que son ancienneté à la SNCF, où il travaillait depuis 2001, n’a pas été prise en compte et que les quelque 32 000 euros qui lui ont été accordés ne sont pas à la hauteur de son préjudice.

Marc Vollet, directeur des opérationsMarc Vollet, directeur des opérations © L. Zylberman - Geodis BM

Mais devant l’insistance de Mediapart, un des dirigeants de Geodis BM a fini par concéder que les accusations de l’ancien cadre reposent bien sur des faits réels. Après plusieurs sollicitations, Marc Vollet, directeur des opérations de la société et membre de son comité exécutif, a en effet indiqué dans un e-mail : « Comme vous le savez, les "situations illicites" que vous citez étaient très localisées et ont été traitées comme il se doit. » Une victoire pour Loïc R., certainement. Mais pas une surprise, loin de là…

« Contrairement aux dénégations de Geodis lors du procès aux prud'hommes, Marc Vollet m’avait indiqué dès 2009 qu’il était au courant des situations illicites, voire frauduleuses, sur lesquelles je souhaitais l'alerter afin d'y mettre un terme, explique le cadre licencié. Il l’a reconnu, tout comme le DRH de l’époque David Chomel, lors de la réunion que nous avons tenue à trois le 29 octobre 2009, au siège de Geodis BM, en Savoie. »

Ce jour-là, Loïc R. a rendez-vous avec ses deux supérieurs pour évoquer la relation tendue qu’il entretient avec son responsable hiérarchique direct, Gérald Wissemberg, directeur régional Est de Geodis BM, qui a quitté l’entreprise depuis. Outre des comportements de son « N+1 » qu’il estime relever du harcèlement moral envers ses équipes, Loïc R. veut aussi pointer les pratiques mises en place sous la supervision du directeur régional, contraires à la législation et qu’il a découvertes au fur et à mesure pendant un an.

Le cadre licencié a gardé des traces précises de cette réunion, où il a notamment évoqué l’usage illicite d’un sous-traitant allemand pour transporter des marchandises en France. Autre point signalé : un système interne de création de fausses provisions, censées correspondre à des transports de marchandises effectués par des sous-traitants, mais qui n’ont en fait jamais existé. L’entourloupe, qui concerne au moins les régions Alsace et Lorraine, permettait de faire baisser fictivement les résultats, et de faire réapparaître des bénéfices quelques années plus tard, lorsque les résultats étaient moins bons.

« Marc Vollet et David Chomel ont reconnu que ce que je racontais était une réalité, mais ils m'ont fait comprendre que ça n'évoluerait pas, se remémore le cadre. Entre les lignes, ils m’ont proposé un départ négocié. Je ne m’y attendais pas du tout. » Le directeur des opérations lui explique en effet pendant la réunion que bien que l’entreprise « respecte très fortement la légalité », « effectivement il y a des choses où on dépasse, par moment, la ligne jaune ». Et pas seulement en Alsace, puisqu’il assure que dans « d'autres régions où il y a [un] sentiment de confiance », « ça arrive, ça se passe ». Jugeant toutefois que « globalement par rapport à ce que je connais sur le marché, on est bien plus rigoureux ». Après ces déclarations, il lui était logiquement difficile de rester silencieux face aux questions de Mediapart.

Le DRH de l’époque, lui, s’est plaint amèrement au téléphone qu’on le dérange pour évoquer cette vieille histoire, et n’a pas répondu à nos questions. Pourtant, lors de la réunion, il avait reconnu couvrir les actions illicites, et avait même adressé des reproches à Loïc R. : « C’est ton approche légaliste. Elle est peut être poussée à l’extrême, et dans ce cas, tu vas être déçu, dans le transport, tu vas être déçu ! Moi quand j'ai vu Olivier Mélot [directeur général de Geodis BM à l’époque, ndlr] pour le recrutement, pendant l’entretien il m'a dit : “Dans le transport, parfois on s'arrange, il y a des choses qui ne sont pas toujours forcément nickel, etc.” (…) Moi je l'ai accepté. »

© Geodis BM

Le premier « arrangement » évoqué lors de la réunion concerne le cabotage. Un terme technique qui désigne l’autorisation temporaire, pour un transporteur étranger, de faire rouler ses camions en France. Pour éviter tout dumping social, la loi veut que le cabotage soit autorisé seulement lorsque le camion arrive d’un pays étranger pour apporter une marchandise dans l'Hexagone. Or, chez Geodis BM, un sous-traitant allemand effectuait des transports exclusivement en France, depuis le siège alsacien d’un fabricant de cuisines jusqu’à Rennes, Marseille et Toulouse. Treize rotations hebdomadaires, au moins de novembre 2008 à juillet 2009.

À cette date, l’entreprise allemande se fend d’un courrier pour signaler qu’elle vient d’apprendre qu’elle était hors la loi, et qu’elle comptait arrêter la collaboration, car « les amendes ne seraient pas supportables » en cas de contrôle. Ce qui n’empêche pas la direction régionale de continuer à réfléchir à haute voix, notamment lors d’une réunion de septembre 2009, à remplacer des chauffeurs permanents par des Tchèques ou des Polonais, moins chers, même pour des transports franco-français.

« C’était une politique bien plus qu’une erreur », estime aujourd’hui Loïc R, qui affirme que les seules rotations du sous-traitant allemand « rapportaient environ 10 000 euros par mois de marge ». La pratique a été reconnue par Marc Vollet lors de la réunion d’octobre 2009 : « Le coup du cabotage… Oui, je vais pas cautionner, [mais] je dis oui, à certains endroits, à certains moments, on l'a fait. Maintenant il ne faut pas que ça dure dans le temps », déclarait alors le directeur des opérations.

L’autre point est tout aussi embarrassant, car il relève de la présentation de comptes annuels inexacts, infraction passible au maximum de cinq ans de prison et d'une amende de 375 000 euros. Le détail est expliqué par Loïc R., qui dispose de documents appuyant ses dires : « En 2007-2008, Geodis dépassait ses objectifs. Tous les mois, avant la clôture des comptes, si les résultats étaient trop bons, il était possible de créer dans les comptes une ligne simulant un transport qui n’avait jamais eu lieu, afin de créer une dette fictive de sous-traitance. Bien sûr, la facture du sous-traitant imaginaire ne venait jamais. Au bout de deux ans, des règles opportunément inscrites dans le fonctionnement du groupe rendaient possible la réintégration de ces “provisions” pour fausses dettes dans les comptes de l'entreprise, et de ressortir ainsi les bénéfices cachés. »

Ces faits ont aussi été reconnus par le directeur des opérations lors de la réunion fatidique : « À certains moments, et pour des raisons au niveau du groupe, (…) on est éventuellement amenés (…) à faire de-ci de-là... pas des fausses factures, mais un bout de provisions. À dire : “Tant que je gagne, on en met un petit peu de côté pour pouvoir à un moment où c'est plus compliqué le ressortir”. »

Les tripatouillages des comptes n’étaient pas réellement cachés, puisque les fausses provisions pour sous-traitance (signalées par le sigle « SST ») étaient mentionnées dans les tableaux de résultats de la direction générale, accessibles via l’intranet par tous les dirigeants de sites. « Mais le lendemain de la réunion, ces tableaux ont été retirés du site », assure Loïc R.

La liste des étranges pratiques de l'époque de Geodis BM dans l’Est ne s’arrête pas là. Mediapart a ainsi mis la main sur un courrier très sévère de la section transport de la direction départementale du travail de Moselle. Datée du 28 janvier 2009, la lettre fait suite à deux contrôles, des 21 et 26 janvier 2009. L’inspecteur du travail qui la signe s’étonne que les trois directeurs de Geodis BM Lorraine, à Metz, soient officiellement employés par une filiale luxembourgeoise de l’entreprise. Tout comme une vingtaine de conducteurs, officiellement luxembourgeois, mais opérant en fait dans l’Hexagone.

« Le coût des charges sociales et fiscales étant inférieur au Luxembourg, ce prêt de main-d’œuvre est donc effectué dans un but lucratif », indique le courrier, pour qui la société a « commis l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié pour non-déclaration de ces salariés aux organismes de sécurité sociale française ». Quant à la filiale luxembourgeoise, elle « effectue sur le territoire français une activité de transport intérieur de façon habituelle, continuelle et régulière sans être inscrite au registre des transporteurs, ce qui constitue un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Selon ses statuts, cette filiale luxembourgeoise, BM Lux SA, a été constituée le 23 décembre 2003, et comptait parmi ses premiers administrateurs Marc Vollet, mais aussi un autre cadre, Olivier Royer, qui est aujourd’hui le directeur général de Geodis BM. « En 2008-2009, c’était la ruée vers le Luxembourg dans la région, presque tous les transporteurs lorrains l’ont fait », relativise un inspecteur du travail très au fait de ces pratiques. À notre connaissance, ce courrier n’a eu aucune conséquence juridique, mais la fausse domiciliation des salariés a cessé. « Nous avons vite remis les choses d’aplomb, se rappelle un des cadres concernés. Le retour en France a été un peu douloureux au niveau des coûts. Pour nous, le Luxembourg permettait de maintenir la compétitivité de l’entreprise, puisque d’autres y étaient. Mais l’inspection du travail se doit de préserver les emplois français, c’est logique. »

© Geodis BM

Dans ce contexte, on imagine l’embarras de la direction lorsqu’un de ses cadres tente d’attirer son attention sur ces irrégularités. D’autant plus s'il les met par écrit… Après la réunion du 29 octobre, Loïc R. a en effet envoyé à plusieurs dirigeants de la société une lettre reprenant les anomalies qu’il avait constatées. « Ces lettres sont parvenues à destination le 2 novembre. Le 4, j’avais une réunion avec le DRH, détaille-t-il. Il était en rage, il m’a dit que mes écrits étaient une déclaration de guerre. Il m’a proposé une nouvelle fois de partir, contre paiement de six mois de salaire. J’ai refusé. » Moins de 24 heures après son refus, sa lettre de convocation pour entretien préalable à un licenciement était envoyée.

Manifestement, le cadre rétif gêne : sa lettre de convocation est assortie d’une mise à pied conservatoire lui interdisant l'accès aux locaux de l'entreprise. Et dans la foulée, on annonce son « indisponibilité » à ses équipes. Mais la mise à l’index n’est pas terminée. Lors de l’entretien préalable, « le délégué syndical CGC qui m’accompagnait est sorti avant que je détaille les anomalies que j'avais constatées, raconte Loïc R. Je n’avais jamais vu ça. Il m’a dit que s’il “savait” officiellement, il aurait des problèmes. D’autres syndicalistes, proches de la Direction, le lui avaient fait savoir quelques heures avant la tenue de l'entretien. »

Aux prud’hommes, l’ancien cadre viré a aussi produit une attestation étonnante. Abdelkader O., un ancien délégué syndical qu’il connaissait, y raconte qu’un autre syndicaliste lui a suggéré de se renseigner sur les informations exactes détenues par le lanceur d’alerte. « À la mi-novembre [2009], j’ai été contacté téléphoniquement par mon ex-délégué syndical central (…). Lors de cet entretien, il me demandait d’utiliser mes bonnes relations avec Monsieur Loïc R., afin de connaître quelles étaient les preuves que pouvait détenir celui-ci sur des affaires évoquées avec la Direction générale concernant BM Alsace, écrit l'ancien syndicaliste. L’existence de ces preuves pouvait embarrasser Monsieur Gérald Wissemberg (Direction générale) et donc par extension, Olivier Mélot. » Abdelkader O. n' pas donné suite à cette étrange demande.

