Jusqu'à aujourd'hui, Michèle Tabarot, la numéro deux de l’UMP et maire du Cannet (Alpes-Maritimes), continue de soutenir son premier policier municipal. Déjà épinglé par Mediapart pour des reportages bidonnés mettant en scène ses agents, puis pour les tâches très politiques de la police municipale, son « Monsieur sécurité » a été entendu le 27 mars, à deux reprises, par la commissaire divisionnaire de Cannes. Ces auditions ont été réalisées dans le cadre d’une enquête relative au fonctionnement interne de la police municipale, demandée par le procureur de la République de Grasse.
À la tête de la police municipale depuis 24 ans, Alain Cherqui a été promu ces dernières années par Michèle Tabarot directeur adjoint des services en charge de la sécurité et directeur de la salle de spectacles de la ville.
Le procureur a souhaité le faire entendre sur plusieurs dossiers: deux tentatives d’expulsions de familles roms par la police municipale en janvier, mais aussi le « comportement » de l'un de ses agents « qui peut poser question », estime le procureur de Grasse, Georges Gutierrez. « Les policiers municipaux sont soumis à un double agrément, du procureur de le République et du préfet. Je dois vérifier qu'ils ne se comportent pas comme des cow-boys. C’est dans ce cadre-là que des vérifications sont faites aujourd’hui », explique-t-il à Mediapart.
« Cow-boys », c’est précisément le surnom donné aux 90 policiers municipaux au Cannet. Véritable pilier de la gestion de Michèle Tabarot, ils sont aussi connus pour leurs méthodes musclées et une action qui dépasse parfois le cadre de leur fonction. En novembre, Nice-Matin a rapporté les témoignages de candidats aux municipales assurant que des agents leur avaient expliqué « qu'il était interdit de tracter sur le marché ». Ces derniers mois, Mediapart et Le Point ont détaillé les tâches politiques effectuées par les policiers municipaux, et évoqué une plainte pour harcèlement moral déposée par l’un d’eux contre la ville du Cannet.
En mars, Mediapart révélait qu'Alain Cherqui avait bidonné de nombreux reportages, notamment sur TF1, pour vanter l'action de la ville en matière de sécurité. Bakchich a aussi relaté que le ministère de l'intérieur et la préfecture des Alpes-Maritimes ont peu goûté à son nouveau « Police Drive », qui semble contrevenir aux textes encadrant la police municipale, et notamment la signalétique des commissariats.
L’enquête menée aujourd'hui par le procureur de Grasse porte notamment sur « les conditions dans lesquelles la police municipale a été amenée à intervenir », dans deux affaires concernant des familles roms, en janvier. « J‘ai demandé cette audition car M. Cherqui est tout de même directeur de la police municipale et je veux savoir pourquoi il a agi de la sorte », explique Georges Gutierrez. Le directeur de la police municipale serait intervenu en dehors du cadre légal. Ce type d'opérations, à supposer qu'elles soient autorisées par le tribunal, ne sont pas dévolues à la police municipale.
Dans l'une des affaires, il était reproché à une famille d’habiter illégalement une maison appartenant au conseil général, au Cannet. Le couple avait fait part de son désir de rester sur place et scolariser ses six enfants. Alors que le tribunal de police avait décidé de reporter l’audience au mois suivant, Alain Cherqui était intervenu quelques heures plus tard avec des agents.
Le père de famille, Velicu Tadurel, avait détaillé à Nice-Matin l’intervention de plusieurs policiers et « leur chef, en costume noir » qui « nous a dit qu’on ne pouvait rester ici, qu’il fallait partir, demain ». « Quand je suis arrivé sur place ce jour-là, je suis tombé sur des gens en pleurs, terrorisés. Les policiers leur ont demandé de partir. Certains ont été pris par le col », relate à Mediapart Henri Rossi, président de la section Cannes-Grasse de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Après l’intervention, deux policiers étaient restés en faction à proximité de la maison.
« Nous avons promis au voisinage d’être présents dans le secteur, avait justifié Alain Cherqui, interrogé par le quotidien. Nous savons que le tribunal les a convoqués pour le 15 février. Nous avions une solution pour accueillir cette famille dès demain matin et c’est pour cela que nous sommes allés la voir. Mais la ligue des droits de l’homme préfère qu’elle reste dans cette insalubrité ».
