La colère montait depuis des semaines. L’annonce des mesures d’économies mercredi par Manuel Valls, à la sortie du conseil des ministres, l’a encore fait monter d’un cran. « L’appel des 100 » députés socialistes, critiques de l’orientation du gouvernement, demande une nouvelle rencontre avec le premier ministre pour lui présenter un programme alternatif. Ils préconisent un pacte de responsabilité réduit à 35 milliards d’euros avec des aides ciblées sur certaines entreprises, et un assouplissement du calendrier pour atteindre l’objectif européen de 3 % de déficit.
Un des initiateurs de cette fronde parlementaire, le député Christian Paul, proche de Martine Aubry, explique pourquoi il s’oppose aux mesures du gouvernement.
Dès l’annonce des mesures de Manuel Valls, vous avez exprimé sur Twitter votre désaccord « sur la forme et sur le fond ». Pourquoi ?
Christian Paul. Nous indiquons depuis des mois au gouvernement les réserves exprimées au groupe socialiste sur le pacte de responsabilité. Nous avons répété que financer des aides aux entreprises en réduisant les prestations sociales serait un marché difficile à mettre dans la main des parlementaires. Nous avons exprimé le besoin collectif d’améliorer les méthodes et les rapports entre l’exécutif et le parlement, fort malmené depuis 22 mois.
Là, nous faisons face à un dérèglement institutionnel. Mercredi matin, nous étions entre 100 et 150 députés socialistes réunis salle Colbert, à l’Assemblée nationale, en attendant des ministres qui ne sont jamais arrivés (André Vallini et Marylise Lebranchu, ndlr). Et nous avons découvert à la télévision, dans un silence total, les annonces du gouvernement.
Aucun d’entre nous ne connaissait le moindre détail du programme d’économies et aucun d’entre nous ne savait qu’il allait être annoncé dès aujourd’hui. C’est là qu’est le dérèglement institutionnel ! La volonté affichée par le gouvernement de revitaliser le parlement et, à travers lui, de faire davantage entendre les citoyens, a été oubliée avant même d’être mise en œuvre...
#directAN Le groupe socialiste a découvert dans un silence total les annonces du gouvernement. Inacceptables en l'état. Le fond et la forme.— Christian Paul (@christianpaul58) April 16, 2014
Manuel Valls avait pourtant insisté la semaine dernière lors de son discours de politique générale sur sa volonté d’associer davantage le parlement. Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen, ne vous a pas rappelé ce message quand le groupe PS l’a rencontré mardi ?
Jean-Marie Le Guen a rappelé les engagements du premier ministre mais il a aussi théorisé l’idée qu’il n’y a pas de contrat entre le président de la République et le Parlement. Selon lui, l’exécutif a une légitimité supérieure due à l’élection du président au suffrage universel. Mais aucun pouvoir exécutif n’est obligé de maltraiter sa majorité ! D’autant plus que nous sommes, nous aussi, convaincus qu’il faut un programme d’économies et redresser les comptes publics.
Sur le fond, ce qui nous heurte réellement, c’est que l’objectif de justice, rappelé par Manuel Valls, n’est pas atteint. Quand on annonce un gel des prestations pendant 18 mois, cela se traduit par un appauvrissement de pans entiers de la société française ! Des salariés, des retraités, des précaires, des jeunes qu’il faudrait préserver vont perdre du pouvoir d’achat.
En réalité, cela signifie que 50 milliards pour le pacte de responsabilité, c’est trop. Ce n’est ni réaliste ni réalisable. Il faut mieux le cibler.
Comment ?
Nous allons soumettre à Manuel Valls nos propositions. Selon nous, le pacte ne peut pas dépasser 35 milliards d’euros. Il faut cibler les baisses de prélèvements obligatoires pour les entreprises qui recrutent, qui investissent ou qui forment leurs salariés. Cela permettrait de faire un effort d’économies, mais sans reculs sociaux et sans reculs des services publics.
C’était déjà le même débat sur le pacte de compétitivité (CICE) à l’automne 2012…
Oui. Déjà la première fois, les mesures avaient été financées pour partie par la hausse d’un impôt injuste, la TVA. Nous n’avions pas applaudi. Là, cela va beaucoup trop loin. C’est pourquoi nous avons formulé des contre-propositions.
Si vous réduisez à 35 milliards d’euros le pacte de responsabilité, vous pouvez annuler les 11 milliards annoncés de baisses des prestations sociales. Mais pour le reste, quelles économies comptez-vous faire ?
Si nous pensons que 35 milliards sont un maximum, nous pensons aussi que la trajectoire de réduction des déficits publics n’est pas crédible. Même si on maintient l’objectif de 3 % de déficit, il faut jouer sur les délais avant d’y parvenir. Nous allons là aussi proposer une trajectoire alternative.
Nous ne voulons pas que s’installe un débat totalement stérile entre ceux qui seraient les cigales et ceux qui seraient les fourmis. Il n’y a pas d’un côté les réalistes et, de l’autre, les démagos. Nous voulons un débat responsable, même s’il est difficile, et peut-être douloureux demain si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord. Nous sommes à la recherche de solutions justes et d’une politique efficace. Et le président de la République ferait bien d’écouter sa majorité – ce qu’il ne fait pas.
J’ai le sentiment que le premier ministre défend avec énergie un programme qui est avant tout porté et assumé par le président de la République. Mais l’énergie ne fait pas une politique. Manuel Valls aurait été plus inspiré à trouver une voie plus juste et plus acceptable. Il a encore la possibilité de le faire.
En l’état, voterez-vous le programme de réduction des déficits publics qui sera présenté à Bruxelles et soumis aux députés le 30 avril ?
En l’état, et à titre personnel, je ne voterai pas l’avis sur le programme de stabilité. À ce propos, je ne crois pas du tout à la menace parfois évoquée d’une dissolution. Si le gouvernement prend enfin le temps du dialogue, un accord est possible avec la majorité. Mais il ne prend pour l’instant ni le temps ni le chemin du dialogue. C’est inexplicable et irrespirable !
Pourquoi ?
C’est pour moi un des mystères de ce quinquennat.
Pensez-vous que François Hollande dispose d’une majorité pour la politique annoncée lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 ?
Tout le monde est au pied du mur et tout le monde devra prendre ses responsabilités. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, à quinze jours d’un vote, nous avons un devoir d’alerte, nous exprimons une injonction au dialogue et le souci de trouver un compromis juste. En réalité, face à l’emballement et à l’accélération que provoque l’exécutif, c’est nous qui sommes les modérés.
Vous avez d’ailleurs voté la confiance à Manuel Valls.
Nous avons voté l’investiture, davantage que la confiance, parce que nous ne voulions pas hâter d’une heure le retour de Jean-François Copé ou de Nicolas Sarkozy. Je l’assume.
Mais c’est vous qui agitez la menace de la dissolution ! Refuser la confiance ne signifie pas une dissolution… François Hollande pouvait nommer un autre gouvernement.
Certes. Mais nous ne voulions pas provoquer une crise institutionnelle. Le fait d’avoir voté l’investiture ne nous condamne pas à être des exécutants. Il faut recréer dans ce pays une culture démocratique qui permette à des parlementaires de faire vivre leur mandat au nom du peuple. À l’occasion de ce moment de tension, nous devons aussi être capables d’inventer de nouveaux rapports entre les pouvoirs.
BOITE NOIREL'entretien a été enregistré mercredi après-midi par téléphone. Il n'a pas été relu par Christian Paul.
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