Finalement, Loïc R. sera bien licencié, le 7 décembre 2009. L’entreprise lui fait grief de toute une série d’insuffisances professionnelles. « Avant ces accusations, je n’avais eu aucune remarque en ce sens, au contraire, constate-t-il. Jusqu’à l’été, j’avais récolté plusieurs félicitations officielles, et mon entretien annuel n’avait fait apparaître aucun souci. En mai, lors d’un CE, Gérald Wissemberg avait même fait mon éloge. » Les prud’hommes ont logiquement jugé cette version de l’incompétence professionnelle fort peu crédible, mais elle est encore aujourd’hui officiellement défendue par Geodis.

Loïc R. cherche toujours à faire reconnaître qu’il a agi de façon loyale, conformément au code de déontologie de la SNCF et de ses filiales, qui préconise d’informer sa hiérarchie de pratiques illégales. « Déjà entre décembre 2009 et janvier 2010, j’ai rencontré trois fois des représentants du contrôle interne de la SNCF, rebaptisée depuis direction de l’éthique. Lors d'une de ces réunions, j'étais accompagné d'un témoin confirmant les manipulations financières. Mais il n’y a eu aucune suite, rappelle-t-il. J’ai laissé toute latitude à l’entreprise de régler la situation. Je ne voulais pas qu’elle soit entachée à cause de dérives d’une de ses filiales si elle n’était pas au courant. Aujourd’hui, je ne peux que constater que je ne suis pas écouté. »

BOITE NOIRELoïc R. ne travaille plus dans le secteur du transport. Il a accepté de témoigner pour mettre la SNCF devant ses responsabilités, mais a requis l'anonymat, pour protéger sa famille et ses nouvelles fonctions professionnelles.

J'ai interrogé le service communication de la SNCF, qui m'a renvoyé vers celui de Geodis. L'entreprise n'a souhaité faire aucun commentaire officiel. Gérald Wissemberg et David Chomel n'ont pas plus voulu répondre à mes questions. Marc Vollet avait lui aussi décliné, puis a finalement fait une courte déclaration après un bref échange d'e-mails.

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Le maire UMP du VIe à Paris obtient le report de son audition

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Il ne fait pas bon avoir des ennuis avec la justice en période électorale. Le maire (UMP) du VIe arrondissement de Paris, Jean-Pierre Lecoq, de nouveau candidat en mars, a donc demandé et obtenu le report d’une audition par le juge d’instruction Alain Cadet, qui pourrait conduire à sa mise en examen. L'audition, qui devait avoir lieu en septembre dernier, a été reportée... après le scrutin municipal.

Les mauvaises langues diront que l’affaire peut bien attendre quelques mois de plus : les faits remontent à 2007. Des faits que Jean-Pierre Lecoq, interrogé par Mediapart, ne conteste pas. Il est en conflit depuis plusieurs années avec l’association Foire Saint Germain, qui a organisé à de nombreuses reprises un festival culturel sur la place Saint-Sulpice. Le maire a même déjà été condamné pour diffamation en 2011 par le tribunal correctionnel de Paris (voir ici le jugement).

Dès 2007 en effet, il cherche à ce que la présidente, Jacqueline Ouy, quitte son poste. Elle refuse. Le ton monte. Jean-Pierre Lecoq devient menaçant. Lors de réunions publiques, il annonce qu’il va aller « à la bagarre », « à la guerre ». Il dit aussi : « On a triomphé de beaucoup de combats et on est plutôt du genre, quand on vient nous enquiquiner, à charger nos fusils et on tire dans le tas. » Le 21 juin 2007, il laisse un message téléphonique au fils de la présidente de l'association pour le prévenir qu’en cas de dépôt de plainte de sa mère, il « prendra une balle dans la tête par ricochet ».

Jean-Pierre Lecoq explique aujourd'hui que ses propos étaient « allusifs. C’était une image ». Après un dépôt de plainte initial pour atteinte à la liberté individuelle classé sans suite, la Cour de cassation a estimé le 22 novembre 2011, après avoir confirmé la véracité des faits, que l’affaire devait être instruite. « On fait face à une tentative d’extorsion, plaide Antoine Gitton, l’avocat de Jacqueline Ouy. Ils ont cherché à obtenir les clefs de l’association par des violences ou des menaces de violence. Mais nous faisons face à une extrême lenteur de la justice. »

L’enquête aurait dû s'accélérer cet automne, Jean-Pierre Lecoq étant convoqué par le juge le 3 septembre 2013 pour une possible mise en examen. Mais le maire a obtenu un report. Pour quelle raison ? « Mon avocate a trouvé que c’était logique », explique Jean-Pierre Lecoq, qui dit lui aussi regretter que « la justice soit trop lente ». Mais pourquoi vouloir alors encore la retarder ? « La justice ne doit pas être instrumentalisée », se justifie le maire, ajoutant que « l’usage prévoit qu’on n’entend pas les gens dans les six mois qui précèdent l’élection pour ce type d’affaire ». En l’occurrence, cela fait plus de six mois, Jean-Pierre Lecoq en convient mais se défend : « Ce n’est quand même pas moi qui ai accordé le report ! » Sollicité, le juge Alain Cadet n’a pas répondu à nos questions.

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Soupçons de détournement: Brigitte Barèges entendue par la police judiciaire

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La maire UMP de Montauban, Brigitte Barèges, candidate aux municipales, a été entendue mercredi matin par la police judiciaire, à Toulouse, dans le cadre d'une enquête portant sur un éventuel détournement de fonds publics.

La police judiciaire de Toulouse, chargée de cette enquête préliminaire ouverte en février par le parquet de Montauban, comme l'avait révélé Mediapart le 17 février, tente de savoir si un employé du service de communication de la mairie a été payé par la collectivité pour écrire dans deux journaux locaux des articles favorables à la maire Brigitte Barèges et défavorables à l'opposition (lire notre enquête).

Mme Barèges, qui récuse toute malversation dans ce dossier, a répondu à une convocation de la police judiciaire et était entendue depuis le début de la matinée, sans aucune mesure coercitive, rapporte l'AFP. Son audition fait suite à celle, vendredi, de Jean-Paul Fourment, l'employé du service communication.

M. Fourment, embauché en septembre 2012, avait expliqué à Mediapart avoir eu pour tâche pendant des mois de rédiger des articles en faveur de Mme Barèges, dans deux journaux locaux, Le Petit journal et L'Insolent, sous pseudonymes.

D’après les contrats de travail que Mediapart s’est procurés, Jean-Paul Fourment est, depuis le 3 septembre 2012, « chargé de communication au service communication »« à temps complet » à la mairie de Montauban. Un travail que la ville rémunérait à hauteur de 3070,30 euros brut, d’après son bulletin de paie. Mais le collaborateur de Brigitte Barèges avait affirmé à Mediapart que « (son) poste à la mairie ne correspond(ait) pas au travail que la Maire (lui) a confié »« Je n'avais pas de bureau en mairie, ni de matériel, je travaillais avec mon ordinateur et téléphone personnel, à mon domicile. Depuis septembre 2012, je fais quasi uniquement des articles politiques nationaux et locaux qui passent dans le journal local : le Petit Journal du Tarn-et-Garonne », nous avait-il affirmé.

« Lorsqu’elle m’a embauché, elle m’a dit: "Ce que je veux de toi, c’est que tu puisses réagir à tout ce que va dire La Dépêche du Midi, et mettre en place un vrai système de communication. Donc officiellement, tu seras à la com, mais officieusement tu écriras dans Le Petit Journal et tu feras les articles que je veux que tu fasses." Et là, on part dans un délire complet, et j’y ai participé, sans en voir les conséquences. Elle a monté un système de communication pro-Barèges », avec « une stratégie organisée et structurée », avait-il relaté.

« Madame Barèges me téléphonait et m'envoyait des mails jour et nuit, tous les jours pour me demander des articles à sa convenance et validés par elle. Ces articles paraissaient le lundi et le samedi dans le Petit Journal, signés par un pseudo – Sébastien Duhem – pour ne pas être reconnu par l'opposition. » Pour appuyer ses affirmations, Jean-Paul Fourment a fourni ses articles politiques et les nombreux emails dans lesquels Brigitte Barèges lui adresse ses « demandes », « précisions » et « validations ». Ces échanges par mail entre Mme Barèges et M. Fourment, que Mediapart a consultés, sont explicites.

Sollicitée par Mediapart le 17 février, Brigitte Barèges avait organisé dans l'après-midi une conférence de presse spéciale, en présence d'une partie de ses élus et colistiers pour « devancer une éventuelle affaire concernant une plainte qui aurait été déposée contre elle pour détournement de fonds public (source Mediapart) ». Aucune plainte n'avait pourtant été déposée. La maire avait aussi posté cette vidéo sur son site :

Son attaché de presse de campagne, Thierry Deville, avait invoqué auprès de Mediapart le « double statut » de Jean-Paul Fourment, « un statut de salarié à la mairie » pour ses tâches de « communication institutionnelle » et celui « de pigiste au Petit Journal » pour ses « articles politiques ». Questionné sur l'influence de Brigitte Barèges sur le contenu, il avait expliqué : « Si le journaliste accepte d'être amendé, c'est son problème. »

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Bidonvilles: Romeurope dénonce un «climat nauséabond»

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L’arrivée de la gauche au pouvoir n’y a rien changé. Les conditions de vie dans les bidonvilles n’ont cessé de se dégrader au cours des deux dernières années. Et les élections municipales ne font qu'empirer la situation. Tel est le bilan dramatique que dresse le réseau associatif Romeurope dans un rapport rendu public mercredi 5 mars réalisé à partir des observations des ONG et des collectifs de riverains qui le composent.

Après une expulsion, à Nice, dans le Var, le 2 décembre 2013. ©ReutersAprès une expulsion, à Nice, dans le Var, le 2 décembre 2013. ©Reuters

Lors de la conférence de presse organisée à Paris, Claire Sabah du Secours catholique a fustigé un « climat nauséabond » alimenté, à moins de trois semaines des échéances électorales, par la « construction d'une identité rom constituée en bouc émissaire ». Les déclarations de Paul-Marie Coûteaux, tête de liste du FN-Rassemblement Bleu marine dans le VIe arrondissement de Paris, témoignent d'une atmosphère délétère. Qualifiant la présence des Roms d’« invasion » portant atteinte à l’« ordre esthétique » de son quartier, ce dernier a suggéré ni plus ni moins de les « concentrer dans des camps ».

L'absence notable de réactions, notamment de la part de la candidate du PS Anne Hidalgo, a fait l'objet de critiques. Nicolas Sarkozy, avec le discours de Grenoble en 2010, a donné le la. Depuis lors, la parole des responsables politiques reste débridée (une énumération non exhaustive de citations stigmatisantes est à consulter sous l’onglet Prolonger). « Alors que nous serions en droit d’attendre, de la part des plus hautes autorités de l’État, une condamnation ferme de toute discrimination, indique Romeurope, ces prises de position publiques et répétées alimentent un climat de montée permanente de la xénophobie et du racisme, particulièrement dangereux en ces périodes pré-électorales municipale et européenne où se crispent les antagonismes, où la parole se libère, où les extrêmes prospèrent. »

La circulaire interministérielle du 26 août 2012, visant à prévenir autant que possible les démantèlements de campements illicites, « a pu donner quelques espoirs ». Las. Les efforts déployés par le préfet Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), n’ont pas suffi à contrecarrer la forte augmentation du nombre de personnes chassées d’un terrain à l’autre. Selon la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Centre européen pour les droits des Roms (ERRC), environ 20 000 Roms ont été victimes d’un démantèlement en 2013, alors que, selon les services de l'État, cette population est estimée à 17 000, dont 30 à 40 % d'enfants. Depuis janvier 2014, une vingtaine d'expulsions ont été recensées. D'une majorité à l'autre, le mécanisme reste inchangé : en raison du manque de solutions de relogement, les évacuations forcées produisent de l'errance et contraignent les habitants déplacés à trouver de nouveaux points de chute. Les efforts d'insertion (santé, école, travail) sont alors à reprendre de zéro.

