« Front républicain » ou pas ? Face au FN, le dilemme des candidats de gauche
Se retirer en cas de possibilité d'une victoire de l'extrême droite lorsque le candidat socialiste est le plus mal placé ? C'est la consigne passée par la rue de Solférino. Elle a été suivie à Perpignan (Pyrénées-Orientales), où Jacques Cresta (PS) s'est retiré, laissant s'affronter au second tour le FN Louis Aliot (34,20 %) et Jean-Marc Pujol (UMP, 30,57 %). Cresta a refusé de donner des consignes de vote, tout en indiquant qu'il voterait UMP. Idem à Brignoles (Var), Cogolin (Var), Saint-Gilles (Gard), la ville briguée par le député Gilbert Collard, soutenu par le FN. À Fréjus (Var), la candidate socialiste Elsa di Meo, investie depuis des années dans la lutte contre l'extrême droite et quatrième du premier tour, s'est retirée après avoir beaucoup hésité. Le FN, mené par David Rachline, s'est hissé dimanche en tête du premier tour (40,3 %) devant l'UMP (18,85 %), un divers droite (17,61 %) et la socialiste.
D'autres ont décidé de passer outre les instructions de Solférino. C'est le cas, à Béziers (Hérault), du candidat socialiste Jean-Michel du Plaa, arrivé en troisième position dimanche (18,65 %). L'UMP Élie Aboud (30,17 %) lui avait proposé une fusion contre Robert Ménard, proche du Front national (44,88 %), en lui offrant au passage la tête du maire UMP sortant, le très contesté Raymond Couderc. Refus de Du Plaa : contre l'avis de Solférino, il a décidé de maintenir sa liste au second tour. La sanction parisienne est immédiatement tombée : la liste se voit retirer l'investiture PS. Du Plaa, figure de l'opposition socialiste, risque l'exclusion du parti.
À Beaucaire (Gard), le candidat de gauche Claude Dubois (qui n'est pas membre du PS), arrivé en quatrième position derrière le FN et deux listes de droite, a refusé tout désistement. « Un retrait de la gauche serait une victoire pour l'extrême droite parce qu'il ferait disparaître la seule liste d'opposition », dit-il à L'Express. À Cavaillon (Vaucluse), le candidat EELV qui mène une liste d'union de la gauche se maintient au second tour. Il affrontera un candidat UMP arrivé en tête et le FN.
À Grenoble, duel à gauche au second tour
Mardi à la mi-journée, le candidat PS Jérôme Safar à Grenoble s'était isolé dans un hôtel avec quelques proches pour faire le point. Avant d'annoncer son maintien. Un peu plus tard, il prend la parole devant les militants socialistes. « Je prends aujourd’hui la responsabilité et la décision de maintenir la liste que je conduis, avec l’objectif clair de gagner pour l’avenir de notre territoire ». Quelques heures plus tard, le PS lui retirait l'investiture. Il y a une semaine, Jérôme Safar ne s'attendait certainement pas à un tel cataclysme. Premier adjoint désigné depuis des années par le maire PS Michel Destot pour être son dauphin, le voilà à la fois battu au premier tour des municipales et désavoué par son parti...
Depuis dimanche soir, le suspense était grand à Grenoble, où les écologistes, alliés au Parti de gauche et au "réseau citoyen" sont arrivés en tête au premier tour. Relégué 4 points derrière la liste ELV-PG, le PS, qui gère la ville depuis 1995, a pris un énorme coup sur la tête (29,41 % pour EELV, 25,31 % pour le PS). Éric Piolle, le candidat écologiste, lui avait proposé lundi de fusionner, au prorata des résultats du premier tour et sans engagement de voter le budget. Le PS serait devenu minoritaire dans la majorité. Safar a refusé, malgré la demande pressante du premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a téléphoné au socialiste, selon France 3-Alpes. « Le programme de régression de Piolle était inacceptable pour la ville », a commenté sur Twitter un colistier de Jérôme Safar, Benjamin Rosmini.
