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Vincent Peillon ou l'histoire d'un formidable gâchis

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Il voulait « fatiguer le doute » et « donner du temps au temps », selon des formules que le ministre n’a cessé de répéter durant ses deux années passées rue de Grenelle à défendre sa « refondation de l’école ». Emporté par la débâcle électorale des municipales, Vincent Peillon qui comptait bien s’installer pour cinq ans à son poste, arguant que l’éducation avait besoin de continuité, n’aura finalement eu le temps ni de l’un, ni de l’autre.  

Sorti du gouvernement, Vincent Peillon va pouvoir se consacrer pleinement à la campagne des élections européennes dans le Sud-Est, où il aura fort à faire face à Jean-Marie Le Pen pour le FN et Renaud Muselier pour l’UMP. Outre le symbole, évidemment désastreux, du ministre qui cherchait à se recaser provoqué par sa candidature, les perspectives très alarmistes sur son score ont sans doute achevé de sceller le sort de ce ministre longtemps considéré comme l’enfant gâté du gouvernement.

Pour beaucoup au gouvernement, son passage au ministère de l’éducation nationale est d’abord celui d’un formidable gâchis. « Il avait une Rolls, il en a fait une vieille 2CV », soupirait récemment le conseiller d’un ministre qui ne le porte pas dans son cœur. Il expliquait ne pas comprendre qu’avec un tel budget – et l’assurance de pouvoir créer 60 000 postes dans l’éducation alors que tous les autres ministères sont à la diète –, le ministre ait si peu réussi à capitaliser sur sa politique dans l’opinion.

Il y a bien sûr eu ses gaffes – de sa déclaration sur le cannabis (où il ne se disait pourtant que favorable à un débat sur la dépénalisation) à celle très récente et politiquement ravageuse sur le possible gel de l’avancement des fonctionnaires. Elles ont contribué à installer dès le début l’image d’un gouvernement d’amateurs. Certains au gouvernement, où le ministre a suscité beaucoup de jalousie, ne lui pardonneront pas ces sorties de route.

Au-delà, ce qui est plus profondément reproché à Vincent Peillon, c’est de n’avoir pas su mieux vendre sa politique. « Ça n’imprime pas », reconnaissait-on il y a quelques mois dans son entourage. « On a un vrai problème à faire passer notre message. » De fait, les enseignants, censément aux premières loges, n’ont toujours pas bien saisi en quoi consistait cette « refondation » dont ils ne voient pratiquement aucun effet sur le terrain. Pire, ils ont parfois eu le sentiment d’un immense fossé entre les grandes déclarations du ministre et une réalité de terrain totalement déconnectée, comme encore récemment sur l’épineux dossier de l’éducation prioritaire. Vincent Peillon annonçait débloquer des millions pour cette politique alors que nombre d’établissements découvraient qu’ils perdaient des postes.

La fronde des enseignants du premier degré, opposés au décret Peillon sur les nouveaux rythmes scolaires – tout comme celle des maires –, a particulièrement indisposé le chef de l’État qui estimait qu’après avoir lâché 60 000 postes, il avait au moins droit à la paix sociale. 

La réforme des rythmes, mal ficelée et mal engagée, aura ainsi éclipsé pratiquement toute son action rue de Grenelle. Avec l’UMP en embuscade, cette réforme a cristallisé les mécontentements de toutes parts, parfois pour des raisons opposées. Elle a monopolisé le débat public sur l’école pendant deux ans. Et elle aura réussi l’exploit de cannibaliser « la priorité au primaire », un changement pourtant historique de perspective dans un système scolaire français qui a toujours méprisé ce niveau significativement sous-doté et où les inégalités de destin se figent.

Alors que l’éviction de Vincent Peillon se précisait, on sentait dans ses équipes poindre l’amertume de ceux dont l'action n'a pas été comprise. Jusqu’au bout son cabinet – dans l’incertitude – jugeait d'ailleurs « pas très rationnel » un débarquement du ministre qui a « tenu sa feuille de route ». « On ne peut pas faire de miracle quand on est sur le Titanic », répliquait aussi aux critiques un membre de son cabinet, en rappelant que l’exécutif avait décroché dans les sondages deux mois après son arrivée.