Dix-huit mois après la promulgation de la circulaire, la situation est « pire », selon Romeurope, qui avait, lors des premiers mois du quinquennat, retenu ses critiques à l’égard de l’action de l’exécutif. « Le gouvernement et les autorités locales, affirme le collectif, s’enferment dans une politique d’apparente fermeté mais dont l’inefficacité est flagrante, le coût considérable (quoique gardé secret) et l’inhumanité reconnue par tous. Plus grave encore, lorsque existe une volonté locale d’essayer une autre solution, plus respectueuse de la dignité des personnes, plus solidaire et plus durable, bien souvent elle est réduite à néant par les évacuations répétées exigées par le ministère de l’intérieur et qui recueillent l’assentiment du président de la République. »

Romeurope réfute l’approche ethnicisée qui désigne les « Roms » comme un tout unifié regroupant en réalité des personnes, y compris non-Roms, venues de Roumanie, de Bulgarie ou d’ex-Yougoslavie, façonnée dans l’espace public par les responsables politiques et les médias, et qui aboutit fréquemment à des pratiques, y compris de la part de l’administration, discriminatoires, voire racistes. Et préfère envisager la question sous l’angle de l’habitat indigne. À ce titre, le réseau militant rappelle que l’État et les collectivités locales ont des obligations envers ces personnes, y compris si elles vivent dans des campements occupés sans autorisation. Parmi les droits fondamentaux dont elles disposent théoriquement : la mise en place de bennes à ordures, la domiciliation administrative auprès d’un centre communal d’action sociale qui permet aux personnes sans domicile fixe d’avoir une adresse à laquelle recevoir les courriers nécessaires à toute démarche administrative et à la scolarisation des enfants.

Membre du collectif de soutien aux Roms du Val Maubuée, François Loret a ainsi souligné le refus de collectivités locales de Seine-et-Marne de ramasser les ordures et de mettre à disposition un point d'eau, malgré les obligations que sont les leurs. Il a également souligné les tarifs exorbitants que doivent payer ces enfants pour accéder à la cantine (« 14 euros par repas et par jour, contre 99 centimes d'euros pour la plupart des autres élèves ») et l'interdiction souvent faite aux habitants des campements, pourtant munis de titres de transport, de prendre des bus.

De crainte de voir ces populations européennes précarisées s’installer durablement, les élus cherchent le plus souvent à s'en débarrasser, quitte à faire enrager les maires des villes avoisinantes. Le rapport, coordonné par Marilisa Fantacci et Lola Schulmann, rappelle que cette errance sert des intérêts politiques. « À l’approche des élections municipales, de nombreux maires souhaitent plus que jamais évacuer les bidonvilles présents sur leur commune et ceci dans une logique électoraliste ; en ciblant ceux qu’ils désignent comme "roms", ils entendent gagner la confiance des électeurs. Ils peuvent même parfois s’en réjouir », comme le montrent de nombreux courriers pré-électoraux envoyés par des maires à leurs administrés.

« Nous demandons l’arrêt de toute évacuation sans proposition d’hébergement ou de logement pérenne adaptée à chaque situation individuelle », répète inlassablement Romeurope, qui salue toutefois la prise en compte des campements par le projet de loi sur l’accès au logement et pour un urbanisme rénové, ainsi que le plan national de résorption des bidonvilles annoncé récemment par la ministre de l’égalité des territoires et du logement Cécile Duflot. Tout en promettant d'être « vigilant » quant à la mise en œuvre de ces initiatives.

 

 

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Des écoutes téléphoniques inquiètent l’avocat de Nicolas Sarkozy

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Une nouvelle bombe judiciaire menace le clan Sarkozy. Comme l’a révélé L’Express ce mercredi matin, la juge d’instruction parisienne Patricia Simon est chargée depuis quelques jours d’une affaire très sensible où apparaît le nom de l’ancien président de la République. Chargée d’une information judiciaire contre X, ouverte le 26 février pour des faits de « trafic d’influence », la juge a, dès mardi 4 mars, fait perquisitionner les domiciles et bureaux respectifs de Thierry Herzog, avocat et ami de Nicolas Sarkozy, et Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation, l’un des magistrats les plus capés.

Selon des informations obtenues par Mediapart, ce sont des retranscriptions d’écoutes téléphoniques versées à l’un des dossiers en cours d'instruction au pôle financier du tribunal de Paris qui ont provoqué le déclenchement en urgence de cette nouvelle procédure. L’information judiciaire pour « trafic d’influence » a été ouverte par le procureur financier Éliane Houlette qui, à peine installée à ce nouveau poste, lance donc sans trembler des investigations en direction de Nicolas Sarkozy et ses proches. L'affaire est suivie de près en haut lieu.

Me Thierry HerzogMe Thierry Herzog © Reuters

On ignore pour l'instant qui était écouté, dans quel dossier, et quelle est la teneur exacte des conversations retranscrites. Mais selon des sources concordantes, et si l’information judiciaire est ouverte contre X, ce sont bien l’ex-chef de l’État et son avocat qui sont aujourd'hui soupçonnés d’avoir voulu exercer une influence sur Gilbert Azibert, au sujet d'un volet de l’affaire Bettencourt qui est pendant devant la Cour de cassation.

Il s’agit de la demande de restitution des agendas de Nicolas Sarkozy, qui avaient été saisis et placés sous scellés par le juge Gentil dans le cadre de l’affaire Bettencourt, après le non-lieu doux-amer obtenu par celui-ci.

L’ex-président réclame ses agendas au nom de l’immunité présidentielle. Il craindrait, dit-on, que leur contenu puisse être exploité dans d'autres procédures en cours. L’affaire a été examinée le 11 février par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui doit rendre sa décision le 11 mars.

Affecté à la 2e chambre civile de la Cour de cassation, Gilbert Azibert ne traite pas lui-même ce dossier d'agendas présidentiels. « Les poursuites pour trafic d’influence supposent qu’on attendait de lui qu’il intervienne auprès de certains de ses collègues en poste à la chambre criminelle, où il connaît à peu près tout le monde », décrypte un magistrat. Selon plusieurs spécialistes consultés par Mediapart, on n’ouvre pas une information judiciaire de cette nature sans disposer d’indices probants. La contre-attaque du clan Sarkozy risquant, en outre, d’être violente.

Thierry Herzog n’est pas n’importe qui dans la galaxie Sarkozy. C’est un ami de trente ans de l’ex-président. Tous deux se sont connus comme jeunes avocats au début des années 1980 et sont restés très proches. Thierry Herzog est devenu le défenseur de l'homme politique Sarkozy, et il l'est resté quand celui-ci est entré à l'Élysée. Le cabinet Herzog a été associé de très près aux différentes plaintes déposées par Nicolas Sarkozy comme ministre de l'intérieur puis comme président de la République, que ce soit dans l'affaire Clearstream, ou encore l'épisode de la poupée vaudou ou celui du compte bancaire piraté.

Pénaliste chevronné, combatif, Thierry Herzog surveille aussi les différentes affaires menaçant son ami, et n’hésite pas à livrer bataille, notamment dans les dossiers Takieddine et Bettencourt. Adhérent revendiqué du RPR puis de l'UMP, l'avocat a été décoré de la Légion d'honneur par le président Sarkozy en 2009.

Au cours de sa longue carrière, Thierry Herzog a eu l’occasion de croiser la route de Gilbert Azibert en plus d’une occasion. Il a notamment, en juin 2001, obtenu de sa part l’annulation d’une partie du volet concernant Xavière Tiberi dans l’affaire des faux électeurs du Ve arrondissement, quand le magistrat présidait la chambre de l'instruction. Quelques mois plus tôt, l’avocat avait déjà joué la procédure avec succès pour obtenir de la cour d'appel l’annulation des poursuites visant l’épouse de Jean Tiberi dans une autre affaire retentissante, celle des salaires de complaisance du conseil général de l’Essonne (avec le fameux « rapport sur la francophonie »).

À l’époque, Gilbert Azibert était le redoutable président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris (poste qu’il a occupé de 1999 à 2002). Adulé par les avocats pénalistes, autant qu’il était honni par les juges d’instruction, le président Azibert avait annulé plusieurs dossiers d’instruction avec des attendus sévères, en invoquant des erreurs de procédures et des vices de forme, et avait gagné pour cela le surnom d’Annulator.

Gilbert AzibertGilbert Azibert

Étiqueté clairement à droite, Gilbert Azibert a occupé de hautes fonctions sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il a notamment dirigé l’Administration pénitentiaire (de 1996 à 1999), l’École nationale de la magistrature (ENM, de 2002 à 2005), le parquet général de la cour d’appel de Bordeaux (de 2005 à 2008), avant d’être bombardé secrétaire général du ministère de la justice de 2008 à 2010. Homme de réseaux, en lice pour succéder à Jean-Louis Nadal à la tête du parquet général de la Cour de cassation en 2011, il a finalement été supplanté par son grand rival, Jean-Claude Marin.

Dans un passé récent, le Syndicat de la magistrature a dénoncé à plusieurs reprises la gestion autoritaire de Gilbert Azibert à la tête de l’ENM, et certaines de ses décisions controversées comme procureur général de Bordeaux.

Aucune mise en examen n'a été prononcée à ce jour, mais cette nouvelle affaire qui éclate peut potentiellement ébranler la magistrature et le barreau de Paris. Selon le Code pénal, le trafic d’influence est « le fait, par quiconque, de solliciter ou d'agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ». C’est un délit passible d’une peine de 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende.

Curieusement, cette affaire éclate le jour même où Le Canard enchaîné et Atlantico révèlent des extraits des « enregistrements Buisson », qui attestent des pressions exercées sur la justice par Nicolas Sarkozy et ses hommes. Chose que l'on avait déjà découverte à l'occasion de la gestion du dossier Bettencourt par le procureur Courroye, grâce aux enregistrements effectués par un certain majordome.

BOITE NOIRESollicité par Mediapart ce mercredi matin, Thierry Herzog n'a pas donné suite. Quant à Gilbert Azibert, il a fait savoir (par le biais du parquet général de la Cour de cassation) qu'il ne souhaitait pas s'exprimer.

Si l'un ou l'autre changeait d'avis, leurs points de vue respectifs seraient bien sûr exposés ici.

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Les affaires plongent l'UMP dans le chaos

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Jean-François Copé accusé de favoritisme envers ses proches, Nicolas Sarkozy enregistré à son insu par son ancien conseiller Patrick Buisson, l’avocat de l’ancien président perquisitionné dans le cadre d’une information judiciaire ouverte contre X pour « trafic d’influence », Serge Dassault entendu par la justice dans l’affaire des achats de vote de Corbeil-Essonnes… À trois semaines des municipales, l’UMP fait face à une succession d’affaires retentissantes. Plus d'un an après le psychodrame de son élection interne, le parti continue à se déchirer sur fond de règlements de comptes et d’ambitions présidentielles.

Ça ne s’arrête plus. Moins d’une semaine après les révélations du Point sur l’affaire Copé et Bygmalion, Le Canard enchaîné et Atlantico publient ce mercredi des extraits d’enregistrements, réalisés au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, par son conseiller de l'époque, Patrick Buisson. On y entend notamment les conseillers de l’ex-président de la République s’inquiéter du remplacement de Claude Guéant au secrétariat général de l’Élysée. « L’avantage de Guéant, là depuis 3 mois, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet. Il se mouillait un petit peu. Il va falloir expliquer tout ça à (Xavier) Musca », expose Buisson.

Mercredi toujours, L’Express révèle qu’une enquête « contre X » pour « trafic d'influence » est actuellement en cours à Paris. Elle vise à établir si M. Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, ont tenté de s'attirer les faveurs d’un haut magistrat – Gilbert Azibert, avocat général près la Cour de cassation –, alors que la Cour de cassation doit se prononcer le 11 mars sur la validité de l'enquête menée par le juge Gentil dans l'affaire Bettencourt (lire l'article de Michel Deléan).