Il faut dire que de lourds différends opposent depuis des années les écologistes locaux, opposés à plusieurs grands projets du maire sortant et qui ont quitté la majorité en 2008. « Jérôme Safar est dans une posture pas très positive, assure à Mediapart la colistière d'Éric Piolle, Élisa Martin (parti de gauche). Nous allons faire le boulot cette semaine pour convaincre les Grenoblois de la pertinence de notre projet. Mais franchement, nous sommes très sereins. » « La déception d'un homme seul ne doit pas remettre en cause l'intérêt collectif de la gauche à Grenoble », a assuré Éric Piolle.
« Il y a un paramètre personnel, Safar attendait depuis tellement longtemps d'être maire, que malgré tous nos efforts, on se doutait que ce serait impossible qu'il se retire, indique un responsable du PS. Il y a aussi un paramètre politique : si les écolos avaient fini en seconde position, ils se seraient maintenus eux aussi. » Pour l'heure, le "national" n'est enclin à se précipiter pour entamer une procédure d'exclusion du PS de Jérôme Safar et ses colistiers. « Ce n'est pas pareil que pour les désistements en cas de risque FN, là, il n'y a aucun risque que la ville tombe à droite », explique-t-on. Avant de souligner qu'à La Rochelle, EELV a apporté son soutien à la liste dissidente de Jean-François Fountaine, pourtant arrivée derrière la liste du PS emmenée par Anne-Laure Jaumouillé.
Pendant ce temps, Matthieu Chamussy, le candidat de l'UMP, troisième du premier tour avec 21 % des voix, fait campagne sur les marchés depuis le début de la semaine sur le « barrage à l'extrême gauche ». En neuvième position sur sa liste figure Alain Carignon, maire de Grenoble de 1983 à 1995, l'homme politique le plus condamné de France.
Lire notre reportage « A Grenoble, écologistes et PG veulent "réinventer la gauche" »
À gauche, fusions avant second tour
Le PS et EELV ont fusionné dans plusieurs grandes villes : Paris, Lille, Lyon (où le FN se maintient dans sept des neuf arrondissements), Toulouse (où Pierre Cohen, le maire sortant socialiste, est en difficulté). Il n'y aura pas de fusion entre le PS et le Front de gauche à Paris, Lille et Toulouse, où les discussions ont tourné court. A Rennes, la gauche part en revanche réunie au second tour. À Marseille, le PS, qui a subi un grave revers au premier tour (troisième derrière l'UMP et le FN) malgré son alliance avec les écologistes, s'est uni au Front de gauche. Mais Pape Diouf, l'ancien président de l'Olympique de Marseille dont les listes ont atteint 6%, a refusé toute alliance.
À Avignon, PS et Front de gauche (respectivement 29,54 % et 12,46 % au premier tour) fusionnent. Ils seront opposés dimanche au FN, arrivé en tête (29,63 %), et à l'UMP (20,91 %).
À Montreuil (Seine-Saint-Denis), où l'ancien maire Jean-Pierre Brard est arrivé en tête du premier tour, le PS (Razzy Hammadi), EELV (Ibrahim Dufriche) et le PCF (Patrice Bessac) sont parvenus à un accord. Refusé en revanche par Mouna Viprey, divers gauche qui fut l'ancienne adjointe de la maire sortante, l'écologiste Dominique Voynet, qui ne se représentait pas. « Montreuil ne doit pas être le drapeau mondial du communisme municipal à l'ancienne », assure celle-ci, interrogée par Le Monde. Constat d'échec en revanche à Saint-Ouen, où la droite est arrivée en tête, devant la maire communiste sortante Jacqueline Rouillon et le candidat socialiste Karim Bouamrane. Le PS se retire, n'appelle pas à voter PC mais à «contre la droite ». Nuance de taille.
