C’est une énorme claque pour Patrick Mennucci, 58 ans, qui avait fait le pari d’une campagne de projet pour reconquérir Marseille et proposer un nouveau souffle aux habitants. À la surprise générale, le candidat PS et EELV est devancé au premier tour des municipales par les listes du Front national menées par Stéphane Ravier, 44 ans, et du maire UMP sortant Jean-Claude Gaudin, 74 ans, qui se représente après dix-neuf ans de mandat. L'inamovible maire de Marseille, qui avait refusé tout débat avec le «candidat socialiste gouvernemental», obtient 37,64 % des voix, le candidat frontiste 23,16 %, et le député socialiste 20,77 %.
« C’est la cata », lâchent les rares militants qui osent se glisser parmi les journalistes au siège de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, transformé en QG de campagne. « On voyait le FN haut, mais plus circonscrit dans les 13e et 14e arrondissements (où Stéphane Ravier est tête de liste, ndlr) », remarque un membre de l’équipe Mennucci. « Il va falloir analyser très finement les différences avec les sondages des derniers jours », note, sonné, Jean-Paul Giraud, ex-directeur de cabinet du président PS de la communauté urbaine.
Hors le score du FN, l’autre chiffre marquant est celui de l’abstention : près d’un électeur marseillais sur deux ne s’est pas déplacé (46,47 %), un chiffre plus important qu’en 2008 (42 %) et qui atteint même 54 % dans les 2e et 3e arrondissements, au nord du Vieux-Port. « Ça fait trente ans que l’abstention progresse, ça veut dire que l’offre politique ne correspond pas aux attentes malgré la multiplication des listes », remarque Jacques Boulesteix, astrophysicien et candidat sur les listes PS.
À 22 heures, le député PS Patrick Mennucci finit par prendre brièvement la parole. « Ce jour est un jour sombre pour la France. Dans plusieurs villes de notre pays, le Front national est en tête. Mais à Marseille, au-delà des apparences de chiffres, rien n'est joué. »
Des résultats catastrophiques dus, selon Patrick Mennucci, au contexte national. « On voit bien qu’il y a un désamour des Français pour le gouvernement, c’est clair, ça s’exprime dans tout le pays, dit-il. Dans toutes les villes, il y a une sanction et Marseille n’y a pas échappé. » Le député PS, arrivé derrière le candidat UMP dans sa mairie de secteur des 1er et 7e arrondissements, se dit convaincu « que le changement auquel aspirent les Marseillaises et les Marseillais ne peut passer par le Front national, ni par l'immobilisme de la municipalité sortante ». Il poursuit : « Les gens ont dit non à Hollande. Très bien, nous l’avons entendu, mais la semaine prochaine il faudra penser à la ville. »
Réélu dans son secteur des quartiers sud dès le premier tour (à 33 voix près), Jean-Claude Gaudin est apparu souriant vers 23 heures au rez-de-chaussée de l’hôtel de ville, entouré de nombreux policiers municipaux. « Les Marseillais ne veulent pas revenir en arrière ni dans le système socialiste, ni dans le clientélisme », s’est réjoui le sénateur, attribuant les scores du FN aux « fautes, échecs et mensonges du PS ».
L’UMP a fait ses comptes : « En 2008, le FN faisait 8 %, aujourd’hui 23 %, mais la droite ne perd que 4 points sur les 15 points de plus que le FN fait sur la ville, explique Maurice Battin, chef de cabinet de Jean-Claude Gaudin. Donc manifestement, c’est la gauche qui pâtit de la progression du FN. » « Et nous représentons le meilleur rempart contre le FN dans les 13e et 14e », s’amuse-t-il, en tournant ses pensées vers le maire sortant Garo Hovsepian, arrivé en troisième position.
Stéphane Ravier (FN) arrive en tête dans les 13e et 14e arrondissements avec 32,88 %, devant le candidat UMP Richard Miron, adjoint au maire Gaudin, qui fait un bon score avec 27,83 % des voix. Un territoire que l’élu FN laboure depuis quatorze ans, jouant à fond la carte locale. Dans ce fief socialiste, le choc est pour le maire PS de secteur sortant, Garo Hovsepian, un proche de la députée Sylvie Andrieux qui se retrouve relégué en troisième position, avec 21,66 % des suffrages.
Dans les 15e et 16e arrondissements, le candidat FN (27,59 %) talonne également de près la sénatrice PS Samia Ghali, maire de secteur sortante (31,71 %). Dans ces quartiers nord, l’abstention a dépassé les 50 % (50,72 % dans les 13e et 14e, et 53,20 % dans les 15e et 16e). Cette abstention était particulièrement visible au sein des grands ensembles, traditionnellement acquis à la gauche, et moins dans les noyaux villageois. « Le désarroi des gens est encore plus grand dans les cités », estime Marc Poggiale, élu Front de gauche. Dans les 15e et 16e, Jean-Marc Coppola, tête de liste du Front de gauche, fait 10,80% des voix. « L’électorat de François Hollande s’est senti trahi, nous expliquait-il dans l’après-midi. Beaucoup nous disent ne comptez pas sur nous pour aller voter PS au second tour, ce qui pose problème pour battre Gaudin. »
À Marseille, on vote par secteur pour les 303 conseillers d’arrondissements, dont un tiers (101) atterriront au conseil municipal. La droite comme la gauche détiennent quatre des secteurs. Avec une majorité, de justesse (51 voix), au conseil municipal pour la droite. Il suffirait donc à la gauche de remporter un nouveau secteur pour changer cette majorité. Mais dans les deux secteurs clés que le PS espérait faire basculer à gauche, la déconvenue est également sévère. Dans les 4e et 5e arrondissements, la ministre PS Marie-Arlette Carlotti n’obtient que 24,66 % des voix, face au sénateur et maire de secteur sortant, Bruno Gilles (41,71 %), tandis que le FN est à 18,15 %. Difficile donc pour ce secteur de basculer à gauche au second tour d’autant que le Front de gauche et la liste citoyenne de Pape Diouf ne font que 7,71 % et 5,15 % des voix.
