Délitement du désistement, énième épisode. Encore une fois, dans un entre-deux tours électoral, le parti socialiste se retrouve embourbé dans le marigot du « front républicain ». La notion est vague depuis ses origines, fluctue dans ses traductions selon les époques et les contextes, et renvoie le PS de ces dernières années à ses errances stratégiques et ses impensés idéologiques.
Dimanche soir, Jean-Marc Ayrault, suivi de tous les hiérarques socialistes, a d’emblée placé le débat sur ce terrain, en rappelant le principe dans une allocution solennelle : « Là où le Front national est en situation de l'emporter au second tour, l'ensemble des forces démocratiques et républicaines ont la responsabilité de créer les conditions pour l'empêcher. » En clair : en cas de risque FN et d’arrivée derrière la droite en troisième position, ne pas hésiter à retirer ses candidats et à appeler ses électeurs à voter à droite.
Qu’importe si, localement, les militants PS rechignent, pour des raisons légitimes, ou que l’UMP martèle de son côté son « ni-ni », ou même n’affirme désormais ne pas faire de grandes différences entre le PS et le FN. Comme lors des précédents scrutins, par exemple lors de divers scrutins partiels en 2013 (dans l’Oise, ou à Villeneuve-sur-Lot), aux législatives de 2012 à Carpentras, ou lors des cantonales de 2011.
À chaque fois, des sections socialistes ne comprennent pas pourquoi elles doivent recommencer à zéro, alors qu’elles ont mis des années à s’implanter. Et ce dans des collectivités souvent tenues par un élu UMP, dont les idées sont à peu près les mêmes que celles du FN, Marine Le Pen en moins. Mais à chaque fois, l’épée de Damoclès tombe depuis Solférino, le siège national du PS. Au nom des valeurs républicaines, les candidats ou les listes PS doivent se retirer. Quitte à disparaître du conseil municipal.
Lundi et mardi, le travail de conviction a été entamé par Solférino auprès de militants d’un coup suspectés d’inconscience, selon l’idée qu’ils seraient trop plongés dans la bataille politique municipale pour saisir le danger de mairies tombant aux mains du FN. « Localement, ils ont raison, concède le ministre hollandais Thierry Repentin. Mais nationalement, sur tous les plateaux de télévision, on reviendra au global, et le discours sera qu'on n'a pas fait barrage au FN. »
« Nous avons une position de principe, et nous réaffirmons sans cesse ce principe », appuie Laurence Rossignol, porte-parole du PS. « On peut encore moins se maintenir dans un contexte électoral difficile, assume de son côté Alain Fontanel, responsable des fédérations du PS. Si on transige, on nous accusera d'hypocrisie. On est dans un piège, mais on a choisi de ne pas faire d'exception. Même si le choix n'est pas complètement assumé par tout le monde dans le parti, cela permet d'empêcher l'UMP de se compromettre dans des alliances avec le FN. Notre clarté s'impose à eux. »
À Saint-Gilles, Perpignan, Cogolin, Brignoles, Valréas ou au Pontet, les candidats PS ont accepté la « demande de clarté » de la direction nationale. À Fréjus, Elsa Di Méo a finalement cédé aux injonctions de Paris. Mais, en pleurs, elle a refusé de donner de consignes de vote pour un second tour qui verra malgré tout une triangulaire très favorable au FN, avec la division de deux candidats de droite ayant choisi de se maintenir (après avoir fait 20 % chacun). Un temps, l’idée de faire liste commune a même été envisagée. Comme à Béziers, où le socialiste Jean-Michel Du Plaa a finalement refusé la proposition de fusion de l’UMP Élie Aboud (membre de la droite populaire).
« Si on fait ça, on offre un boulevard au Front national, a-t-il expliqué à ses militants. Un certain nombre de cadres du FN diront que l'UMPS en danger cherche à sauver sa place. Ça ne marchera pas. » Et d’ajouter, toujours selon Le Monde : « Nous n'aurons pas l'investiture, mais je ne crois pas que la direction du PS exclura des militants. Et au pire, ça pourra nous aider face aux électeurs. » Après avoir fusionné sa liste avec le Front de gauche, Du Plaa a lui fait le choix de maintenir sa candidature. Comme deux autres têtes de listes de la « gauche unie » : un écologiste à Cavaillon et un divers gauche à Beaucaire.
