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MediapartLive : vos réactions à la soirée du 4 juin 2015


Ce que les gauches françaises doivent apprendre de Podemos

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Animé par Frédéric Bonnaud

Après les succès électoraux des mouvements issus des Indignés et de Podemos en Espagne, que doivent en retenir les formations de gauche en France ? Avec
Florent Marcellesi, collaborateur franco-espagnol au parlement européen, futur eurodéputé, membre du parti écologiste Equo, qui participe aux mouvements politiques et sociaux en Espagne depuis 2011
Élisa Martin, conseillère régionale Rhône-Alpes (Front de gauche), première adjointe au maire de Grenoble
Ludovic Lamant, Mediapart
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Kazakhgate: les hommes de Sarkozy, l'oligarque et la valise de billets

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Zurich, décembre 2011. Un homme et une femme discutent dans une chambre de l’hôtel Hyatt. Ils ne parlent pas d’amour, mais d’argent. L’homme s’appelle Patokh Chodiev, 61 ans. Oligarque kazakho-belge, il a participé aux discussions qui ont abouti à l’achat par le Kazakhstan de 2 milliards d’euros de matériels français, dont 45 hélicoptères d’Airbus Group (l’ex-EADS). Face à lui, Catherine Degoul, 55 ans. Avocate basée à Nice, elle a réussi à régler à l’amiable les poursuites pour corruption qui visaient Chodiev en Belgique. De cette opération dépendait la conclusion des contrats. Lesquels ont été signés le 27 juin 2011, dix jours après que l’oligarque a été tiré d’affaire outre-Quiévrain.

En Suisse, six mois après cet heureux dénouement, c’est l’heure des récompenses. Patokh Chodiev appelle un de ses lieutenants, puis quitte la chambre d’hôtel. Un homme apporte une valise qui contient, selon Catherine Degoul, 5 millions d’euros en espèces. L’avocate remet l’attaché-case à un autre intermédiaire, recruté pour convoyer les billets dans sa voiture.

Les policiers qui enquêtent sur le Kazakhgate ignorent, à ce stade, où a atterri l’argent. Mais cette remise de fonds, décrite par Catherine Degoul lors de sa garde à vue, est au cœur de l’information judiciaire pour « corruption d’agents publics étrangers » et « blanchiment en bande organisée » menée par les juges parisiens René Grouman et Roger Le Loire. Les magistrats soupçonnent justement que l’Élysée a, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, orchestré un changement de la loi belge pour sauver l’oligarque Chodiev, sur fond de remises d’argent à plusieurs acteurs de l’opération, dont un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Jean-François Étienne des Rosaies, et le sénateur UDI Aymeri de Montesquiou.

Tout a commencé le 6 octobre 2009 par la visite du président Sarkozy au dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev. Il signe pour 1 milliard d’euros de contrats et engage des négociations pour 2,5 milliards supplémentaires. Mais pour que cette seconde tranche se concrétise, Nazabaïev fixe une condition : il faut tirer du pétrin son ami Patokh Chodiev et ses deux associés, surnommés « le trio ». Les milliardaires sont poursuivis outre-Quiévrain dans une vilaine affaire de corruption qui risque de les conduire en prison, et qui pourrait déstabiliser leur groupe ENRC, premier opérateur minier du Kazakhstan, coté à la bourse de Londres.

À l’Élysée, le message est reçu cinq sur cinq. D’autant que Chodiev est bien connu au château. Comme l’a révélé Mediapart, il a participé à plusieurs réunions avec des conseillers de l’Élysée visant à sceller l’amitié commerciale franco-kazakhe, en mai 2009 dans sa luxueuse villa du Cap-Ferrat, sur la Côte d’Azur, ou encore en septembre lors d’un déjeuner à 11 000 euros réglé par Chodiev au très chic restaurant parisien l’Ambroisie. Son agent traitant est Damien Loras, conseiller diplomatique de Sarkozy pour l’Asie centrale. Il passera d’ailleurs par la suite des vacances sur le yacht de Chodiev.

Nicolas Sarkozy et le président kazakh Noursoultan Nazarbaiev, après une signature de contrats à l'Elysée le 27 octobre 2010Nicolas Sarkozy et le président kazakh Noursoultan Nazarbaiev, après une signature de contrats à l'Elysée le 27 octobre 2010 © Reuters

Loras s’ouvre du problème belge de l'oligarque à Jean-François Étienne des Rosaies. Il est « chargé de mission » au Château, en charge des affaires équestres. Mais il semble surtout travailler avec Claude Guéant, le tout-puissant secrétaire général de l'Élysée.

Cet ancien préfet de la Meuse est un drôle de personnage. Ancien photographe de guerre, c’est un baroudeur proche des services secrets, qui fut conseiller au renseignement de plusieurs présidents africains et a roulé sa bosse au Moyen-Orient. Il a ainsi participé à la libération des otages français au Liban dans les années 1980 et aurait exfiltré une agente du Mossad détenue par le Hezbollah. Mais c’est aussi un entremetteur au carnet d’adresses bien garni, qui a enchaîné les postes de « chargé de mission » à la Générale des eaux, au ministère de l’intérieur (période Robert Pandraud, un proche de Charles Pasqua) ou au secrétariat général de la défense nationale.

Loras cherche un avocat pour défendre Chodiev en Belgique. Des Rosaies, toujours prêt à rendre service (c’est son métier), lui conseille Catherine Degoul. Il l’a rencontrée via un ami, feu l’avocat Jacques Vergès, qui fut, entre autres, le défenseur de plusieurs dictateurs africains. Degoul est une protégée de Vergès. Elle a notamment développé grâce à lui une activité d’avocate d’affaires sur le continent noir.

L’avocate niçoise accepte de défendre le milliardaire kazakh. L’affaire Chodiev, c’est celle de sa vie. L’enjeu est énorme, les honoraires alléchants. Et puis, comme elle l’a dit aux enquêteurs, elle travaille « pour la France », mandatée directement par l’Élysée pour gonfler la balance commerciale tricolore.

Pour accomplir sa mission, elle embauche plusieurs avocats belges, dont un atout maître : l’homme politique libéral Armand de Decker, qui vient de quitter la vice-présidence du Sénat belge pour enfiler la robe. L’équipe réussit un exploit : grâce à une modification de la loi belge, votée dans des conditions controversées, Chodiev peut conclure une transaction pénale, en échange d’une amende de 23 millions d’euros.

De Decker a-t-il usé de son influence pour faire voter ce nouveau dispositif ? C’est ce qu’écrit Des Rosaies dans une note estampillée « très confidentiel » adressée le 28 juin 2011 à Claude Guéant, devenu ministre de l'intérieur. Le conseiller équestre s’y décrit comme le « coordonnateur » de l’opération belge, ajoutant que le soutien de De Decker a été « déterminant » pour faire voter la loi.

Ce document est un « faux réalisé en accolant un texte fantaisiste au-dessus la signature de Des Rosaies », assure son avocat, Pierre Kopp. Peut-être, mais les enquêteurs, qui ont saisi sa messagerie électronique, ont retrouvé plusieurs mails où Des Rosaies tient à peu de choses près le même langage à Guéant. Ce qui démontre au passage que le bras droit de Sarkozy suivait l’affaire de très près. Interrogé par France Info, l'intéressé a reconnu que le nom de Catherine Degoul a été « suggéré » à Chodiev par l'Élysée, mais il a nié toute opération d'influence : « Jamais le président Sarkozy ni quiconque à l'Élysée n'a demandé quoi que ce soit à la Belgique. »

De son côté, Armand de Decker a démenti être intervenu pour faire changer la loi. L’avocat de Catherine Degoul, Joël Blumenkranz, estime lui aussi que « cela ne tient pas debout » : « La nouvelle loi ne devait pas s’appliquer à l’ensemble des charges reprochées à Monsieur Chodiev. Mais ma cliente a trouvé dans le texte une disposition qui lui a permis d’obtenir tout de même une transaction. C’était juste un très bon travail d’avocat. »

Chodiev est tiré d’affaire le 17 juin 2011. Dans la foulée, plusieurs contrats, dont celui des hélicoptères, sont finalisés à Paris entre le premier ministre François Fillon et son homologue kazakh. Pourtant, Pathokh Chodiev rechigne à payer Catherine Degoul. Après plusieurs relances via les conseillers élyséens Jean-François Étienne des Rosaies et Damien Loras, l’oligarque finit par lui verser, à l’automne 2011, la bagatelle de 7,5 millions d’euros d’honoraires. L’avocate en a rétrocédé une bonne partie à ses confrères belges – dont plusieurs centaines de milliers d’euros pour Armand de Decker.

Le fait que l’Élysée se démène pour sauver un corrompu présumé afin de signer des contrats n’est pas très glorieux. Mais cela reste un problème éthique, qui aurait dû rester caché derrière le voile de la raison d’État. Mais le 4 avril 2012, Tracfin, l’office antiblanchiment de Bercy, signale à la justice un versement suspect de 306 000 euros sur le compte de Des Rosaies, émanant d’un ingénieur belge à la retraite de 71 ans, Guy Vanden Berghe. Coïncidence : son avocate est une certaine Catherine Degoul. Une enquête est ouverte.

En septembre 2014, les policiers de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) perquisitionnent chez Des Rosaies et au cabinet de Degoul (1). Lors de sa garde à vue, puis de son audition par les juges d’instruction, l’avocate se met à table. Elle raconte qu’avant même que l’affaire belge ait abouti, Jean-François Étienne des Rosaies et un sénateur UDI, Aymeri de Montesquiou, auraient réclamé de l’argent à Patokh Chodiev pour leurs bons et loyaux services dans le dossier. Elle ajoute que le chargé de mission de Sarkozy aurait même menacé le milliardaire kazakh lors d’une rencontre dans un hôtel à Bruxelles.

Ce serait dans ce contexte que Des Rosaies lui a demandé, à l’automne 2011, de l’argent pour acheter une maison en Normandie. Catherine Degoul fait appel à l’un de ses clients, Guy Vanden Berghe, un homme d’affaires belge très actif en Afrique, et proche de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. L’avocate a créé pour son compte plusieurs sociétés à l’île de Man, un paradis fiscal situé entre l’Irlande et la Grande-Bretagne.

Vanden Berghe accorde un prêt de 306 000 euros à Des Rosaies, versé depuis un compte en Suisse détenu par Antigone Holdings, une société immatriculée aux îles Vierges britanniques. Le Belge signe le contrat de prêt, mais pas Des Rosaies. Lequel aurait refusé de rembourser. C’est Degoul qui l’a fait à sa place, en virant 306 000 euros à Vanden Berghe. À partir de ce moment-là, le prêt « est devenu une commission », a indiqué Degoul aux enquêteurs.

Des Rosaies a reçu deux autres virements d’Antigone, pour 421 000 puis 90 000 euros (soit 800 000 euros au total). Pour quelle raison ? « C’est la commission de Monsieur Des Rosaies dans le cadre du dossier du trio [Patokh Chodiev et ses associés - ndlr] », a répondu Catherine Degoul sur procès-verbal. À son cabinet, les enquêteurs ont d’ailleurs trouvé un second contrat de prêt de 90 000 euros, non daté et non signé, probablement destiné à rendre présentable le dernier virement.

L’avocat de Des Rosaies, Me Kopp, dément formellement toute irrégularité. Selon lui, les 306 000 euros correspondent bien à un « prêt personnel », et les 421 000 euros à « son activité de consultant au cours des années 2010 et 2011 », ce qu’attestent selon lui les bordereaux de virements. Il ajoute que son client n'a eu aucune volonté de dissimulation, car les « sommes ont été versées sur son compte en banque parisien ».

Aymeri de Montesquiou, sénateur UDI du Gers. Son immunité parlementaire a été levée à la demande des juges.Aymeri de Montesquiou, sénateur UDI du Gers. Son immunité parlementaire a été levée à la demande des juges. © Reuters

Guy Vanden Berghe a arrosé un autre acteur du dossier : le sénateur UDI Aymeri de Montesquiou-Fezensac d’Artagnan. Descendant du célèbre capitaine gascon, c’est surtout un très proche du pouvoir kazakh qui a su se rendre incontournable pour faire du business dans le pays. À tel point que Sarkozy l’a nommé en 2009 comme son représentant spécial en Asie centrale, afin de « promouvoir nos intérêts industriels et commerciaux ». Il a d’ailleurs été mêlé au fameux contrat des hélicoptères vendus au Kazakhstan. « Mon rôle consistait seulement à créer des ouvertures politiques », a-t-il déclaré en octobre 2014, juste après avoir été perquisitionné.

Vanden Berghe lui a pourtant versé 199 000 euros, toujours via le compte suisse d’Antigone. Officiellement, le sénateur lui aurait vendu des bouteilles de vin et des manuscrits de valeur. Il a assuré à Sud-Ouest que cela n'avait rien à voir avec les hélicoptères, et qu'il n'a jamais demandé d'argent à Chodiev. Mais les juges soupçonnent une transaction fictive, d’autant plus que Vanden Berghe a affirmé ne pas connaître le sénateur. Les magistrats ont demandé (et obtenu) la levée de son immunité parlementaire le 18 mars dernier.  Le sénateur n’a pas encore été entendu.

Reste la dernière bombe, lâchée par Catherine Degoul lors de sa garde à vue : la remise en espèces de 5 millions d’euros par Patokh Chodiev à Zurich. Selon l'avocate, c’est Jean-François Étienne des Rosaies qui a organisé l’opération. Un homme est chargé de convoyer la valise : Éric Lambert, bras droit et gérant des sociétés de sécurité du capitaine Paul Barril, ancien de la cellule antiterroriste sous Mitterrand reconverti dans la barbouzerie françafricaine. Degoul connaît bien Lambert : elle est l’avocate de son patron, visé par une enquête pour « complicité de génocide » pour avoir aidé le régime génocidaire rwandais. 

En décembre 2011, Degoul se retrouve donc dans la chambre louée par Chodiev à l’hôtel Hyatt. Elle a raconté aux juges avoir passé un coup de fil à Des Rosaies en présence de l'oligarque, suite à un malentendu sur le montant. « Le préfet [Des Rosaies] m’avait dit, il y a un code, il [Chodiev] doit vous dire le chiffre 5. […] C’est parce qu’il m’a dit 2 que j’ai appelé le préfet. » Une fois ce problème réglé, Chodiev commande les fonds et quitte la pièce. L’un de ses hommes apporte la valise de billets, que Degoul remet à Éric Lambert, qui l’a rejointe dans la chambre. 

À partir de là, les versions divergent. Le porteur de valise a indiqué aux juges qu’il a convoyé l’argent en voiture à Nice, au cabinet de Catherine Degoul. L’intéressée nie formellement. Elle assure qu’elle ne sait pas où Lambert a emporté l’argent, même si elle soupçonne qu’il a été remis à l’ex-conseiller de Sarkozy. « Jean-François Étienne des Rosaies n’est ni l’ordonnateur ni le destinataire de fonds en cash circulant entre la France et la Suisse. Ces faits ne lui sont pas reprochés et le principal témoin de cet épisode dégage la responsabilité de mon client qu’il n’a jamais rencontré », réplique son avocat, Me Kopp.

Pour ajouter à l’ambiance, l’avocate, désormais en conflit avec l’ancien préfet, a raconté aux enquêteurs avoir été menacée. Elle aurait été suivie dans la rue, sa boîte aux lettres fracturée, sans oublier des coups de fils et une lettre de menace reçue à son domicile. Son avocat, Me Blumenkranz, assure qu' « elle s’est trouvée malgré elle concernée, mais pas impliquée, dans des flux d’argent en virements et en espèces, qui, s’ils sont frauduleux, pourraient correspondre à des commissions sur des marchés qui ont été signés avec le Kazakhstan ». 

Les juges ont mis en examen Degoul et Des Rosaies, ainsi que les intermédiaires Lambert et Vanden Berghe. Tous clament leur innocence, soulignant que la corruption d’agents publics étrangers n’est pas avérée. À ce stade, les enquêteurs n’ont pas trouvé de flux financiers suspects qui auraient arrosé des politiques kazakhs ou belges. Les juges ont toutefois lancé une commission rogatoire internationale outre-Quiévrain, dont ils attendent le retour.

Les magistrats s’intéressent aussi à la manière dont les hommes de Sarkozy ont suivi le dossier. Comme l’a révélé Mediapart, les juges ont réclamé les archives de Damien Loras, l’ex-conseiller pour l’Asie centrale au Château. Ils n’ont pas tout obtenu, une partie des documents étant couverts par le secret défense. Les magistrats ont aussi demandé à la place Beauveau les disques durs de l’ancien locataire, Claude Guéant, passé de l’Élysée au ministère de l’intérieur en février 2011. Mais les disques durs des ordinateurs de sa secrétaire ont été effacés.

(1) Après plusieurs malaises, Jean-François Étienne des Rosaies a été victime d'un infarctus lors de sa garde à vue ; le 8 septembre 2014. Son avocat a déposé plainte pour « tortures, traitements inhumains exercés à son préjudice » (et par ailleurs pour « violation du secret de l’instruction »), estimant que cet incident grave aurait pu être évité si les policiers et les magistrats avaient pris en compte ses mises en garde.

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La brigade financière enquête sur Sciences-Po Aix

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Après la Cour des comptes, dont le rapport provisoire vient d’être envoyé aux concernés, la justice s’intéresse à son tour à Sciences-Po Aix. Le parquet d’Aix-en-Provence a ouvert en avril 2015 une enquête préliminaire visant plusieurs irrégularités dans la gestion de l’Institut d’études politiques. Celles-ci ont été découvertes début décembre par l’administrateur provisoire, Didier Laussel, à son arrivée à la tête de l’établissement. « C’est une enquête assez large, qui touche notamment aux formations externalisées et à d’éventuels faux diplômes, que nous avons ouverte suite à vos articles, puis à une alerte de certains responsables de l’IEP », explique Dominique Moyal, la procureure de la République d’Aix-en-Provence.

Le site de l'IEP d'Aix vient de faire peau neuve, un marché auquel s'intéresse la brigade financière.Le site de l'IEP d'Aix vient de faire peau neuve, un marché auquel s'intéresse la brigade financière.

Pour renflouer ses caisses, l’IEP avait choisi depuis 2008 de nouer de façon opaque des partenariats avec plusieurs organismes de formation privés en France et dans le monde entier (île Maurice, La Réunion, Suisse, Chine, République démocratique du Congo, Arménie, etc.). Ces organismes, parfois nouvellement créés, promettaient aux étudiants du monde entier l’obtention de masters de l’IEP (bac + 5) en échange de droits d’inscription substantiels.