Mi-février, c’est l’affaire Dassault qui occupait la scène judiciaire. Au total, cinq personnes sont désormais mises en examen dans ce dossier, dont l'actuel maire de Corbeil-Essonnes et bras droit de Serge Dassault, Jean-Pierre Bechter. Les policiers ont trouvé chez le sénateur UMP des listings détaillant les faveurs dont ont profité certains habitants de la ville. Le 12 février, son immunité parlementaire a été levée par le Sénat.

Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy le 8 juillet au siège de l'UMP.Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy le 8 juillet au siège de l'UMP. © Reuters

À l’UMP, un climat de méfiance règne depuis la crise de 2012 et l’apparition de plusieurs « écuries » en vue des primaires de 2016. « On se demande “qui a intérêt à balancer” », rapporte un candidat UMP aux municipales. Pendant sa « déclaration solennelle » de lundi, Jean-François Copé a déploré le fait de porter « seul » le chapeau des dépenses de campagne de la présidentielle 2012. « On me demande, à moi, et à moi seul, de me justifier sur tout et sur rien », a-t-il déclaré, avant de préciser qu’il mettrait sous scellés non seulement les archives de 2012, mais également celles de 2007. « C'était la petite carte postale de Jean-François à Nicolas Sarkozy », a commenté pour Atlantico un cadre de l'UMP qui a participé à la réflexion préparatoire de la contre-offensive.

Le député UMP Gérald Darmanin, proche de Xavier Bertrand et candidat aux municipales à Tourcoing, regrette que Jean-François Copé ait décidé seul de son allocution : « Cette déclaration engageant l’ensemble de l’UMP, un minimum de collégialité aurait été préférable. Organiser un bureau politique exceptionnel aurait été le minimum. Or, ça n’a pas été le cas. » De fait, dimanche soir, après le communiqué de l’UMP annonçant l’intervention de Copé, aucune des figures du parti contactées par Mediapart n’était en mesure de dire ce que leur patron allait déclarer.

Autre point d’accroche soulevé dans la défense de Copé : ses propos virulents contre les médias. « Je pense qu’on n’a jamais à gagner à attaquer la presse », regrette Gérald Darmanin. Un avis partagé par l’entourage d’Alain Juppé qui juge cette stratégie « maladroite ». Également proche du maire de Bordeaux, le député Benoist Apparu reconnaît aussi ne pas être « un grand fana de ce type d’interventions, du verbatim utilisé, de la charge anti-presse ».

Selon Le Canard enchaîné, François Fillon s'est adressé à ses proches en ces termes : « Copé a donné une image tragique. S'il avait cherché à couler l'UMP, il ne s'y serait pas pris autrement. » L'hebdomadaire satirique rapporte également une conversation téléphonique entre le bras droit de Copé, Jérôme Lavrilleux, et l'un des lieutenants de Fillon, Éric Chomaudon. « Attention si vous nous attaquez, ce sera la guerre totale ! » a prévenu Lavrilleux.

De Brice Hortefeux à Jean-Pierre Raffarin, aucun responsable de l’UMP n’entend défendre Patrick Buisson. « Un viol » (Henri Guaino dans une comparaison déplacée), des « pratiques détestables » (Nathalie Kosciusko-Morizet), un « procédé incompréhensible et inacceptable » (Claude Guéant)... Aucune formule n’est trop forte pour condamner les enregistrements effectués par l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, à l’insu de ce dernier. En revanche, les défenses sont plus discrètes dès lors qu’il s’agit de parler de l’affaire Copé.

« À ce jour, il n’y a pas d’affaire Buisson », tranche Benoist Apparu, qui estime que « l’affaire Copé, elle existe, oui ». Du côté des sarkozystes, on prétend en revanche qu'« il n'y a pas d'affaire Copé ». « Certains au parti pensent que le papier du Point est le résultat d'une guerre Copé/Sarkozy, mais ils pensent ce qu'ils veulent. Moi, je ne fais pas de politique fiction », jure ce responsable de l'UMP. Seuls les très proches de Jean-François Copé montent au créneau pour le défendre et faire monter la sauce sur l’affaire Buisson : « Oui, cette affaire peut nuire au retour de Nicolas Sarkozy », a ainsi déclaré son ami Charles Beigbeder, exclu de l’UMP en janvier après être parti en dissidence à Paris face à Nathalie Kosciusko-Morizet.

À trois semaines des municipales, la succession des affaires tombe mal. Et les candidats le savent bien. « Au lieu de nous faire gagner trois points, l’étiquette UMP va nous les faire perdre, se plaint Gérald Darmanin, qui brigue la mairie de Tourcoing. Les représentants nationaux n’aident pas les candidats. Il est temps qu’il y ait une régénérescence politique et de nouvelles méthodes. » Depuis les premières révélations du Point la semaine dernière, le jeune député est en contact régulier avec Xavier Bertrand. « On parle des élections municipales et on se dit que ça tombe très mal tout ça… Ça ne sert par notre famille politique. Merci à l’UMP pour l’ensemble de son œuvre ! »

« Je ne suis pas copéiste, mais tout ce qui affaiblit Copé nous affaiblit collectivement à l’UMP ! On doit faire bloc », rappelle la sarkozyste Aurore Bergé, tête de liste à Magny-Les-Hameaux (Yvelines). La conseillère politique de l’UMP « (s’) étonne » au passage que « certains qui se revendiquent très copéistes ne montent pas au créneau pour défendre Copé ».

« Le sujet, c’est les municipales. Si on veut gagner 2017, cela passe d’abord par 2014, estime Aurore Bergé. Le PS a gagné la présidentielle par la reconquête des collectivités. Aujourd’hui, la marque UMP reste forte malgré tout. Mais est-ce que certains à l’UMP ont intérêt à ce qu’on ne gagne pas les municipales ? »

D’autres ont opté pour la stratégie du « dos rond ». C’est le cas du député Thierry Solère qui fait campagne à Boulogne pour un dissident UMP soutenu par Juppé, Le Maire et Bertrand (lire notre article)« À dix-huit jours du premier tour, l’urgence c’est de se consacrer aux municipales, explique ce proche de Bruno Le Maire, qui s’est entretenu par téléphone le matin même avec lui à ce sujet. Nous avons choisi de ne pas commenter les petites polémiques parisiennes, pour rester très concentrés sur le scrutin local. »

Contrairement à Gérald Darmanin, Thierry Solère ne « pense pas que ces affaires auront un impact sur les municipales ». S’il trouve « pénible » de voir émerger « ce type de polémiques à la veille d’élections », il estime que les responsables de l’UMP ne devraient pas les alimenter en commentant à tout-va. « On parlera de tout ça, mais après les municipales. » « Cela donne un climat malsain qui alimente le tous pourris et favorise le Front national », ajoute un sarkozyste.

« Ni Fillon, ni Baroin, ni Sarkozy n’ont intérêt à ce qu’on gagne les municipales, glisse un candidat UMP, lui aussi sous couvert de "off". Pour les anti-copéistes, ce serait reconnaître que Copé a réussi à remettre le parti en ordre de marche. Les sarkozystes ont intérêt à un FN fort pour montrer que Sarko est le seul rempart contre le FN. »

Jean-François Copé et François Fillon au dernier conseil national de l'UMP, le 25 janvier 2014.Jean-François Copé et François Fillon au dernier conseil national de l'UMP, le 25 janvier 2014. © Reuters

Alors que le PS redoute une débâcle aux municipales, et que le gouvernement a reculé devant les mouvements réactionnaires contre le projet de loi famille, l’UMP manque une occasion de reprendre l’avantage après cinq années de défaites électorales. 

Ce n’est pas la première fois que la droite loupe le coche. À l’automne 2012, le parti ne parvient pas à exploiter les nombreuses fenêtres de tirs : mariage pour tous, Mittal, budget 2013, plan de financement de la sécurité sociale. L’élection du président de l’UMP, qui devait être un grand « moment démocratique », donne un spectacle désastreux. Des semaines de crise, quatre proclamations de victoire, et deux camps qui s’insultent et se menacent de poursuites judiciaires dans les médias.

« On n’avait pas besoin d’être bons, il fallait juste ne pas être mauvais ! » ; « On avait des fenêtres de tir sur tous les sujets ! » ; « On n’est pas en capacité de le faire. Chaque jour qui passe est un jour gagné par la gauche et par le FN », déploraient alors plusieurs responsables locaux du parti, interrogés par Mediapart.

Au printemps 2013, même scénario. Entre l’affaire Cahuzac, les renoncements de l'exécutif, la descente de la droite réactionnaire dans la rue contre le mariage pour tous, l’UMP a un boulevard devant elle. Mais divisée, elle s’avère incapable de constituer une véritable opposition. Le mouvement anti-mariage pour tous lui échappe. Sa primaire à Paris pour désigner son candidat aux municipales, qui devait être une formalité, est un nouveau raté (lire notre article).

Ce n’est pourtant pas la première fois que la droite connaît des luttes fratricides. Giscard-Chirac en 1981. Balladur-Chirac en 1995. Villepin-Sarkozy en 2004. Mais jamais le niveau actuel d’affrontement n’a été atteint, à écouter plusieurs ténors.

Le problème est d’abord celui du leadership. Sans chef naturel depuis la défaite de Sarkozy, l’UMP est déchirée par les batailles d’écuries dans la perspective de la présidentielle de 2017. Mais la crise est bien plus profonde. Le parti n’a pas réalisé son inventaire après cinq ans de défaites électorales. « On refuse de remettre en question la présidentielle et le quinquennat, car Sarkozy c’est sacré, et car tous ont participé à la mise en œuvre de sa politique », déplore ce candidat UMP qui refuse de voir son parti « dans la situation du PS post-Jospin ».

« Les européennes ont lieu le 25 mai et on ne sait pas quelle ligne on va défendre ! » explique Benoist Apparu. « Si on veut permettre le retour de Nicolas Sarkozy, il faut faire un inventaire du quinquennat et de la présidentielle. Sur quelle base idéologique s’appuiera-t-il sinon ? » renchérit la sarkozyste Aurore Bergé.

La crise de l’UMP est bien programmatique et idéologique. D’un côté, l’UMP se trouve dans une impasse politique face au Front national, de l'autre elle s'avère incapable de proposer un projet de société et une réponse au chômage massif. Et, fait nouveau, les libéraux, famille pilier de l'UMP, sont eux aussi en crise profonde, comme l’a expliqué à Mediapart l’historien Gilles Richard, pour qui cette « crise s’aggrave » depuis un an. En témoignent la reconstruction d’une sorte d’UDF et la consolidation du Front national à l’extrême droite.

Depuis sa victoire en 2007, la machine à idées de l’UMP est en panne. Une situation créée par Nicolas Sarkozy lui-même. Le patron de l’UMP avait verrouillé le parti en supprimant le poste de président pour le contrôler depuis l’Élysée et éviter qu’un autre leader n’émerge. Résultat : des fédérations endormies, un parti sclérosé et un travail programmatique inexistant.

Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé.Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé. © Reuters

Dans cet affrontement entre sarkozystes, fillonistes et copéistes, Alain Juppé tente de tirer son épingle du jeu. L’ancien premier ministre, qui n’a de cesse de se poser en recours, a été accueilli à Boulogne aux cris de « Juppé président ! ». « Pour l’instant, je les laisse s’écharper entre eux, mais je vais me lancer. Je suis le plus capé. Il n’y a pas photo », aurait déclaré Alain Juppé en mai 2012, selon Paris-Match (des propos démentis par l'intéressé).