Dans les 11e et 12e arrondissements, malgré la candidature dissidente du maire de secteur sortant Robert Assante, Roland Blum, adjoint au maire de Gaudin arrive en tête (35,17 %) suivi du FN (25,85 %). Le candidat PS, Christophe Masse, n’arrive qu’en troisième position (16,63 %). Avec 13,43 % des voix, Robert Assante, ancien adjoint au maire, peut se maintenir au second tour.
La gauche se retrouve également avec une sérieuse épine dans le pied dans les 2e et 3e arrondissements (comprenant le quartier du Panier) où le président PS de la communauté urbaine Eugène Caselli n’arrive qu’en troisième position (17,46 %), derrière l’UMP Solange Biaggi (24,18 %) au coude à coude avec la liste PRG de la maire sortante Lisette Narducci (23,81 %). Il s’agit d’une ancienne socialiste, fidèle des fidèles de Jean-Noël Guérini, le patron PS du département, qui a préféré quitter le PS en 2012 pour affronter Patrick Mennucci aux législatives. Dès dimanche soir, Jean-Claude Gaudin s’est déjà dit prêt à négocier avec Mme Narducci qui « n'est pas socialiste ». « S’il n’y a pas de fusion entre Narducci et Caselli, Gaudin obtiendra facilement la majorité absolue, remarque le chercheur Joël Gombin. C’est Lisette Narducci, et donc Guérini, qui détiennent l’ampleur de la majorité de Gaudin... »
« On n’a peut-être pas fini de solder l’époque Guérini », soupire le directeur de cabinet de la magistrate Laurence Vichniesky, colistière de Mennucci. « Le message est clair : les Marseillais ont quand même signifié qu’ils en ont assez et veulent le changement », essaie de positiver Laurence Vichniesky qui estime qu’«on n’a peut-être pas assez bien défendu les propositions de Patrick Mennucci, qui sont très, trop peut-être, courageuses ».
Fêtant sa victoire dans une salle de réception derrière le stade Vélodrome, Stéphane Ravier a évoqué un « 21 avril marseillais qui va faire trembler la France » selon Le Monde. De son côté, Patrick Mennucci rappelle qu’il reste un second tour et appelle au rassemblement des « forces de gauche, les hommes et femmes de progrès, celles de la société civile et tous les républicains ». « En additionnant toutes les forces de la gauche, nous pouvons encore gagner », dit-il. Union qui semble en bonne voie avec le Front de gauche mené par Coppola mais sera plus compliquée avec les listes « citoyennes » de Pape Diouf qui, à son habitude, fait durer le suspense. « On va se réunir lundi après-midi avec nos 303 candidats pour décider de ce que nous faisons », indique l’élu EELV Sébastien Barles, l’une des têtes de liste. Pour l’écolo, les résultats marseillais « montrent l’agonie du système du PS qui a nourri le vote FN ». Pape Diouf, qui a fait 8 % dans les 13e et 14e arrondissements où il se présentait, a de son côté déclaré qu’il n’accepterait « ni compromis ni compromission ».
« L’enjeu, c’est notre capacité à convaincre qu’on a tourné la page et qu’on peut faire de la politique autrement, mais il y a encore une forme de résilience qui fait que certains voient en Patrick Mennucci un candidat clientéliste, ce qui est faux, regrette Pierre Orsatelli, l’un des fondateurs du collectif antiguériniste renouveau PS 13, qui a rejoint l’équipe Mennucci. Il ajoute : « Patrick Mennucci n’a pas été aidé par le PS, Jean-Noël Guérini est toujours membre du PS (alors que le patron du département, mis en examen à trois reprises, a soutenu des candidatures dissidentes, ndlr) et c’est quand même lui le grand vainqueur du premier tour. »
Patrick Mennucci a multiplié les engagements en matière de transparence et d’éthique, promettant par exemple de créer des commissions pour l’attribution des places en crèche et des logements, ainsi que de recruter un « magistrat de haut niveau », flanqué d’un conseil d’éthique, pour veiller au respect des règles. En cas de victoire, il a annoncé que la magistrate Laurence Vichnievsky, qui a instruit l’affaire Elf avec Eva Joly, serait sa première adjointe. Comme « un symbole d'intégrité ». Ce qui n’a pas empêché le PS de renouer avec les vieilles pratiques dans les quartiers nord, en faisant campagne à coups de barbecues et de promesses d’aides en bas des cités.
Mennucci, Coppola et Diouf ont jusqu’à 18 heures mardi pour éventuellement former des listes communes. « Il va y avoir du sang et des larmes chez les socialistes pour la constitution des listes », prédit une source PS qui espère « un sursaut républicain, notamment des abstentionnistes ». Avant de se raccrocher aux branches de l’histoire socialiste marseillaise : « En 1983, Defferre au premier tour, il était mort, et il a gagné au second ! »
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ajouter un moteur de recherche sur Firefox Mobile