Coupant l’herbe sous le pied du parti socialiste qui tergiversait sur son exclusion depuis trois ans, le sénateur Jean-Noël Guérini, mis en examen à trois reprises dans une affaire de marchés publics truqués, s’est payé le luxe d’annoncer lundi soir qu’il quittait de lui-même un PS dans lequel il ne se reconnaissait plus (lire ici notre précédent article). Cette décision risque cependant de n’avoir aucun impact sur sa position à la tête du conseil général des Bouches-du-Rhône. Jean-Noël Guérini compte bien s'y maintenir jusqu’aux cantonales de mars 2015 et au-delà. Il a annoncé mardi 8 avril vouloir créer son parti pour les prochaines échéances (sénatoriales, cantonales et régionales). « Mon parti dorénavant, c'est le parti des Bouches-du-Rhône », a revendiqué, en toute modestie, le patron du département, selon plusieurs journalistes présents.
Une opposition de gauche peut-elle se créer au sein du conseil général ? « Vous pouvez rêver. Vous pouvez rêver », a balayé l’ex-homme fort du PS local lors de cette même conférence de presse. En mars 2011, Guérini avait été réélu à la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône avec 40 voix, dont trois venues de la droite: « Comme quoi j'arrive à rassembler au-delà de mon camp », s'était-il amusé.
« Il est élu, donc je ne vois pas comment le faire démissionner, on a déjà eu beaucoup de mal à lui faire quitter le PS », renâcle le député Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. L’ancien bras droit de Jean-Noël Guérini, renvoyé avec lui devant le tribunal correctionnel dans une affaire concernant son propre licenciement, exclut toute consigne du PS à ses élus départementaux. « La question ne s’est pas posée comme ça, tout ça se réglera aux cantonales », déclare le député. Donc pas avant mars 2015, à moins que la justice ne s'en mêle d'ici là...
Les instances nationales du parti ne poussent pas non plus du tout à la création d’un groupe d’opposition PS au sein du conseil général. « Si on crée un groupe autonome, certains élus socialistes ne voudront pas y aller, donc il faudra les exclure, redoute une source à Solférino. Et il n’est pas évident que nous ayons la majorité : on sait déjà qui vote chaque année le budget du conseil général. » De son côté, le militant marseillais Pierre Orsatelli, l’un des fondateurs de Renouveau PS 13, estime que Patrick Mennucci, candidat malheureux à la mairie de Marseille, aurait dû imposer ses règles dès le début de la campagne. « Il fallait dire aux candidats PS aux municipales "On vous met sur les listes, si vous signez la création d’un groupe PS au conseil général avant le premier tour" », regrette-t-il.
Parmi les 37 élus de la majorité de gauche au conseil général, les socialistes qui s’opposent au patron du département en refusant de voter ses rapports budgétaires se comptent en effet sur les doigts d’une main : les trois mousquetaires Janine Écochard, Michel Pezet, Marie-Arlette Carlotti, rejoints sur le tard par Jean-François Noyes, puis Henri Jibrayel. Les trois premiers réclament depuis septembre 2011, et la première mise en examen de Guérini, le départ de ce dernier « pour protéger l’institution ». Avec l’impression de crier dans le désert. « Nous avons toujours demandé un vrai groupe PS, mais nous n’avons jamais été suivis car Jean-Noël Guérini détient les cordons de la bourse pour tous les élus locaux, explique Janine Écochard. Il faut désormais que Solférino nous accompagne dans cette démarche, nous ne pouvons pas non plus rester éternellement à trois pantins à nous agiter… »
À la tête d'un budget total de 2,5 milliards d'euros, Jean-Noël Guérini sait qu'il tient ses troupes grâce à l’aide aux communes passée de 112 millions d’euros en 2012 à 136 millions en 2013. « Les élus tremblent à l’idée d’être privés de subventions pour leur territoire, confirmait récemment son ex-directeur de cabinet Rémy Bargès dans Libération. Guérini est en effet très manichéen. On est avec lui, ou contre lui. Il soigne, nourrit celui qui est avec lui ; et affame celui qui est contre lui. Du jour au lendemain, l’élu qui se montre moins docile est privé de subventions, de voiture, de chauffeur, d’invitations pour les spectacles, de places pour l’OM… »
L’un des rares conseillers généraux PS à nous avoir répondu, le guériniste Rébia Benarioua, est par exemple formel. Il ne participera jamais « à un groupe qui se formerait contre Jean-Noël Guérini ». « Le président du département est toujours de gauche, je ne vois pas quel problème ça pose, explique l’élu des quartiers nord. On continuera à fonctionner comme ça pour l’intérêt général des habitants des Bouches-du-Rhône. » La seule à avoir quitté le groupe PS du conseil général dans la foulée des municipales est d'ailleurs… l’ex-socialiste Lisette Narducci, qui avait fait accord avec Jean-Claude Gaudin dans l’entre-deux tours pour conserver sa mairie de secteur marseillaise. Mais cette fidèle parmi les fidèles continue de soutenir la majorité de son mentor Guérini. Une position « surréaliste », juge Janine Écochard « car Narducci conserve son poste de vice-présidente et sa délégation, alors qu’elle est dans la majorité Gaudin à la ville de Marseille ».