Mais la stratégie du maire de Bordeaux et ses proches fait elle aussi des vagues. « Les écuries présidentielles commencent à se phagocyter les unes les autres, estime dans Le Monde le sarkozyste Pierre-Christophe Baguet, candidat UMP face au dissident Pierre-Mathieu Duhamel, ex-directeur de cabinet de Juppé. Aujourd'hui, la stratégie des Juppé, Le Maire, Bertrand consiste à faire exploser le syndic de copropriété de l'UMP que codirigent Fillon et Copé, tout en empêchant le retour de Nicolas Sarkozy. »

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Comment Jean-Claude Gaudin a vendu Marseille aux promoteurs

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Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)

« Je n’ai jamais été inquiété par la justice », se vante régulièrement Jean-Claude Gaudin, notamment en période électorale. Une rengaine écornée par l'ouverture début 2014 par le parquet de Marseille d'une enquête préliminaire pour des soupçons de favoritisme visant un des satellites de la ville suite à un signalement de la chambre régionale des comptes. Comme l'a révélé La Provence, les magistrats financiers se sont étonnés de la générosité de la société d’économie mixte Marseille Aménagement, bras armé immobilier de la ville, envers une famille d’entrepreneurs marseillais. Les faits se déroulent à la Capelette, un ancien quartier ouvrier de l’est de Marseille où le départ des industries a laissé des friches béantes. En 2003, Marseille Aménagement rachète sur cette zone d’aménagement concerté (ZAC) un terrain pour y construire un palais de la glisse. Le terrain est squatté par Laser Propreté, une société de nettoyage industriel appartenant à la famille Lasery, dont la convention d’occupation est pourtant résiliée depuis 1998. Jackpot : fin 2004, Marseille Aménagement indemnise Laser Propreté à hauteur de 2 millions d’euros, alors que le bail prévoyait une indemnité maximale de 193 000 euros (et même seulement 153 000 euros selon l’évaluation du service des domaines) !

Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille depuis 1995Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille depuis 1995 © Rémi Leroux

En décembre 2011, Marseille Aménagement revend de gré à gré le terrain voisin et une partie de celui indemnisé (dépollué et en partie aménagé à ses frais en 2013) à un groupe de promoteurs qui souhaite y construire le centre commercial Bleu Capelette. Il s’agit d’Icade (filiale de la Caisse des dépôts et des consignations) et de Sifer, une société dirigée par Éric Lasery, l’un des associés de Laser Propreté, qui n'a pourtant aucune expérience dans le domaine. À en croire les déclarations d’un cadre d’Icade, les deux affaires semblent avoir été négociées à peu près à la même période. « Il y a dix ans maintenant, nous avons imaginé un centre commercial avec une composante loisirs importante à l’entrée est de Marseille », a indiqué Antoine Nougarède, directeur de l’immobilier commercial chez Icade, dans La Provence en avril 2013. D’où les soupçons de favoritisme. Contacté, Éric Lasery parle d’« extrapolations ». « Le seul reproche de la CRC [qui concerne Sifer, ndlr] est de ne pas avoir mis en concurrence, mais ça il faut demander à Marseille Aménagement », rectifie-t-il. Avant de lâcher : « Tous les terrains sont vendus à Marseille sans concurrence, donc il n’y a pas eu d’exception pour nous. »

Le projet Bleu capelette, un des futurs centres commerciaux à l'entrée est de la ville.Le projet Bleu capelette, un des futurs centres commerciaux à l'entrée est de la ville. © Belu capelette

L’entourage du candidat Jean-Claude Gaudin a aussitôt ouvert le parapluie. « La mairie nʼa rien à voir, directement, avec cette affaire, nous a répondu Claude Bertrand, son directeur de cabinet (voir l'intégralité de sa réponse sous l'onglet Prolonger). En 2013, la Chambre régionale des comptes est intervenue sur Marseille Aménagement et non sur la Ville. En tant que société d’économie mixte, elle assumait la maîtrise d'ouvrage de ses opérations. » C'est oublier que ce sont des élus UMP, dont Gaudin, qui ont présidé la SEM, récemment absorbée par une nouvelle SPL (Société publique locale). Ancien conseiller de Jean-Claude Gaudin, « Boumendil, le directeur de Marseille aménagement (de 1998 à 2013, ndlr) prenait ses ordres chez Loisel (directeur de cabinet adjoint du sénateur et maire UMP, décédé en 2011, ndlr) et Bertrand », précise d’ailleurs un observateur avisé.

L’affaire est symptomatique du fonctionnement opaque de la ville lorsqu'il s'agit d'immobilier. Dans son rapport sur Marseille Aménagement, la CRC a également épinglé la réhabilitation du centre-ville, confiée au privé à travers trois périmètres de rénovation immobilière (PRI) créés entre 1993 et 1995. Près de vingt ans et 60 millions d’euros de dépense communale plus tard, « 40 % des logements qui devaient être réhabilités dans les PRI Centre-ville et Thubaneau, n’avaient toujours pas fait l’objet de travaux à la date du 31 décembre 2009 », manque de s'étouffer la juridiction financière. Qui dresse un panorama aussi prévisible que désastreux de ces opérations : préemption des immeubles et revente à des investisseurs de gré à gré sans aucune transparence, défiscalisations massives et subventions à gogo sans contrôle de la réalité des travaux de rénovation.

Dès 2000, l’association « Un centre-ville pour tous » avait documenté ces dérives de façon très étayée. Sans effet. Devant l’atonie des élus (majorité comme opposition), des citoyens, proches de l’association, ont décidé de se saisir de ce rapport explosif de la CRC. Sept courriers recommandés ont atterri mi-février 2014 dans la boîte aux lettres de Jean-Claude Gaudin pour lui demander de recouvrer les « sommes indûment versées » signalées par les magistrats. Dans le viseur : des dépenses engagées par Boumendil (pour sponsoriser un congrès de vieilles voitures ou encore une réception lors de la remise de sa Légion d’honneur), un code des marchés publics malmené, des employés licenciés avec de fortes indemnités et repris comme consultants, etc.

 

Derniers travaux du Mucem, au printemps 2013.Derniers travaux du Mucem, au printemps 2013. © LF

Depuis 1995, Marseille s’est certes embellie : le Vieux-Port a été en partie rendu aux piétons, une nouvelle façade maritime a surgi autour du Mucem, prolongée par le quartier d’affaires de la Joliette, ses docks rénovés et la tour CMA CGM. Mais en réalité, toute une partie de son territoire échappe à la Ville, qui n’est pas pour grand-chose dans la plupart de ces métamorphoses. Le chantier géant d’Euroméditerranée ? Une opération d’intérêt national, lancée en 1995 par Vigouroux et en majeure partie pilotée par l’État. Avec des urbanistes désignés par des concours internationaux, hors de toute emprise de la mairie, qui reconstruisent « la ville sur la ville » sur un terrain de jeu de 480 hectares ! « C’est le préfet qui délivre les permis de construire », précise le promoteur Marc Pietri. L’autre plus grand aménageur de la ville est l’Anru (agence nationale de rénovation urbaine). Via un groupement d’intérêt public, l'agence nationale pilote 14 opérations dans les cités marseillaises avec un investissement total d’un milliard d’euros, un record en France.

Et là où la Ville a les mains libres, le bilan est souvent catastrophique.

Autre exemple, les ZAC. On n’y envisage souvent la création des réseaux nécessaires, des transports en commun et des équipements publics qu’après coup, une fois les programmes commercialisés. « En gros ils construisent, puis ils viennent nous voir pour les réseaux, se plaint un cadre de MPM. Derrière on a des pressions pour assurer le pluvial, l’assainissement, la gestion de la voirie, les espaces publics. C'est une sorte de rouleau compresseur qui nous met devant le fait accompli. » Les seules infrastructures de transport construites depuis 1995 l'ont été dans le centre-ville (12,5 km de tramway et quatre nouvelles stations de métro), en évitant soigneusement les quartiers nord

« Le problème de fond à Marseille est qu’il n’y a ni vision, ni projet, regrette Valérie Décot, nouvelle présidente du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône. Lyon, Bordeaux, Lille ont pris en main leur destin. Les maires se sont entourés de professionnels compétents pour retisser des liens entre les centres-villes et les quartiers défavorisés. Pas ici. » La ville a, par exemple, attendu janvier 2014 pour se doter d’un architecte conseil et n’a pas d’adjoint à l’urbanisme (mais un simple conseiller municipal délégué). Elle a également usé cinq directeurs de l’urbanisme depuis 1995 et a beaucoup tardé à se constituer une réserve foncière. « Quand je m’occupais du foncier à la ville, il ne restait presque plus rien à vendre, se souvient Jean Canton, directeur de l'urbanisme de Gaudin de 2002 à 2009, qui roule désormais pour Pape Diouf. Si une entreprise recherchait 5 ou 10 hectares, ça n’existait pas, en dehors des friches dont il faut s’occuper. Et l’absence de planification coûte cher à la ville : les prix ont doublé en 10-12 ans (de 2000 à 4000 euros le mètre carré). »

Du coup, les promoteurs, à l’affût des opportunités, ont souvent un coup d’avance et débarquent dans les services avec des projets clés en main. « Ils ont rempli toutes les dents creuses », reconnaît le promoteur Marc Pietri, qui ajoute cependant que Claude Gaudin a été « le pape de la paix sociale ». « Cette ville en 1995 aurait dû exploser, rappelle le PDG de Constructa.  Quand il arrive, il faut absolument produire du logement car il n’y a rien. Peut-être qu’on a un peu trop construit ici ou là… » Le sénateur et maire UMP leur a également offert en pâture les dernières réserves foncières de la ville, comme les 350 hectares du domaine bastidaire de Sainte-Marthe (14e arrondissement). Mais c’est un ancien cadre de la Ville qui résume le mieux la philosophie de l’équipe Gaudin : « Il faut construire beaucoup de logements, ne mettre aucun obstacle, tout cela fera du mouvement et Dieu reconnaîtra les siens. »

A Sainte-Marthe, l'une des dernières réserves foncières de la ville dans le 14eA Sainte-Marthe, l'une des dernières réserves foncières de la ville dans le 14e © LF

L’objectif politique est plus ou moins avoué : maintenir un électorat ou changer celui d’un secteur. Longtemps l’obsession de Jean-Claude Gaudin fut de ramener « les habitants qui paient des impôts » dans un « centre envahi par la population étrangère ». Et donc faire du logement haut de gamme. « Puis ils se sont rendu compte qu’une partie de leur électorat, la petite classe moyenne, ne pouvait plus se loger, donc ils ont essayé de faire baisser la fièvre », décrypte William Allaire, journaliste spécialiste du BTP. Avec une confiance dans le privé qui laisse pantois certains professionnels. « À Montpellier à partir de dix logements, il faut faire 25 % de logements sociaux, compare Nicolas Masson. À Marseille, rien ! » Enfin si, depuis juin 2013, le PLU impose 25 % de logements sociaux aux promoteurs, mais à partir de 120 logements. Résultat : seulement 3,7 % de HLM dans le très chic 6e arrondissement, quand le 14e et le 15e en comptent plus de 40 % ! « Du fait que Marseille est une ville pauvre, on est prêt à faire beaucoup de concessions, sur la qualité architecturale, les logements sociaux, les espaces publics, etc. », estime un architecte du cru. « Le directeur régional d’un groupe national, qui a fait de beaux projets à Bordeaux, m’a expliqué qu’on ne lui demande rien à Marseille, confirme Jean Canton. Donc on construit les mêmes logements qu’il y a vingt ans. »

« On » est aussi prêt à quelques libéralités. Comme celle qui vaut à Marseille Aménagement son enquête préliminaire. Lancer des appels à projet avant de céder des terrains à des promoteurs ? Une « complexification parfaitement inutile », balaie Dominique Vlasto, adjointe au maire Jean-Claude Gaudin qui lui a succédé à la tête de Marseille Aménagement. « Mettre les terrains aux enchères, ce serait dramatique car le coût des logements exploserait », prétend de son côté Yves Moraine, porte-parole de campagne de Jean-Claude Gaudin et président de la Soleam, la SPL qui a remplacé Marseille Aménagement. « Cette façon de faire, sans mise en concurrence sur la qualité du projet et sans contrepartie en création d’espaces publics, c’est la porte ouverte à tous les arrangements », critique Valérie Décot.