« Les 60 000 postes, c’est peut-être la seule promesse que Hollande a tenue, non ? » s’étonnait aussi la co-secrétaire générale du Snes-FSU, Frédérique Rolet, comme la majorité des représentants syndicaux franchement favorables à son maintien. Malgré deux années parfois houleuses passées rue de Grenelle, Vincent Peillon a été soutenu jusqu’au bout par des organisations syndicales aussi opposées sur le fond que la FSU ou l’Unsa. Un tour de force. « Peillon a une vision, un projet », affirmait lundi à Mediapart Frédérique Rollet. « Bien sûr, il n’a pas pensé à toutes les étapes des réformes qu’il a engagées », concédait-elle, en soulignant que si beaucoup de réformes ont été lancées, quasiment toutes sont encore au milieu du gué.

Lors de ses vœux à la presse en janvier, Vincent Peillon avait égrené la liste fournie des actions menées et assuré que les années à venir seraient celles de la « consolidation ». On devinait d’ailleurs que cette phase n’était pas forcément celle qui passionnait le plus le ministre.

Et effectivement, si les changements sont encore difficilement perceptibles sur le terrain, Vincent Peillon n’a pas chômé rue de Grenelle. Les 60 000 postes promis par François Hollande ont bien été inscrits dans une loi d’orientation et de programmation qui couvre le quinquennat. La formation initiale des enseignants, supprimée en 2008 par le gouvernement Darcos qui voyait là un moyen pratique de récupérer des postes, a été rétablie et une trentaine d’écoles supérieures du professorat ont été créées au pas de charge. La réforme des rythmes scolaires, malgré ses ratés évidents et si politiquement explosive que personne ne s’y était risqué jusque-là, va être généralisée dans l’ensemble des établissements à la rentrée prochaine.

La priorité au primaire, avec des dispositifs pédagogiques tels que le « plus de maîtres que de classes » ou la scolarisation des moins de 3 ans, a été actée et des moyens ont été précisément fléchés dans la loi d’orientation et de programmation sur l’école. Les décrets de 1950, qui définissaient le métier des enseignants uniquement par les heures de cours, ont été abrogés pour y inclure les tâches de concertation ou d'accueil des parents, et ce sans provoquer de levée de boucliers du côté du Snes-FSU, très vigilant sur le sujet.

Incapable de revaloriser globalement les enseignants, Vincent Peillon a quand même concédé quelques mesures indemnitaires de rattrapage aux personnels les moins biens lotis : enseignants du primaire, directeurs d’école... Un plan d’embauche en CDI des auxiliaires de vie scolaires – qui suivent les élèves handicapés – a aussi été lancé.

Mise en œuvre dans seulement une centaine d’établissements, la réforme de l’éducation prioritaire – avec une sensible amélioration des conditions de travail pour les enseignants concernés et un meilleur encadrement des élèves – a été saluée par l’ensemble des syndicats. Si elle souffre d’un problème de financement, raison pour laquelle elle est pour l’instant circonscrite au noyau le plus dur de l’éducation prioritaire, c’est que Vincent Peillon a perdu ses arbitrages sur la question des classes préparatoires, car le ministre, pour « réduire les inégalités », voulait récupérer quelques moyens jugés exorbitants.

Vincent Peillon a sans conteste un vrai bilan. Insuffisant sans doute, tant l’attente était immense après dix années où la droite a méticuleusement asphyxié l’école. L’historien de l’éducation Claude Lelièvre, par ailleurs proche du ministre, veut croire qu’il n’y avait pas vraiment d’autres options. « C’est un ministère où vous ne pouvez avancer que par petits pas. Sinon, vous mettez tout le monde dans la rue et rien n’avance », confiait-il en début de semaine. « C’est maintenant que tout commence », assurent unanimes les syndicats enseignants. À condition qu'à l'Élysée demeurent quelques convictions sur le sujet.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Claude Guéant, un exemple de politicien français


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