Au fil de nos investigations, c’est un véritable « IEP bis » qui était apparu, construit autour de l’ex-directeur adjoint de l'IEP, Stéphane Boudrandi. C’est via son master de management de l’information stratégique (MIS), décliné en de multiples parcours non soumis à habilitation, que s’est développé ce système exponentiel de sous-traitance de diplômes d’État.

Chargés de l’enquête, les policiers de la division économique et financière de la PJ marseillaise ont perquisitionné le 11 mai les locaux de l’IEP. « Ils m’avaient demandé de préparer un certain nombre de documents, mais des choses ont disparu, certaines personnes sont éventuellement parties avec des dossiers qu’elles considéraient comme personnels », explique Didier Laussel. Après la démission contrainte du directeur Christian Duval en décembre 2014, ce professeur de droit venu de l’université d’Aix-Marseille a été nommé par le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur pour ramener un peu d’ordre au sein d’un institut secoué par une affaire de marchandage de diplômes d’État. Comme une dizaine de personnels de l’établissement, Didier Laussel a été longuement entendu par la PJ le 12 mai en tant que témoin à l’Évêché, l’hôtel de police de Marseille.  

Mi-janvier 2015, plusieurs employés avaient été reçus par la procureure, démarche ensuite formalisée par un signalement réalisé en bonne et due forme par Didier Laussel. Ce dernier explique avoir alerté le parquet non seulement sur les « problèmes de diplômes » déjà mis au jour par un audit, mais également sur diverses « irrégularités » dans la passation d’un marché public pour la refonte du site web de l’établissement, une « possible prise illégale d’intérêt en lien avec les partenariats » et une « possible inscription illégale d’un étudiant ». « Pour l’heure, nous sommes encore en phase d’audit et de débroussaillage, indique prudemment Dominique Moyal. Dans un deuxième temps, nous identifierons les qualifications qui peuvent être retenues. »

C'est toute la gestion de l'ancien directeur Christian Duval, dont la femme est toujours responsable administrative et financière de l'Institut, qui est donc examinée à la loupe. Stéphane Boudrandi (qui n'a pas retourné notre appel) pourrait être entendu dans le cadre de cette enquête. Cheville ouvrière des partenariats douteux, ce consultant avait créé un centre de formation en intelligence économique et sociale de Sciences-Po Aix (CFIES) qui proposait des partenariats à des organismes privés, en vue de la délivrance de diplômes en formation continue. Le CFIES apparaissait comme une structure aux couleurs de l’IEP, mais il s’agissait également d’une société privée enregistrée en 2006 par le consultant sous le statut « profession libérale » avec comme activité déclarée « autres enseignements ». « Il y avait effectivement à la fois une structure interne et une structure privée au même nom, confirme Didier Laussel. Et nous avons trouvé une trace de facturation faite au nom de cette société. »

La refonte du site internet de Sciences-Po Aix, lancée début 2014, a, elle, coûté une somme faramineuse à l’IEP – près de 170 000 euros selon plusieurs sources –, pour un résultat jugé décevant en interne. « Pour cette somme, nous aurions dû avoir un site de fou », remarque un agent, sous couvert d’anonymat. Les policiers s’intéressent surtout aux conditions de passation de ce marché public. Deux sociétés ont travaillé sur ce projet « pour l’une sans aucun appel d’offres, ni marché public ; pour l’autre avec un appel à candidatures mais une convention et un avenant signés en décembre 2013, alors qu’ils avaient été rédigés en juillet 2014 », explique Didier Laussel. Selon une source interne, l’une des sociétés retenues se trouvait être actionnaire minoritaire d’une entreprise présidée par le fils d'Hervé Nédelec, à l'époque directeur de la communication de l’IEP.

Samedi 6 juin, le conseil d’administration de Sciences-Po Aix doit choisir un nouveau directeur, parmi trois candidats (Gilles Pollet, l’ancien directeur de l’IEP de Lyon, et deux professeurs de droit de l’université d’Aix-Marseille, Antoine Leca et Rostane Mehdi). « Ce sera à lui de décider avec le conseil d’administration d’éventuelles poursuites disciplinaires », estime Didier Laussel. Entretemps, le ménage a déjà commencé rue Gaston-de-Saporta, où l’administrateur provisoire est arrivé dans une « ambiance à couper au couteau ».

La directrice générale des services a été recasée au rectorat d’Aix-Marseille (à partir du 1er septembre). « Il est sain que l’IEP reparte sur de nouvelles bases », se contente de commenter Didier Laussel. Les contrats (CDD) de Stéphane Boudrandi, l’ancien directeur adjoint de l’IEP à l’origine de l’affaire des diplômes, et d’Hervé Nédelec, l’ex-directeur de la communication de Sciences-Po Aix et des masters journalisme et communication, arrivés à expiration fin 2014, n’ont pas été renouvelés.

Céline Le Corroller, directrice des partenariats de l’IEP, qui émargeait également à l’Institut de gestion sociale (IGS), un groupe d’organismes de formation privés, a pour sa part été licenciée pour faute. Elle n’avait pas jugé utile de signaler ce double emploi, alors même que l’IGS était le principal partenaire privé de Sciences-Po Aix. Selon un audit mené par l’université d'Aix-Marseille à la fin de l’année 2014, le groupe privé a commercialisé le label « Sciences-Po Aix » auprès de 316 étudiants en 2013/2014. Un fonctionnaire ou contractuel peut en effet exercer une activité annexe en parallèle, à la seule condition qu’elle soit « accessoire » et qu'il ait obtenu une autorisation de cumul. Et il lui est interdit de travailler dans une entreprise en relation avec son administration d'appartenance.

Didier Laussel a également mis fin aux fonctions du délégué à la formation continue, embauché en octobre 2013 pour trouver de nouveaux partenariats, Georges Nikakis. Il a fait l’objet d’un licenciement économique, l’objet de son poste disparaissant.  

L'administrateur provisoire a aussi écarté Hervé Estampes. Ce dernier cumulait avec virtuosité un poste de directeur de l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) et un autre de « maître de conférences associé à temps plein » à l’IEP, selon Didier Laussel. « Un temps plein de maître de conf' associé, c’est 126 heures, ce n’est pas grand-chose, rétorque Hervé Estampes. En réalité, il m’a écarté car il voulait m’exclure du conseil d’administration. J’ai contesté mon éviction devant le tribunal administratif pour excès de pouvoir : je ne cumule pas deux emplois publics, car celui de l’AFPA est de droit privé. »

Ce départ précipité vient conclure le parcours tortueux d’Hervé Estampes au sein de l’école aixoise. La revue Débat formation publiée par l’AFPA en décembre 2012 précise qu’il occupait ce poste à l’IEP « depuis 1999 » pour « coordonner l’enseignement des finances publiques ». Elle omet de préciser que cet ancien magistrat financier avait connu une légère déconvenue en 2006. Alors magistrat à la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), il avait été épinglé par ses propres collègues dans un dossier qu’il pilotait pour l’IEP. L’Institut avait attribué sans mise en concurrence un lucratif marché public d’enseignement à distance à Magister Dixit, une société dont Hervé Estampes était actionnaire fondateur (via des apports en nature de cours et de fiches de lecture). Il s’agissait de « quelques cours pour 3 ou 4 000 euros », prétend-il aujourd’hui, alors que les statuts de la société valorisent son apport à 44 031 euros…

Récemment, le syndicat Sud AFPA a noté qu'Hervé Estampes poursuivait dans le « conflit d’intérêts », en versant une partie de la taxe d’apprentissage de l’AFPA à l’IEP, son second employeur. « C’est quelque chose de tout à fait classique, quand on est administrateur d'un établissement, de lui verser une part de la taxe d’apprentissage, se défend Hervé Estampes. On parle ici d’un peu plus de 10 000 euros, quand l’AFPA verse à l’année environ 200 000 euros de taxe d'apprentissage. »

La présidente du FMI, Christine Lagarde, qui présidait le conseil d’administration de l’IEP et avait soutenu jusqu’au bout la gestion de Christian Duval, a quant à elle prudemment pris ses distances. Son mandat d’administratrice, tout comme celui des cinq autres personnalités extérieures, n’était d’ailleurs plus valide depuis mi-avril 2014. « Elles avaient été nommées le 15 avril 2011 par l’ex-recteur Jean-Paul de Gaudemar pour trois ans, et Christian Duval avait omis de les renouveler », explique Didier Laussel. La présidente du FMI n’a pas été candidate au renouvellement de son mandat. « Elle a totalement disparu des écrans de contrôle, s’amuse un membre de l'IEP. Pour la première fois en quinze ans, elle ne viendra même pas pour les rencontres du Cercle des économistes à Aix [du 3 au 5 juillet 2015 - ndlr]. »

À son arrivée, Didier Laussel a également dû gérer les menaces de contentieux de plusieurs organismes privés, à la suite des nombreux partenariats résiliés en catastrophe par Christian Duval. L’administrateur provisoire a même découvert de nouveaux partenariats, qui avaient échappé à l’audit de l’université Aix-Marseille rendu début décembre. « Il s’agissait en particulier de conventions signées en juillet 2014 avec Le Moniteur et Le Territorial, dit-il. Heureusement, elles n’avaient pas encore été mises en œuvre. » Le groupe IGS, principal partenaire de l’IEP (qui n’a pas répondu à nos appels), réclamerait quant à lui 15 millions d’euros pour rupture abusive de la convention. Selon Didier Laussel, une solution serait à portée de main, avec l’aide du rectorat d’Aix-Marseille. Cette solution lèverait une sérieuse hypothèque financière pour l'IEP.

BOITE NOIRELes journalistes de la rédaction du site d’information marseillais Marsactu, en liquidation, ont remporté l’appel d’offres de l’administrateur judiciaire pour le fonds de commerce, la marque et le matériel. Ils viennent de lancer une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule. Objectif : réunir 25 000 euros en 40 jours pour financer ses premiers investissements.

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Le député Pouria Amirshahi appelle à vivre à côté du PS

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Continuer, mais pas uniquement dans le parti. Dans un texte adressé à plusieurs cadres et militants de la motion B, celle des parlementaires critiques et des ailes gauche emmenée par Christian Paul, le député Pouria Amirshahi appelle ses camarades à tenir la tranchée, mais aussi à regarder ailleurs. Absent de ce congrès, l'opposant socialiste interne se veut lucide sur la situation du PS. « Plus personne ne demande le souffle du Bourget, car plus personne n’y croit ni ne veut perdre son temps en des parties de gifles interminables (…) La seule chose que nous devons prôner pour le parti, estime-t-il : qu'il joue pleinement son rôle pour les deux prochaines années à l’égard de l’exécutif, en amenant ce dernier à de nouveaux compromis ».

Pour autant, il appelle à être « politiquement organisé et autonome dans le champ politique », à « construire les ponts nécessaires entre notre parti et les autres composantes du camp progressiste » et se prononce pour la création d'un « mouvement nouveau ». Les représentants de la motion B ont prévu de se réunir durant le week-end du congrès, pour décider de la suite des événements.

Lire le texte de Pouria Amirshahi ici

 

 

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Le PS en Seine-Maritime (2) : en Fabiusie, la tragédie du carriérisme politique

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 « Il y a un problème structurel de base dans le PS de Seine-Maritime : c’est comme si pour être militant, il fallait absolument être payé. » Cet ancien membre de cabinet du conseil général résume bien la situation du socialisme dans le département. Pendant plusieurs mois, Mediapart s’est plongé dans les méandres du carriérisme politique dans le fief de Laurent Fabius, poste avancé du socialisme à bout de souffle, où l'on ne milite guère plus que par intérêt. Le cas de Didier Marie, que nous avons raconté ici, est loin d’être un profil isolé. C’est tout un « système », allant du complément de rémunération aux emplois politiques croisés, qui a été construit dans le territoire haut-normand, ainsi que nous l’ont raconté une vingtaine de sources, élus, militants, anciens conseillers de cabinet ou agents administratifs.

Laurent Fabius, à Grand-QuevillyLaurent Fabius, à Grand-Quevilly © dr

Emploi à la fédération, au groupe PS du conseil général, du conseil régional ou du conseil d’agglomération de Rouen, permanence dans l’une des nombreuses « maisons du département », poste d’attaché parlementaire… Les ressources de l’entreprise politique du PS local ont longtemps été fort vastes, un peu moins depuis la perte du conseil départemental en mars dernier. Et pour quelques fonctions où le travail est réel (secrétariat, communication, animation d’un groupe politique, travail parlementaire), on trouve surtout des « emplois politiques » concernant pêle-mêle une quantité de cadres fédéraux ou de secrétaires de section, parfois leur compagne ou compagnon, ou encore leurs enfants, rémunérés par diverses institutions, le parti, parlementaires ou collectivités. À chaque fois, la principale compétence reconnue est de faire partie du « noyau fabiusien » local, élu ne vivant pas suffisamment de son indemnité, ou militant aspirant à devenir élu.

À la fédération du PS, dont les recettes sont pour partie d’origine étatique, neuf personnes étaient encore employées en décembre 2014, d’après un chiffre confirmé par les intéressés. Un chiffre singulier dans le fonctionnement traditionnel des fédérations socialistes, ainsi que nous l’ont certifié plusieurs sources au siège national du PS, ou dans d’autres fédérations de taille équivalente. « On est dans l’ordre de l’exceptionnel, dit un excellent connaisseur de l’appareil du parti. Partout ailleurs, il y a entre un et trois permanents rémunérés par fédération. » Ici, comme le note un ancien du département, « quasiment tout le conseil fédéral vit de la politique ».

En Seine-Maritime, ce « CF » sortant, sorte de parlement du parti au niveau départemental, est en effet composé de personnes rémunérées ou ayant été rémunérées directement par la fédération. Il en va ainsi de Didier Marie, un cas bien particulier, mais aussi du premier fédéral adjoint Bastien Coriton ou de la députée Dominique Chauvel, mais encore d’Alexandre Cherichi, de Matthieu Manero, de Dominique Piednoël, de Charlotte Goujon ou de Mélanie Boulanger.

Leur rémunération est variable (allant de 35 heures payées au Smic à des temps partiels à 2 500 euros pour 24,50 heures), ce sont parfois des CDD, parfois des CDI, parfois des contrats d'insertion. Pour certains, ils correspondent à un travail réel, mais pour beaucoup d’autres, la réalité de la charge de travail est incertaine. La fédération, qui a mis deux voitures à disposition de ses responsables, ne s’est jamais gênée pour embaucher des « petites mains » (notamment une secrétaire) par le biais de contrats aidés, afin de bénéficier des subventions publiques.

Sur tous les CDD et CDI que nous avons pu consulter, l’« engagement » est à chaque fois passé « en vue d’aider » la fédération « dans le cadre de la mise en place de [ses] activités ». Quant aux fonctions occupées, ce sont toujours celles d’« assistant », qui « consistent en l’apport d’une aide politique sur tous les domaines d’intervention de l’association et en la rédaction de tous les documents qui lui seront demandés par le Président de l’association ».

En quoi consiste concrètement cette « aide politique » ? « Ce ne sont pas des emplois à vie, explique le premier fédéral Christophe Bouillon. Ils font ça à un moment donné, ils donnent le coup de main, ils font de la politique. » Selon le patron de la fédération, à côté de « postes techniques, pour le secrétariat, les impressions ou la gestion des fichiers », le PS local aurait aussi besoin de « postes politiques, pour aider au développement du parti, au travail de terrain ». On a pourtant du mal à comprendre la spécificité d’un travail qui ressemble avant tout à du militantisme et à la participation d’une campagne électorale.

Quand on l’interroge de façon insistante sur la réalité du travail fourni par ces nombreux permanents, Bouillon répond : « La rédaction de tracts, le contact téléphonique avec les secrétaires de section, de la gestion humaine. C’est comme pour un syndicat, on y donne beaucoup d’humain, beaucoup de relations et beaucoup des contacts. Vous considérez que ce n’est pas du travail, moi si. »

Mais là où le bât blesse, c’est que ces bénéficiaires d’emplois politiques sont le plus souvent déjà rémunérés par l’appareil socialiste, comme employé du conseil général ou attaché parlementaire, voire sont déjà élus et perçoivent de ce fait des indemnités que l’on pourrait juger conséquentes, à tout le moins suffisantes pour vivre. Ainsi de Mélanie Boulanger, qui a succédé à Christophe Bouillon comme maire de Canteleu et qui est également employée par la fédération. « Les militants savent qu’ils peuvent m’appeler tard le soir ou le week-end. Je suis beaucoup à la fédération, ce n’est pas antinomique, et je n’ai pas le sentiment que les responsables de sections me reprochent quoi que ce soit », explique celle qui est aussi la compagne de Nicolas Rouly, président sortant du conseil général (qui a succédé à Didier Marie avant la victoire de la droite en mars dernier), et qui devrait être le successeur de Christophe Bouillon à la tête de la fédération.

Didier Marie et Christophe BouillonDidier Marie et Christophe Bouillon © dr

« Beaucoup d’élus veulent avoir un travail à côté, pour avoir une raison sociale et cotiser pour la retraite, explique le plus sérieusement du monde Bouillon. C’est aussi le rôle d’un parti politique de se dire qu’à un moment donné on peut aider quelqu’un qui fait de la politique à partir à la conquête d’un territoire, ce qui est utile pour le collectif en termes de politique. » Il ne conteste pas le fait que l’on puisse être surpris d’un tel accaparement des ressources financières d’un parti (en partie publiques) au profit d’un personnel politique déjà indemnisé comme élu ou salarié dans des collectivités territoriales. « Vous connaissez le parti socialiste, il y a 60 % d’élus et une grosse partie qui sont des collaborateurs d’élus. Oui c’est un problème. C’est comme pour le capitalisme français, on retrouve les uns chez les autres. » Mais il a sa parade toute trouvée à tout questionnement mettant en doute la probité d’un tel système : « Même si le travail politique est un travail particulier, c’est parfaitement légal. »

La pratique a pour intérêt politique de constituer un « système reposant sur l’attachement des gens à des intérêts divers, financiers ou de carrière », selon les termes de l’opposant interne Pierre Bourguignon, ancien député rocardien exclu du PS en 2012. « Fabius a construit méthodiquement son extension, explique-t-il. Aujourd’hui, le maillage est large et on est dans un climat d’impunité où tout le monde se tient par la barbichette, et où personne ne râle. Et si quelqu’un râle, on attend qu’il se fatigue… »

Croisé lors d’un banquet militant en octobre 2014, Jacques, un agriculteur à la barbe foisonnante et militant de longue date, nous confiait déjà sa consternation : « Aujourd'hui, les élus encalminent le parti avec leur carrière politique, sans savoir de quoi est fait le quotidien des gens et de leurs intérêts. Ici, les maires sont désignés, les cadres du parti sont interchangeables. On est arrivé à une situation où être socialiste est devenu un métier, où cadres, élus et conseillers ne travaillent plus qu'au parti. C'est normal qu'il y ait des permanents, mais c'est comme s'il n'y avait plus que cela parmi ceux qui nous représentent. » Gaëlle, une autre militante de Seine-Maritime, ajoute : « Quand on prend de son temps pour distribuer des tracts, coller des affiches et tenir des bureaux de vote en disant “Votez pour eux, ce sont des gens qui ont des valeurs de justice”, et qu’après on découvre le pot aux roses, on est écœuré… »

À chaque fois, le même récit revient chez ces militants, anciens collaborateurs ou “petits élus” rencontrés dans le cadre de notre enquête : celui d’une sidération à la lecture de la déclaration d’intérêts de Didier Marie (lire notre article). Il faut dire qu’à aucun moment tous ces emplois fédéraux n’ont été signalés dans les bilans financiers. « Il faut que les questions soient posées pour que les réponses apparaissent, minimise Bouillon. Mais les questions n’étaient pas posées. Aujourd’hui, des gens réagissent parce qu’il y a un congrès. » L'argument s’accompagne d’un autre, imparable : ces dirigeants sont reconduits dans leur fonction et investis à nouveau par les militants. C'est donc qu'ils ne trouvent rien à redire à ces pratiques.