La ville s’est d'ailleurs fait taper plusieurs fois sur les doigts par le tribunal administratif pour sa générosité avec des promoteurs. Les plus récentes : une ristourne de 300 000 euros à Kaufman & Broad sur la vente d'un terrain (2011) et une aide économique de 2,5 millions d'euros à Axa pour la transformation de l’hôtel Dieu en un cinq-étoiles (2012). Sans que cela n'affole l'hôtel de Ville. Le 7 octobre 2013, Jean-Claude Gaudin a fait voter la cession du seul espace public du quartier Corderie (7e arrondissement) pour 3,4 millions d’euros à une filiale de Vinci, qui veut y construire 109 logements depuis dix ans. Avec une discrète ristourne d’un million d’euros pour racheter le volume nécessaire à l‘édification une sortie d’école supprimée par le projet. Le projet est attaqué au tribunal administratif par le CIQ (Comité d’intérêt de quartier) du coin et une poignée de riverains. Le même jour, le sénateur-maire UMP a glissé dans les derniers rapports de la séance l’acquisition au groupe Eiffage de neuf étages d’un bâtiment à construire. Coût : 37,6 millions d’euros. « Un soutien au démarrage d’Euroméditerranée 2 », s’est à l’époque justifié l’adjoint aux finances, qui rappelle le geste d’Eugène Caselli, président PS de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), envers la tour La Marseillaise de Marc Pietri.

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Il y a aussi plus subtil. « Une petite poignée d'architectes se partagent le marché local », dénoncent des gens du métier. Parmi les heureux élus, qui se tapent régulièrement le haut de l’affiche dans les programmes privés comme sur les marchés publics, Didier Rogeon, Tangram, Roland Carta, etc. Le premier, qui a coréalisé L’Alcazar (bibliothèque municipale à vocation régionale), la nouvelle station d’épuration Géolide et nombre de programmes résidentiels à Marseille, est ainsi l’un des architectes associés à la rénovation du stade Vélodrome, un PPP (partenariat public-privé) attribué en 2010 par Jean-Claude Gaudin à Arema (Bouygues). Avec, à la clef, la réalisation d’un quartier entier autour du stade : 100 000 m2 de bureaux, hôtels, commerces et habitations ! « De quoi faire travailler son cabinet dix ans », note un confrère envieux. Didier Rogeon avait également fait une très belle affaire en juin 2011 : la Ville lui avait cédé, à l’issue d’une consultation très restreinte, un immeuble proche de l’Hôtel Dieu (rénové par Tangram) pour y installer son cabinet. « Mesquineries entre architectes, balaie Claude Bertrand, directeur de cabinet de Gaudin. Les exemples des cabinets marseillais que vous citez sont parmi les plus gros de Marseille, voire de France. Il est donc probablement assez normal que ces agences soient plus visibles dans notre Ville. »

« Lorsqu’un promoteur veut construire, on lui demande le nom de l’architecte », accuse pourtant un « mesquin ». « S’il ne convient pas, on lui donne une liste de 5 ou 6 noms. » Comme lui, plusieurs architectes installés à Marseille ont même carrément renoncé à y travailler et préfèrent faire des projets ailleurs dans la région. Claude Bertrand dément et assure ne jamais intervenir sur les permis de construire. « Il n’y a pas de short list », assure également Roland Carta, architecte bien en cours à droite comme à gauche (qui dit faire 40 % de son chiffre d’affaires en région Paca). En 2012-2013, son cabinet a enchaîné les (co)réalisations à Marseille : Musée d’histoire de Marseille, Mucem, Silo, Fort Saint-Jean, Hôpital européen, rue de la République, siège de la SNCM, etc. L’architecte, grand copain de Marc Pietri, reconnaît quand même à demi-mot que « le promoteur cherche un architecte avec qui il va pouvoir s’entendre et concomitamment il va faire valider le nom. Voir s’il n’y a pas de difficultés ».

Encore plus discrètes, les relations d'affaires entre l'équipe Gaudin et les promoteurs. À commencer par l’ex-directeur de Marseille aménagement Charles Boumendil, ancien du groupe Bouygues, qui a présidé en 2011 l’association « Architecture et maîtres d’ouvrage ». Un « cercle restreint de professionnels et de responsables régionaux » qui rassemble, pour des visites de chantier ou des cocktails en catamaran, donneurs d’ordre, industriel du bâtiment et architectes, dans le but vertueux de « favoriser la qualité architecturale ». Et plus si affinités…

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Autre exemple, en mai 2013, La Marseillaise révèle par exemple que Philippe Berger, ancien adjoint au sénateur-maire UMP de Marseille, délégué à la prévention des risques et qui « a vu défiler les demandes de permis de construire déposées par le promoteur Progéréal », a créé en 2011 une entreprise qui travaille notamment pour... Progéréal. Promoteur dont les programmes marseillais connaissent bien des soucis : éboulis, glissements de terrain et malfaçons rendent plusieurs de ses bâtiments inhabitables.

De son côté, Roland Blum, premier adjoint et député jusqu'en 2012, spécialisé dans le droit de la construction, a beaucoup plaidé à l'Assemblée nationale contre « les recours abusifs » contre les permis de construire. Encore mieux, José Allegrini, successeur de Philippe Berger à la prévention des risques, intervient dans un contentieux immobilier à 3,2 millions d'euros entre la ville de Marseille et la Deutsche Bank, garant d’un promoteur poursuivi pour escroquerie (Le Canard enchaîné, 26/02). Il assure n'être qu'une « simple boîte aux lettres pour un confrère parisien ».

Tout aussi désintéressé, Yves Moraine. Le cabinet du nouveau dauphin de Gaudin apparaît dans la même affaire. Mais aussi dans celle qui a opposé Vinci et Eiffage à Marseille Provence Métropole (MPM) à propos du tunnel Prado Sud, comme l'a révélé le mensuel Bons baisers de Marseille. Les deux géants du BTP ont obtenu une rallonge de 24 millions d'euros – ils demandaient 81 millions d'euros – pour des travaux non prévus au contrat. La rallonge fait l'objet d'un recours amiable. À sa décharge, Yves Moraine n’a pas voté la délibération concernée. « Je m'occupe de contentieux commercial et de droit social, je n'ai pas de clientèle avec mon activité politique », se défend le maire des 6e et 8e arrondissements. Et de jurer la main sur le cœur : « Mon associé est avocat de la fédération du BTP et de grands groupes (du BTP, ndlr), mais il pâtit de mon activité politique. » Ce qui n'est pas visible à première vue...

« Les grands groupes ont pris des habitudes », se désespère un cadre de MPM, qui voit revenir Vinci par la fenêtre. La multinationale a obtenu en début d'année le droit de défendre son projet de prolongement du très lucratif tunnel Prado Sud – estimé à une quarantaine de millions d'euros –, alors que deux études des services de la collectivité ont conclu à son inutilité...

Demain, suite de notre série avec un éclairage sur Sainte-Marthe (14e), l’ancien domaine bastidaire de Marseille, où les promoteurs ont longtemps eu carte blanche.

BOITE NOIREDidier Rogeon et Tangram n'ont pas donné suite à nos demandes de rencontre. Sollicité mi-février, le directeur de la Soleam (qui a absorbé Marseille Aménagement) nous a finalement proposé un rendez-vous mi-mars, donc après la publication de cet article. Claude Bertrand a accepté de répondre à nos questions par écrit (à retrouver en intégralité sous l'onglet Prolonger).

Mediapart s'est associé pour réaliser cette enquête avec le journal satirique de la région Paca, le Ravi.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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La comédie du remaniement

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« Alors vous avez des infos pour le remaniement ? » Depuis deux semaines, les ministres du gouvernement ne pensent plus qu’au probable changement d’équipe. Comme leurs collaborateurs et l’appareil socialiste, ils guettent le moindre signe et lisent à peu près tout ce qui s’écrit sur le sujet. Tentent d’y déceler ce qui a été dit en off par leurs collègues, voire par François Hollande. Ils s’en piquent d’autant plus que la machine institutionnelle est presque à l’arrêt : campagne municipale oblige, le parlement est en vacances.

François HollandeFrançois Hollande © Reuters

On les comprend, les ministres. Un gouvernement ressemble à n’importe quel collectif dans l’attente d’un plan social ou d’un changement de direction. Et cette attente leur semble d’autant plus interminable qu’elle s’étend sur plusieurs semaines. « On en est à un stade où beaucoup d’entre nous disent : remaniez-moi qu’on en finisse », plaisante une ministre. Un autre en a tellement marre que la gauche de gouvernement soit traitée de « nuls » qu’il jure être « content si ça s’arrête ». Et un dernier, dépité, lâche : « J’ai pas fait 40 ans de vie politique pour finir dans ce gouvernement. » Lui a la tentation de retrouver la collectivité locale dont il avait la charge, comme Christiane Taubira a la « tentation de Cayenne ».                                                      

En attendant, le feuilleton, largement alimenté par la presse, prend souvent des airs de farce. L’Opinion annonce Claude Bartolone à Matignon avant les municipales ? Les journalistes se précipitent à l’Assemblée ; le directeur de cabinet de l’ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis vient aux Quatre-Colonnes déminer une rumeur que les amis de “Barto” ont largement contribué à alimenter. La presse repart, déçue. Mais déjà prête à un nouveau scénario.

L’ombre de Manuel Valls plane toujours. Comme en novembre où il s’y était déjà vu – pas forcément à tort. Mais sa popularité baisse, entraînant avec elle sa cote apparente au marché des pronostics. Sauf qu’il y a VSD qui, la semaine dernière, choisit une Une d’une infinie prudence : « Manuel Valls, il va à Matignon. Pourquoi Hollande l’a choisi. »

Paris-Match enfonce le clou, avec un sondage sur « le gouvernement idéal souhaité par les Français » et cette phrase fascinante de dépolitisation et d’amour sondagier : « Face au dilemme du président, notre grand sondage lui donne des solutions. » C’est là aussi Valls qui sort en tête, et de loin, pour être à Matignon. Ses partisans – nombreux – s’en délectent. Et les ministres qui ne sont pas dans la course pour être chef mais espèrent rester dans le bateau gouvernemental, savourent d’être cités dans ledit sondage. Pour ne pas disparaître du paysage.

Quelques jours plus tard, le Journal du dimanche publie son dernier baromètre : surprise et pain bénit, un autre nom sort du chapeau. Celui de Laurent Fabius. « Fabius en tête », titre l’hebdomadaire en Une, puis « Fabius la revanche » dans ses pages intérieures. L’effet est immédiat. Dès le lendemain, une ministre au déjeuner ne voit plus que deux possibilités, Valls ou Fabius.

En parallèle se poursuit la course lente, moins spectaculaire et moins bruyante, de Jean-Marc Ayrault. Sa cote à lui est remontée. Parce qu’il a donné un entretien au Parisien dimanche, appelant à un gouvernement resserré. Des propos quasiment identiques tenus ce jeudi matin sur BFM. Une façon d’accréditer l’imminence du remaniement et de s’accrocher à Matignon. Et parce que plusieurs ministres proches de François Hollande, comme Michel Sapin ou Frédéric Cuvillier, continuent de le défendre.

De cette comédie où les responsables politiques alimentent la presse qui alimente les ministres pressés de connaître leur sort, il n’y a pas grand-chose à tirer. À part que parmi les favoris pour Matignon ne figure aucune femme. Et qu’aucun débat de fond n’accompagne ces hypothèses. Le remaniement qui devait, voilà encore quelques mois, symboliser un signal politique, n’est plus que l’espoir d’un nouveau souffle pour porter le pacte de responsabilité du président de la République. Le temps II du quinquennat, celui de la redistribution, a peu ou prou disparu dans les limbes élyséennes. De toute façon, c'est à l'Élysée que tout se décide, pas à Matignon.

