Ce sont des connivences qui, il y a quelques années encore, auraient suscité l’indignation. Mais dans le Vaucluse, la porosité entre UMP et FN est telle aujourd’hui que les épisodes qui ont suivi les élections municipales n’ont provoqué aucune réaction publique.
Ni l’élection de président (UMP) de l’agglomération d’Avignon avec les voix du FN et celle du 2e vice-président (FN) avec les suffrages de l’UMP ; ni la création d’un groupe d’opposition au conseil municipal d'Avignon par quatre élus issus de listes UMP et Rassemblement bleu marine. Ces deux éléments factuels font du Vaucluse le premier département où la recomposition de la droite s'organise, à certains endroits, avec l'extrême droite.
Le dernier épisode a eu lieu mercredi. Quatre élus issus des listes UMP et Rassemblement bleu marine (RBM) ont quitté leurs équipes pour former un groupe d'opposition au conseil municipal d'Avignon. Le président de ce nouveau groupe n’est autre que… le directeur de campagne du candidat UMP aux municipales Bernard Chaussegros.
Élu pendant 17 ans dans la majorité de la maire sortante d’Avignon, Marie-Josée Roig, et numéro trois sur la liste UMP en mars, Philippe Marcucci a convaincu la numéro deux de Chaussegros de s’allier avec deux membres du RPF élus sur la liste Rassemblement bleu marine de Philippe Lottiaux (lui-même ancien collaborateur de l'UMP Patrick Balkany).
Pour justifier ce que beaucoup, localement, considèrent comme une « trahison », Marcucci – qui n'a pas retourné notre appel – invoque deux raisons : le vote de Bernard Chaussegros en faveur de la candidate PS lors de l'élection du maire ; et la promesse non tenue du même Chaussegros de le laisser siéger à l’agglomération du Grand Avignon.
« Force est de constater que pour de multiples raisons, on a perdu. On a quand même pris une branlée sévère », a expliqué Philippe Marcucci lors d’une conférence de presse (voir la vidéo). Nous avons envisagé de créer une opposition qui soit objective, vigilante, constructive. Le premier conseil municipal m’a bouleversé. Le vote de deux partis de l’opposition UMP pour le maire et la standing ovation m’ont laissé pour le moins pantois. »
« Maintenant, avec le recul, je ne pense pas que Bernard (Chaussegros) avait les compétences pour être maire d’Avignon », a asséné Florence Duprat, qui fut pourtant sa numéro deux pendant les municipales. Les deux élus de la liste RBM prennent eux aussi leurs distances avec l’étiquette créée par Marine Le Pen, qu’ils qualifient de « coquille vide ».
Ce choix a été « très mal perçu localement », rapporte le collaborateur d’un élu UMP du département. « Marcucci est accusé de traîtrise, de vouloir exister. » Cette situation est d’abord le résultat des « divisions de la droite locale » (racontées ici et là par Mediapart), estime-t-il : « Philippe Marcucci espérait pouvoir exister une fois Bernard Chaussegros parti du Grand Avignon, mais il ne part pas. Il l’a très mal pris. Il crée ce groupe pour exister, avoir une assise. » Pour autant, l’élu UMP va-t-il être exclu du parti ?
Au siège parisien de l'UMP, où l’information a circulé, on explique « attendre d’être saisi par la fédération ». « Ce sont les responsables des fédérations qui envoient un courrier signé au siège, pour mettre ces cas à l’ordre du jour du bureau politique », précise-t-on. Le prochain aura lieu le 23 avril. Sollicité par Mediapart jeudi après-midi, le président de la fédération UMP du Vaucluse, Jean-Michel Ferrand, n’a pas donné suite.
En déplacement à l’étranger, Bernard Chaussegros – qui n’a pas répondu à notre coup de fil –, s’est contenté de glisser à la Provence : « Maintenant on sait qui est Brutus, c’est ça la politique à Avignon. » Marie-Josée Roig y voit quant à elle une « démarche stupéfiante ». Raillant le nom de ce nouveau groupe (baptisé « Sempre Fidelis », qui signifie « Toujours fidèle »), l’ex-maire UMP d’Avignon a ironisé : « Si Marcucci est fidèle, en tout cas, ce n’est ni à Chaussegros, ni à l’UMP » mais « à lui-même et à ses arrière-pensées ». Quant aux élus RPF, ils ont dû « se tromper sur la couleur du bleu », car la couleur du RBM est « bleu marine », lance-t-elle.
La semaine dernière, un autre épisode a démontré combien les frontières entre l'UMP et le FN étaient poreuses : le vote du président de la communauté d’agglomération du Grand Avignon, qui compte 72 élus (30 sièges à droite, 27 à gauche, 11 au FN-RBM et 4 sans étiquette). L'UMP a réussi à maintenir l'agglomération à droite dès le premier tour grâce aux 11 voix du Front national, ajoutées aux 30 de la droite. Le candidat UMP, Jean-Marc Roubaud, a ainsi contré la nouvelle maire PS d'Avignon, Cécile Helle.
Plus surprenant : le maire FN du Pontet, Joris Hébrard, est devenu le 2e vice-président, avec les voix des 30 élus de la droite. Sans fracas.