Dans l’attente de la réunion de groupe PS et apparenté prévue ce mercredi matin au conseil général, les rares opposants déclarés à Guérini sont donc perplexes. « Il n’y a rien qui se trame car Guérini est entouré par une bande de lâches », fustige Henri Jibrayel. Et le député PS de raconter comment Jean-Noël Guérini lui a retiré sa riche délégation aux sports fin 2013 après qu’il eut rejoint les dissidents. « Je suis intervenu le 20 décembre 2013, le 23 décembre je subissais une opération et le soir même le directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini m’annonce "Guérini te retire ta délégation et ta voiture". Personne n’a rien dit ! » rapporte Henri Jibrayel.
« Nous allons tâter le terrain », répond de son côté Jean-François Noyes, ex-patron de l’office HLM du département, presque certain que « rien ne va bouger jusqu’aux cantonales ». « Certains conseillers généraux et maires, qui imaginaient que l’affaire Guérini n’aurait d’impact qu’à Marseille, ont vu qu’eux aussi, les notables des petits villages, étaient touchés, indique-t-il. Peut-être vont-ils se réveiller… » À Saint-Rémy-de-Provence, Hervé Chérubini, vice-président PS du département, a ainsi été réélu de justesse, avec seulement 23 voix d’avance. Quand à Saint-Martin-de-Crau, Claude Vulpian, qui a quitté le PS en septembre 2013, était réélu dès le premier tour avec 54,69 % des suffrages exprimés. « Dans les réunions, Jean-Noël Guérini a beau jeu de dire "Vous voyez quand on est maire et plus au PS, on est élu au premier tour" », s'étouffe Jean-François Noyes.
De fait, selon un autre élu marseillais, « le PS ne lui (à Jean-Noël Guérini, ndlr) sert plus à rien : les cantons PS sont menacés par le Front national dans les quartiers nord, et par la droite ailleurs ». Et de conclure : « La seule façon pour lui de garder son canton, c’est un changement de camp. »
La seule tentative de renouvellement au PS des Bouches-du-Rhône concernera donc des sections marseillaises sinistrées, où les instances nationales et locales veulent faire le ménage d’ici l’été. Les militants devront « ré-adhérer afin de rendre incontestables les listes », indique-t-on à Solférino. « Il faudra qu’ils viennent physiquement à la fédération sous le contrôle des gens de la tutelle », précise Jean-David Ciot, qui veut ouvrir « très largement la fédération »pour tenter de renouveler ses troupes passées depuis 2010 de 6 000 à 4 000 adhérents sur l’ensemble du département.
Autre nouveauté, la création d’un comité de ville réunissant ce qu’il reste des élus socialistes de la ville, de la communauté urbaine, de la région et du département « pour qu’il y ait une collégialité à Marseille et que les gens reprennent l’habitude de se parler ». « Il y a des gens dans ce parti qui sont là depuis Gaston Defferre, ça serait bien que nous arrivions à dépasser ça », espère le premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. En clair, Jean-David Ciot, 46 ans, soutenu par Stéphane Mari, 48 ans, et Samia Ghali, 46 ans, les nouveaux présidents des groupes socialistes au conseil municipal et communautaire, aimeraient voir Patrick Mennucci, 59 ans, prendre du recul pour pouvoir s'approprier le PS marseillais.
Comme son ancien mentor Jean-Noël Guérini qui a, hier, accablé le candidat socialiste battu, Jean-David Ciot reproche à Mennucci d'avoir fait gagner le Front national dans les quartiers nord en incitant le candidat de la gauche, Garo Hovsepian à se maintenir au second tour. « Une faute politique », selon lui. La suite est assassine : « Patrick Mennucci et Marie-Arlette Carlotti ne voulaient pas rénover la fédération, ils voulaient juste récupérer les prérogatives de Jean-Noël Guérini, comme ce dernier avait remplacé François Bernardini (ancien patron PS du département, ndlr), qui avait remplacé Lucien Weygand, etc. La déroute est telle que nous avons un espace... »
BOITE NOIREParmi la quinzaine de conseillers généraux PS et FDG que nous avons tenté de joindre ce mardi, seuls quatre nous ont répondu.
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