Même le sort fait à la transition énergétique, dont sont censés dépendre les contours de la future majorité – avec ou sans les écolos –, rend les premiers concernés fébriles, tels Cécile Duflot, Arnaud Montebourg ou Philippe Martin. Mais elle ne semble pas préoccuper grand-monde.

Il n’est finalement plus question que de calendrier. Jusque-là, des proches de François Hollande juraient qu’il fallait attendre après les européennes, pour clore la séquence électorale et faire oublier les prévisibles défaites. Cela tombait bien : le pacte de responsabilité était prévu pour juin. Sauf que le président de la République, le nez sur les indicateurs économiques, pense qu’il faut aller vite. Pressés de s’entendre, le patronat et trois syndicats ont d’ailleurs trouvé un accord mercredi. D’où l’hypothèse d’un remaniement entre les municipales et les européennes. Et celle d’un gouvernement dit resserré. Il compte aujourd’hui 37 membres, 38 avec Ayrault.

Le premier gouvernement Ayrault le 18 mai 2012. Le premier gouvernement Ayrault le 18 mai 2012. © Reuters

Les ministres racontent que François Hollande a lourdement insisté devant eux sur le contre-exemple allemand. « On a tous vu son œil pétiller quand il en a parlé. Il a dit à Angela Merkel : “Bien sûr, c’est plus facile pour vous de vous déplacer à 16 que nous” », raconte l’une d’eux. « Le 19 février dernier, lorsque nous avons accueilli un conseil des ministres franco-allemand à l’Élysée, on a vu qu’il y avait quand même une petite différence de nombre », a aussi dit Ayrault au Parisien. Sauf qu’en Allemagne, il y a aussi des secrétaires d’État qui n’étaient pas du voyage et que chaque Land a son propre gouvernement régional.

En France, l’idée d’un « gouvernement resserré » revient à chaque remaniement ou presque. Sous Sarkozy, c’était déjà le cas. C’était même une promesse de campagne, elle n’a duré que le temps de la campagne des législatives. Et devinez quoi : en 2010, il était « moins resserré que prévu ». En 1995, le gouvernement d’Alain Juppé passe quant à lui de 43 membres à 32 au bout de quelques mois – huit femmes en font les frais (lesdites “juppettes”).

Sur le fond, le projet est loin d’être absurde : celui de construire le gouvernement autour de plusieurs pôles essentiels – la politique économique ; la transition écologique (écologie, énergie, transports) ; l’éducation, la jeunesse et la culture, etc. – animés par une personnalité influente, sous les ordres de laquelle plusieurs secrétaires d’État devraient se consacrer à des secteurs en particulier.

Mais les ministres en poste s’inquiètent déjà, dans ce cas, de voir leurs cabinets limités à 20 membres – c’est la règle que s’est imposée le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et qui n’est pas toujours suivie, au vu du nombre de chargés de mission dans certains cabinets, hors organigramme officiel. Pour que la règle fonctionne – c’était le discours initial –, il faudrait que les équipes ministérielles s’appuient davantage sur les administrations. Mais, d’après les témoignages de conseillers depuis deux ans, cela ne fonctionne pas. La faute au fonctionnement interministériel, à la lourdeur des procédures (la moindre note doit être validée par toute une hiérarchie de chefs avant de remonter au cabinet d’un ministre), au conservatisme supposé de l’administration qui serait rétive au moindre changement, à la RGPP qui l’a essorée et à Nicolas Sarkozy qui l’aurait durablement droitisée.

Le gouvernement resserré supposerait donc un changement dans le fonctionnement des institutions. Il supposerait aussi que l’équilibre entre tous les courants de la majorité et entre les personnalités du PS, dont les divergences se limitent parfois à des batailles d’ego plutôt qu’à des affrontements de lignes politiques, ne soit plus l’alpha et l’oméga de la composition d’une équipe. Mais Hollande a construit une partie de son parcours politique sur la « synthèse » entre les courants de la gauche.

Le président de la République a au moins un avantage à laisser prospérer toutes les rumeurs : celui de fixer l’attention médiatique loin des négociations sur le pacte de responsabilité, et le jeu de dupes sur les contreparties, et loin des discussions autour du plan d’économies de 50 milliards d’euros, dont plusieurs ministres doutent ouvertement et qui s’apparente à l’austérité version française.

Il confirme aussi l’essence de la Ve République, celle d’un président omnipotent, qui décide de tout et peut couper les têtes quand il veut. Cela ne peut que plaire aux éditorialistes qui dégoisent depuis deux ans sur le manque d’autorité du président.

D’ici là, le petit jeu va continuer. Mais Mediapart a un aveu à faire : François Hollande ne nous a pas appelés pour nous confier ses plans. Nous ne savons pas qui sera premier ministre.

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La Parisienne Libérée : «Flashballes»

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Depuis sa création, Mediapart a largement documenté les ravages causés par l'usage du flashball.

Que ce soit au cours de patrouilles quotidiennes ou lors de manifestations publiques, ces armes représentent un danger physique direct pour les citoyens. Elles font aussi peser une lourde menace sur leurs droits – en particulier sur le droit de manifester. 

Nicolas Sarkozy avait déclaré devant la police et la gendarmerie le 29 novembre 2007 : « N'hésitez pas à l'acheter, j'assumerai le débat devant l'opinion publique. » Après la manifestation du 22 février 2014 à Nantes qui a fait de nombreux blessés, il serait judicieux de porter véritablement la question dans le débat public. 

Et en attendant que l'usage de ces armes soit clairement interdit à la BAC, aux CRS, aux polices municipales... il faut autoriser les citoyens à manifester en portant un heaume ou un casque de hockey !

FLASHBALLES


Paroles et musique : la Parisienne Libérée

C'est une marque déposée
Promue par l'ancienne présidence
Avec des airs de mot anglais

Sous couvert de légitime défense
C'est un lanceur de balles d'attaque
Qui vous troue l'œil en un rien de temps
Moins fatigant qu'un coup de matraque
Et surtout, moins compromettant

Flashballes
Soi-disant sublétales
Flashboulets
Permis de mutiler
Flashbulles
Qui vous brisent et vous brûlent

Flashdouilles
Doudous de la patrouille (bis)

Cyclopiseurs des citoyens
Casseurs officiels de gamins
Couverts par dix ans de non-lieux
Viser la tête c'est comme un jeu
À tir tendu, sans hésiter
Lorsque l'objectif est atteint
Ils disent que la cible a bougé
Tandis que le juge, lui, ne dit rien

Flashballes
Soi-disant sublétales
Flashboulets
Permis de mutiler
Flashbulles
Qui vous brisent et vous brûlent

Flashdouilles
Doudous de la patrouille (bis)

Testés contre les terroristes
Puis les habitants des quartiers

On les retrouve au cœur des manifs
De plus en plus souvent pointés
Pour continuer à défiler
Sans risquer de se faire éborgner
Faudra-t-il qu'on aille protester

Pacifiquement casqués ?


Pacifiquement casqués ?

Citoyennement casqués ?
Familialement casqués ?

Légitimement casqués ?
Pacifiquement casqués ?

Citoyennement casqués ?
Familialement casqués ?

Légitimement casqués ?


Flashballes
Soi-disant sublétales
Flashboulets
Permis de mutiler
Flashbulles
Qui vous brisent et vous brûlent

Flashdouilles
Doudous de la patrouille (bis)

SOURCES

Témoignage de Quentin - iTélé
http://youtu.be/0c4e7FJk7DE

Déclaration de Pierre - TF1
http://videos.tf1.fr/infos/2012/eborgne-par-un-tir-de-flash-ball-la-victime-reagit-au-requisitoire-7043932.html

Récit d'un tir de flashball zélé sur un photographe - Citizen Nantes
http://www.citizen-nantes.com/article-recit-d-un-tir-de-flash-ball-zele-sur-un-photographe-122735770.html

22 février : vidéo n° 5 de Mouton R-eveillé
http://youtu.be/VIBCHIKVybw

Les armes non-létales de la police française - AFP
http://youtu.be/lQx0VozrfQU

DOCUMENTATION
http://www.article11.info/?Flash-ball-et-maintien-de-l-ordre
http://dormirajamais.org/conseils-2/
http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=729
http://www.liberation.fr/societe/2013/12/22/flashball-peur-et-mutilation_968441
http://27novembre2007.blogspot.fr/
http://faceauxarmesdelapolice.wordpress.com/
http://22fevrier2014nantes.blogspot.fr/
http://www.dailymotion.com/video/xoxo2o_vaquette-la-conjuration-de-la-peur-extrait-les-armes-non-letales_creation

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Les précédentes chroniques
Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

 

 

 

 

 

 

 

 

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A Saint-Dié, des maisons sans chauffage, «un devoir d’humanité»

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Il s’appelle Jules-Ferry, mais ce n’est pas un buste de fondateur de l’école gratuite et obligatoire. C’est un double bâtiment tricolore – brique, blanc et gris métallisé. Et surtout, une nouvelle conquête révolutionnaire : un immeuble HLM de sept étages en bois et en paille, garanti 100 % sans facture de chauffage.

Façade de l'immeuble Jules-Ferry, à Saint-Dié-des-Vosges, février 2014 (JL).Façade de l'immeuble Jules-Ferry, à Saint-Dié-des-Vosges, février 2014 (JL).

Aucun radiateur n’équipe ses 26 logements ouverts sur de grandes baies vitrées exposées plein sud. C’est un bâtiment « passif », c’est-à-dire énergétiquement autogéré. Grâce à son isolation hors norme et son étanchéité à l’air, il protège ses habitants du froid. Ses parois extérieures en fibre végétale permettent à la vapeur d’eau de circuler, et sa ventilation permet de répartir la chaleur intérieure émise par ses habitants (chaleur corporelle, cuisine, appareils électriques). Dans l’une des villes les plus froides de France, à Saint-Dié-des-Vosges, en zone de petite montagne, où l’hiver la température peut tomber à – 15 °C, le bâtiment se chauffe par lui-même.

Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien (JL). Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien (JL).

Et ça change tout : les ménages en difficulté (logements PLAI) et locataires à revenu modeste (PLUS) qui y vivent ne paient plus de charges de chauffage. Hors aide locative, leur loyer est d’environ 5 euros par mètre carré, soit 400 euros par mois pour ces trois pièces. En comparaison, les factures de chauffage au fioul pour les maisons individuelles mal isolées, si nombreuses dans la région, peuvent atteindre 3 500 ou 4 000 euros par an, selon l’estimation du bailleur.

Les charges restantes du « Jules-Ferry » (eau chaude, électricité, ventilation et entretien) ne devraient plus atteindre que 132 euros par an, soit 11 euros par mois environ. Presque rien. L’eau chaude est pompée par géothermie ; des panneaux solaires apportent des calories supplémentaires. L’eau usée est récupérée pour en réutiliser la puissance calorifère. « Elle est à 96 % gratuite », estime Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien, l’office HLM (privé) qui a fait construit le bâtiment. Pour lui : « Moins les locataires ont de charges, plus ils récupèrent de pouvoir d’achat. Construire des bâtiments non énergivores, c’est un devoir d’humanité. On sait construire des logements sans énergie fossile et sans chauffage électrique : pourquoi ne pas le faire, du moment qu’on reste dans les prix du marché ? »

Deux habitations côte à côte, deux époques, février 2014 (JL).Deux habitations côte à côte, deux époques, février 2014 (JL).