Deux députées actuelles ont aussi été confrontées à une “proposition d’aide financière” émanant de la fédération, après leurs défaites respectives aux législatives de 2007.

Dominique Chauvel a ainsi accepté d’être rémunérée 1 100 euros par mois par la fédération, cinq ans durant jusqu’à son élection à l’assemblée en 2012, ainsi qu’elle l’a écrit dans sa déclaration d’intérêts. « Elle a une connaissance assez fine des questions rurales qui nous a été utile, sur un terrain assez hostile », justifie Bouillon. Interrogée sur la réalité de son travail, celle qui a aussi été vice-présidente du conseil général et maire de Sotteville-sur-Mer, puis qui a gagné la ville de Saint-Valéry-en-Caux aux dernières municipales, se fait tout aussi évasive. « Je regardais les choses », « j’étais présente sur le terrain », « j’ai écrit une ou deux notes sur le milieu rural », explique-t-elle au gré de nos relances. « Je n’ai pas l’impression d’avoir volé cet argent, j’ai le sentiment d’avoir fait du bon travail sur ce canton, dit-elle enfin. C’est un territoire très vaste, il y a beaucoup de déplacements, beaucoup de frais. » Et d’assurer : « Ce n’est pas le rapport à l’argent qui me fait avancer, ni ma carrière politique, mais la proximité avec les citoyens, les écouter et s’inspirer de leurs idées. Peut-être qu’un jour moi aussi je paierai quelqu’un “un bout de salaire” pour voir les gens, faire du lien social, discuter et avoir des idées. »

Guillaume Bachelay, Laurent Fabius et Christophe BouillonGuillaume Bachelay, Laurent Fabius et Christophe Bouillon © PS/Flickr

En revanche, une autre députée actuelle n’a pas saisi la même perche financière tendue alors par la fédération, au lendemain de sa défaite législative en 2007. Première adjointe de Fécamp, Estelle Grelier explique qu’on lui a demandé si elle avait « besoin d’aide », sans préciser qui exactement (« Je ne me rappelle plus »). « J’ai cru qu’on me parlait d’aide pour l’impression et la diffusion de tracts, et j’ai répondu que ça irait, qu’on allait se débrouiller avec la section, assure celle qui fut ensuite élue eurodéputée avant d’entrer au Palais-Bourbon en 2012. Je comprends un peu mieux aujourd’hui ce que ça voulait dire. »

Ces emplois politiques permettent aussi de satisfaire des amis de longue date de Laurent Fabius, comme Alain Gerbi, ancien rédacteur en chef de France 3 Normandie. Parti à la retraite en 2002, celui-ci a été salarié à partir de 2008 par la « fédé » pour 2 300 euros par mois, coquette rétribution pour un mi-temps, dont il a bénéficié jusqu’en janvier 2015. « Je faisais du media-training et des vidéos pour le site internet », explique le journaliste. « Ça n’allait pas loin son media-training, témoigne une élue PS. C’était : “Posez votre voix et mettez un foulard.” Mais la deuxième fois que tu le vois pour préparer une interview sur France 3, tu comprends vite que son rôle, c’est surtout de récupérer les questions à l’avance… » « Jamais ! », réplique l’intéressé. « Je sais juste anticiper les questions... »

Pour justifier tous ces emplois, il faut préciser que le « PS 76 » est connu comme l’une des fédérations les plus riches de France. Depuis une dizaine d’années, il oscille entre 3 000 et 4 000 adhérents, une taille plutôt importante même si les effectifs sont en baisse comme sur l’ensemble du territoire, et plus encore depuis que Laurent Fabius a abandonné toute ambition présidentielle (lors de la primaire de 2006, le nombre d’adhérents était monté jusqu’à 5 000). Entre les cotisations versées par les élus et celles des simples adhérents, quelque 800 000 euros rentraient chaque année dans les caisses, d’après les documents comptables en notre possession. Il y a quelques années, malgré ses dépenses courantes, la fédération affichait jusqu'à 900 000 euros de réserves (redescendues depuis à moins de 200 000 euros). Déjà doté d’un riche patrimoine immobilier, le « PS 76 » a encore investi dans la pierre en 2012-2013, en achetant un nouveau local au Havre et en retapant celui de Dieppe, en même temps qu’il agrandissait son siège historique à Rouen. À l’aise.

Comme les “grosses fédés” d’antan (Bouches-du-Rhône, Pas-de-Calais, Hérault), qui ont depuis été épinglées pour leur fonctionnement, la Seine-Maritime socialiste est une baronnie sans opposition interne (les courants minoritaires sont quasi inexistants face aux fabiusiens) qui a laissé se développer en son sein des comportements peu éthiques, mais n’ayant ici que peu à voir avec le clientélisme ou l’entretien de réseaux politiques externes. Plutôt la conservation d’un « entre soi militant », assis sur la conquête et la conservation de positions politiques permettant de le faire fructifier.

Pour cela, la fédération représente un vivier d’emplois, dépendant « des moments et des besoins, si on est en campagne ou pas », nous expliquait Mélanie Boulanger à la fin du mois de janvier. « Là, par exemple, on a une section qui nous demande un contrat de deux mois, pour un coup de main, pour aider, expliquait-elle avant les départementales. Ça fonctionne comme ça. Et ça fonctionne plutôt pas mal, vu les résultats aux élections. » Et même si la Seine-Maritime a basculé à droite lors du dernier scrutin, la résistance du PS local a permis à la plupart des proches du premier fédéral sortant de conserver leur mandat départemental.

La perte de l’institution laisse toutefois entrevoir la fin d’un âge d’or de la professionnalisation politique dans le PS seinomarin, autour des « bébés Fabius » que sont Christophe Bouillon et Didier Marie. L’une des premières mesures de la nouvelle majorité de droite après sa conquête de l’institution départementale, et qui fut l’une de ses promesses de campagne, fut ainsi de fermer les « maisons du département ». Ces antennes, dont quelques-unes existaient déjà lors de la prise du conseil général par le PS en 2004, s’étaient ainsi démultipliées au fil des ans, et ont symbolisé cette privatisation de l’esprit public au profit de l’appareil socialiste.

Au départ, l’idée, louable, est d’implanter des guichets de proximité dans les différents territoires du département. Mais dans la pratique, cela va permettre aux socialistes locaux de promouvoir des outsiders dans des villes à fort enjeu politique. « Les moyens de la collectivité sont mis à disposition des élus, afin de renforcer politiquement les cantons », résume un ancien pilier fabiusien. « “Ne soyons pas naïfs”, on savait que c’était un moyen de contrer le pouvoir des élus locaux de droite et donc un instrument de présence politique, détaille-t-il. Donc les cadres et employés là-bas devaient être sensibles à nos idées, afin de maintenir un lien permanent avec les associations culturelles, sportives et sociales. » Rien de bien original jusque-là, ainsi que le reconnaît cette source bien informée. « Mais peu à peu, ajoute-t-il, les recrutements s’avèrent être de complaisance, avec des postes dédiés uniquement à l’implantation politique, ou à des prises de guerre interne. »

La maison du département de DieppeLa maison du département de Dieppe © dr

Y seront ainsi embauchés selon les zones géographiques des proches du président de région Alain Le Vern, ou de Christophe Bouillon et Didier Marie, tous trois vassaux de la baronnie fabiusienne, le premier, plus âgé, entretenant des relations détestables avec les deux autres. Des proches ou ceux qui partagent leur vie, mais aussi des secrétaires de section ou des attachés parlementaires, en attendant de les trouver en bonne place sur une liste pour gagner ensuite du galon politiquement. Des embauches se font aussi afin d’entretenir une “paix socialiste” entre les vassaux sur leurs territoires. Comme celle de la femme du chef de file PS Laurent Logiou, un proche de Le Vern, à la maison du département au Havre, afin de s’assurer de la « neutralité » de celui-ci dans les batailles socialistes internes. Même démarche avec Mélanie Boulanger, une attachée parlementaire virée par Le Vern, qui sera embauchée à Neufchâtel.

L’utilité de ces « maisons du département » dépassera même les frontières normandes, puisqu’un établissement sera créé à Paris. À sa tête en 2008-2009, on trouve encore un proche de Laurent Fabius, Bernard Amsalem, rémunéré à 4 600 euros pour ce temps plein, alors qu’il dirigeait déjà la fédération française d’athlétisme (quelque 2 000 euros par mois pour un mi-temps). Ce socialiste de cœur assume avoir cumulé ces deux salaires. « [À la Maison du département], j’étais chargé d’un plan pour développer le tourisme nautique en Seine-Maritime », explique-t-il. « Une aventure peu glorieuse », titrait Paris-Normandie à l’annonce de la fermeture, en 2010.

Autre technique de professionnalisation maximaliste de la vie politique au parti socialiste de Seine-Maritime : les emplois aux groupes PS des collectivités. Un ex-responsable des ressources humaines d’une collectivité territoriale décrit ainsi le « système d’embauches croisées entre le département et la région, l’élu de l’un se retrouvant assistant du groupe PS de l’autre institution ». « L’enveloppe financière globale n’était jamais dépassée, on n’avait jamais des salaires à 5 000 euros, mais plutôt des “1 500” par-ci, des “2 200” par-là… », explique cette source. Selon elle, « on était davantage dans la recherche d’ajustements et plus dans de simples emplois politiques. En général, l’opération consistait à donner à un élu les moyens de son assise politique. Ça avait le parfum de la légalité, mais ça détournait le sens de la loi, car il n’y avait pas franchement de travail effectué, ou alors faire campagne doit être reconnu comme un travail… »

« Au groupe PS du conseil général, il y avait plusieurs emplois, mais un seul bureau… », se souvient aussi un ancien collaborateur de cabinet, pour qui « embaucher un militant, ce n’est pas un souci. Mais pour faire du vrai boulot, pas rien ». Pour ce fabiusien qui a préféré s’en aller voir ailleurs, si « les emplois politiques sont une réalité au PS aujourd’hui un peu partout en France, la Seine-Maritime a poussé la pratique au maximum ». Cette source se souvient ainsi avoir questionné l’emploi d’un secrétaire de section dans une maison du département, avant de se voir répondre : « Mais comment veux-tu qu’il fasse pour vivre ? »

Un ancien proche du président du conseil général explique de son côté : « Ce sont des gamins qui ont été faits princes par le roi, et qui se comportent comme des cancres. Il n’y a pas forcément de réflexes illégaux, mais jamais personne ne se pose la question de savoir si c’est bien d’agir comme ça. » Et de prendre l’exemple de la création d’un poste avec indemnités au SDIS (service départemental d’incendie et de secours), destiné à un cadre socialiste déjà employé au conseil général. « Il y en a eu des centaines, des demandes comme ça, souffle-t-il. Il fallait voir comment on pouvait faire pour que Marcel ou René puissent gagner un peu plus… Avec toujours l’idée que comme ça a toujours fonctionné comme ça, il n’y avait aucune raison que ça change… »

C’est que l’état actuel du PS en Seine-Maritime vient de loin. Particulièrement de ce fameux « socialisme scientifique », cette marque du courant « fabiusien » où rien n’est laissé au hasard et qui a fait sa gloire au sein du parti. Une implantation réalisée, prétendent les anciens, grâce aux moyens des fonds secrets de Matignon (que Fabius quitta en 1986), puis grâce à la fameuse technique du « socialisme hôtelier », permise par l’accession de l’ancien premier ministre à la présidence de l’assemblée nationale (un poste qu’il occupera en 1988, trois ans et demi durant). « C’est à ce moment que les choses sérieuses commencent, explique un ancien collaborateur de Fabius à cette époque. Avec la création du courant “Égalité”, ayant pour objectif de porter Laurent à la tête du PS. » Objectif : le congrès de Rennes, en 1990.

À l’Hôtel de Lassay, à la présidence de l’assemblée, les déjeuners et dîners s’enchaînent, la formidable cave à vins constituée par Jacques Chaban-Delmas en prend un coup. « On reçoit plus d’un millier de personnes par semaine, avec photo sur le perron, envoyée ensuite avec une dédicace », raconte encore fasciné un conseiller de l’époque. Pour pouvoir emporter le parti au plan national, il faut un fief local, une base arrière, où l’on se replie comme l’on se déploie politiquement. C’est alors l’époque du « maillage territorial », ainsi que l’explique Alain Le Vern – alors premier fédéral – au Monde en avril 1990. Car comme le relate le quotidien vespéral, Fabius « n'aime pas les termes de “clan” ou de “réseau”». Alors, il « maille » le territoire, et conquiert peu à peu la grande majorité du territoire haut-normand.

Mais dans le PS, après un premier succès surprise lors du vote des motions au congrès de Rennes, la conquête fabiusienne se fracassera sur la bataille rangée du congrès de Rennes de mars 1990, où Lionel Jospin semblera découvrir les vicissitudes du socialisme de congrès. À l’époque, devant une dizaine de journalistes, il dit son écœurement et dénonce les « méthodes de voyous » de Fabius, qui deviendront peu à peu la norme dans les congrès socialistes. Le Monde de l’époque rapporte comment sa découverte du « clientélisme » lui apparut comme une « forfaiture », lâchant cette appréciation prophétique : « De telles pratiques portent en germe la mort du Parti socialiste. » Finalement, ce congrès de Rennes se soldera par une impasse frisant l’implosion. Fabius prendra certes le parti, mais sur une petite année seulement (1992-1993) et perdra dans la foulée les élections régionales de Haute-Normandie. Il ne se consacrera dès lors qu’à la politique nationale et à son ambition présidentielle, en vain également, laissant à ses affidés le loisir d’administrer son camp retranché.

« La Seine-Maritime, c’était l’État dans l’État, le seul endroit où le courant était vraiment structuré comme une machine de guerre et de conquête électorale, se souvient Arnaud Champremier-Trigano, responsable des jeunes fabiusiens au MJS dans les années 1990, depuis devenu communicant, notamment lors de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Ailleurs, c’était un syndicat d’intérêts pour des gens très disparates idéologiquement, qui se savaient défendus au bureau national pour ses investitures et qu’on laissait tranquille localement pour défendre sa propre ligne politique. » Un autre jeune dirigeant fabiusien de l’époque se rappelle : « En Seine-Maritime, si t’étais pas du cru, tu n’étais au courant de rien. C’était le noyau dur. Ils avaient leur vie à eux, leurs codes à eux. C’était la pompe à fric qui finançait les activités politiques, l’endroit où se réunissait le courant, le point de chute pour les recalés du suffrage universel… »

« Si nationalement, le congrès de Rennes fut un échec, localement ce fut une réussite, raconte un acteur de l’époque. On prend la main sur la fédération. Les chevènementistes, les poperénistes, les rocardiens et les mauroyistes sont archi-minoritairesÀ partir de là, on a l’armature : les outils, la présence militante et la formation. Plus personne ne bronche. Une réunion hebdomadaire s’institue autour de Laurent Fabius, où toutes les décisions se prennent. » Jusqu’à aujourd’hui, cette « réunion du vendredi », où se retrouvent les grands élus de la région et du département, décidera des politiques publiques locales, comme des stratégies internes. Autour de la table, on retrouve certains des « espoirs du cheptel » de 1990, cette vingtaine de « futurs cadres ayant vocation à tenir le département et à gagner des positions électorales », selon un témoin privilégié de l’époque : Didier Marie et Christophe Bouillon.  

Au fil des ans, ces enfants gâtés de la fabiusie vont se “répartir” le département, avec leurs proches. Président de région, Alain Le Vern va entrer en guerre entrouverte avec le président du département, Didier Marie, et son allié Christophe Bouillon, patron de la fédération. « Ensemble, Bouillon et Marie n’auront de cesse de vouloir pousser le vieil éléphant Le Vern dans la fosse, s’amuse un témoin aux première loges à ce moment. Mais ils ne s’en donneront jamais les moyens, car ils ont trop peur de Fabius et de sa réaction. » Les « bébés Fabius » font tout de même en sorte de “verrouiller la fédération”. Et pour consolider une large majorité en son sein, ils feront vivre leur appareil, au sens premier du terme. « La professionnalisation des débuts ne peut pas justifier l’opacité et les sur-rémunérations, regrette un élu de l’époque. On a connu la désagrégation d’une idée politique, vers une coalition d’intérêts individuels. On est passé d’une belle entreprise de conquête électorale à une logique clanique de conservation du pouvoir. »

BOITE NOIRENous enquêtons sur le fonctionnement du socialisme en Seine-Maritime depuis décembre 2014, et avons rencontré plus d'une vingtaine d'anciens collaborateurs, employés de collectivités, militants, élus. Dans le cadre de ce second article, certaines de nos sources ont accepté de nous parler en réclamant l'anonymat en échange de leurs confidences.

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Nicolas Sarkozy se rabougrit sur ses obsessions

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Ce devait être le premier grand sujet de débat des “Républicains”. C’est finalement devenu une réunion à huis clos dont on ne saura rien. Jeudi 4 juin, quelques jours seulement après son congrès refondateur, le parti d’opposition a accueilli en son siège de la rue de Vaugirard une poignée de personnes venues discuter d’une problématique sur laquelle Nicolas Sarkozy s’est jeté dès son retour en politique. Le chômage ? L’éducation ? La crise ? Non. L’islam.

