Devenir la « principale force politique d'opposition ». Telle était l’ambition de Jean-Louis Borloo pour son parti. En novembre 2012, au plus fort de la crise interne de l’UMP, le président de l’Union des démocrates et des indépendants (UDI), créée un mois plus tôt, soulignait dans Le Monde la nécessité d’une « coalition de l'UDI et de l'UMP », tout en réaffirmant son indépendance. « Il y a deux visions, deux équipes, disait-il. Celle de Jean-François Copé et la nôtre. L'opposition a désormais deux leaders. »
Dimanche 6 avril, l’ancien ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, en « convalescence » depuis plusieurs semaines, a mis un terme « à ses fonctions et mandats » politiques, démissionnant de la présidence de l’UDI et du Parti radical, ainsi que de la présidence du groupe UDI à l'Assemblée nationale.
Fin janvier, il avait été hospitalisé en urgence pour une pneumonie aiguë frontale, doublée d'une septicémie. « Je n’ai pas, en l’état, toute l’énergie nécessaire pour remplir complètement mes responsabilités, a-t-il écrit dans un courrier adressé au comité exécutif de son parti. J’ai donc décidé de laisser la place libre à celle et ceux qui vont prendre le relais. Je leur fais toute confiance, les talents ne manquent pas à l'UDI. »
Dès l’annonce de son retrait de la vie politique, plusieurs responsables politiques, tous bords confondus, ont témoigné de leur sympathie sur Twitter. « Ce soir l’UDI est orpheline de son leader. Sans Jean-Louis Borloo il n’y aura plus d’UDI ! » a tweeté le député centriste Yannick Favennec, avant de nuancer son propos dans un billet de blog en formant « le vœu que l'œuvre de (l’ancien président de l’UDI) se poursuive dans le même esprit d'unité, avec la même volonté d'opposition constructive ».
Par ce « tweet compulsif », selon les mots du sénateur et candidat aux européennes Jean Arthuis, écrit « sous le coup de l’émotion » pour le député et maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde, Yannick Favennec a toutefois avancé la question que tout le monde se pose : le parti centriste peut-il survivre au départ de son leader ? « L’obsession de Jean-Louis était qu’on reconstruise le centre et le centre droit pour trouver une alternative à l’UMP, rappelle Lagarde, qui est également secrétaire général de l’UDI. Il y a consacré toute son énergie au cours des derniers mois. Ce n’est pas pour que tout cela disparaisse ! »
« L’UDI n’est pas morte, mais il y a quelque chose de vrai dans ce que dit Yannick Favennec, explique le député et porte-parole de l’UDI Maurice Leroy. Il faut faire attention à la bataille des ego. Jean-Louis Borloo était l’élément fédérateur. » Un avis partagé par Dominique Paillé, ancien porte-parole de l’UMP qui avait rejoint l'UDI après s'être fait évincer de l’équipe dirigeante par Jean-François Copé en 2010. « Nous avons des instances solides, assure-t-il. Nous aurons un conseil national après les européennes et un congrès à l'automne. Est-ce que tout se passera bien ? Je ne sais pas, car il y a beaucoup de prétendants. Comme l'avait dit de Gaulle, ce qui est à redouter ce n'est pas le vide, mais le trop-plein. »
Les responsables de l'UDI saluent unanimement « le courage » de la décision prise par Jean-Louis Borloo et souhaitent son « retour rapide ». Mais tous pensent déjà à l'après. « Il était prévu que Jean-Louis Borloo abandonne la présidence du Parti radical à l'automne, poursuit Paillé. Laurent Hénart, qui assumait l'intérim, pourra lui succéder. Ce sera plus compliqué pour les deux autres postes car il y a six ou huit candidats potentiels. » Pour l'heure, aucune figure centriste n'a officialisé sa candidature, mais les noms d'Yves Jégo, de Jean-Christophe Lagarde et d'Hervé Morin circulent déjà. Celui de Rama Yade aussi. Une option que le sénateur Jean Arthuis n'envisage pas. « Je ne vois pas quelle légitimité elle pourrait avoir, dit-il. Elle nous a déjà beaucoup compliqué la tâche aux européennes. »
À l’UDI, chacun insiste sur la nécessité de se concentrer sur les élections européennes de mai, pour lesquelles les listes ont été présentées à la presse ce lundi matin. « Il faut laisser passer les européennes et surtout, ne pas ouvrir de débat sur les modalités de succession, affirme la sénatrice UDI Chantal Jouanno. Sinon, nous allons avoir deux messages en même temps et cela va pénaliser la campagne. » Une campagne que l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy juge « fondamentale » pour concrétiser le succès des municipales, où le centre a fait « basculer 53 villes de plus de 9 000 habitants ».