À cette élection, Roubaud et Hébrard ont obtenu le même nombre de voix (43 sur 72). Des chiffres qui interrogent localement. « Y a-t-il eu des discussions, des rencontres ? Il n’y a eu aucune abstention, aucun vote nul, ce qui laisse penser qu’il y a pu avoir un accord préalable entre UMP et FN », explique à Mediapart le collaborateur d’un élu UMP du Vaucluse. « L'existence d'un accord préalable UMP-FN relève donc de l'évidence mathématique », écrit la Provence.
Contacté par Mediapart, Jean-Marc Roubaud réfute tout « accord » en amont avec le Front national. « On laisse la politique à la porte. Les quinze maires sortants avaient prévu un accord pour ne présenter qu’un candidat par commune pour les vice-présidences. Après les élections, aucun maire n’a remis en cause cet accord », justifie l’élu (la maire socialiste d’Avignon n'a pas signé ce document, mais elle l’aurait validé verbalement, selon M. Roubaud).
Lui qui figurait parmi les membres fondateurs de la Droite populaire a été battu aux législatives de 2012, après une triangulaire avec le FN et le PS. Aujourd'hui, avoir été élu avec les voix du FN ne lui pose aucun problème : « Si l'on commençait à avoir des états d’âme… Je veux faire un contrat de gouvernance avec tout le monde, loin des clivages politiques et sans ostracisme. Pour moi, il n’y a pas de débat, cela n’intéresse que les observateurs politiques comme vous, mais pas les gens que je croise dans la rue ! »
Jean-Marc Roubaud aura en tout cas besoin des voix frontistes pour obtenir une majorité absolue lors des votes. Interrogé sur le sujet par la Provence, il s'est contenté de répondre que la droite disposait de « 31 voix, donc une majorité » (la majorité absolue est à 37). Le Front national a lui assuré qu'il n'avait pas donné par son vote « un blanc-seing » au président UMP et qu'il jouerait « pleinement son rôle d'opposition ».
En 1998, l’élection de cinq présidents de région (UDF et Démocratie libérale) avec les voix du FN (Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie, Bernard Harang en Région Centre, Charles Millon en Rhône-Alpes, Jean-Pierre Soisson en Bourgogne) avait suscité un tollé.
Au terme de sept jours de réflexion, seuls deux d'entre eux avaient rendu leur siège : Jean-Pierre Soisson en Bourgogne et Bernard Harang dans la Région Centre. Les trois autres étaient restés inflexibles et avaient choisi de sauver leur fauteuil plutôt que leur étiquette. Ils avaient été exclus de leur parti.
À Amiens et Montpellier, des milliers de personnes étaient descendues dans la rue. Au RPR, Jacques Chirac avait condamné ceux qui pactisent avec « un parti de nature raciste et xénophobe ». « Une alliance avec le FN conduirait à une impasse morale, politique et électorale. Si certains pensent différemment, ils ont droit de le dire. En revanche, ils n'ont pas le droit de le mettre en pratique », avait déclaré Philippe Séguin, alors président du RPR.
À l’époque, le patron du conseil général de l'Oise et ancien secrétaire général du RPR, Jean-François Mancel, qui avait négocié un rapprochement avec le Front national, avait lui aussi été exclu. Il avait déclaré « ne pas voir de raison de refuser le concours des élus FN » et expliqué qu’« à partir du moment où la stratégie de guerre avec le FN a été un échec total, il faudrait être cinglé pour la poursuivre ».
Rien de tel dans le Vaucluse aujourd’hui. « Ni indignation ni quolibet n'ont émaillé la première séance du nouveau conseil communautaire », relate la Provence. L’arrivée de l’UMP Jean-Marc Roubaud dans le fauteuil de président, avec le plein des voix d'extrême droite, « a largement été saluée par les élus et un public venu en nombre garnir la salle polyvalente de Montfavet », précise le quotidien.
Plus au nord du département, l'extrême droite a en revanche échoué à s'emparer de la communauté de communes des Pays de Rhône et Ouvèze (CCPRO). La députée FN Marion Maréchal-Le Pen avait précisément choisi de se présenter à Sorgues (en dixième position sur une liste menée par un ancien adjoint de la majorité UMP), pour tenter une OPA sur la CCPRO, avec l'aide du député et maire d'Orange, Jacques Bompard (ex-FN, Ligue du Sud).
Mais son échec à Sorgues dès le premier tour a rebattu les cartes. Bompard a donc poussé la candidature d'Alain Rochebonne, maire divers droite de Couthézon, soutenu par ses homologues de petites communes. Ambigu avec l'extrême droite (lire notre enquête), il est accusé par ses adversaires d'être « le cheval de Troie de Jacques Bompard ». Face au sénateur UMP Alain Milon, président sortant de la CCPRO, l'élection a été extrêmement serrée dans ce nord-Vaucluse tenu par les Bompard. Le 12 avril, le sénateur l'a finalement emporté au second tour avec 26 voix contre 24.
- Lire notre enquête « Dans le Sud-Est, les stratégies de l'UMP pour survivre face au FN »
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