Depuis qu’il a eu la brillante idée de mettre à l’agenda une réflexion sur « ce que l’islam peut faire pour devenir l’islam de France », le patron de l’ex-UMP s'est attiré de nombreuses critiques. Et comme toujours dans ce parti si rassemblé, les attaques les plus virulentes sont venues de l’intérieur. Mi-mai, Nathalie Kosciusko-Morizet, pourtant associée dans un premier temps au projet, dénonçait « une mauvaise idée ». C’est ensuite Alain Juppé, défenseur d’une « identité heureuse », qui embrayait dans Le Figaro : « Arrêtons de nous focaliser sur le foulard ! »

Quant à Bruno Le Maire, il confiait encore récemment à Mediapart que le sujet de l’identité, tel qu’il était traité depuis des années par la droite, ne l’intéressait guère. « En parler alors qu’il y a 3 millions de chômeurs ne me semble pas une priorité. Je suis entré en politique, pas dans un séminaire. » Nombreux pensaient en avoir fini avec les stigmatisations, les dérapages racistes et les dérives frontistes qui ont jalonné le quinquennat Sarkozy. Certains se prenaient même à s'imaginer en vrais “Républicains”. Mais le roi des clivages est revenu. Avec la même ambition. Et les mêmes obsessions.

Nicolas Sarkozy au congrès des “Républicains”, le 30 mai.Nicolas Sarkozy au congrès des “Républicains”, le 30 mai. © Reuters

Nicolas Sarkozy peut continuer de jouer la carte de l'apaisement, de la sérénité et du calme jusqu'à plus soif. Il peut aussi expliquer qu'il aborde tous les sujets, y compris ceux qui fâchent, car « c’est jamais un problème » de « parler », de « travailler », de « réfléchir ». Il peut prendre un air pénétré lorsque ses adversaires en interne s'expriment. Il peut leur faire croire qu'il les écoute, que leur parole compte. Rien n'y fait. L'ex-chef de l'État est dans le paysage politique depuis bien trop longtemps pour continuer à tromper son monde.

Ainsi, ils sont de moins en moins nombreux à vouloir le suivre quand il s'emballe sur une idée. Le nom des “Républicains” n'a suscité aucun enthousiasme. Le congrès a été placé sous le signe de l'ennui. Le débat sur l'islam n'a passionné personne. Et à part Christian Estrosi et ses « cinquièmes colonnes » de « l'islamo-fascisme », on voit mal qui pourrait piocher des idées dans le rapport que remettront prochainement les députés Henri Guaino et Gérald Darmanin sur le sujet.

Le patron de l'opposition n’est donc même pas capable de réunir ses troupes autour d'une thématique qui lui tient à cœur. Pire encore, il se voit contraint de faire « pression » sur le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) – instance qu’il a pourtant créée en 2003 quand il était à Beauvau – afin que ce dernier accepte de participer à la réunion de jeudi. Pour quelqu’un qui se veut rassembleur, c’est raté. Pour quelqu'un qui souhaite incarner l'autorité, c'est raté aussi.

Que reste-t-il de cette journée dont Guaino et Darmanin avaient prévenu qu'elle ne ferait « l'objet d'aucune communication sur le contenu des échanges, ni sur les enseignements auxquels ils pourraient conduire » ? Une polémique. Des divisions. Quelques petites phrases. Bref, pas grand-chose. En revanche, la façon dont les choses se sont passées nous permettent de tirer un certain nombre d'enseignements sur les luttes de pouvoir menées rue de Vaugirard, ces batailles que le rideau de communication tendu par les sarkozystes cache la plupart du temps.

Aussi comprend-on que le « rassemblement », dont le patron de l'opposition se veut le grand ordonnateur, n’est rien d’autre qu’un village Potemkine duquel ses adversaires essaient tant bien que mal de s'échapper. Quant à l’antienne “j’ai changé”, c'est elle aussi un gros mensonge. En 2015, comme en 2012, l'ex-chef de l'État plonge dans la question identitaire pour essayer de repêcher les électeurs du FN. Le contenant « identité nationale » est devenu « la République », mais le contenu reste le même. La laïcité n'est plus « positive », elle est rigoriste. Surtout quand il s'agit de parler de l'islam.

Car si les crèches dans les mairies ne posent apparemment pas de problème, le port du foulard à l'université, les menus de substitution et, plus largement, la question de l’« assimilation » dont Sarkozy aimerait qu'elle remplace l'« intégration », sont devenus, dans sa bouche, des enjeux cruciaux pour notre société. En se crispant sur ce type de sujets, le patron de l'opposition prouve qu'il est complètement déconnecté de la réalité.

Quand il part à la rencontre des Français, c’est face à des salles pleines de militants acquis à sa cause, qui jamais ne le contrediront. Ce fut le cas samedi 30 mai, au congrès refondateur des “Républicains”. Quelque 10 000 personnes qui applaudissent un homme politique comme des fans applaudiraient Johnny Hallyday, cela fait toujours son petit effet sur le moment. On se dit forcément que l'on est dans le juste. On continue dans cette voie. On s'entête.

Alors oui, le noyau dur du parti pense certainement, comme Nicolas Sarkozy, que l’islam est une telle problématique en France qu’elle mérite de passer devant toutes les autres dans la file d'attente des priorités politiques. Que l’on trouvera bien un moment, plus tard, pour parler d’emploi, d’éducation ou d’économie. Des sujets certes moins vendeurs que l'immigration et la sécurité, mais susceptibles d'intéresser bien plus que 10 000 “Républicains”. À commencer par les millions de sympathisants de droite et du centre qui pourraient se déplacer à la primaire pour choisir leur candidat de 2017.

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Au congrès du PS, une Europe sans Syriza ni Podemos

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La salle est quasi vide. Le débat a commencé légèrement en avance, et s’est terminé plus tôt que prévu. Comme dans un théâtre d’ombres où les débats n’ont guère de sens. Pour l’ouverture de son 77e congrès, ce vendredi 5 juin, le parti socialiste a débattu de l’Europe. Mais une Europe dont Syriza et Podemos sont absents. Le PS a une nouvelle fois célébré la réorientation européenne qu’incarnerait François Hollande. À Bruxelles, la France est pourtant loin de soutenir le gouvernement grec dans ses négociations avec ses créanciers – le pays a décidé de décaler le remboursement d’1,6 milliard de dettes à la fin du mois de juin.

15h40, vendredi. Martin Schulz intervient à Poitiers devant une salle aux deux tiers vide15h40, vendredi. Martin Schulz intervient à Poitiers devant une salle aux deux tiers vide © MM

Très peu de dirigeants européens ont fait le déplacement – ils sont moins nombreux qu’à Toulouse il y a deux ans. Le leader du parti socialiste espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, a enregistré un message pour se féliciter des scores de son parti aux dernières municipales et régionales et saluer « mon ami le président Hollande ». Même chose pour le président du parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, ou le numéro 2 du gouvernement allemand, Sigmar Gabriel. Le parti socialiste grec moribond (Pasok) était invité mais n’a envoyé aucun représentant car il est lui-même en congrès. Mais l'ancien premier ministre grec Georges Papandréou faisait partie des invités d'honneur du dîner organisé à la mairie de Poitiers vendredi soir, en tant que président de l'Internationale socialiste.

La résolution sur l’Europe, soumise au vote des délégués, aligne pour l’essentiel des généralités (sur l’idée européenne, la tentation du repli nationaliste ou les avancées obtenues par François Hollande). Dans sa première version, ce texte ne comportait qu’une brève mention sur la Grèce, augmentée finalement de la condamnation de l’austérité (« situation terrible et inacceptable » pour les Grecs).

À la tribune, les partisans de la ligne gouvernementale (motion A) se succèdent pour défendre la politique menée à Bruxelles par la France. « La réorientation est en marche, chers camarades », lance Philip Cordery, secrétaire national à l’Europe du PS. La Grèce n’est évoquée que rapidement, pour lier systématiquement la nécessaire « solidarité » au sein de la zone euro et la « responsabilité » dont doit faire preuve Athènes. Mot à mot, la ligne de l’Élysée. « Nous devons aider la Grèce à rester dans la zone euro. Bien sûr il faut aussi qu’elle se donne les moyens de ne pas répéter les erreurs du passé », a expliqué Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Seuls les représentants des ailes gauche (motion B) ont appelé à « choisir son camp ». « Il ne s’agit pas seulement de parler de grands principes que nous répétons congrès après congrès, a lancé le député Pascal Cherki, proche de Benoît Hamon. Dans le moment présent, nous devons être aux côtés du gouvernement Tsipras. C’est parce que la social-démocratie en Amérique du Sud n’a pas été en première ligne contre les plans d’ajustement structurel du FMI qu’elle a disparu du champ politique. » L’avertissement n’a guère suscité de réaction dans la salle.

Pour les proches de François Hollande et la plupart de ses ministres, Syriza et Podemos n’ont rien à voir avec le contexte français. Ou alors n’ont qu’un impact mineur. « Pour moi, à ce stade, Podemos est de même nature que l’arrivée des Verts à la mairie de Grenoble. En pourcentage, pour l’instant, Podemos ça fait très peu. Mais ça interroge bien sûr les partis politiques, c’est la manifestation que les gens veulent changer les visages », explique Marylise Lebranchu, la ministre de la fonction publique.

« Le PS pense que ce qui arrive en Espagne ne lui arrivera pas. D’abord parce que nous sommes dans la Cinquième République monarchisée, rétorque l’eurodéputée Isabelle Thomas (aile gauche). Et parce qu’ici, pour l’instant, l’opposition à la politique du gouvernement est passée par les frondeurs, et donc elle reste dans le parti. Mais ils auraient tort de penser que ça n’arrive qu’aux autres ! Quand on ne répond pas aux aspirations de ceux qui vous ont élus, la contestation passe par les fenêtres au lieu de passer par la porte. »

Même Christian Paul, candidat malheureux face à Jean-Christophe Cambadélis, préférerait être à Madrid : « Si j’étais un jeune de 18 ans, entre deux jours au congrès du PS et deux jours en Espagne pour observer ce qui se passe avec Podemos, je n’hésiterai pas : j’irais en Espagne. Podemos répond à deux sujets essentiels que nous n’avons pas pris en charge : la question démocratique et la question sociale. »

Quant à Syriza, contraint à de multiples reniements pour arracher un accord avec la “Troïka” (Commission européenne, BCE et FMI), la majorité du PS français est à l’image du président de la République : en soutien apparent mais à très grande distance, voire secrètement satisfaite de voir qu’une alternative à gauche peine à se déployer. « Ils n’ont rien fait et ils ne veulent rien faire. Ils veulent l’échec de Tsipras pour prouver qu’il n’y a pas de Syriza français, pas d’alternative. La ligne, c’est Macron et les réformes. Ils ne peuvent pas bouger. François Hollande est un libéral », nous expliquait récemment un ministre sous couvert d’anonymat. Dans la bouche d’un proche du président de la République, les difficultés de Syriza aident même le gouvernement français : « La Grèce nous a aidés. Cela montre bien qu’un peuple a beau vouloir quelque chose, il faut aller à Canossa budgétaire. » Autrement dit : personne ne coupera à l’objectif de réduire les déficits.

« François Hollande a fait ce qu’il fallait mais il est trop resté dans la coulisse », tempère une ministre plus conciliante avec la politique bruxelloise du chef de l’État. « L’idée, c’était de dire faut les aider, et en même temps, la dette doit être payée, car une remise de dette de la Grèce serait forcément payée par d’autres pays. » Dont la France.

Dès mi-février, à l’issue du premier conseil européen en présence d’Alexis Tsipras, le président français le disait lui-même : « Chaque fois qu'il y a un nouveau membre du conseil, on le regarde, on se demande s'il va changer les règles, les rites. Généralement, il n'y parvient pas, sur les rites. Sur les règles, il peut essayer d'y travailler quand même… À Alexis Tsipras d'engager le dialogue. À lui aussi de comprendre que des règles existent, et qu'elles doivent être respectées. »

La présidente du parlement grec Zoé Konstantopoulou en a fait le constat amer, dans un entretien à Libération : « Il y a un vrai problème au sein de l’Europe, où les forces dites socialistes ont finalement accepté de se soumettre à l’agenda néolibéral. Alors même que parfois les citoyens leur avaient donné un autre mandat. » Elle parlait évidemment de François Hollande.

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Au congrès du PS, Valls enclenche le pilote automatique

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Poitiers, de notre envoyée spéciale

« C’est crépusculaire. » Au congrès du Parti socialiste, les membres du gouvernement et leurs conseillers sont aussi dubitatifs que les militants encore actifs dans le parti au pouvoir. Le premier ministre Manuel Valls a bien sûr été ovationné. Il a fait se lever la salle pour saluer François Hollande, « un grand président ». Il n’y a pas de drame, ni de sifflets, à peine des débats. La majorité du PS soutient le gouvernement et le chef de l’État continue de croire à sa réélection. Mais sans que l’on sache bien comment, pourquoi et par qui il serait à nouveau porté au pouvoir en 2017. « C’est le mystère de ce quinquennat », glisse le député Christian Paul, chef de file des ailes gauche lors de ce congrès (motion B).

Dans son discours, Manuel Valls n’a pas levé les doutes : il a livré une copie propre, tapant adroitement sur la droite, cochant toutes les cases auxquelles les socialistes sont attachés (réformes économiques mais aussi République et même un passage assez long sur « l’égalité réelle »), et insistant sur son appartenance à la gauche. « Je respecte le Parti socialiste et j'aime les socialistes. Je suis militant depuis 1980 et je sais ce que je vous dois », a lancé le premier ministre face à une salle acquise. Puis : « Soyons fiers d’être de gauche, soyons fiers d’être français. » « Il n’y a pas d’aventure personnelle, il n’y a que des réalisations collectives. Vous pouvez être certains de ma loyauté sans faille au président de la République », a-t-il aussi assuré. Sans surprise, Manuel Valls a été vivement applaudi – cela n’a pas toujours été le cas dans les cénacles socialistes –, y compris quand il a rendu hommage à Bernard Cazeneuve pour l’expulsion du père de Mohamed Merah.


Congrès du PS : samedi 6 juin [1ère partie] par PartiSocialisteLe discours de Manuel Valls (à partir de 1'58)

De la suite du quinquennat on ne saura rien de plus. Les réformes vont continuer, notamment pour les entreprises : de nouvelles mesures seront annoncées mardi pour les PME et les très petites entreprises (TPE). Le prélèvement à la source de l’impôt devra aussi être progressivement instauré, a rappelé Valls. Mais il n'a rien dit du « temps II du quinquennat », promis durant la campagne, que rappellent les proches du président de la République à intervalles réguliers. « C’était un discours vallsien de bout en bout. Il voulait montrer qu’il pouvait être celui qui rassemble les socialistes. Et qu’il n’est plus le vilain petit canard ou celui qui faisait 5 % à la primaire… Pour le reste, ce n’était ni le moment ni le lieu », résume une ministre du gouvernement.

Le seul objectif de Poitiers est d’afficher un PS rassemblé autour de la motion majoritaire qui a recueilli 60 % des suffrages, mais il n’est ni question de lancer une nouvelle dynamique politique, ni un dialogue avec les autres forces de gauche. Elles étaient quasi absentes ce samedi 6 juin : on a surtout vu Jean-Vincent Placé pour les pro-gouvernements d’Europe Écologie-Les Verts, Jean-Luc Bennahmias et son Front démocrate, reçu de temps à autre à l’Élysée, Robert Hue, soutien de Hollande depuis 2012, ou le MRC de Jean-Pierre Chevènement, assister au discours de Manuel Valls.

Ce congrès résume la méthode Hollande depuis qu’il est à l’Élysée : une somme de petites habiletés grâce auxquelles les diverses sensibilités de sa majorité doivent pouvoir se retrouver, pour gérer le temps qui le sépare du rendez-vous de 2017. Ses proches sont persuadés que les électeurs ne veulent pas une politique plus à gauche, mais « plus efficace ». D’où le message de Manuel Valls répété encore samedi : « La gauche, je la veux généreuse, efficace. » Derrière l’élément de langage, c’est toujours la même attente : celle d’une reprise qui tarde mais qui – espère-t-on à l’Élysée – s’amorce pour de bon, et devrait permettre un recul du chômage.

Le président attend donc toujours « l’inversion de la courbe » dont il a fait la condition de sa candidature à sa succession. Le reste, pense-t-il, n’est que bavardages et il lui faut simplement continuer à gérer tant que bien mal les mois qui viennent. « Il attend que tout se décante autour de lui, que les choses retombent », décryptait il y a peu un bon connaisseur de la méthode “hollandaise”.

Les partisans de François Hollande s’attendent encore à quelques semaines politiques difficiles : la loi Macron doit revenir devant l’Assemblée nationale, avec la menace d’un nouveau 49-3, et d’autres textes (renseignement, loi Rebsamen sur le dialogue social) risquent aussi de diviser les socialistes. La petite musique médiatique sur les “frondeurs” continuera donc de brouiller le message que veulent marteler les “hollandais” et les “vallsistes”. Dès dimanche, Arnaud Montebourg, l'ancien ministre débarqué en août dernier, a brouillé « la bonne séquence » de Manuel Valls (dixit son entourage), en publiant une tribune dans le JDD, cosignée avec le banquier de Lazard, et patron de presse, Matthieu Pigasse : ils étrillent la politique économique du gouvernement, inféodée à Bruxelles.

Ce n’est qu’à la rentrée de septembre, avec l’université de La Rochelle fin août et avant les régionales de décembre, que la feuille de route des deux ans qui restent pourrait être dévoilée. « Ce sera arbitré pendant l’été entre le président de la République et le premier ministre », promet un ami du chef de l’État. La matrice ? « La France, la Nation, la patrie. Le sujet, c’est comment la gauche se les réapproprie. C’est la question de la souveraineté que nous voulons », poursuit la même source. Un mouvement que François Hollande a esquissé depuis les attentats de janvier, et repris dans son discours au Panthéon.

Cela fait de longs mois qu’une partie de son entourage fait de la République le sujet central de l’affrontement à venir avec la droite – l’UMP devenue justement Les Républicains. Les partisans du chef de l’État sont même persuadés qu’il peut rempiler pour un second quinquennat s’il parvient à se poser en garant de la République, voire en bon père de famille, sur le modèle de la campagne de François Mitterrand en 1988. Surtout s’il fait face à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. « Il y aura la République rabougrie de la droite, repliée sur l’ordre et la sécurité, et la nôtre, attachée au triptyque liberté, égalité, fraternité. Deux conceptions de la République s’opposent à une semaine de distance, après le congrès de l’UMP », explique un conseiller du gouvernement.

François Hollande le 4 juin à l'usine ex-FralibFrançois Hollande le 4 juin à l'usine ex-Fralib © Reuters

Mais ce pari se heurte, pour l’instant, à un effet de réel vertigineux : le PS est moribond, la gauche fracturée et l’électorat de François Hollande a pour partie totalement décroché. Les derniers scrutins l’ont montré avec, dans certains départements, une porosité inquiétante entre ses électeurs et le Front national. La base sociale du chef de l’État est aujourd’hui une énigme. « Sa base sociale, ce sont les Français. On ne fonctionne plus par clientèles, c’est fini », répond un de ses plus fervents partisans.