Sous l’immeuble, dans la salle des machines, deux ballons suffisent à contenir l’eau chaude de tout l’immeuble. Un ordinateur permet de suivre en direct la température, l’humidité, la puissance de chauffage, la consommation d’eau de chaque logement. Livré en décembre dernier, le bâtiment achève son tout premier hiver, particulièrement clément. Résultat : en janvier, la consommation réelle de chauffe est proche de 0 kWh/m2 dans les appartements. Le budget total du bâtiment avoisine les 5 millions d’euros pour le bailleur. « Ce type de projet est reproductible, ce n’est pas un délire architectural », assure le directeur du Toit Vosgien, à la tête d’un petit parc (3 100 logements en tout, soit 10 % environ des logements sociaux dans les Vosges). La ville est majoritaire à son capital. 

Au 7e étage, une femme vient d’emménager. Elle ouvre volontiers sa porte, fière de ce logement social qui se visite comme on va admirer les prototypes du Salon de l’auto. Deux chambres, une salle de bains, un cellier, un vaste salon, un grand balcon, un long couloir. Tous les cartons n’ont pas été défaits. La vaste fenêtre du salon s’ouvre sur la ligne des Vosges, prises dans le brouillard de cette fin février. Pas de volet, seuls les rideaux sont autorisés, pour laisser le soleil entrer même en l’absence prolongée des habitants. Pas de baignoire, une douche à bouton-poussoir qui lâche un jet d’eau de trente secondes puis s’arrête. Comme dans une piscine municipale. « On a hésité à adopter ce système, pour ne pas trop contraindre les locataires, mais il leur permettra d’économiser en eau », explique le bailleur. Des familles ont refusé ces règles. Notre hôtesse ne semble pas ennuyée. L’ascenseur est régénératif : son énergie de freinage est récupérée pour éclairer les couloirs. Il contribue aux efforts du bâtiment. « Ça ne peut pas marcher sans les locataires, il faut les impliquer, explique Vincent Pierré, du bureau d’études Terranergie, conseil sur le projet. On passe une demi-journée avec eux au moment de la livraison. »

Vue sur Saint-Dié-des-Vosges, 26 février 2014 (JL).Vue sur Saint-Dié-des-Vosges, 26 février 2014 (JL).

L’immeuble du Toit Vosgien bat un record de hauteur pour un bâtiment de paille et de bois – une tour de 15 étages est aujourd’hui à l’étude. Mais il n’est pas le premier bâtiment passif en France. Des HLM « passifs », on en trouve à Béthune (voir ici), près de Reims, en Rhône-Alpes, à Brest, ou en Loire-Atlantique.

Sur les hauteurs de Saint-Dié, le bailleur a développé une autre offre de logement à caractère expérimental : « les toits de la Corvée ». Une vingtaine de pavillons HLM chauffés au bois, qui alimentent aussi l’eau chaude en calories, grâce à un ingénieux système de poêles-bouilleurs. Claire et Nicolas Diss habitent l’une de ces maisons avec leur enfant : « On s’est rendu compte qu’on faisait des économies délirantes, expliquent-ils un soir autour de la table du salon. On paie 80 euros de chauffage par an. Avant, on payait 200 euros par mois en hiver, pour une surface deux fois plus petite, de 50 m2. » Tout autour, la pièce est chaude, bien au-dessus des 19 °C réglementaires. Une bûche brûle dans le poêle installé face au canapé, à côté de la télévision. Loyer de leur maison de 120 m2 : 623 euros par mois tout compris.

Leur voisine, Marie-Hélène Meyer, estime dépenser 200 euros par an en stères de bois, « au grand maximum. Avant je dépensais environ 800 euros par an pour le chauffage dans un F3, tout en béton, au chauffage électrique, où l'on avait toujours froid ». Autour d’elle, les murs de bois sont nus, comme dans un chalet. « Ça m’apaise, ce bois, j’aime bien, je sens que ça respire. Le feu du poêle me détend énormément. J’ai l’impression que je suis en pleine montagne. » Seul inconvénient à ses yeux : une facture d’électricité trop importante, près de 80 euros par mois, qu’elle attribue au système de ventilation.

Panneaux solaires thermiques sur le toit du petit bâtiment Jules-Ferry (JL).Panneaux solaires thermiques sur le toit du petit bâtiment Jules-Ferry (JL).

Depuis les lois Grenelle, les logements sociaux neufs, comme tous les autres bâtiments, doivent limiter leur consommation d’énergie à environ 50 kWh par mètre carré (conformément à la réglementation thermique 2012). Soit bien au-dessus de ce qu’accomplissent les constructions passives (pas plus de 15 kWh/m2). Le standard Passivhaus, d'origine allemande, est le plus exigeant en performance énergétique. De plus en plus répandu en Europe (notamment en Allemagne, en Autriche, dans les pays scandinaves), il reste très minoritaire en France.

En pleine bataille préparatoire de la loi sur la transition énergétique, les scénarios d’évolution de la demande d’énergie font chez nous l’objet d’âpres disputes : tenants du statu quo nucléaire contre défenseurs de la sobriété énergétique. Le logement et les bureaux en sont l’un des premiers enjeux. Le bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie en France, avec 42,5 % de l’énergie finale totale, et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre. La facture annuelle de chauffage représente 900 € en moyenne par ménage, avec de grandes disparités (de 250 € pour une maison « basse consommation » à plus de 1 800 € pour une maison mal isolée, voir ici). 

Dans ce contexte, l’expérience de Saint-Dié a valeur d’exemple. Si l’on sait techniquement construire des immeubles de HLM qui n’occasionnent plus de dépenses de chauffage pour leurs habitants, pourquoi l’État n’en fait-il pas un objectif prioritaire ? Hissée à ce niveau d’efficacité, l’écoconstruction ne remplit pas que des objectifs environnementaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction d’empreinte carbone. C’est au moins autant une politique de redistribution sociale qui permet d’augmenter les ressources de foyers modestes en réduisant l’enveloppe de leurs factures imposées.

Pour Jean-Marc Gremmelle, du Toit Vosgien : « Ça n’a rien de bobo, écolo, folklo. La construction en bois, c’est du pragmatisme pour trouver une bonne manière de consommer. » Pour Vincent Pierré, expert en maisons passives, « ce n’est pas une lubie du développement durable. C’est une réponse à un problème de physique du bâtiment ». Surtout, il propose de changer radicalement de représentation sur le confort thermique : « Le chauffage n’est qu’une adaptation constante aux erreurs de conception » d’un bâtiment, affirme-t-il, citant l’Autrichien Gunther Lang, grand spécialiste des maisons basse économes en énergie. Autrement dit, un outil correcteur des défauts d’un bâtiment. Un attribut superflu, condamné à disparaître.

BOITE NOIREJ'ai choisi d'écrire ce reportage afin d'illustrer un aspect souvent sous-estimé mais pourtant crucial de la transition énergétique : la redistribution des revenus que peut permettre une politique rigoureuse de construction de logements économes en énergie. Cette technique de construction est aujourd'hui disponible. Sera-t-elle appropriée par les acteurs du bâtiment ? La question reste ouverte, et devrait être au cœur des discussions sur les enjeux sociaux de la transition écologique, si le débat public se concentrait sur l'essentiel.

Mon choix de reportage aurait pu se porter sur une autre ville et un autre bailleur. J'ai choisi Saint-Dié et le Toit Vosgien après la rencontre avec Vincent Pierré de Terranergie, éloquent et pédagogue. Cet exemple n'épuise évidemment pas le sujet.

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Avastin et Lucentis : la gabegie continue en France, pas en Italie

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Depuis juillet 2012, la direction générale de la santé (DGS) a imposé, pour soigner la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), l’utilisation du traitement de référence, le Lucentis, alors qu’il existe un autre médicament, équivalent en termes d’efficacité et de sécurité, mais vingt fois moins cher, l’Avastin (voir notre article ici). La DMLA est une maladie de l’œil qui affecte environ un million de personnes en France et qui est la première cause de cécité après 50 ans. D’après les données de l’assurance maladie, les remboursements du Lucentis, commercialisé par Novartis, se sont élevés, en 2012, à 402 millions d’euros, et à 438 millions en 2013, ce qui en fait l’une des spécialités pharmaceutiques les plus coûteuses pour la Sécurité sociale.

Ce sont donc des centaines de millions d’euros qui auraient pu être économisés si la DGS n’avait pas, dans une circulaire du 7 juillet 2012, interdit l’utilisation de l’Avastin, anticancéreux vendu par Roche, pour le traitement de la DMLA. Le député Gérard Bapt, qui s’était déjà élevé contre ce gaspillage, vient d’adresser une lettre au directeur général de la santé, dans laquelle il demande le retrait de la circulaire de juillet 2012, jugeant « inacceptable de continuer à tolérer la rente de situation organisée par deux laboratoires capitalistiquement liés, au détriment des assurés sociaux français ».

La décision de la DGS était motivée par une interprétation réglementaire (l’Avastin n’a pas d’indication pour la DMLA dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché, AMM), mais elle avait suscité les protestations de plusieurs services hospitaliers d’ophtalmologie : ces derniers, notamment celui du groupe hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu, à Paris, et celui des Hospices civils de Lyon, avaient traité depuis des années leurs patients en utilisant l’Avastin plutôt que le Lucentis. D’après leur expérience, les deux produits étaient également efficaces et aussi bien tolérés l’un que l’autre.

Depuis, l’étude Gefal, menée par le CHU de Lyon et dirigée par le professeur Laurent Kodjikian, a confirmé que les deux traitements étaient équivalents (ce que démontraient déjà deux autres essais, CATT aux États-Unis et IVAN en Grande-Bretagne). À l’automne 2012, le gouvernement semblait avoir enfin pris la mesure du problème : Marisol Touraine, ministre de la santé, s’apprêtait à remédier à ce gâchis grâce à une modification législative figurant dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Il s’agissait, schématiquement, de contourner l’absence d’indication dans l’AMM par une « RTU », ou recommandation temporaire d’utilisation, qui aurait permis de continuer à utiliser l’Avastin pour la DMLA.

Mais le décret qui aurait dû mettre en œuvre cette mesure n’est toujours pas passé. Le directeur général de la santé, le professeur Vallet, a indiqué à Gérard Bapt qu’« une méta-analyse réalisée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) montre que les données actuellement publiées (…) ne permettent pas, dans l’immédiat, d’envisager favorablement l’emploi d’Avastin en hors AMM ». Cette position s’oppose pourtant aux conclusions de la littérature scientifique qui montre que l’Avastin n’entraîne pas plus de risques que le Lucentis et présente la même efficacité.

Gérard Bapt estime que le problème n’est plus seulement médico-scientifique mais relève d’une entente entre les deux laboratoires producteurs, Novartis et Roche. Ces deux laboratoires bâlois ont une longue histoire commune et des liens financiers.

L’autorité italienne de la concurrence, qui enquête depuis février 2013, estime qu’une entente illicite existe : « Les preuves accumulées montrent que depuis 2011, Roche et Novartis se sont entendus pour créer une différenciation artificielle entre produits et prétendre qu’Avastin est plus dangereux que Lucentis en vue d’influencer les prescriptions et les services de santé », affirme l’autorité italienne. Elle vient d’infliger aux deux laboratoires des amendes de 182,5 millions d’euros pour « entente illicite ».

L’autorité italienne considère que « les deux groupes ont conclu un accord illicite pour empêcher l’utilisation d’un médicament très bon marché, l’Avastin, qui traite la maladie de la vue la plus répandue parmi les personnes âgées ainsi que d’autres sérieux problèmes oculaires », afin de favoriser la prescription d’un produit beaucoup plus coûteux, le Lucentis. Cette entente aurait coûté 45 millions d’euros au système de santé italien en 2012.

Gérard Bapt demande que la Commission européenne mène une enquête pour « entrave à la concurrence ». Il a également appelé l’Autorité française de la concurrence à se saisir de l’affaire « afin de rendre un avis sur les pratiques potentiellement anticoncurrentielles des laboratoires Novartis et Roche ».

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