C’est une lutte entre un élu et l’un de ses administrés. Et entre les deux, l’on ne sait plus très bien qui est le pot de terre et qui est le pot de fer. D’un côté, François Lamy, ministre délégué à la ville, ancien député (PS) et maire de Palaiseau, juriste approximatif. De l’autre, Bernard Chantebout, professeur d’université émérite (Paris V), auteur de nombreux manuels de droit public, installé rue de Paris, à Palaiseau, et opposant résolu du bétonnage. L’élu assure que l’universitaire a perdu tous ses combats. L’opposant dit qu’il a « été provoqué en tant que prof de droit ». Mais Lamy a quand même tenté de soumettre à Chantebout, en 2004, les plans d’architecte de sa future villa pour se prémunir d’un recours.
L’universitaire, lui, vient de frapper sans prévenir. Après avoir porté plainte auprès du procureur d’Évry en novembre 2013, il a déposé une plainte avec constitution civile auprès du doyen des juges d’instruction, le 22 février dernier, pour « détournement de biens publics » contre l’ancien maire, et son délégué à l’urbanisme Alain Dubois Guichard. Bernard Chantebout reproche aux élus d’avoir bradé un parking public pour favoriser une opération immobilière sur un terrain jouxtant son pavillon.
Contacté par Mediapart, le parquet d’Évry a confirmé le dépôt de cette plainte, en soulignant « qu’aucun service d’enquête n’avait été désigné » par les services du procureur dans le délai de trois mois qui lui était imparti, et que désormais, il reviendrait au doyen des juges d’instruction « de commencer l’enquête sur commission rogatoire ».
En juin dernier, le professeur a transmis son projet de plainte à François Hollande en lui signalant que son ministre de la ville se trouvait, selon lui, « engagé dans une mauvaise affaire ». Chantebout écrit qu’il avait espéré que, devenu ministre, François Lamy aurait fait retirer les « délibérations frauduleuses » prises par son conseil municipal. L’Élysée lui répond sobrement que le président « a pris connaissance de (sa) démarche ».
« C’est un litige de riverains, balaie François Lamy. Nos délibérations sont totalement légales. Une municipalité a le droit de supprimer un parking, et d’en créer un autre. Il n’y a pas de problème. Et d’ailleurs, Chantebout vient d’être débouté par le Tribunal administratif sur le même sujet. »
En décembre dernier, le Tribunal administratif de Versailles a en effet jugé que l’universitaire était hors délai pour contester une délibération prise en décembre 2008 – le recours contentieux doit s’effectuer sous deux mois. « Le tribunal a jugé que j’étais forclos, commente le professeur. En fait, je n’ai eu connaissance des délibérations qu’en 2012, après les avoir exigées en vain de la mairie. Je ne les ai obtenues que par l’entremise de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). »
Dès 2006, Bernard Chantebout est parvenu à bloquer ce projet de construction, sur un terrain par ailleurs propriété d’un de ses cousins, en s’opposant au premier permis de construire déposé par la société Logirep. À l’époque, la mairie avait décidé de céder pour 151 000 euros son parking municipal afin de permettre à Logirep de construire en surplomb mais « en respectant les servitudes de passage et de stationnement au profit de la commune ». « L’objectif de la municipalité, c’est donner la priorité à la construction des logements sociaux », explique François Lamy. En janvier 2008, le premier permis de construire fait donc apparaître le maintien des places de stationnement. Mais en août 2010, celles-ci ont disparu du nouveau permis. Entre-temps, deux délibérations proposées par François Lamy et son adjoint, en décembre 2008, ont fait litière des servitudes, et du parking public, et ce pour le même tarif.
« Le parking public était purement et simplement supprimé, relève la plainte de Chantebout. Il était procédé, sans aucune contrepartie, à la vente du terrain déclassé et libéré de toute servitude. » Et surtout son prix de vente était inchangé. « En l’espèce, ce dont la commune a été dépouillée par son maire, c’est de la valeur de ses 22 places de stationnement, abandonnées gratuitement à M. Carlier – le propriétaire du terrain. Or dans le voisinage, la commune vend les places de parking dont elle est propriétaire au prix de 10 000 euros l’unité. »
La plainte de Chantebout s’appuie aussi sur les explications de François Lamy et de son délégué à l’urbanisme lors du vote de ces délibérations qui ont tout changé. Les élus soutiennent, en effet, tous les deux que « le projet n’a pas évolué », alors qu’ils font approuver une décision qui « déclasse la parcelle du domaine public », puis une autre qui la cède au prix de 151 000 euros, sans contrepartie. « C’est sans aucune équivoque possible que le maire, rédacteur de ces projets de délibérations, a détourné un bien public de l’objet auquel le conseil municipal et le commissaire enquêteur l’avaient destiné », soutient la plainte.
Un type de fraude « extrêmement rare » dont la jurisprudence administrative ne contient même pas d’exemple, selon l’universitaire. « Grâce à ces manœuvres, un bien public a été attribué à un tiers pour son seul bénéfice personnel », poursuit la plainte. Le permis de construire finalement accordé remplace le parking municipal par un parking privé et une plateforme de déchargement pour l’exploitant du commerce prévu au rez-de-chaussée. Dans un droit de réponse (communiqué à Mediapart vendredi soir) consultable ici, M. Lamy souligne que l'opération étant « malheureusement bloquée par les recours de M.Chantebout, la vente ne s'est pas réalisée et la parcelle est toujours propriété de la ville ».
Le futur bénéficiaire de l’opération, le propriétaire Pierre Carlier, assure de son côté qu’il n’a rien demandé. « Je ne suis pas responsable de cette décision, explique-t-il à Mediapart. Ça s’est passé “à l’insu de mon plein gré”. Les discussions ont eu lieu entre le maire et Logirep. » Depuis, le bailleur social est sorti du jeu, et a été récemment remplacé par un promoteur immobilier. L’ancien parking est désormais entouré de palissades. La mairie en a conservé quelques places, difficiles d’accès, mais elle a supprimé la place handicapée. Celle-là même qu’utilisait Bernard Chantebout.
BOITE NOIRENous avons rencontré M. François Lamy, dans les bureaux du ministère chargé de la ville, mardi 25 mars en fin d'après-midi. Il a néanmoins estimé que notre article "comportait quelques omissions", et il nous a adressé un droit de réponse, vendredi 28, vers 19 heures. Nous reproduisons ce texte dans le Prolonger de l'article.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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