Mais même les plus enthousiastes ne peuvent pas certifier que leur champion ait encore une crédibilité suffisante dans le pays pour espérer conquérir de nouveau l’Élysée. Leur objectif est modeste : arriver deuxième du premier tour de la présidentielle qu’ils prédisent se jouer dans un mouchoir de poche, puis l’emporter sur le fil par rejet de Nicolas Sarkozy. « En temps voulu, François Hollande pourra ressortir des éléments de gauche de son bilan, comme le tiers-payant généralisé, sur fond d’arc républicain menacé. En espérant et en misant sur une reprise durable », résumait récemment un de ses proches. Et sans s'interdire de jouer parfois sur les symboles – il s'est ainsi rendu jeudi à l'usine ex-Fralib. « Pour gagner en 2017, il lui suffira d’être un peu moins rejeté que Nicolas Sarkozy en 2012 », prédisait récemment un ami du chef de l’État. Et comme François Hollande est convaincu de sa bonne étoile, dans son Château, il continue d’y croire.

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Documentaire. « Pôle emploi, ne quittez pas ! ». Qui s'occupe des chômeurs ?

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En début de semaine, le ministère du travail annonçait que plus de 5,5 millions de personnes étaient inscrites au chômage. Troisième mois de hausse consécutif après une légère baisse en janvier. Face à ces personnes cherchant du travail, il y a un organisme, Pôle emploi, dont les agents sont régulièrement vilipendés pour leur propension à « radier » des chômeurs, à les « harceler », pour leur incapacité à trouver des emplois.

Toute la pertinence du documentaire de Nora Philippe, c'est d'être passé de l'autre côté du guichet. La réalisatrice est restée des mois dans l'agence de Livry-Gargan (93) filmant ceux qui réfléchissent à l'évolution de leur métier alors que le chômage de masse fait rage. Écoutant ceux qui ont le sentiment qu'on leur demande l'impossible, l'impression d'être submergés d'injonctions contradictoires, le regret d'avoir à « faire du chiffre ». En résulte ce Pôle emploi, ne quittez pas !, 78 minutes d'instants rudement contemporains.

 

Ce film, produit par Gloria Films et la chaîne LCP-Assemblée nationale, est sorti sur les écrans en novembre 2013. Il vous est proposé ici grâce à notre partenariat avec Images en Bibliothèques : chaque mois, vous pouvez ainsi voir un documentaire intégral.

  • Retrouver tous les films en cliquant ici

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Le curieux procès de la juge Isabelle Prévost-Desprez

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Pour un magistrat, le fait d'être jugé pour ce type de grief est rarissime, au point que l’on peine à trouver des précédents dans les annales judiciaires en dehors du cas du juge Albert Lévy, mis en examen en 1998... pour être finalement relaxé huit ans plus tard. L'histoire retiendra peut-être ce nouveau cas, assez curieux lui aussi : la juge Isabelle Prévost-Desprez, actuelle présidente de la XVe chambre correctionnelle de Nanterre spécialisée dans les affaires financières, sera jugée lundi et mardi à Bordeaux pour « violation du secret professionnel », en marge de l’affaire Bettencourt. Un procès qui fait suite à une procédure au cours assez critiquable, pour plusieurs raisons.

Isabelle Prévost-DesprezIsabelle Prévost-Desprez © Reuters

Factuellement, il est reproché à Isabelle Prévost-Desprez d’avoir communiqué à des journalistes des informations couvertes par le secret de l’instruction, entre juillet et septembre 2010, alors qu’elle était en charge d’un supplément d’information sur l’affaire Bettencourt, que le procureur Courroye essayait au contraire de maintenir sous l’éteignoir, en liaison étroite avec l’Élysée. À 55 ans, Isabelle Prévost-Desprez est une magistrate réputée pour son courage et son indépendance, qu'il s'agisse d'enquêter sur les combines de la finance ou les dessous de la politique. Son adversaire de l'époque, lui, avait été nommé procureur de Nanterre par le fait du Prince, en 2007, après avoir été un juge d'instruction redouté.

Renvoyée en correctionnelle le 20 septembre 2013 par le juge d’instruction bordelais Philippe Darphin, dans une ordonnance reprenant mot pour mot le réquisitoire du procureur Claude Laplaud du 28 juin 2013 (deux documents dont Mediapart a pris connaissance), Isabelle Prévost-Desprez est soupçonnée d’avoir « transmis à des journalistes du journal Le Monde des éléments » du dossier Bettencourt. À savoir « des auditions de Dominique Gaspard », alors femme de chambre de Liliane Bettencourt, « en date des 23 juillet et 30 août 2010 », « l’audition de Claire Thibout », alors comptable de la milliardaire, en date « du 16 juillet 2010 », et enfin de « les avoir informés de la réalisation d’une perquisition le 1er septembre 2010 au domicile de Liliane Bettencourt ».

Pour essayer de coincer la juge Prévost-Desprez, qu’il soupçonnait d’être trop bavarde, et avec laquelle il était en conflit ouvert sur le traitement des affaires sensibles des Hauts-de-Seine, dont le dossier Bettencourt, le procureur Courroye n’avait pas hésité à demander en urgence à l'Inspection générale des services de la préfecture de police de Paris (IGSPP) les factures téléphoniques détaillées (« fadettes ») de plusieurs journalistes, cela en violation complète des textes sur la protection des sources. Une démarche qui a valu par la suite des poursuites judiciaires au procureur de Nanterre, ainsi qu’une mutation humiliante qui a été entérinée en termes assez cruels par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Comme l'ensemble des dossiers Bettencourt, le volet visant la juge Prévost-Desprez a été dépaysé du tribunal de Nanterre (à feu et à sang) vers celui de Bordeaux fin 2010, cela « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ». L'information judiciaire pour « violation du secret professionnel » a suivi son cours. C’est sur la base des « fadettes » que sont apparus des échanges de SMS entre les téléphones de quelques journalistes et celui de la présidente de la XVe chambre correctionnelle de Nanterre à l'été 2010. Les communications téléphoniques privées ainsi que les mails de la magistrate ont été passés au crible. Le laboratoire national de la police scientifique a même dû remettre au juge Darphin, visiblement très motivé par cette affaire, un document de 1 000 pages (!) retranscrivant les échanges de SMS (sans leur contenu) et les mails d’Isabelle Prévost-Desprez.

Selon le raisonnement du juge Darphin, la chronologie de ces SMS, dont on ignore pourtant le contenu, ainsi que les vérifications effectuées auprès des autres protagonistes du dossier (parquet, policiers et greffières) permettent de désigner une seule personne comme ayant pu faire « fuiter » en direction des journalistes : sa collègue Prévost-Desprez. Comme le procureur Laplaud, le juge Darphin s'appuie notamment sur le fait que la juge a envoyé plus de SMS à des journalistes de plusieurs médias qu'elle n'en a reçu dans cette période-là. Un argument qui peut se retourner dans l'autre sens, seuls quelques articles du Monde étant visés dans la procédure.

C'est ce raisonnement, plus qu’une réelle démonstration, qu’entendent dénoncer publiquement la magistrate et son avocat, François Saint-Pierre, lors du procès bordelais. « Madame Prévost-Desprez conteste catégoriquement avoir commis un délit, et elle demandera sa relaxe », indique son défenseur à Mediapart. Après tout, les journalistes ont pu obtenir des informations auprès d'autres sources (politiques, judiciaires, policières, sans oublier les avocats) indépendamment des SMS échangés avec Isabelle Prévost-Desprez. Fort logiquement, ces mêmes journalistes se sont refusés à dévoiler leurs sources lorsqu'ils ont été interrogés dans cette procédure, et on en reste donc à des hypothèses et des spéculations. Le juge Darphin, qui pouvait clore son instruction par un non-lieu, à défaut de preuves, a en tout cas estimé que les charges étaient suffisantes pour renvoyer sa collègue en correctionnelle.

Au démarrage de cette affaire dans l'affaire, l’article annonçant la perquisition chez Liliane Bettencourt avait donné l’occasion à l’avocat Georges Kiejman, alors censé défendre l'héritière L'Oréal, de déposer plainte pour violation du secret professionnel, le 9 septembre 2010, auprès d'un procureur de Nanterre qui n'attendait que cela. Philippe Courroye avait ouvert une enquête préliminaire en toute hâte, puis une information judiciaire. C'est donc que l’affaire devait être grave.

De fait, la femme de chambre et la comptable de la milliardaire avaient courageusement témoigné sur les remises d’espèces habituelles des Bettencourt à des politiques, mettant du même coup en danger Nicolas Sarkozy et Éric Woerth au sujet de la présidentielle de 2007.  Liliane Bettencourt, très diminuée, était-elle vraiment en état de décider de porter plainte pour violation du secret professionnel après les articles de presse ? L'enquête de la juge Prévost-Desprez lui portait-elle seulement préjudice ? On a bien vu que non, lorsque le tribunal correctionnel de Bordeaux a jugé le dossier principal, celui de l'abus de faiblesse. Ce sont au contraire les profiteurs et les escrocs qui avaient à craindre des fuites.

Par ailleurs, la hiérarchie judiciaire n'a rien trouvé à redire lorsque l'Élysée de Sarkozy organisait des fuites dans ce même dossier, allant même jusqu'à faire publier un PV tronqué dans Le Figaro, en juillet 2010pour affaiblir la portée du témoignage de Claire Thibout (rendu public par Mediapart), et essayer d'éteindre l'incendie. La contre-offensive se poursuit d'ailleurs aujourd'hui, pour réécrire l'histoire, Banier et Maistre ayant réussi à faire mettre en examen tardivement Claire Thibout et d'autres anciens employés des Bettencourt pour faux témoignage.

Les témoins ne sont pas les seuls à payer la note. En août 2013, le juge Jean-Michel Gentil a également décidé de renvoyer l'ancien majordome de Liliane Bettencourt et cinq journalistes du Point et de Mediapart devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, le premier pour « violation de l'intimité de la vie privée », les autres pour « recel », au sujet des enregistrements qui avaient révélé les abus commis aux dépens de la milliardaire. Un procès qui n'est pas encore audiencé, mais qui semble lui aussi assez saugrenu. Après s'être frottés à Nicolas Sarkozy et à Éric Woerth, les magistrats bordelais ont-ils voulu donner à voir une preuve de leur impavide impartialité, en faisant juger une de leurs collègues, puis un lanceur d'alerte et des journalistes, après les aigrefins et les abuseurs ? La question est posée.

Quant à Philippe Courroye, aujourd'hui avocat général à la cour d'appel de Paris, dont la mise en examen dans l'affaire des fadettes des journalistes avait été annulée, il est encore visé par deux procédures de ce type qui ont été dépaysées au tribunal de Lille. Une autre plainte pour « harcèlement moral » qui le vise indirectement a également été déposée à Versailles, après le suicide d'un substitut du tribunal de Nanterre. La justice est parfois lente et cruelle, même avec les siens.

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MediaPorte : Eric Woerth, saint et martyr

PS: le congrès de Poitiers n'a rien arrangé

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Poitiers, de notre envoyé spécial.- Ils avaient le choix entre la clarification et la mort. Ils n’ont pas choisi la clarification. Lors des trois jours d’interventions à la tribune de Poitiers ce week-end, les socialistes ont livré un congrès dilettante, à l’image de ces temps de débats rabotés d’au moins trois heures en deux jours, dans une salle souvent clairsemée, au contraire de la buvette en plein air. La faute à un moment vidé d’enjeu, autre qu’une obscure répartition des postes entre sensibilités au sein des instances.

Les plus optimistes imputent cela à la dernière réforme des statuts qui plie le match avant de le jouer, en ayant institué l’élection du premier secrétaire avant le congrès. « Le temps des nuits de résolution incertaines est terminé, nous avons évolué vers un congrès de type syndical », explique le député François Lamy, qui fut l’un des artisans de cette nouvelle règle. « C’est mieux pour nous qu’il ne se passe rien, le congrès devient un lieu de travail d’où l’on ressort avec une orientation. » Problème, les « résolutions » qui ont été « travaillées » et adoptées à Poitiers peinent à convaincre de la pertinence de la démonstration.

Aucune idée nouvelle ni annonce ambitieuse, seulement un débat sur l’Europe hors-sol (lire notre article), et une anodine « lettre au peuple de France » (lire ici), se voulant “motion de synthèse” de substitution, mais ne parvenant pas à obtenir le soutien des opposants internes de la motion B. Aucun débat sérieux sur la ligne politique n’ayant été tranché par un quelconque vote des 300 délégués, ce congrès n’aura pas été l’occasion de se dire les choses ni d’en tirer les conséquences.

Résultat, les divisions demeurent et chacun campe sur ses positions. Les “frondeurs” assument finalement plus que jamais leur statut. Adversaire battu de Jean-Christophe Cambadélis, le député Christian Paul l’a encore redit ce dimanche, en marge de la tribune : « Il y a toujours deux gauches qui restent en débat au sein du PS. » Au micro, le discours de son acolyte Laurent Baumel aura illustré le propos, partageant l'assistance entre applaudissements et sifflets, pendant que Manuel Valls quittait ostensiblement sa chaise pour organiser un échange avec les journalistes en plein milieu de la salle. « Il reste des socialistes qui vont continuer à se battre dans les semaines à venir, a dit le député. On ne peut pas réduire nos défaites électorales à l’impatience infantile d’un peuple qui ne comprendrait pas les difficultés de l’exercice du pouvoir. » Avant de conclure : « Rien ne nous garantit que ce congrès de Poitiers ne soit pas le dernier. »

La tonalité du discours du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, n’a pas franchement dû rassurer les inquiets. Toujours plus grave, au point d’en devenir lugubre, « Camba » a livré un discours peu applaudi jusqu’à sa conclusion. Même ses appels au « renouveau » et à « l’irruption des citoyens » dans une « alliance populaire, plus mouvement que cartel » qu’il promet, résonnent comme un discours d’enterrement. L’heure n’est pas à l’enthousiasme ni à l’audace, mais au « respect le plus total » et au « soutien le plus entier » du gouvernement.  

Comme pour le discours de Valls la veille – et pour une grande majorité d’autres durant le week-end –, Cambadélis n’a pas parlé lutte de classes, mais laïcité, identité, terrorisme… Et péril sarkozyste, de façon aussi insistante que s’il était encore au pouvoir. C’est le véritable enseignement idéologique de ce congrès. Il tient en une phrase, en une « mue », qui a traversé les interventions de nombreux orateurs : la République plutôt que le socialisme.

Manuel Valls a imprimé en ce sens la marque réelle de la fin du quinquennat, ce samedi (lire notre analyse). De l’ode à la Défense française au rappel de l’esprit du 11-Janvier (« Nous sommes et nous resterons Charlie »), en passant par l’éloge du combat face aux « salafistes et Frères musulmans qui cherchent à étendre en Europe leur influence pernicieuse », le premier ministre a redéfini à sa façon les nouveaux totems de la gauche au pouvoir. « La République, c’est l’autorité, c’est le respect de la loi, c’est l’ordre public, c’est la protection due à chacun, c’est la sécurité », a-t-il expliqué. La laïcité est définie comme un « rempart contre tous les intégrismes et tous les communautarismes, les pensées rétrogrades qui enferment les femmes, notamment dans leur vie ou bien derrière un voile ».

Les proches de François Hollande ont souvent été les premiers à défendre ce positionnement devant la salle. On a ainsi pu entendre le président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Leroux, claironner : « La sécurité et la patrie étaient des thèmes de droite, ils ne le sont plus. » Quant à l’égalité, elle se résume essentiellement aux réformes scolaires qui ont été assumées tout au long du congrès, le nom de la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem étant applaudi à tout coup.

Sans que cela ne soit en fait si incohérent, le parti socialiste de 2015 a des furieux airs d’époque Hollande en fin de mandat à Solférino, en 2008. Le pouvoir local en moins, mais le pouvoir national en plus. Durant ce congrès, le parti est ainsi apparu désidéologisé, résolument optimiste sans raison sérieuse de l’être, professionnalisé à outrance, démobilisé et sans grande dynamique militante, se montrant seulement capable de critiquer Sarkozy. Et comme à la fin des « années Hollande » au parti, la majorité du PS reste large et hétéroclite, mais composée de gens pensant déjà à l’après sans le dire. Quant à l’opposition interne, elle se demande ce qu’elle fait encore là, tout en tergiversant sur la meilleure façon de peser à gauche.

Pour les vainqueurs de ce congrès, ceux qui soutiennent l’action du gouvernement, les discours de tribune se sont souvent limités à des appel à l’unité et à la « fierté socialiste ». Comme autant de litanies d’incantations sans incarnation, traçant les contours d'un congrès imposant le statu quo et figeant les positions.

Car dans la pratique, rien de concret. Aucune inflexion n’a été concédée laissant entrevoir un « deuxième temps » du quinquennat qui serait différent du premier. Aucune annonce n’a amorcé un embryon de changement de cap, les congressistes n'ont même pas eu droit à un geste envers l’électorat de gauche. Aucune accélération du calendrier d’hypothétiques réformes indiquées dans la motion A, un texte pourtant signé par tout le gouvernement, n’a été envisagée.

La réforme fiscale et bancaire, pourtant présente dans les textes de chaque sensibilité, s’est résumée à des évocations de la mise en œuvre de l’impôt à la source. La loi Macron, qui revient pourtant en discussion à l’Assemblée dès ce lundi, n’a même pas été déminée. Ni sur le travail du dimanche, dont l’ambiguïté de l’opposition « à toute nouvelle extension » affirmée dans la motion A n’a pas été levée (lire ici et ici). Ni sur la possibilité d’un nouvel usage de l’article 49-3 pour la faire adopter en force.

Aucune avancée concrète non plus n’a été constatée sur la réalisation d’une improbable « maison commune des progressistes », qui semble toujours ne séduire que Jean-Luc Bennahmias, Jean-Vincent Placé et Robert Hue. Aucune réflexion enfin sur l’état des institutions. Mais une méthode Coué à toute épreuve. « Fier d’être socialiste » a été décrété « slogan du congrès » par François Rebsamen, et il est vrai que la formule fut souvent déclinée par les intervenants de la motion A. Le message a été martelé : il faut y croire, point. « La gauche est bien plus regrettée quand elle a perdu, que soutenue quand elle est au pouvoir », a ainsi tenté d'expliquer le député Razzy Hammadi.