En attendant l’élection d’un nouveau président – prévue en fin d’année par les statuts du parti –, l'ancien ministre de la ville de Nicolas Sarkozy, Maurice Leroy, plaide pour une direction collégiale. « Je ne suis pas pour la précipitation, affirme-t-il. L’UDI s’est créée autour de mouvements différents, les couches n’ont pas sédimenté. J’ai peur que l’on ait des réflexes de boutiquiers. En ces temps difficiles, je n’ai pas envie que l’on donne le même spectacle que l’UMP et le PS. »
Jean-Christophe Lagarde ne partage pas vraiment ce point de vue. Selon lui, le parti « a besoin rapidement d’être en ordre de marche ». Et cela devra passer par un congrès organisé « avant l’été ou, au pire, après ». « Nous avons les mêmes convictions et le même socle. Nous connaissons les principaux dirigeants susceptibles d’être candidats. Ce ne serait pas raisonnable d’attendre six mois et de tenir un congrès en fin d’année », estime-t-il. Le secrétaire général de l’UDI attend de voir ce que les responsables du parti, qui doivent se réunir mardi pour aborder les questions de transition, décideront. Deux options s’offrent à eux : soit le maintien d’un président par intérim – rôle tenu par le député Yves Jégo depuis le mois de janvier –, soit la mise en place d’une direction collégiale jusqu’au congrès.
« Le président par intérim sera chargé d’organiser les nouvelles élections. Il ne devra donc pas être candidat à la présidence de l’UDI, car on ne peut pas être juge et partie, poursuit Lagarde. Si on ne tombe pas d’accord, ce sera une direction collégiale. Mais ça augurerait mal de la suite… » Le sénateur Jean Arthuis n’est pas tellement inquiet. « On trouvera bien quelqu’un, glisse-t-il. Nous avons appris à travailler ensemble sans Jean-Louis Borloo et ça a très bien marché pour les municipales. Il faut que nous tirions les enseignements des scissions passées de la famille centriste et que l’on apaise les ego. Je suis assez confiant car je pense que chacun est conscient que les bévues ont assez duré. »
Contrairement à Jean-Christophe Lagarde, Chantal Jouanno n’arrive pas à imaginer comment un congrès pourrait se tenir avant l’été. « Nous avons une direction collégiale depuis le mois de janvier et cela se passe très bien, assure-t-elle. C’est la méthode la plus moderne. Il y a plusieurs orateurs nationaux et nous arrivons à avancer. De toute façon, un seul homme ne saurait remplacer Jean-Louis Borloo. » D’autant qu’avant de régler les modalités de succession, l’UDI va devoir, après les européennes, trancher une autre question : celle du maintien ou non de l’Alternative, union scellée en novembre 2013 entre le MoDem et l’UDI.
« C’était un mariage de raison, mais pas un mariage définitif. Il faudra réunir nos militants et leur poser la question », explique l’ancienne ministre des sports, qui ne souhaite pas se prononcer sur le sujet avant la fin des européennes pour lesquelles les deux partis présentent des listes communes. « C’est une question clef », ajoute Jean Arthuis, qui se dit « plutôt partisan du rassemblement ». La question du maintien de l’Alternative se pose d’autant plus que l’alliance résultait du travail de rapprochement effectué par Jean-Louis Borloo, après plus de onze ans de séparation et malgré les protestations de certains responsables de l’UDI et les nombreuses divergences des deux partis. Mais selon Maurice Leroy, « elle se serait également posée avec Jean-Louis Borloo aux commandes ».
Pour Jean-Christophe Lagarde, cette question sera tranchée de facto par l’élection du nouveau président de l’UDI. « Si la ligne qui contestait l’alliance avec le MoDem prend la tête du parti, l’Alternative pourrait effectivement être remise en question », explique-t-il, ajoutant toutefois que le résultat des municipales « a peut-être permis de pousser la réflexion un peu plus loin ». Le succès de François Bayrou à Pau, notamment dû à son alliance avec l’UMP locale, a semble-t-il ramené le patron du MoDem dans le giron centriste.
« L’alliance est encore compliquée parce qu’un certain nombre de gens de l’UDI garde le souvenir de sa prise de position pour Hollande en 2012, précise Dominique Paillé. Mais Bayrou a gagné, grâce aux municipales, des parts de marché dans la respectabilité des électeurs et de l’UDI. » Pour autant, les responsables de l’UDI ne se résolvent pas à ce que le leader du Mouvement démocrate devienne l’homme fort du centre, celui qui serait susceptible de jouer un rôle clef en 2017. « Tout dépendra de ce qu’il entend faire de son mandat à Pau, note Jean Arthuis. Il n’a pas été élu pour enfiler des perles, cela va lui créer des obligations de disponibilité. »
« Bayrou a déclaré qu’il ne serait plus candidat à une autre élection que celle des municipales », rappelle Jean-Christophe Lagarde qui plaide pour sa part pour un « changement de génération ». Si chacun s’accorde à dire qu’il est encore trop tôt pour parler de la présidentielle, tous souhaitent que l’UDI, « troisième force politique de France » selon le député Maurice Leroy, n’y fasse pas simplement de la figuration. « Il faudra d’abord qu’un certain nombre de responsables du parti s’affranchisse de Nicolas Sarkozy, conclut Jean Arthuis. Si des primaires sont organisées à droite, il sera légitime qu’il y ait un candidat du centre. »
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées par téléphone le lundi 7 avril.
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