Pour la première fois depuis l’élection de François Hollande, l’État évoque officiellement la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires d’ici 2025. Pas en commentaire "off", pas en confidence de fin de réunion. Mais face à la représentation nationale, en l’occurrence devant la commission d’enquête parlementaire sur les coûts de la filière nucléaire.
Entendu mercredi 26 mars par les députés François Brottes et Denis Baupin, Laurent Michel, à la tête de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a expliqué que dans l’hypothèse de 50 % de nucléaire en 2025, il faudrait fermer « une vingtaine de réacteurs ». Voir ici la vidéo de cette audition (écouter Laurent Michel à partir de la 56e minute).
Jamais son administration ne s’était exprimée sur ce sujet. Et depuis mai 2012, personne du côté de l’État ne s’était aventuré à quantifier ce que pouvait représenter l’objectif de François Hollande de réduire de 25 % la part du nucléaire dans la production d’électricité.
En 2013, les six mois de débat national sur la transition énergétique se sont déroulés sans qu’à aucun moment la DGEC ne présente de scénario d’évolution de la demande d’électricité prenant en compte la promesse présidentielle. Interrogés sur le futur “mix électrique” lors des groupes de travail préparatoires à la loi sur la transition énergétique, les hauts fonctionnaires de la DGEC avaient toujours répondu que l’arbitrage n’était pas décidé.
Depuis des mois, cette ambiguïté nourrit une bataille politique intense au sein du gouvernement, entre d’un côté les écologistes et Philippe Martin, le ministre de l’écologie et de l’énergie, et de l’autre, Arnaud Montebourg, chargé du "redressement productif" à Bercy.
Elle est aussi au cœur des batailles en coulisses qui secouent le gouvernement dans cet entre-deux tours des municipales, avant un remaniement imminent. Forts de leur succès au premier tour des municipales, alors que le Parti socialiste a subi une déroute qui devrait se confirmer dimanche dans les urnes, les écologistes ont tenté ces derniers jours de pousser leur avantage. Pour obtenir un troisième ministre, mais surtout réorienter la ligne du gouvernement. Ce qui passe, entre autres, par un “verdissement” du projet de loi de transition énergétique en cours de préparation, dont une des principales dispositions est justement d’acter l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025. La loi doit être présentée en juin en conseil des ministres. Et c'est justement Laurent Michel, le patron de la DGEC, qui est chargé de la rédiger.
Devant les parlementaires, Laurent Michel a détaillé son calcul : la puissance électrique installée en nucléaire atteint aujourd’hui 63 gigawatts (GW). Si la part de l’atome est abaissée à 50 %, la capacité de production doit aussi se réduire : « entre 36 et 43 gigawatts » seraient « nécessaires » dans cette hypothèse. C’est un changement radical par rapport à ce que la DGEC envisageait il y a trois ans, comme en témoigne le tableau ci-dessous, sur les prévisions d’évolution des besoins du pays : 66,3 GW d’électricité nucléaire en 2020 et 2030. Soit, le parc actuel (y compris Fessenheim), complété de l’EPR en construction à Flamanville (1 600 MW), plus de celui un temps prévu à Penly, plus d’autres tranches encore.
À l’inverse de ses anciennes prévisions, l’administration prévoit désormais une baisse très importante de la consommation d’électricité dans les logements et le tertiaire (adieu au chauffage électrique) ainsi que dans l’industrie, d’environ 120 terrawattheures (TWh) d’ici 2030. Et une hausse par ailleurs, liée à la croissance économique, à la démographie et aux nouveaux usages (technologies de l’information et de la communication notamment) : « On part sur un scénario d’évolution de la demande électrique relativement modéré », a ajouté le responsable de la DGEC, pour qui « on va même probablement vers une baisse » si les transferts d’usages (la montée en charge des voitures électriques, par exemple) tardent à se faire. C’est l’inverse de ce que claironne Henri Proglio, le PDG d’EDF, qui affirme s’attendre à une hausse de 1 % chaque année.
Même si les arbitrages ministériels n’ont pas été rendus publiquement, personne n’imagine que Laurent Michel, haut fonctionnaire chevronné, puisse s’exprimer aussi précisément sur un sujet si sensible sans feu vert politique au plus haut niveau.
Faut-il pour autant y voir une réponse du pouvoir aux coups de pressions des écologistes ? Mardi, Cécile Duflot a fait savoir qu’elle ne pourrait pas figurer dans un gouvernement dirigé par Manuel Valls. Une prise de position appréciée par Jean-Marc Ayrault, qui compte bien rester à son poste malgré la défaite des municipales. En face, Arnaud Montebourg, bête noire des écologistes, milite ouvertement pour un changement de premier ministre et ne cache pas sa très grande réticence sur les 50 % de nucléaire d’ici 2025. Interrogé récemment sur le sujet par Mediapart, il expliquait : « Je n'ai pas l'idéologie des chiffres. » Une façon polie d'exprimer son hostilité.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : .bzh l’extension web de la bretagne