Fusion également à Nantes entre EELV (14,5 %) et le PS, mené par Johanna Rolland, dauphine de Jean-Marc Ayrault (lire ici le document complet). Les écologistes assurent avoir gagné l’arrêt au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Dans l'accord, on peut lire : « Nous prenons acte ensemble de l’orientation du gouvernement de ne pas débuter les travaux avant l’épuisement de tous les recours actuellement déposés. » Pour les socialistes, l’engagement dépasse de loin l’accord signé en mai 2012 par les collectivités locales avec les opposants, qui suspendait les expulsions d'agriculteurs et d'habitants dans la zone de Déclaration d'utilité publique (DUP) du futur aérogare, jusqu’à épuisement des recours ou pourvois déposés avant le 4 mai de la même année. (voir ici)
Depuis, de nouveaux recours ont été déposés devant le tribunal administratif de Nantes concernant le respect de la loi sur l’eau et les espèces protégées (voir ici). Les opposants tablent sur au moins trois ans de procédure. Pour les écologistes nantais, c’est un moratoire de fait, se réjouissent-ils. En réalité, ils n’obtiennent pas plus que ce qu’avait déjà concédé Jean-Marc Ayrault en février dernier. Il avait alors déclaré qu’il n’y aurait pas d’expulsion avant la fin de tous les recours déposés. Pour Françoise Verchère, élue Front de gauche et co-présidente du collectif des élus contre l’aéroport (CéDéPa) : « un moratoire, ça ne veut rien dire. Ce que nous demandons, c’est une expertise indépendante. À quoi sert un moratoire s’il ne permet pas de réexaminer le dossier sur le fond ? On risque sinon de se faire rouler dans la farine. »
À Hayange, en Moselle, où le Front national est arrivé en tête du premier tour (30 %), le maire socialiste sortant Philippe David (PS), arrivé troisième avec 19 %, et une ancienne adjointe, Isabelle Iorio, qui se présentait sur une liste autonome soutenue par le PCF, ont trouvé un accord. Leurs deux listes fusionnent, avec une répartition équitable des postes éligibles, et la promesse du maire sortant, en poste depuis 1997, de se retirer au bout de deux ans. Problème : à elles deux, les listes de gauche n'atteignent même pas le score du FN. « On parie sur la mobilisation des abstentionnistes », espère un colistier d'Isabelle Iorio. Au second tour, la liste affrontera le FN mené par Fabien Engelmann et le divers droite Thierry Rohr (20 %).
Lire notre reportage: « En Moselle, le FN convoite la ville des hauts-fourneaux d'ArcelorMittal »
Une fusion droite-gauche contre le PS:
Casse-tête pour le PS à Lens (Pas-de-Calais): les deux dissidents divers gauche Arnaud Sanchez et Sébastien Plociniczak s'allient à Sophie Gauthy (union de la droite). Le maire sortant, Sylvain Robert, est menacé. Arnaud Sanchez est l'ancien dirigeant de la section PS de Lens. Sébastien Plociniczak est l'ancien bras droit de Jean-Pierre Kucheida, ancien maire de Liévin condamné en 2013 à 30 000 euros d'amende pour abus de biens sociaux. Le FN, qui se maintient, a fait 20% au premier tour.
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Le « ni-ni » de la droite à l'épreuve
Jean-François Copé a présenté lundi la ligne politique de l’UMP en vue du second tour de dimanche. Le parti d’opposition campe sur la position du « ni-ni » (ni alliance avec le Front national, ni soutien au Parti socialiste). Estimant être dans « un rapport de force très favorable à l’UMP, à la droite et au centre-droit », Copé a prévenu que « l'UMP (se maintiendrait) partout où elle est en mesure de faire face au FN et à la gauche ».
Cette ligne est soutenue par la quasi-totalité des ténors de la droite, à commencer par François Fillon qui indiquait dès dimanche soir que, pour l'UMP, « aucun désistement et aucune alliance ne (pouvaient) être envisagés » avec le FN au second tour. L’ex-premier ministre avait tenu un tout autre discours en octobre 2013, affirmant que les électeurs pourraient voter, le cas échéant, pour un candidat frontiste aux municipales, à condition qu’il soit « le moins sectaire ».
On se souvient également du cas de Roland Chassain, le maire des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), qui avait été exclu de l’UMP après s’être désisté, en juin 2012, en faveur d’une candidate du Front national pour empêcher l’élection du candidat socialiste. Malgré cet épisode, Chassain avait été investi par l’UMP pour les municipales. Il vient d’être réélu au premier tour avec 56,67 % des voix.
Dans les rangs de l’opposition, rares sont ceux à avoir émis des réserves sur la ligne adoptée par l’UMP, chacun arguant la nécessité d’une position collective, après plus d’un an de divisions. Seul François Baroin a rappelé sur RTL être partisan d'un « barrage étanche » qu'il « prône depuis toujours en tant que chiraquien », sans pour autant dénoncer le « ni-ni » voulu par son parti.
