C'est la victoire qui change tout: avec 40 % des voix, les écologistes alliés au Parti de gauche emportent sans mal Grenoble, la seizième ville de France, 157.000 habitants. La ville de l’innovation et des nano-technologies, détenue par le PS Michel Destot, était jusqu’ici un des fleurons du socialisme municipal. A tel point que c’est la députée du centre-ville, Geneviève Fioraso, qui avait été choisie par François Hollande pour devenir en 2012 ministre de la recherche.
Mais depuis ce dimanche, le maire de la ville s’appelle Eric Piolle. A 41 ans, cet ingénieur entré en politique il y a quatre ans a battu facilement le PS Jérôme Safar, dauphin désigné de Michel Destot, crédité de 27,6% des voix. Associé au parti de gauche et à des collectifs citoyens très actifs dans la ville, il devient le maire de la plus grande ville écologiste de France. En plein marasme municipal du PS, le parti de gauche et les écologistes font logiquement de cette victoire la première étape d’une alternative à la gauche du parti au pouvoir, même si l’essai reste à transformer. « Le PS était coupé de la population, exerçait son pouvoir dans une tour d’ivoire. Ce soir, nous avons montré que la gauche peut porter haut le flambeau... quand elle est de gauche », se réjouit Elisa Martin, l’une des fondatrices du PG, numéro deux de la liste.
Dimanche dernier, Piolle était arrivé en tête du premier tour. Un coup de massue pour les socialistes, que les sondages donnaient largement gagnants. A tel point que Jérôme Safar s’est maintenu avec le soutien du PS grenoblois, malgré les appels à fusionner lancés par Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls.
Ces derniers jours, la campagne a été très agitée. Dans les quartiers populaires, des tracts et des SMS ciblant la population musulmane assuraient que Piolle allait interdire le hallal dans les cantines. Christiane Taubira a dû annuler un déplacement pour soutenir Eric Piolle face à la bronca des socialistes locaux, menaçant de manifester bruyamment contre sa venue. Et vendredi soir, Eric Piolle a été mystérieusement agressé alors qu’il circulait sur son vélo.
Grenoble est l’exemple type d’une succession ratée au royaume du PS. Inquiet de la faible notoriété de son poulain, Michel Destot, qui avait décidé de passer la main, a un temps envisagé de rempiler. Premier adjoint depuis 2008, Safar, symbole de l’apparatchik socialiste, gestionnaire mais sans folie, n’était pas très connu des Grenoblois.
Mais la victoire de l’alliance rouge-verte est aussi le modèle d’une campagne exemplaire, souvent inventive, à la rencontre d'un l’électorat de centre-ville déçu par le PS et de classes populaires démobilisées. « La mobilisation était de leur côté », admettait ces derniers jours un élu socialiste, dépité.
Depuis des mois, écologistes et parti de gauche, qui entretiennent localement de très bonnes relations, avaient décidé de partir à la conquête de la ville. Tout sauf un coup de tête. A Grenoble, la tradition de la gauche alternative, qui a marqué l’histoire de la ville, est encore vivace. En 1995, ce sont des mouvements citoyens comme l’Ades, présents sur la liste Piolle, qui ont contribué à révéler l’affairisme de l’ancien maire RPR Alain Carignon. Les écologistes, qui ont gouverné entre 1995 et 2008 avec Michel Destot, avant de faire sécession, y réussissent depuis des années de très bons scores, notamment dans le centre-ville: 26,5 % aux régionales de 2010, 29 % aux européennes de 2009, un conseiller général depuis 2004 etc.
De son côté, le PG obtient de bons résultats dans les quartiers populaires. Sans le PCF, scotché par ses alliances électorales avec le PS, PG et EELV ont plutôt harmonieusement fusionné leurs programmes. Et élaboré un agenda municipal qui dénonce la « folie des grandeurs » et les grands projets de Michel Destot: « une ville démocratique », « un bouclier social municipal », « une ville à taille humaine ».