À aucun moment, ce congrès n’a davantage mis en scène un rassemblement du parti, sans même s’embêter avec la façade. Les partisans de l’action gouvernementale ont choisi d’assumer à la tribune ce qu’ils considèrent être leur victoire. Plus de place désormais aux débats. « Sans l’unité des socialistes, rien n’est possible, et c’est pour cela que les Français s’abstiennent, a ainsi culpabilisé le député Carlos Da Silva, suppléant de Manuel Valls. Ils nous disent : "Comment vous faire confiance si vous ne vous faites pas confiance". »

Le président du groupe au Sénat, Didier Guillaume, a évacué de son côté toute nécessité de respecter les inflexions contenues dans le texte de la motion A : « Un congrès réussi n’est pas une vision notariale, qui définirait quelle mesure est plus de gauche, ou moins à gauche. » Son homologue à l’Assemblée, Bruno Leroux, a lui vite fait de tirer le bilan : « Notre cap est réaffirmé, la cacophonie qui nous dessert tous est condamnée par les militants, nous devons désormais faire partager nos convictions à un maximum de Français. » En définitive, seul Manuel Valls a consenti un regret, faussement autocritique comme on fait le faux modeste : « Nous n’avons pas assez dit à quel point la situation était dégradée en 2012. »

Tout ne serait dès lors qu’affaire de temps, ainsi que l’a indiqué François Rebsamen, ministre du travail à la limite de la pensée magique : « Le déclinisme fait le lit de l’extrémisme. La vérité, c’est que la France va mieux, même si les Français peinent encore à retrouver la confiance ! Pour que les résultats soient là, il faut de la constance et de la persévérance. »

Plus politique, le ministre de l’agriculture (et porte-parole du gouvernement) Stéphane Le Foll a été le seul à tenter d’esquisser une théorisation de la solidarité, qui soit compatible avec les exigences d’un congrès d’un parti se disant encore à gauche : « Le débat n’est pas de savoir qui est plus ou moins à gauche, mais quelle est la meilleure façon de préserver notre modèle social. » Une approche identique à celle de Jean-Christophe Cambadélis, qui a défini le soutien du PS à Hollande en estimant que « la France a de la chance que vous mettiez en œuvre son redressement sans remettre en cause son modèle social ».

Rares ont été les moments où les socialistes ont tenté de pousser plus loin leurs divergences. Seule passe d’armes de ce congrès : entre l’ancien ministre de l’éducation Benoît Hamon et l’encore ministre des relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen. Le premier a reproché au second de considérer, ainsi qu'il l'a écrit dans une note à la Fondation Jean-Jaurès en mars dernier, que « s’il est des époques où la République est au service de l'idéal socialiste, le socialisme doit aujourd’hui se mettre au service de la République ». Aux yeux de Hamon, « cette vision est celle de la SFIO de Guy Mollet, qui a conduit à la Troisième Force et à l’alliance avec la droite, avant la défaite électorale ». Et d’estimer au contraire que « sans le socialisme, la République est vide ».

La réplique de Le Guen ne s’est pas fait attendre : « Ce congrès a permis la clarification. Dans l’histoire de la République, la gauche de la gauche a soutenu souvent, trop souvent, d’autres principes que la gauche au pouvoir. Mais Jaurès était républicain avant d’être socialiste. Il n’était pas frondeur, il était rassembleur. » Et d'accuser l’aile gauche du parti d’être les héritiers de Jules Guesde, « sectaire et dogmatique », et même du Guy Mollet des débuts et de « ses programmes maximalistes ». Lui aussi sera l’un des rares à essuyer des sifflets de la salle, quand il osa une hasardeuse provocation : « Nous soutenons Tsipras en Grèce, dans ses difficultés avec la gauche de la gauche. » Avant d’interpeller les siffleurs façon troll de compétition : « Mais qui sifflez-vous ? Tsipras ou la gauche de la gauche ?! »

Pour autant, le député de Paris a été le seul à oser assumer une ligne pragmatique et centriste. À l’instar de Manuel Valls, personne n’a versé dans le rejet des « vieilles lunes » et autres « idéalismes archaïques » dénoncés par le passé. Tout juste le premier ministre a-t-il glissé dans un discours où les déclarations d’amour à « l’entreprise » ont été remplacées par un « J’aime les socialistes », qu’il n’y aurait « pas de pause » dans la construction d’une « économie compétitive ». Tout juste a-t-il aussi soufflé que « la gauche a évolué dans son rapport aux entreprises », désormais vues comme « des lieux où l'on crée de la valeur ».

Dans la motion B, on n’en finit plus de déchanter face à cet aggiornamento républicain et démocrate du PS, où le socialisme est devenu secondaire. Et on tâtonne face au précipice qu’on annonce, comme sur la meilleure façon de se raccrocher aux branches pour éviter l’abîme.

« Lionel Jospin ne fréquentait pas ces sommets progressistes où s’expérimentait une “troisième voie” avant de connaître les sifflets des peuples », a regretté Christian Paul. « Prenons garde à ce que Podemos ne ringardise pas le parti socialiste », a ajouté le chef de file des “frondeurs de congrès”, qui s’inquiète de « ces verrous que l’on prétend faire sauter, derrière lesquels se cachent souvent des régressions ».

Le point de vue est le même chez Emmanuel Maurel : « J’aurais préféré que ceux qui se reconnaissent dans Blair et Schröder, et prônent la disparition du code du travail, se comptent devant les militants ». Pour l’eurodéputé, l’avenir est compromis si l’on continue d’employer des « mots creux, vides, décalés par rapport à la vie des gens ». « Si nous sommes simplement là pour gérer le système, certes mieux que la droite, nous seront impuissants et ennuyeux », prophétise-t-il.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

Les ailes gauches du parti constatent aussi la réalité de l’alignement de Martine Aubry dans la majorité Cambadélis/Valls/Hollande. Pourtant remise en cause par le ministre Patrick Kanner dans sa propre fédération du Nord, les aubrystes ont tenté de jouer les traits d’union en cherchant un point de compromis. Ainsi le député Jean-Marc Germain a-t-il rappelé ce qu’il estime être la feuille de route délivrée par le congrès : « Débattre en amont au parti, ressouder la gauche et faire un nouveau contrat de gouvernement. » Mais qui d’autre à part lui y croit sincèrement ?

Pas Benoît Hamon en tout cas, qui a laissé entrevoir la possibilité de mettre un pied en dehors du parti. Appelant à « avoir la même lucidité face au vote des militants que celle qu’il faut avoir face à celui des électeurs », il a estimé que « lucidement, les militants ont approuvé le tournant politique et idéologique » du socialisme au pouvoir. « J’espère que votre orientation sera la bonne, et j’espère que nous nous trompons », a-t-il poursuivi. Avant de comparer l’électorat de gauche « divisé en deux », avec un dialogue entre le caricaturiste Daumier et le peintre Ingres. Au premier qui disait: « Il faut épouser son temps », le second répondait: « Et si le temps a tort ? » Et Hamon de conclure : « Aujourd’hui, il faut des dirigeants socialistes pour dire que le temps a tort. »

En résonance avec la tribune au vitriol d’Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse dans le JDD, l’avenir semble se jouer ailleurs pour certains au parti. Le député Pouria Amirshahi veut accélérer la naissance d’un « mouvement commun » qui se réunirait en dehors du PS, avec les battus de Poitiers, les écologistes et une partie du Front de gauche.

« Il faut admettre que le PS est comme la SFIO, un appareil inchangeable de l’intérieur par le débat, explique le député Gwenagan Bui. En 50 ans, la SFIO n’a connu qu’un changement de majorité, Blum battu par Guy Mollet en 1946. Même Mai-68 n’avait pas eu d’incidence sur le parti. Au moins on aura essayé, pas comme sous Jospin. Mais cette structure d’élus ne peut plus se transformer que par l’extérieur. » Combien de temps faudra-t-il pour que ce constat ouvre un chemin vers un nouvel Épinay ?

BOITE NOIRECet article s'appuie essentiellement sur les discours tenus à la tribune du congrès de Poitiers, samedi et dimanche.

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Seuils sociaux : la droite cherche l’inspiration en Allemagne

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L’effet de calendrier est parfait : rien de tel qu’une étude venue d’Allemagne enfonçant la compétitivité à la française pour alimenter le débat sur le durcissement de la loi Macron, alors que la loi contestée du ministre de l’économie achève ces jours-ci son mouvementé voyage parlementaire.

Le bureau de la délégation aux entreprises du Sénat, présidée par Élisabeth Lamure (élue du parti de Nicolas Sarkozy, “Les Républicains”) a commandé en février à l’institut de recherche allemand IFO une analyse comparée concernant les effets sur l’emploi des seuils sociaux dans les entreprises hexagonales, et notamment celles de moins de 50 salariés. Selon nos informations, l’IFO a été le seul institut démarché et le marché a été passé de gré à gré. « On cherchait un expert », avance-t-on au Sénat. L’expert en question est un institut proche du patronat allemand, présidé par le médiatique Hans-Werner Sinn, l’un des économistes les plus célèbres d’Allemagne, connu pour ses féroces critiques du modèle français. Cet orthodoxe « pur et dur », selon Le Point, n’a de cesse de critiquer l’état du tissu industriel hexagonal et le manque de soutien aux TPE et PME.

Mediapart s’est procuré ce document. Les conclusions du rapport sont clairement à charge : les obligations françaises sur la représentation des salariés sont trop lourdes, représentent un « coût » anormal et plombent les velléités d’embauche des patrons. « Notre analyse empirique montre que les seuils sociaux réduisent l’emploi en France, en particulier le seuil relatif à l’embauche d’un 50e employé », relève le rapport. « Il n’existe aucune distorsion équivalente dans la distribution par la taille des entreprises en Allemagne. » Ce fameux préjudice n’est pourtant pas chiffré.

En comparant les deux systèmes, le document pointe ce qui entraverait les entreprises françaises et dont n’ont pas à s’acquitter leurs homologues allemandes de moins de 50 salariés : l’obligation d’élire des délégués du personnel, de mettre en place un comité d’entreprise, un CHSCT, un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement économique ou encore la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.

Plus loin, le document enfonce le clou, estimant que « les seuils sociaux imposent des coûts additionnels, directs ou indirects, aux entreprises sous le coup de ces règlements. Les seuils sociaux sont donc comparables à une taxe implicite sur la taille de l’entreprise ». Résultat, « les entreprises françaises sont 15 % moins susceptibles de croître en taille d’effectif lorsqu’elles se retrouvent juste en dessous du seuil de 50 employés ». « La comparaison entre la France et l’Allemagne n’a pas beaucoup de sens, assure à Mediapart la sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann, membre de la délégation aux entreprises du Sénat. En Allemagne, les salariés ont beaucoup plus de droits dans les très petites entreprises à partir de cinq salariés. »

Les détracteurs des seuils sociaux sauront en tout cas tirer profit du rapport. Lors du débat sur la loi Macron au Sénat en février, Élisabeth Lamure et les élus “LR” avaient défendu des amendements faisant passer de 11 à 21 salariés le seuil où la mise en place de délégués syndicaux devient obligatoire et permettant aux entreprises qui passent de 49 à 50 employés d’être exonérées pendant trois ans des obligations relatives à la représentation et à la consultation du personnel. Lors de la discussion parlementaire, les sénateurs socialistes s’étaient vivement opposés à ces modifications, accusant la droite de proposer de fausses solutions contre le chômage. Certains s’appuient sur une étude de l’Insee publiée en 2010 sur le même sujet et qui fait également le jeu de la comparaison : selon ce travail, la probabilité que les seuils aient un impact sur l’augmentation des effectifs est faible.

Alors que les dispositions introduites au Sénat dans la loi Macron, comme la modification des seuils, devraient être supprimées à l’Assemblée dans les prochains jours, la droite continue d’en faire un cheval de bataille. En écho, Pierre Gattaz, président du Medef, a remis le couvert dans les Échos sur « la peur d’embaucher » qui paralyserait les patrons français. Le gouvernement lui-même n’est pas insensible à ces arguments : il avait dans un premier temps envisagé de légiférer sur les seuils sociaux, puis renoncé après l’échec d’une négociation sur le sujet entre les partenaires sociaux. Le ministre du travail François Rebsamen avait proposé l’an dernier de les geler pour une durée de 3 ans.

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A PSA-Poissy, menacé de licenciement pour une paire de gants

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Dans toutes les usines de France, leur journée de travail terminée, des contremaîtres et des chefs d’équipe regagnent leurs pénates en chaussures de sécurité, gants et bleu de travail. Ils le font par confort, commodité, pour gagner cinq minutes en n’ayant pas à repasser par la case “vestiaires”. À l’usine PSA-Peugeot-Citroën de Poissy, en région parisienne, où l’on fabrique la C3, « c’est le cas depuis toujours », dit un syndicaliste. Et la direction ne s’est jamais offusquée de cet usage qui n’a jamais choqué personne. Jamais elle n’a crié au voleur. Mais le traitement réservé aux uns n’est pas celui qu’elle réserve aux autres : les ouvriers, les opérateurs, sur les chaînes de montage.

Alex en témoigne. Il a 33 ans, trois enfants et bientôt plus de travail. Ce mardi 9 juin à midi, il sera fixé sur son sort à l’issue d’un entretien préalable en vue d’un licenciement. La lettre recommandée est tombée la semaine dernière et « c’est comme si on m’avait coupé la respiration », raconte ce salarié sans histoires, non syndiqué, entré il y a dix ans chez PSA.

La direction lui reproche d’avoir fait main basse sur une paire de gants usagés, trouvée dans son sac lors d’un contrôle inopiné à la sortie de l’usine, comme la direction en met en place régulièrement. Des gants de paluchage, très précisément, qui ressemblent à des gants de base-ball, destinés à palucher la tôle (la caresser jusqu’à ce qu’elle soit bien lisse). « Des gants tellement énormes et usés que vous ne pouvez rien faire avec, ni du bricolage, ni du jardinage », remarque le délégué central syndical Jean-Pierre Mercier, l’ancien leader CGT des PSA-Aulnay qui a rejoint le site de Poissy.

Alex se souvient très bien de ce jour de mai où il a mis cette paire de gants dans son sac. Dans son atelier, l’emboutissage (où l’on fabrique la tôle des voitures), vingt hectares de surface, les pénuries de gants sont légion. Et Alex craignait de ne pas avoir sa paire, comme souvent. Il plaide l’oubli : « Je n’ai jamais eu l’intention de voler ces gants. D’ailleurs, au moment du contrôle, j’avais ouvert mon sac machinalement avant même que le gardien me demande de l’ouvrir. » Il n’ose imaginer qu’il va se retrouver à la porte « pour une histoire de gants », perdre son emploi qui lui rapporte 1 300 euros net par mois primes comprises, le seul salaire du foyer, sa femme ne travaillant pas.

« C’est la peine de mort. On lui coupe la tête. » Pour la CGT PSA-Poissy, le cas d’Alex est « une nouvelle illustration de la politique ignoble et arbitraire » conduite par la direction sur ce site des Yvelines passé début 2015 à une seule ligne de montage contre deux auparavant. Le syndicat appelle ce mardi à un débrayage et un rassemblement de soutien devant l’usine en fin de matinée, quand les équipes du matin croiseront celles du soir. Une pétition réclamant le refus du licenciement d’Alex a déjà recueilli plus de 250 signatures. « Nous sommes tous sous le choc. C’est du jamais vu, un salarié qui se fait virer pour une paire de gants usés ! On attendait un avertissement, une mise à pied », s’emporte Jean-Pierre Mercier, longtemps employé sur le site d’Aulnay en Seine-Saint-Denis, qui a pourtant connu les pires méthodes du groupe tout au long de sa carrière de syndicaliste.

Selon lui, il ne s’agit pas là d’un acte isolé. La convocation d’Alex intervient quelques semaines après le licenciement brutal de deux ouvrières : Yamina, 49 ans, en poste adapté du fait d’une invalidité, et Najat, la trentaine. Ces opératrices qui montent la câblerie sur les tableaux de bord des véhicules ont été licenciées pour faute grave, même pas le premier degré du licenciement (sans cause réelle ou sérieuse), pour s’être disputées sur la ligne de montage, verbalement, jamais physiquement ! Soit zéro indemnité de licenciement, seul un solde de tout compte et un aller simple pour Pôle emploi.

C’était un jour de grande fatigue, d’une grande banalité. « Dans toutes les entreprises, des salariés s’engueulent. Mais à PSA, c’est un motif de licenciement chez les ouvriers », note la CGT. Les deux salariées ont entamé une action en justice devant les prud’hommes et ont pris le même avocat pour les défendre. « Elles bossent ensemble sur la même chaîne depuis des années, explique Jean-Paul Mercier. Deux semaines après leur dispute, tout était oublié, elles rigolaient ensemble mais un recommandé de la direction les attendait pour les licencier. » S’il a l’espoir que la mobilisation des collègues sauve Alex, il ne se fait pas d’illusion pour la réintégration de Yamina et Najat: « Il faudrait une grande grève, paralyser la production du site. »

Jean-Pierre Mercier dénonce des sanctions « disproportionnées », un « deux poids, deux mesures ». Il cite en exemple le cas de deux chefs de service qui se sont récemment battus dans les ateliers de Poissy avec force coups de poing. « Il n’y a pas eu de licenciement et tant mieux pour eux. Tout le monde le sait dans l’usine. Ils ont été convoqués par la direction mais on ignore les sanctions retenues à leur encontre. » Pour lui, ces mesures disciplinaires « injustes et injustifiées » sont « l’outil de la direction pour dégraisser Poissy en sur-effectif sans faire de plan social sec ». PSA-Poissy est l’un des sites les plus fragilisés du groupe, avec une production qui va passer de 255 000 véhicules en 2014 à 140 000 en 2017. L'usine recourt déjà régulièrement au chômage partiel.

Contactée, la direction du site de Poissy n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

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Argent des partis : le gouvernement veut réparer la bourde qui profite au FN

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Avis aux trésoriers : la justice vient de s’apercevoir qu’elle ne pouvait plus engager la moindre poursuite à l’encontre d’un parti politique qui serait illégalement financé par une entreprise privée. Alors que les dons des personnes morales (sociétés, associations, etc.) sont interdits depuis 1995, la sanction prévue a été supprimée par inadvertance du code pénal à l’été 2013, lors des débats parlementaires sur les lois « transparence ». Un amendement rédigé par un sénateur étourdi a fait sauter le bout de phrase qui définissait la peine – jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende.