Une ligne que l’UDI, partenaire de l’UMP pour les municipales, n’entend absolument pas suivre. Yves Jégo, qui assure l'intérim à la tête du mouvement centriste en l’absence de Jean-Louis Borloo qui est en convalescence, a indiqué au Nouvelobs.com vouloir « respecter à la virgule près le front républicain ».
Le problème se pose essentiellement à Forbach où l’UMP Alexandre Cassaro (12,26 %) entend se maintenir dans une quadrangulaire qui oppose également le FN Florian Philippot (35,75 %), le divers-droite Éric Diligent (18,99 %), ainsi que le socialiste et maire sortant Laurent Kalinowski (33 %). « Si la liste UMP ne se retire pas, notre candidate le fera », a indiqué Yves Jégo. Partout ailleurs, l’UDI demande au PS et à l'UMP de retirer leurs listes dans neuf villes où le Front national risque de gagner.
Par ailleurs, le candidat FN de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), Dominique Joly (26,05 %), s'allie au second tour à Philippe Gaudin (31,8 %), candidat sans étiquette soutenu au premier tour par l’UMP, l’UDI, le Modem et Debout la République. Cette alliance se fera sans les logos: UMP, UDI et MoDem ont indiqué qu’ils retiraient leur soutien à Gaudin.
Alliance FN-divers droite également à l'Hôpital (Moselle), une ville où Marine Le Pen avait frôlé les 40% au premier tour de la présidentielle. Le FN, arrivé en seconde position derrière la liste du maire divers gauche, fusionne avec la liste arrivée troisième. Dans cette ville ou un électeur sur deux vote A Sevran (Seine-Saint-Denis), le FN soutient une liste divers droite dont une colistière est adhérente du parti de Marine Le Pen.
À Paris, la question des alliances à droite se posait dans deux arrondissements : le Ve, où la socialiste Marie-Christine Lemardeley est arrivée en tête au premier tour avec 33,94 % des voix, devant Florence Berthout (UMP-MoDem-UDI – 28,49 %) et le dissident DVD Dominique Tiberi (19,43 %). Après avoir vivement critiqué son adversaire de droite – « Je ne sais plus exactement ce qui s’est échangé comme mots », dit-il aujourd’hui –, le fils de l’ancien maire de l’arrondissement, Jean Tiberi, consent à fusionner sa liste avec celle de Berthout.
« On se dirige vers 6 conseillers pour Berthout et 5 conseillers tirés de notre liste », confie-t-il à la mi-journée à Mediapart, en prenant bien le soin de rappeler que « le papier n’est pas encore signé ». Quant au programme, inutile pour les deux parties de discuter : « Ils ne sont pas vraiment différents… », reconnaît Dominique Tiberi.
Dans le VIIIe arrondissement, l’alliance de Charles Beigbeder (Paris Libéré – 19,27 %) et de la candidate UMP-MoDem-UDI Jeanne d'Hauteserre (46,65 %) n’aura pas lieu. « Ah ça, non ! tranche le député UMP et conseiller de Paris, Pierre Lellouche. Autant Tiberi était une négociation utile qui réconcilie le renouveau et l’expérience, autant Beigbeder n’en a rien faire du VIIIe arrondissement. Tout ce qui l’intéresse, c’est la circonscription. J’ai entendu dire qu’il s’alliait à Didier Decelle (autre candidat DVD de l’arrondissement qui a recueilli 5,17 % des suffrages – ndlr). Ils ont pour point commun leur ego surdimensionné et le fait d’avoir été exclus de l’UMP. »
Les autres dissidences qui ont émaillé la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet un peu partout dans Paris « n'existent pas » pour Lellouche. « Les listes “Paris Libéré” étaient les faux nez de Beigbeder. Elles n'ont pas passé le premier tour, leurs voix vont se reporter automatiquement », soutient-il. Des candidatures inexistantes, peut-être, mais pas indispensables puisque la candidate UMP à la mairie de Paris, en difficulté dans le XIVe, a fait savoir dans l'après-midi qu'elle s'alliait à son ancienne adversaire de droite dans l'arrondissement, Marie-Claire Carrère-Gée.
BOITE NOIRECet article, entamé mardi à midi, a été réactualisé en permanence dans la journée.
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