D’autres listes municipales n’ont en revanche pas fait l’objet de la même attention. À Hayange, le maintien de la liste PS de Philippe David (après fusion avec une liste divers gauche) pourrait favoriser l’élection du FN Fabien Engelmann. Dans le 7e secteur de Marseille, le socialiste Garo Hovsepian se maintient face au FN Stéphane Ravier, arrivé en tête. Dans ces deux cas, les explications de Solférino sont les mêmes : il s’agit d’un maire sortant et la gauche était divisée au premier tour.
De toute façon, l’arsenal des sanctions devrait être limité pour les rebelles, en dehors du retrait de l’investiture socialiste au second tour. « Les mesures disciplinaires ne sont pas le sujet, tempère ainsi Laurence Rossignol. Aucun n’est un mauvais socialiste pour autant… » Dans les statuts du parti, le déclenchement d’une procédure d’exclusion pour “non-désistement” est beaucoup moins automatique qu’en cas de dissidence électorale. Et beaucoup moins rapide que les procédures pour “manquement éthique”. Même si aujourd’hui, il est encore impossible de savoir si Jean-Noël Guérini est encore officiellement au PS…
Depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, et de Harlem Désir à la tête du PS, la (relative) rénovation entamée sous l'ère Aubry a laissé place à une « culture SOS-Racisme », qui influence les mobilisations et l’action du parti, façon combat symbolique et moral, et mise en avant des valeurs. Ambiance meeting contre les extrémismes, ou contre les populismes, ou les deux, et diffusion de badges anti-racistes. Bien que prévenue et ayant annoncé une réflexion en ce sens en 2013, la direction du PS n’a finalement pas tenu à anticiper le débat stratégique sur l’attitude à adopter entre-deux tours. La raison invoquée par un dirigeant socialiste, en septembre dernier, était que «la situation ne se produira pas ». Raison plus crédible avancée aujourd’hui : le débat serait trop compliqué à trancher.
« C'est un débat difficile car il n'y a pas de réels débouchés, explique Alain Fontanel. Si on se met nous aussi à faire du “ni-ni”, cela reviendrait à mettre à égalité FN et UMP, et donc à achever de normaliser l'extrême droite, ce que nous refusons. » « L'histoire du front républicain est à contre-temps, regrette un conseiller ministériel hollandais. Il y a un vrai décalage avec le terrain. La direction socialiste n'a toujours pas compris que la diabolisation du FN, c'est fini. » Marie-Noëlle Lienemann, à l’aile gauche du parti, évoque aussi un doute stratégique : « Le front républicain suppose la réciprocité avec la droite. Si on est seul à l'appliquer, ça s’appelle du désarmement unilatéral. »
Lundi, un bureau national réuni en urgence a permis d’échanger sur le sujet, entre cadres socialistes. Mais pas de faire taire les scepticismes. « Le seul argument implacable qui a été développé, c’est celui de la cohérence avec les propos de la veille, se désole Lienemann. Mais pourquoi avoir fait du FN le centre des discussions et des analyses le soir du vote ?! On aurait pu parler de l’abstention des classes populaires, dire qu’on avait compris la claque… En même temps, a-t-on envie de comprendre le message de notre électorat ? »
Comme l’aile gauche du PS, et au contraire d’EELV qui retire également ses investitures aux candidats récalcitrants, Jean-Luc Mélenchon ne cache pas ses critiques envers « l’obsession du front républicain » de ses anciens camarades socialistes. « Il faut arrêter ! Comment fait-on quand la droite dit la même chose, voire pire, que le FN ? a-t-il dit lundi, lors d’une conférence de presse. C’est une mise en scène qui devient fatigante : on en parle avant le vote pour faire monter le FN, il monte, puis on cherche des responsables, et on évite tout débat de fond. »
Quid du maintien de cette doctrine, alors que s'annoncent dès l’an prochain élections cantonales et régionales ? « Notre position se tient tant que les élections où le FN arrive en tête sont des scrutins marginaux, dit Laurence Rossignol. Si jamais le “tripartisme” dont parle Le Pen s’installait de façon définitive et durable, cela voudra dire que notre stratégie aura échoué, et il faudra en changer. »
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