Alors que cette situation pousse-au-crime dure déjà depuis un an et demi, elle avait échappé à la quasi-totalité des observateurs jusqu’à mercredi dernier, date à laquelle le trésorier du FN a exploité cette faille juridique en plein milieu de son audition par les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi. Justement convoqué en vue de sa mise en examen pour « acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale », Wallerand de Saint-Just est ressorti avec le statut de simple « témoin assisté », fier de sa trouvaille. « Il suffisait de regarder sur internet, se félicite l’ancien avocat. Les juges citaient un texte abrogé ! »

Le ministre de l'Intérieur, B. Cazeneuve. Ses services réfléchissent au meilleur moyen de réparer la bourde de 2013Le ministre de l'Intérieur, B. Cazeneuve. Ses services réfléchissent au meilleur moyen de réparer la bourde de 2013 © Reuters

Aujourd’hui, c’est tout un pan de l’instruction qui s’en trouve fragilisé – celui qui menaçait le plus directement le parti de Marine Le Pen, notamment soupçonné d’avoir bénéficié du soutien financier de la société de communication Riwal (sous forme d’embauches ou de délais de paiement). « Le dossier se poursuit », relativise toutefois une source judiciaire, soulignant que l’enquête vise d’autres délits, en particulier des soupçons de « faux et usages de faux », d’« escroquerie » et d’« abus de biens sociaux » (voir le détail dans cet article). Le parquet de Paris s’efforce de trouver quelque parade mais le mal est fait.

Pour prévenir d’autres déconvenues, le législateur doit surtout combler le vide juridique au plus vite. « Le problème est pris en compte, assure-t-on au cabinet du ministre de l’intérieur, en première ligne. On sait qu’il faut trouver un véhicule législatif [pour réintroduire la sanction dans le code pénal]. Ça devrait être calé d’ici le 15 juin, mais ça va prendre quelques jours. » Alors que des réunions interministérielles sont nécessaires avec la Justice, un contre-la-montre est lancé.

« On peut rédiger une proposition de loi spécifique, réfléchit d’ores et déjà le sénateur « fautif », le socialiste Jean-Pierre Sueur, bien ennuyé. Mais ça ne peut pas se faire en un mois. Cette solution suppose de trouver une place pour l’inscrire à l’ordre du jour », déjà très encombré. « On peut aussi glisser un amendement dans un projet de loi déjà programmé, poursuit le parlementaire. Mais alors il faut un texte qui porte vaguement sur le sujet, sinon c’est un "cavalier" », c’est-à-dire un « hors-sujet » que le conseil constitutionnel se chargerait de retoquer.

« Cette histoire apporte de l’eau à mon moulin », réagit de son côté le député Romain Colas (PS), récemment chargé par la commission des finances d’un rapport sur le financement de la vie politique. Depuis quelques semaines déjà, l’élu songeait à déposer une proposition de loi beaucoup plus globale pour « moderniser » la législation et injecter une dose supplémentaire de contrôle et de transparence, sans savoir s’il mobiliserait les foules – le sujet encombre à droite comme à gauche... « Là je vais accélérer », rebondit Romain Colas, motivé par les scandales à répétition à l'UMP (Bygmalion) autant qu'au FN (prêts russes, etc.), et qui compte profiter de cet épisode pour « vendre » son idée mardi matin à la réunion du groupe socialiste de l’Assemblée. « Je vais essayer d’obtenir l’accord du gouvernement. »

Alors qu’il mène des auditions de spécialistes depuis des semaines, personne n’avait mentionné devant lui la bévue de 2013, ni l’urgence de la réparer, assure le député. Il semble pourtant que certains aient identifié le problème il y a déjà quelque temps, notamment à la Commission nationale des financements politiques (la CNCCFP, chargée de contrôler les comptes de campagnes). Sollicitée lundi, cette autorité indépendante s’est refusée à tout commentaire. Bizarrement, son rapport d’activité de mai dernier, qui listait des mesures indispensables pour renforcer la législation, ne pipait mot sur le sujet.

L’histoire de la « bourde » de 2013 en dit long, en tout cas, sur les conditions dans lesquelles travaille le parlement français. Initialement concocté par le gouvernement en réponse à l’affaire Cahuzac, le projet de loi sur la « transparence » a été amendé une première fois par les députés, pour y glisser une mesure visant à contenir le phénomène des micro-partis (en plafonnant à 7 500 euros le montant qu’une personne peut donner chaque année, non plus par formation politique mais tous partis confondus). Une initiative bienvenue.

L’Assemblée n’ayant pas anticipé 100 % des conséquences, le Sénat a dû introduire un nouvel amendement précisant les responsabilités exactes des trésoriers – pas question qu’ils risquent des poursuites judiciaires dans les cas où ils ne disposent d’aucun moyen de vérifier le respect du plafond légal par leurs donateurs. Le socialiste Jean-Pierre Sueur s’en est chargé.

Concentré sur les dons accordés par les personnes physiques, il a omis de reprendre dans son amendement la peine prévue en cas de dons provenant d’une personne morale. « Personne n’a vu le truc », souligne aujourd’hui l’élu. Ni ses collègues ni les députés. Ni les administrateurs du Sénat (des fonctionnaires spécialisés) ni ceux de l’Assemblée. Ni les services des ministères concernés ni les cabinets. Ni d’ailleurs les professeurs de droit ni les journalistes spécialisés. Sur ce texte, le gouvernement avait imposé la procédure dite « accélérée », qui prévoit un seul examen par chambre, au lieu de deux ordinairement. « Deux lectures, c’est une garantie juridique… », rappelle Jean-Pierre Sueur.

Faute de temps, le parlement français travaille mal. En 2009 par exemple, une polémique avait déjà éclaté après l’élimination malencontreuse d’une disposition qui prévoyait la dissolution de toute personne morale condamnée pour escroquerie. Directement menacée, c’est l’Église de scientologie, à l'époque, qui s’était frotté les mains.

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Duel au Palais de justice autour de l’avocat de Bernard Tapie

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C’est un étrange imbroglio en marge de l’affaire Adidas-Crédit lyonnais : le procureur général de la cour d’appel de Paris, François Falletti, et le bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur, entretiennent depuis plusieurs semaines une inhabituelle correspondance pour savoir s’il est opportun d’engager des poursuites disciplinaires contre Me Maurice Lantourne, l’avocat historique de Bernard Tapie. Mais pour l’instant, le premier des deux a clairement fait comprendre qu’il ne prendrait pas une telle initiative ; et le second hésite encore à le faire.

En droit, les procédures disciplinaires visant des avocats sont de la compétence partagée du bâtonnier et du procureur général. Le premier a en effet la liberté d’ouvrir une telle procédure, s’il estime que l’un de ses confrères a commis des manquements graves aux règles qui encadrent la profession. Mais pour éviter que de possibles conflits d’intérêts ou des réflexes corporatistes ne freinent de telles initiatives, le procureur général près la cour d’appel a aussi ce pouvoir.

Au lendemain de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 17 février dernier, qui a annulé le célèbre arbitrage en faveur de Bernard Tapie, les mises en cause visant Me Maurice Lantourne ont commencé en effet à faire débat. Déjà mis en examen en même temps que Bernard Tapie pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet pénal de l’affaire, l’avocat était également visé par les attendus très sévères de cet arrêt du 17 février, rendu dans son volet civil.

Pour mémoire, voici cet arrêt :

 

Pour justifier l’annulation de l’arbitrage, l’arrêt impute en effet à Me Maurice Lantourne des faits qui ont été mis au jour à la faveur des perquisitions pénales, et qui pourraient être constitutifs des manquements ouvrant la possibilité d’une procédure disciplinaire. Celle-ci conduirait à des sanctions pouvant aller jusqu’à la radiation.

Sans préjuger du sort judiciaire que va connaître Me Lantourne à l’issue de la procédure pénale, l’arrêt retient qu’il est l’un des auteurs de la fraude à l’arbitrage qui a donc conduit à l’annulation de la sentence arbitrale. Le rôle de Maurice Lantourne est longuement détaillé dans l’arrêt, et notamment ses relations avec l’arbitre Pierre Estoup à la base de l’annulation de la sentence. L’arrêt relève aussi par exemple (à la page 23) que l’avocat a produit un document lors de l’arbitrage Tapie dans un « but dolosif », c’est-à-dire mensonger, pour faire croire qu’une note établissant un lien entre lui-même et l’un des arbitres, Pierre Estoup, ne concernait pas l’arbitrage Tapie mais un autre arbitrage, alors qu’elle démontrait au contraire leur proximité, sinon leur complicité.

Cette fraude constatée par la cour d’appel pourrait donc ouvrir la possibilité d’une procédure disciplinaire contre l’un des auteurs de la fraude qui, étant avocat, a en plus des devoirs particuliers.

Avec d’autres, ce fait pourrait donc ouvrir la possibilité d’une procédure disciplinaire. C’est du moins, selon nos informations, ce qu’aurait estimé le bâtonnier – qui n’a pas retourné nos appels. Une telle procédure est en effet possible dès à présent, pour deux raisons. D’abord parce qu’il y a une autonomie de la procédure disciplinaire : autrement dit, elle peut fréquemment se dérouler, sans avoir à attendre une éventuelle condamnation pénale. Ensuite, parce que cette avancée de la procédure disciplinaire pourrait être, dans le cas présent, justifiée par un fait détachable de la procédure pénale elle-même – ce qui est le cas de ce document établi dans un « but dolosif ».

L’ennui, c’est que Pierre Olivier Sur sait lui-même qu’il doit agir avec beaucoup de circonspection. D’abord, il a été l’avocat du Consortium de réalisation (CDR), la structure publique de défaisance de l’ex-Crédit lyonnais qui a obtenu l’annulation de l’arbitrage. Même si l’avocat s’est déporté depuis qu’il est devenu bâtonnier, son confrère pourrait lui faire grief d’être en conflit d’intérêts. De surcroît, un conflit privé a opposé les deux avocats.

On devine donc sans peine que, pour une fois, le bâtonnier de Paris serait bien soulagé que l’initiative d’une procédure disciplinaire vienne non pas de lui-même mais du procureur général. D’autant – pour compliquer le tout –, que Me Maurice Lantourne a pris pour avocat Paul-Albert Iweins qui est, comme on dit dans la profession, le bâtonnier doyen, c'est-à-dire une personnalité ayant une forte influence.

L'autre solution viendrait donc du procureur général, François Falletti. Mais celui-ci n’a pas pris l’initiative de lancer par lui-même cette procédure disciplinaire contre Me Maurice Lantourne. Fait très inhabituel, il a même pris la plume par deux fois pour inviter le bâtonnier à agir de son côté avec beaucoup de circonspection. Certes, il ne l’a pas dissuadé de le faire. Dans le premier courrier, il lui dit même qu’il lui « laisse le soin d’apprécier l’opportunité » d’engager une procédure « immédiatement ». Et dans le second courrier, il poursuit : « Je comprends que l’ouverture immédiate d’une procédure disciplinaire puisse vous paraître opportune. »

Mais dans les deux cas, le procureur général rappelle avec insistance que l’arrêt du 17 février est frappé d’un pourvoi, que la procédure pénale est toujours en cours et qu’il faut donc bien veiller au respect de la présomption d’innocence. Mediapart a interrogé de nombreux avocats et, parmi les plus anciens, aucun ne se souvient d’une telle intervention d’un procureur général.

Avec un procureur général qui ne veut pas agir et un bâtonnier qui est gêné aux entournures, on est donc dans une situation de blocage. Dans l’entourage du bâtonnier, on admet que diverses solutions sont pourtant en réflexion, dont un possible dépaysement de la procédure…

BOITE NOIREDeux heures après la mise en ligne de cet article, j'ai apporté quelques précisions sur les faits qui sont imputables à Me Lantourne et qui sont à l'origine de ce débat sur une éventuelle procédure disciplinaire.

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La Chapelle, Saint-Bernard, Pajol : des migrants subissent leur troisième expulsion

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Le parvis de la halle Pajol, dans le XVIIIe arrondissement à Paris, sur lequel s’étaient installés entre cent et deux cents migrants depuis le week-end, a été vidé de ses occupants par les forces de l'ordre lundi 8 juin dans l’après-midi. Une trentaine d'entre eux, des Érythréens et des Soudanais, ont été placés en centre de rétention administrative (CRA), à Vincennes et au Mesnil-Amelot, en vue d'une expulsion du territoire, selon l'Assfam et la Cimade, les deux associations d'aide juridique aux étrangers présentes sur place. Le message des pouvoirs publics est passé. « Ils ne veulent pas qu’on reste ici », lance Aman, 26 ans, d’origine érythréenne, après l’opération policière. « C’est n’importe quoi, ils nous pourchassent, mais on n’a nulle part où aller. Ils ne veulent pas qu’on reste ensemble », constate-t-il.

Aman fait partie de ces personnes originaires de la Corne de l’Afrique et d’Afrique de l’Ouest qui se sont retrouvées sans solution de relogement après l’expulsion du campement situé sous le métro aérien, à proximité de la station La Chapelle, malgré les déclarations de la mairie de Paris et de la préfecture selon lesquelles tous les occupants d’« Under the bridge » seraient mis à l’abri. En France depuis peu de temps, il n’a pas été « recensé » par les associations qui s’étaient vu confier cette tâche.

Déjà expulsé manu militari vendredi du square proche de l'église Saint-Bernard, ce lundi, il s’est faufilé hors du groupe lorsqu’il a vu approcher les cars de police. Il a pris les rues adjacentes et circule dans les parages. Il raconte néanmoins ce qu’il s’est passé : « Des bus vides sont arrivés. Ils ont demandé aux personnes de monter dedans. Certains y sont allés. D’autres n’avaient pas confiance, ils ont préféré rester là. Des gens se sont mis autour pour les protéger. Mais les policiers sont allés les chercher un à un, c’était comme des attaques. »

Ce récit de charges policières violentes est confirmé par des élus, journalistes, militants et voisins présents sur les lieux au moment des faits. Du gaz lacrymogène a été utilisé. Des migrants ont pu courir et s'échapper. Des réfugiés se sont trouvés mal et ont été évacués par les pompiers. « L’évacuation de Pajol cet apm m’a rappelé l’évacuation violente de st bernard en 1996 contre laquelle le PS manifestait », a twitté Éric Coquerel, élu du Parti de gauche (PG), en fin d’après-midi, après s’être interposé. « Je demande la libération immédiate des migrants et militants embarqués de force à Pajol et de vraies solutions d’hébergement », ajoute-t-il. Les migrants montés dans le bus ont été conduits quelques centaines de mètres plus loin, dans un bâtiment appartenant à la préfecture, « pour identification », selon des policiers sur place.

« Il y a eu de fortes violences, malgré la présence d’élus », surenchérit Danielle Simonnet, conseillère de Paris, élue du XXe et secrétaire nationale du PG. Hugo Touzet, élu du XVIIIe en charge de l’accès aux droits et secrétaire de section du PCF, indique à Buzzfeed avoir reçu un coup de poing « en pleine mâchoire ». « Militants et migrants embarqués, élu-e-s violentés. Bravo la préf et @manuelvalls », a-t-il ironisé sur Twitter. Interrogé par Metronews, Pascal Julien, d'Europe Écologie-Les Verts (EELV), estime que « toute cette opération prouve que l’évacuation du campement de La Chapelle était de la poudre aux yeux. Quatre jours plus tard, tout le monde est dehors, il n’y a pas eu de relogement ou d’initiative durable. […] La maire de Paris ne prévoit rien pour l’accueil des migrants et demandeurs d’asile. Pourtant de nombreux immeubles pourraient être réquisitionnés. Je ne peux constater qu’une absence totale de volonté politique ».

Dès lors, l’expulsion prend une tournure politique à l’échelon national. Dans un communiqué, EELV dénonce « les violences » et « la répression ». L’opération de police « bafoue le droit au respect et à la dignité », selon le parti écologiste. « Quelques jours à peine après le démantèlement d’un camp à La Chapelle, cette nouvelle expulsion vient confirmer que les autorités s’obstinent dans une impasse en voulant répondre par la violence à l’extrême précarité et à la détresse de ces migrants », martèle-t-il, avant d’estimer que « ces personnes doivent désormais être orientées vers des solutions d’hébergement d’urgence, dès ce soir, qu’ils soient éligibles ou non au droit d’asile ». Le PCF, de son côté, regrette que l’État ait choisi « la manière forte », dénonçant une « attitude agressive et disproportionnée du ministère de l’intérieur ». « L’utilisation répétée de la force publique à l’encontre des réfugiés est sans issue », répète-t-il, soulignant que « la matraque n’a jamais été une solution constructive ».

Des propositions doivent être faites pour mieux « orienter les réfugiés vers les hébergements déjà existants » et créer « un site dédié et pérenne » pour « accueillir les personnes réfugiées évitant leur éparpillement dans la nature, la rupture des solidarités et permettant la construction de solutions pérennes ». Même tonalité du côté du PG qui regrette que depuis l’expulsion de La Chapelle, les migrants « en sont réduits à errer de lieu en lieu » dans Paris. « La prétendue opération humanitaire semble ainsi masquer une réponse policière », indique ce parti, exigeant l’ouverture d’un « lieu neutre » afin que les migrants puissent « se poser » et que les demandes d’asile puissent être examinées.

Difficile de savoir combien de personnes ont été embarquées dans les locaux de la préfecture de police : une petite centaine selon différentes sources. Et pour y faire quoi ? Le ministère de l’intérieur assure d'abord qu’il s’agit de leur proposer l’asile ou d’être hébergées dans un centre d’hébergement d’urgence réservé aux personnes sans domicile fixe, boulevard Ney dans le XVIIIe arrondissement – qui fait fuir y compris les nouveaux arrivants sans logement. « Ils vont être envoyés en CRA », s’inquiètent des militants associatifs. CRA pour centres de rétention administrative, où sont regroupées les personnes en situation irrégulière en instance de reconduite à la frontière. Tard dans la soirée, le ministère de l'intérieur ne dément pas. Une semaine auparavant, le préfet de Paris Bernard Boucault avait affirmé : « Il n'a été procédé à aucune OQTF [obligation de quitter le territoire – ndlr]. » « Aujourd'hui », avait-il précisé. Aux aurores mardi, l'Assfam et la Cimade ont confirmé que les militants étaient bien renseignés. Les recours pour empêcher leur renvoi devraient être rédigés dans la journée, les passages devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention sont prévus cette semaine. Les retours forcés vers l'Érythrée sont toutefois improbables : non seulement ce pays est en guerre, mais aussi son consulat en France ne délivre pas les laissez-passer nécessaires. Ceux vers le Soudan sont peu fréquents : ils sont susceptibles d'être contestés devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

La plupart des personnes expulsées ce lundi s’étaient rassemblées à proximité de l’église Saint-Bernard, quelques heures après l’expulsion de La Chapelle. Elles avaient trouvé refuge pour une nuit rue Saint-Bruno, dans une salle accueillant des associations, avant de passer la nuit suivante dans le square, non loin de là. Mais les forces de l’ordre avaient fini par les encercler, vendredi, et les avaient sommées de quitter les lieux. S’en était suivie une opération ubuesque au cours de laquelle les gendarmes avaient tenté de les disperser en les contraignant à prendre le métro à La Chapelle. Mais le signal d’alarme ayant été tiré, la rame a été évacuée. Les migrants s’étaient retrouvés autour de la halle Pajol.