Deux jours plus tard, le président de l’antenne locale de la LDH avait demandé un droit de réponse à Nice-Matin et raillé l’annonce subite d’Alain Cherqui d’« on ne sait quelle solution, sortie de son chapeau ». « Si la commune du Cannet dispose d’une solution de logement temporaire, pourquoi avoir attendu ce dernier moment pour la proposer? », interrogeait-il. « Aucun jugement d'expulsion n'a été pris et par conséquent jusqu'au 15 février date du renvoi, ces gens ne sont pas expulsables et surtout pas par une police municipale dont ce n'est pas de sa compétence. Dès lors qu'allait faire ce monsieur, avec des hommes (...) ? Pourquoi ces messieurs, selon les occupants, dont six enfants, ont-ils bousculé ces derniers, leur arrachant des mains leur document d'assignation devant le tribunal et les terrorisant ? »
La police municipale et son chef ont fait parler d’eux à l’occasion d’autres épisodes. À plusieurs reprises, la Ligue des Droits de l'Homme a écrit à Michèle Tabarot, au procureur de Grasse et au sous-préfet, pour alerter sur les « débordements de la police municipale », comme l’attestent plusieurs courriers consultés par Mediapart.
En 2005, Henri Rossi dénonce l’« agression » et les « injures » dont a été victime Moncef Kalaiaia, boulanger du Cannet, « de la part de deux agents de la police municipale », à la suite d'un stationnement intedit. Une pétition circule. « Des agents de votre police municipale se sont livrés à des violences inadmissibles », écrit le responsable de la LDH, dans un courrier adressé à l'édile, le 23 septembre 2005. « Ce n’est pas la première fois que nous vous saisissons de violences exercées par votre police municipale sur de simples citoyens », rappelle-t-il.
Deux ans plus tôt, les suites judiciaires de « l’affaire Leduby » l'avaient déjà poussé à écrire à la maire pour lui « faire part des inquiétudes de nombre de nos concitoyens concernant les pratiques de votre police municipale ». Certains agents « oublient trop souvent leur devoir et leur responsabilité dans l’exercice de leur fonction », estimait-il. Lors de son interpellation, en 2001, Claude Leduby avait eu la mâchoire fracturée et avait dû être hospitalisé. Deux policiers municipaux avaient été condamnés par le tribunal correctionnel de Grasse et avaient perdu leurs agréments. Alain Cherqui avait alors défendu ses agents dans un encart publié dans Nice-Matin.
À l'époque, la LDH alerte aussi le procureur: « Depuis l’affaire Leduby, plusieurs dysfonctionnements de la police municipale de Le Cannet nous ont semblé menacer les libertés publiques et tout à la fois développer un sentiment d’insécurité chez nos concitoyens et notamment les plus jeunes », peut-on lire dans un courrier du 23 juin 2003.
La même année, la police municipale est épinglée par la commission nationale de déontologie de la sécurité après l’interpellation de militants collant des affiches contre la guerre en Irak sur des panneaux électoraux. Dans son rapport annuel, la commission explique avoir été « saisie pour la première fois d’une affaire touchant un service de police municipale » et conclut « qu’un flou regrettable » a entouré cette interpellation. Les policiers avaient notamment « cru pouvoir prendre le volant du véhicule des personnes interpellées pour se rendre au commissariat », explique le rapport.
Malgré ces différents épisodes, dont elle a été avertie, Michèle Tabarot n'a pris aucune mesure. Au fil des années, elle a au contraire promu son directeur de la police municipale. Sollicitée par Mediapart, elle n'a pas donné suite à notre demande d'entretien, de même qu'Alain Cherqui (lire notre boîte noire).
« C’est un très bon chef de la police. Il a gravi tous les échelons, il est reconnu très largement dans le département. Moi, de soucis (avec lui), je n’en ai pas eus », nous avait-elle répondu lorsque nous l'avions interrogée sur les méthodes musclées d'Alain Cherqui, en janvier 2013. Elle s'était contentée d'évoquer « une personnalité débordante ».
BOITE NOIREMediapart a sollicité Michèle Tabarot à plusieurs reprises ces derniers jours, à son cabinet et auprès de son attaché de presse. Nous n'avons obtenu aucune réponse. Sollicité, Alain Cherqui, le directeur de la police municipale, n'a pas non plus donné suite.
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