Finalement, ils ont arraché un compromis. Après deux jours de négociations houleuses, souvent désespérantes, d’abord en séance plénière autour de la table puis dans les couloirs du Medef en conciliabules informels (que vous pouvez revivre ici sur le site des Échos), patronat et syndicats se sont mis d’accord sur un nouveau système d’indemnisation des demandeurs d’emploi dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 mars, l’un des plus gros chantiers sociaux de ce début d’année. Ils avaient jusqu'à fin mars pour négocier de nouvelles règles dans un contexte de chômage record et de déficit abyssal de l’Unedic, l’organisme gestionnaire de l'assurance-chômage. En cas d’échec, l’État reprenait la main sur le paritarisme.
Le texte final (que vous pouvez consulter ici sur le site de l’Humanité), que la CGT (qui n’a jamais signé de son histoire une convention d’assurance-chômage même quand le régime n’était pas déficitaire) et la CFE-CGC (furieuse que les cadres chômeurs soient mis à mal) ont refusé de parapher, doit encore être validé cette semaine par les instances confédérales des syndicats, mais d’ores et déjà, la CFDT, la CFTC et FO ont exprimé un avis positif. Il devrait permettre à l’assurance-chômage d’économiser 400 millions d’euros par an. Si rien n'était fait, l'Unedic accuserait un déficit de 4,3 milliards d'euros et une dette cumulée de 22,1 milliards fin 2014...
Création d'un nouveau système de droits rechargeables, durcissement du régime des intermittents, seniors mis à contribution… Les règles (le détail à partir de la page deux) vont changer pour de nombreux chômeurs mais pas le montant des allocations et les principes de base de l'assurance-chômage (ouverture de droits au bout de quatre mois de travail, selon la règle du « un jour travaillé = un jour indemnisé »).
Les syndicats étaient pourtant très sceptiques sur les chances d’aboutir à un accord. Même les centrales plus réformistes comme la CFDT et la CFE-CGC, toujours promptes à jouer le jeu du dialogue social et à signer les textes majeurs comme l’accord sur l’emploi. Vendredi, la journée la plus théâtrale, où les portes ont claqué, la négociatrice de la CFDT, Véronique Descacq, donnait « à peine une chance sur deux » aux discussions d'aboutir. Son homologue de la CFE-CGC, Franck Mikula, pariait, découragé, « sur un échec ».
Il faut dire que les syndicats avaient face à eux un patronat intraitable, déterminé à jouer au plus fort et à rogner sur les droits des plus faibles, chômeurs, précaires, pour remettre à flot le régime sans mettre la main à la poche. Suppression des annexes 8 et 10 qui régissent le régime spécifique des intermittents du spectacle, dégressivité des droits des chômeurs, plafonnement des allocations chômage à 3 592 euros brut au bout d'un an de chômage (aujourd’hui, l'allocation maximale est de 7 184 euros)... Ses propositions étaient tout aussi novatrices que scandaleuses. Pierre Gattaz, le patron du Medef, a même été, vendredi en pleine négociation, jusqu’à contredire le négociateur patronal, Jean-François Pilliard de la métallurgie, car il prévoyait non pas un milliard mais 800 millions d’euros de dépenses en moins. Au bout du compte, le patronat s’en tire très bien. Il a réussi à durcir toute une série de droits pour les cadres, les seniors, les plus grands perdants de cette réforme, et à obtenir, dès le samedi, de la part de l’État une concertation prochaine sur le régime des intermittents du spectacle.
Côté syndical, la surprise est venue du pivot Force ouvrière, dans le camp du « non » depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande sur les grands dossiers sociaux comme l’ANI, la réforme des retraites ou le pacte de responsabilité. Au moment même où FO a perdu sa figure d’un syndicalisme de contestation, Marc Blondel, décédé le 16 mars, et trois jours après avoir défilé avec la CGT contre le pacte de complaisance du gouvernement aux entreprises, elle renoue avec la signature aux côtés de la CFDT, cette organisation qui a « un côté syndicat officiel » comme l’a déclaré Jean-Claude Mailly dans une interview au Monde, mi-mars.
Une stratégie qui isole un peu plus la centrale de Thierry Le Paon mais qui n’a « rien de calculé », selon Stéphane Lardy. Le numéro deux de la centrale en charge des négociations sociales assume : « Nous ne nous positionnons pas vis-à-vis de la CGT ou de la CFDT et nous ne confondons pas dialogue social et négociation collective. Le pacte de responsabilité, c’est un marché de dupes du président de la République. L’assurance-chômage, c’est une négociation paritaire. Et contrairement à la CGT, nous croyons au paritarisme. Si nous avons émis un avis positif sur ce texte, c’est parce que nous estimons que nous avons obtenu des droits et limité la casse. » Ce que conteste Éric Aubin, le négociateur de la CGT : « Cette nouvelle convention de l’assurance-chômage n’est pas un compromis mais un accord perdant-perdant sur le dos des chômeurs. »
Les droits « rechargeables »
Ce nouveau dispositif dont les syndicats parlent depuis 2008 a été acté en janvier 2013 lors de l’accord sur l’emploi (ANI) flexibilisant un peu plus le marché du travail, transposé depuis en loi. C’est la principale innovation de la nouvelle convention d’assurance-chômage et la seule dépense supplémentaire (environ 400 millions d’euros par an selon le calcul de FO).
Il permettra à partir du 1er juillet 2014 à tous les demandeurs d'emploi d'accumuler les droits à indemnisation chaque fois qu'ils retravaillent, alors qu'ils en perdaient auparavant une partie. L'objectif est à la fois d'inciter à la reprise d'emploi, même pour une durée très courte et un faible salaire, et d'assurer une meilleure couverture aux chômeurs.