Le “rassemblement citoyen” promet les transports gratuits pour les moins de 25 ans et la remunicipalisation du gaz, de l'électricité et du chauffage. « Ça coûte 100 millions d'euros! », dénonçait pendant la campagne le socialiste Jérôme Safar. Très vite, un des premiers conseils municipaux devrait décider d’une baisse des indemnités des élus. « Ensuite, il s’agira de procéder à la baisse des tarifs de la compagnie de chauffage, puis de lancer un plan de baisse de la consommation énergétique », explique Elisa Martin, l’une des fondatrices du PG, numéro deux de la liste.
« Ce n’est pas un épiphénomène, mais une réelle tentative de reconstruction locale de la gauche, initiée par des collectifs citoyens et d’habitants, assure Raymond Avrillier, soutier des listes écolos à Grenoble – ils avaient déjà fait 19,8 % en 2001, avant de fusionner avec le PS, et 15,5% puis 22,5% en 2008, où ils s’étaient maintenus au second tour. Cette victoire a commencé avec des mobilisations sur les tarifs de chauffage, contre la rocade, la construction du grand stade, ou la fermeture du lycée Mounier ».
A la tête de cet attelage que nombre de socialistes locaux qualifiaient d’improbable (et il n’est pas sûr que cette alliance soit de tout repos à l’épreuve du pouvoir), on trouve Eric Piolle. Une « synthèse à moi tout seul » comme il se définit lui-même: écologiste, élevé dans une famille catho de gauche, proche du fondateur de Nouvelle Donne Pierre Larouturrou, Piolle est aussi un ancien patron. Il a dirigé une division d’Hewlett-Packard à Grenoble, qu’il a refusé de délocaliser, avant de se faire licencier en 2011. « Tous les patrons des boîtes de high-tech de la ville sont mes amis » nous expliquait-il récemment.
Ce dimanche soir, au milieu d’une déconfiture collector de la gauche municipale, Grenoble apparaît aussi aux yeux des appareils nationaux non-socialistes comme le symbole d’un message à entendre au plan national. Que ce soit une meilleure représentation de sa ligne, si ce n’est de ses postes, ou un espoir pour fonder l’alternative. Mais pour l’instant, écologistes et mélenchonistes ne livrent pas la même analyse de l’exemple grenoblois. « L’ancrage, implantation et le rassemblement qui ont payé, mais pas sur une ligne d’opposition de gauche ou de virulence », explique un proche de Cécile Duflot. « Ce succès, malgré le maintien du socialiste, démontre qu’ensemble nous pouvons réellement être majoritaire à gauche, s’enthousiasme davantage Eric Coquerel, secrétaire national du PG. C’est un espoir formidable pour l’avenir. »
Lundi dernier, lors d’une conférence de presse, Jean-Luc Mélenchon ne cachait pas sa satisfaction de voir « la ville point de départ de la Révolution » retrouver « le sens historique de la gauche ». Et d’enchaîner : « Face à un PS visiblement à bout de souffle, l’objectif est atteint pour la première fois de passer en tête de la gauche. » Avant des municipales qu’il savait difficile pour l’unité du Front de gauche, et sans davantage de certitudes sur les européennes à venir, Mélenchon espérait pouvoir prendre exemple sur « un endroit où ça craque », pour montrer que sa stratégie d’alternative n’est pas aussi saugrenue que le considère écologistes et socialistes de la gauche.
Quand on lui objecte la divergence stratégique profonde entre le PG et les écologistes, celle de la participation gouvernementale, Mélenchon préfère donner du temps au temps. « Ce qui rendra réaliste cette alternative, ce sont les résultats. Et notre état d’esprit est l’ouverture la plus absolue aux prochains scrutins. Même sur les européennes, on pourrait se retrouver au moins sur l’opposition au grand marché transatlantique… » Aux régionales, Mélenchon se verrait bien proposer l’union aux écolos dans un maximum de régions, histoire de faire progresser l’alternative au PS, mais aussi de sortir de son tête-à-tête conflictuel avec le PCF.
Côté écolo, on reste plus mesuré, mais on semble prêt à toper. « L’étiquette PS n’est plus une valeur refuge pour les électeurs, et les listes autonomes, menées par les écolos au delà de nos périmètres habituels, permettent d’amplifier à gauche, abonde un cadre écologiste. Ce sera en effet une clé des prochaines régionales. » Plus qu’un laboratoire, Grenoble est peut-être un point de départ. « Un modèle », espère Elisa Martin.
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