La mairie de Paris n'a pas réagi aux événements de la journée. La préfecture seule a justifié son opération auprès de quelques journalistes. Les pouvoirs publics parent au plus pressé. Leur intention est d'empêcher qu'un campement ne se reforme quelque part dans la capitale, alors que les arrivées via la Méditerranée au départ de la Libye se multiplient ces derniers jours : près de 6 000 personnes ont été secourues le week-end dernier et sont arrivées en Italie. Directeur général de France terre d'asile, association qui a participé au « recensement » pour le compte de la mairie, Pierre Henry maintient son soutien. « Au-delà des postures et agitations diverses, l’évacuation du “sous-camp” de la Chapelle, malgré les critiques qui lui sont adressées, a tout de même permis à 160 demandeurs d’asile d’être protégés de manière durable, dont 62 ont d’ores et déjà été reconnus réfugiés statutaires, et à 70 personnes vulnérables d’être prises en charge par la mairie de Paris », indique-t-il dans un communiqué, tout en fustigeant les « démonstrations de force ».

La stratégie de l'invisibilité est rodée, mais inefficace à moyen et long terme. Aucune réponse durable n’a été élaborée pour accueillir ou orienter ces milliers de migrants et réfugiés qui fuient la guerre ou la misère. L'évacuation « sanitaire et humanitaire » promise par les autorités n'est plus de mise. D'autant que les dizaines de personnes qui ont accepté les nuits d'hôtel social en Île-de-France, après l'expulsion de La Chapelle, se retrouvent à la rue ce mardi 9 juin.

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Le «parrain des parrains» Michel Tomi a ses entrées au cœur des services français

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Il y a les liens du sang et ceux de l’argent. Parfois, il y a les deux ensemble. Un lieutenant de l'homme d'affaires corse Michel Tomi, surnommé le “parrain des parrains”, a affirmé sur procès-verbal à la police judiciaire remettre régulièrement de fortes sommes d'argent en espèces à Paul-Antoine Tomi, frère de Michel et... commissaire à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Cette déposition, datée de juin 2014 et qui n’avait jamais été éventée jusqu’ici, interroge la nature exacte des relations entre les deux frères : l’un policier, en poste à la direction technique de l'un des plus importants services secrets français, et l’autre cible régulière des policiers. Elle apparaît aussi comme un nouveau révélateur, au-delà de ce seul cadre familial, des admirables connexions policières (que ce soit au sein de services de renseignement ou de la police judiciaire) de Michel Tomi, pourtant déjà condamné dans plusieurs affaires financières en lien avec la mafia corse.

Michel Tomi, au second plan, derrière son associé assassiné Robert Feliciaggi.Michel Tomi, au second plan, derrière son associé assassiné Robert Feliciaggi. © Reuters

C’est dans le cadre d’une enquête judiciaire dirigée depuis 2013 par le juge financier Serge Tournaire, qui vaut actuellement au “parrain des parrains” une nouvelle mise en examen pour corruption (parmi dix-sept chefs d’inculpation…), que l’un de ses principaux hommes de main en France s’est mis à table devant les policiers de l’Office anti-corruption.

Interpellé le 18 juin 2014 au petit matin, à son domicile parisien, Valentin R., à la fois chauffeur de luxe et convoyeur d’espèces au service du clan Tomi, s’est montré particulièrement bavard face aux enquêteurs. Beaucoup plus, de fait, que dans deux écoutes téléphoniques de l’automne 2013 qui ont longtemps intrigué les policiers. Valentin R. y multipliait les sous-entendus avec une bonne connaissance : le frère de son patron, Paul-Antoine.

Dans la première écoute, du 3 septembre 2013, on entend par exemple un Paul-Antoine Tomi insistant auprès du lieutenant de son frère : « Dis-moi quand est-ce qu’on peut se voir ? » Valentin, surnommé affectueusement « Valentino » par son interlocuteur, temporise : « Heu… pour l’instant, heu… Je t’appelle. Je te dirai […] Pour l’instant, j’attends aussi, j’attends confirmation, d’accord ? »

Dans la deuxième écoute, datant cette fois du 25 novembre 2013, les échanges sont à peine plus clairs :

  • Paul-Antoine Tomi : « C’est pour savoir quand on peut se voir parce que je vais partir demain matin en Corse pour toute la semaine ».
  • Valentin R. : « J’ai eu un appel hier soir et on m’a dit que ça allait sûrement arriver. »

Qu’est-ce qui devait « arriver » ? Après 24 heures de garde à vue, Valentin R. n’en fera pas mystère : « Paul-Antoine demande à me rencontrer pour savoir si son frère a de l’argent à lui donner. » Il précise : « Il lui donne environ 20 000 à 25 000 euros par an en espèces répartis tous les trois mois environ. » Les policiers lui demandent ensuite si le commissaire à la DGSI lui communique des informations récoltées par la police sur son frère. Valentin R. est catégorique : « Pas du tout. »

Les policiers sont également parvenus à intercepter une conversation entre Michel Tomi et un interlocuteur identifié comme étant son commissaire de frère. Datée du 9 octobre 2013, cette écoute est révélatrice des précautions prises par les deux hommes pour échanger à l’abri des oreilles extérieures :

  • Michel Tomi : « Allo ? »
  • Paul-Antoine Tomi : « Allo »
  • Michel : « Ouais… Ça va ? »
  • Paul-Antoine : « Je peux te donner un numéro de téléphone ? »
  • Michel : « Ouais, attends. Ne bouge pas, comme ça je t’appelle d’un coin tranquille… Moi-même j’en ai un là. Je ne suis pas tranquille. Vas-y ! »
  • Paul-Antoine : « 07.XX.XX.XX.XX ».

De toute évidence, le “parrain des parrains” se sait écouté ; son frère, lui, ne voudrait pas l’être. D’après le journaliste Pierre Péan, auteur d’un récent ouvrage sur la mafia corse, Compromissions (Éd. Fayard), Paul-Antoine Tomi n’aurait jamais dû obtenir son habilitation secret défense en raison de sa vulnérabilité, liée à son environnement familial. Son dossier d’habilitation ne comporterait d’ailleurs pas la mention de son lien avec Michel Tomi, selon Péan.

Quoi qu’il en soit, Paul-Antoine Tomi est bel et bien en poste. Il fut ainsi en janvier dernier l’un des responsables techniques de la DGSI présents Porte de Vincennes, au moment de l’assaut contre la prise d’otages de l’HyperCasher, selon nos informations. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Cela fait des années que son nom apparaît dans des procédures policières visant son frère richissime, installé depuis plusieurs décennies en Afrique – au Gabon, au Cameroun et au Mali – où il a bâti un empire sur les jeux, les paris sportifs, le PMU, l’aviation et l’immobilier.

Dans un rapport de synthèse de mai 2007 de la Brigade nationale de répression du banditisme et des trafics (BNRBT), consacré à Michel Tomi dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat en 2006 à Ajaccio de son associé historique, Robert Feliciaggi, on pouvait notamment lire ceci : « À Paris, où il vient une à deux fois par mois, il [Michel Tomi – ndlr] rencontre son frère Paul-Antoine Tomi, commissaire de police à la Défense. » L’auteur du rapport précisait immédiatement : « Ses relations dans la capitale sont principalement liées au monde affairiste. »

Michel Tomi, entendu en mai 2010 comme témoin dans cette même enquête criminelle, avait quant à lui présenté avec pudeur son entourage familial : « J’ai deux frères et trois sœurs […] Paul-Antoine, qui a 41 ans, qui est commissaire de police. » Il évoquait également l’existence d’une sœur « magistrat au parquet parisien ». Celle-ci a été, jusqu’en 2011, substitut du procureur au tribunal des armées. Pour un haut responsable policier rencontré par Mediapart, la facilité de Michel Tomi à être en prise directe avec les institutions qui le traquent à intervalles réguliers depuis plus de trente ans est « un vrai problème ».

Hors procédures judiciaires, les anecdotes, dont il est toujours difficile de vérifier le caractère exagéré ou non, pullulent. Que ce soit sur son frère Paul-Antoine, encore lui, qui se serait fait offrir par Michel un 4×4 BMW et qu’il a dû rendre après que la rumeur de l’embarrassant cadeau est devenue trop insistante parmi ses collègues. Ou que ce soit au sujet d’un commandant de la PJ, chargé par sa hiérarchie d’aller au contact de Michel Tomi et qui est apparu au fil de ses rencontres sous l’emprise de sa “cible”. À tel point que les Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris ont dû enquêter discrètement sur le commandant, soupçonné de passer un peu trop de temps avec le “parrain des parrains”.

Les liens entre Michel Tomi et le monde policier français ne datent pas d’aujourd’hui. Ils remontent aux années 1990, lorsque Charles Pasqua, l’un de ses proches, était ministre de l’intérieur. Et ils ne se sont jamais taris depuis. L’homme qui incarne le mieux ces entrelacs d’affaires et de services, qui se nouent entre Paris, la Corse et l’Afrique, est sans conteste Bernard Squarcini.

L’ancien patron de la DCRI (ancêtre de la DGSI) sous Sarkozy, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations, n’est jamais très disert lorsqu’il s’agit de parler du “parrain des parrains”. À peine se contente-t-il de louer son entregent : « Michel Tomi, c’est quelqu’un qui connaît mieux que quiconque les dessous de l’Afrique et qui a un relationnel particulier aux chefs d’État avec laquelle la France doit opérer… Il travaille pour le drapeau », affirmait-il le 4 juin 2014 dans les colonnes de L’Express.

L'ex-patron de la DCRI, Bernard Squarcini, et l'ancien ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, en juin 2010.L'ex-patron de la DCRI, Bernard Squarcini, et l'ancien ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, en juin 2010. © Reuters

Quinze jours après ces déclarations, l’homme qui « travaille pour le drapeau » est mis en examen pour « corruption d’agents publics étrangers », concernant ses rapports avec les présidents du Gabon et du Mali. Au milieu de l’instruction menée depuis un an sur l’empire Tomi, surgit un nom que les enquêteurs connaissent bien : celui de Bernard Squarcini. C’est en s’intéressant aux nombreux marchés pour lesquels le “parrain des parrains” joue les “intermédiaires”, et plus précisément à ceux décrochés par une société française de sécurité baptisée Gallice Sécurité, que la police fait cette étonnante trouvaille.

Dirigée par Frédéric Gallois, un ancien du GIGN, Gallice Sécurité a, comme bien d’autres entreprises, bénéficié d’un « coup de main » du Corse pour signer un contrat portant sur la protection rapprochée du président malien, Ibrahim Boubakar Keïta. Comme souvent dans le système Tomi, ledit contrat souffre, selon la police, d’irrégularités (prestations « artificiellement gonflées », transferts d’argent sur une obscure SCI…). Malgré la réputation de l'homme d'affaires corse, Gallois, qui réfute toute malversation, s'est senti en confiance. Et pour cause : la personne qui l’a présenté au “parrain des parrains” n’est pas n’importe qui.

« J’ai été mis en relation avec M. Michel Tomi en septembre 2013 suite à un conseil de l’ancien chef de la DCRI, M. Bernard Squarcini, qui a prétendu me présenter une personne de confiance », raconte-t-il au juge Tournaire, le 20 juin 2014. À l’époque, celui que l’on surnomme le “Squale” s’est reconverti dans le privé. Avec sa société Kyrnos Conseil – le premier nom donné à la Corse par les Grecs –, il travaille depuis quelques mois pour le compte de Gallice Sécurité qu’il aide à « décrypter le fonctionnement de l'appareil d'État gabonais ». Lors d’une perquisition, deux factures, « liées à du “lobbying” au Mali et au Gabon », ainsi qu’un contrat de consultant avec Kyrnos Conseil, sont d’ailleurs retrouvés au siège de l’entreprise.

Aux dires de l'ancien gendarme du GIGN, Squarcini connaît parfaitement les arcanes du Gabon. C’est d'ailleurs dans ce pays qu’il a décidé de créer, en 2011, une antenne de la DCRI à la tête de laquelle il avait projeté un temps d’installer Paul-Antoine Tomi, rapporte Pierre Péan. Cette antenne, dont l’utilité reste à ce jour un grand mystère, a été supprimée par Manuel Valls dès son entrée au ministère de l’intérieur en mai 2012.

C’est aussi au Gabon que le fils du “Squale”, Jean-Baptiste, s’est exilé après des mésaventures marseillaises en marge de l’affaire Guérini. Il y occupe aujourd’hui encore le poste de chef de service à l'Agence nationale des parcs nationaux. Mais promis juré, cela n’a rien avoir avec Tomi. « Je ne fais pas d'affaires avec Tomi ! Ce n'est pas un ami », martelait le “Squale” au Monde en mars 2014. C’est pourtant bien par son intermédiaire et en sa présence que Frédéric Gallois a rencontré le “parrain des parrains” dans un hôtel parisien à l’automne 2013.

Quand il s’agit de renseignements policiers, la liaison entre le Gabon, Paris et la Corse est quasi directe. C’est ce que comprend l’ancien nationaliste Alain Orsoni dans la soirée du 3 juin 2009, en recevant un SMS émanant d’un téléphone gabonais, sur lequel est simplement écrit « APP URGENT ». Depuis son village de Corse-du-Sud, Vero, l’ex-leader du mouvement pour l'autodétermination (MPA), s’exécute sur-le-champ.

L'ancien leader nationaliste Alain Orsoni.L'ancien leader nationaliste Alain Orsoni. © Reuters

Au bout du fil, un homme qui dit le connaître du « poker » et fait référence au « pays d’en bas », lui explique en langue corse qu’une « fête » doit se dérouler le lendemain matin chez lui et que son fils, Guy, est « dedans » parmi les « 15 qui sont avec ». Le mystérieux interlocuteur précise même : « Ils m'ont appelé maintenant pour me dire cette affaire. » Codé, le message n’en est pas moins clair.

Une opération policière est en effet prévue pour le 4 juin dans le but d’arrêter Guy Orsoni et certains de ses proches dans le cadre d’une enquête ouverte des chefs de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un meurtre en bande organisée. Le fils d’Alain Orsoni est censé être interpellé à 6 heures à son domicile. Mais à l'arrivée de la police, il n'y a personne. Guy s'est enfui.

Rapidement, les enquêteurs découvrent que l'homme qui a prévenu Alain Orsoni n’est autre que Jean-Baptiste Tomi, le fils de Michel, qui a été de toutes les affaires africaines de son père, avant d’émigrer aux Émirats arabes unis courant 2013. Mieux, les policiers apprennent qu’une demi-heure avant cette conversation, « Bati » Tomi, comme on le surnomme, avait reçu un appel de Frédéric Bongo, redoutable directeur des renseignements gabonais et frère du président Ali Bongo.

Frédéric Bongo se trouvait alors en France où il effectuait un stage à l'école des officiers de la gendarmerie nationale. Protégé par son immunité diplomatique, il n’a jamais été entendu par les enquêteurs. Impossible, dans de telles conditions, de savoir d’où il tenait l’information qui a permis la cavale de Guy Orsoni. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que le frère du président gabonais avait fréquenté au même moment des agents de la DCRI.

Jean-Baptiste Tomi, lui, a dédouané son oncle Paul-Antoine, tout en continuant de nier que Frédéric Bongo l'ait informé. Condamné en 2012 à 100 000 euros d’amende pour « recel de violation de secret d’instruction », il n’a jamais révélé sa source. Cité comme témoin fin mai au procès Orsoni, il ne s'est pas présenté à la barre. Les secrets sont bien gardés.

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Christophe Dubois: «La France se rend complice du régime algérien»

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Ce sera la deuxième visite en trois ans. Rarement un président français aura marqué autant d’égards vis-à-vis de l’Algérie. Le 15 juin, François Hollande se rend à Alger à l’invitation du président Abdelaziz Bouteflika. Une « visite de travail », a expliqué l’Élysée. En décembre 2012, il avait déjà fait le voyage pour une visite d’État de deux jours. Cette fois, pas de mise en scène spectaculaire ni de grand discours devant l’Assemblée nationale. Il n’empêche, l’entretien prévu entre les deux chefs d’État est une nouvelle preuve de l’étroitesse des relations entre les deux pays et du soutien que la France continue de manifester à un régime à bout de souffle, incarné par un président très affaibli par la maladie.

Dans Paris Alger, une histoire passionnelle (Stock 2015), les journalistes Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet décryptent les relations franco-algériennes sous tous leurs aspects. Si les premiers chapitres historiques n’apportent rien de neuf par rapport à la littérature existante, ceux consacrés aux relations diplomatiques, sécuritaires et économiques éclairent la complicité française vis-à-vis du « système » algérien. Une « fiction » où le pouvoir se partage, de façon totalement obscure, entre la présidence (élargie à la famille Bouteflika), l’armée et les services de renseignement (le puissant DRS), pour maintenir un « régime rétrograde et totalitaire ».

« En entretenant la fiction du pouvoir algérien, [la France] lui donne une légitimité qu’elle ne mérite pas, écrivent les auteurs. Le Système est arrivé à bout de souffle. Le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika est de loin le plus poussif, celui de trop. Une comédie désolante. La France a laissé faire. Trop besoin de l’Algérie, de son soutien militaire, de ses marchés potentiels et (en partie) de son énergie. »

Dubois et Tabet rappellent également la coopération méconnue en matière de maintien de l’ordre, la fameuse « gestion démocratique des foules », ou l’importance de la lutte contre le terrorisme. Ils racontent l’énergie mise par François Hollande pour convaincre l’Internationale socialiste d'accepter l’adhésion du FLN. Mais aussi les relations d’affaires, voire affairistes entre les deux pays, et les acquisitions douteuses de biens immobiliers à Paris par de nombreux dignitaires algériens.

Ce sont d’ailleurs ces révélations qui ont provoqué une polémique en Algérie. Une émission de télévision satirique, “El Djazaïria Week-end”, a eu le malheur d’évoquer l’achat en 2007 par la fille du premier ministre algérien Abdelmalek Sellal d’un appartement sur les Champs-Élysées. En avril, l’émission a été « suspendue » à la demande des autorités.

Quant aux auteurs du livre, ils n’ont jamais obtenu leur visa pour l’Algérie : déposée en mai 2014, la demande est restée lettre morte jusqu’à ce que l’un d’eux décroche un rendez-vous avec l’ambassadeur à Paris, en début d’année 2015. « Dans une ambiance peu amicale », Amar Bendjama finit par lâcher : « Faites votre livre. Il sera mauvais pour nous, mais au moins nous n’y aurons pas participé. »

Paris Alger, une histoire passionnelle
Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet

Stock, 2015, 20,50 euros

 

 

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