Le mécanisme : quand un demandeur d'emploi arrive en fin de droits, Pôle emploi « recharge » son compte avec les nouvelles allocations qu'il a acquises en retravaillant. 150 heures de travail (l’équivalent d’un mois), même en plusieurs fois, suffisent à ouvrir de nouveaux droits au lieu de 610 (quatre mois) dans le droit commun. Auparavant, l’assuré perdait une partie de ces droits car le calcul de sa période d’indemnisation ne prenait pas en compte la période travaillée la moins favorable. Désormais, comme le souligne le texte, « plus une personne travaille, plus elle accumule des droits à l’assurance-chômage ».
D'après le Medef, cette réforme « devrait permettre de réduire d'un quart à un tiers le nombre de demandeurs d'emploi touchés par la fin des droits et basculant dans le RSA », soit « plusieurs centaines de milliers de personnes ».
Le régime des intermittents durci
Le patronat voulait la peau du régime spécifique des 112 000 intermittents du spectacle, notamment la suppression des annexes 8 et 10, qui craquent de toutes parts. Finalement, l'accord prévoit un maintien du régime de l’intermittence mais il le durcit, en attendant l'ouverture de discussions avec l'État avant la fin de l’année 2014 « sur les moyens de lutter contre la précarité » dans le secteur, notamment « en favorisant le recours au CDI», « ainsi que sur la liste des emplois concernés ».
Le cumul salaire-allocations sera désormais plafonné à 5 475 euros brut par mois et un « différé » d'indemnisation est mis en place, pendant lequel les intermittents devront attendre pour toucher leurs allocations. Les cotisations sur leurs salaires vont passer de 10,8 % à 12,8 % (8 % côté employeurs, 4,8 % côté salariés), une disposition qui existait mais n'était pas appliquée. Ces économies et recettes représenteront 165 millions sur 800 millions d’euros.
Après avoir donné de la voix d’abord devant le Medef puis à l’Opéra-Garnier où ils ont passé la nuit de jeudi à vendredi, et enfin au Carreau du Temple, nouveau lieu pluridisciplinaire de la Ville de Paris d'où les CRS les ont violemment délogés dimanche soir, à l’heure où les résultats des municipales étaient proclamés (voir ici notre portfolio), les intermittents, eux, rejoints par d’autres précaires et chômeurs, ne décolèrent pas. La CGT-Spectacle, notamment, appelle « à continuer la lutte » pour exiger que le gouvernement refuse d'agréer l'accord sur l'assurance-chômage, « véritable régression ».
Jusqu’à six mois de carence en cas de gros chèque de départ
C’est l’une des mesures qui a provoqué la colère de la CFE-CGC, qui a refusé de signer le texte patronal. Les cadres qui ont touché un gros chèque d'indemnités de départ, au-delà de celles prévues par la loi, devront désormais attendre jusqu'à 180 jours pour toucher leurs allocations chômage, au lieu de 75 jours maximum aujourd'hui. Le mode de calcul de ce « différé » est modifié. Les licenciés économiques ne seront toutefois pas touchés par ce délai de carence. Au-delà des économies pour l'assurance-chômage, la CFDT y voit aussi un moyen de décourager les recours abusifs aux ruptures conventionnelles, qui font office de préretraites pour les seniors dans certaines entreprises.
Les plus de 65 ans mis à contribution
Les salariés de plus de 65 ans, jusqu'ici exonérés de cotisations Unédic, contribueront eux aussi au régime avec la création d’une contribution spécifique de solidarité calquée sur les cotisations chômage (4 % employeur, 2,4 % salarié).
Le cumul petits boulots-allocation simplifié
Le système d'« activité réduite », qui permet à plus d'un million de chômeurs de cumuler petits boulots et allocation, est réformé et simplifié. Désormais, Pôle emploi déduira de l’allocation mensuelle versée au chômeur 70 % du salaire brut touché durant ses périodes de travail. La possibilité de cumuler allocation et salaire n'est plus limitée à quinze mois comme auparavant. Jugé trop complexe, ce système génère aujourd'hui beaucoup de « trop perçus » que les chômeurs doivent ensuite rembourser. Le suicide par immolation en 2012 à Nantes d'un demandeur d'emploi en fin de droits, redevable d'un « trop perçu », avait provoqué un électrochoc sur cette question.
Coup de rabot sur le dos des chômeurs
Le taux de remplacement minimal du salaire de référence, qui sert à calculer l’allocation versée, passe de 57,4 % à 57 %. Ce taux minimal est appliqué à tous les chômeurs dont le salaire préalable dépassait 2 042 euros brut par mois (pour ceux qui gagnaient moins, les taux appliqués ne changent pas). Soit pour un chômeur touchant aujourd’hui 1 500 euros par mois 11 euros de moins, selon Les Échos.
Nouvelle borne à 62 ans
« Les conditions d’indemnisation du chômage s’adaptent à l’augmentation de l’espérance de vie et à l’allongement de la durée du travail qui en résulte », énonce le texte patronal qui repousse les bornes d’âge permettant à un allocataire d’assurance-chômage, qui n'a pas encore tous ses trimestres pour liquider une retraite à taux plein, d’être maintenu dans le régime d’assurance-chômage jusqu’à ce qu’il ait tous ses trimestres ou jusqu’à une borne fixe. Un chômeur qui atteint 61 ans sans avoir encore tous ses trimestres pour une retraite à taux plein bénéficie aujourd’hui du maintien de ses allocations tout le temps nécessaire. Cette borne est portée à 62 ans.
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