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Un ambassadeur évoque les financements libyens de Sarkozy

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Le diplomate s’est montré discret, mais il a laissé une petite bombe à retardement chez les juges d’instruction. François Gouyette, actuel ambassadeur de France en Tunisie, a été entendu le 31 janvier par les juges Emmanuelle Legrand et René Cros, chargés d’instruire la plainte de Nicolas Sarkozy contre Mediapart dans l’affaire libyenne. Ambassadeur de France en Libye de janvier 2008 à février 2011, M. Gouyette a été interrogé sur le document libyen mentionnant un feu vert des autorités en faveur d’un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, document publié par Mediapart en 2012.

Le diplomate a déclaré avoir questionné, en 2011, deux interlocuteurs libyens qui lui ont confirmé l’existence d’un financement en faveur de Sarkozy. Le premier est un dignitaire dont il n’a pas souhaité « mentionner l’identité » pour empêcher que « cela n'ait des conséquences négatives pour lui ». Le second est le traducteur officiel de Mouammar Kadhafi, Moftah Missouri, qui a depuis publiquement confirmé l’authenticité du document révélé par Mediapart.

François Gouyette, ambassadeur de France à Tripoli de 2008 à 2011.François Gouyette, ambassadeur de France à Tripoli de 2008 à 2011. © DR

L’ambassadeur de France a questionné ses contacts « après avoir entendu les déclarations de Saif al-Islam, le 22 février 2011 ». « Avant de quitter la Libye, j’ai eu une conversation avec un contact libyen ayant appartenu au cercle rapproché de Kadhafi, auquel il n’appartenait plus à ce moment-là, a expliqué François Gouyette, et je lui ai donc posé la question de savoir (…) s’il avait entendu parler de ce financement dont faisait état Saif al-Islam, et cette personne m’a dit que c’était une chose connue parmi les proches du pouvoir libyen, et qu’il y avait eu effectivement un financement de la campagne présidentielle de M. Sarkozy. »

La source de l’ambassadeur de France n’a pas donné de précisions « ni sur les montants, ni sur les modalités », a fait savoir aux juges le diplomate. Reste que cette source diplomatique risque d'attirer très vite l'attention des juges Serge Tournaire et René Grouman, chargés d'enquêter sur le fond des faits.

À la fin de l’année 2011, François Gouyette a posé la même question à Moftah Missouri : « Il m’a indiqué qu’à sa connaissance, il y avait bien eu financement, que de l’argent avait été versé par la Libye. » Questionné en 2013 par les journalistes de l’émission Complément d’enquête (France 2), Missouri avait précisé que le régime libyen avait versé « une vingtaine de millions de dollars » à Nicolas Sarkozy, pour sa campagne électorale. « Kadhafi m’a dit à moi verbalement que la Libye avait versé une vingtaine de millions de dollars, a déclaré l’interprète. Normalement, chez nous à la présidence, quand on donne de l’argent à quelqu’un, il n’y a pas un transfert bancaire, il n’y a pas de chèque, c’est de l’argent liquide dans des mallettes. »

M. Missouri avait aussi commenté le document publié par Mediapart, précisant qu’il s’agissait du « document de projet, d’appui ou de soutien financier à la campagne présidentielle du président Sarkozy », en concluant : « C’est un vrai document. »

Le 4 décembre 2013, le réalisateur de Complément d’enquête, Romain Verley, a confirmé aux policiers les dires de Missouri : « Il a authentifié le document, a déclaré M. Verley. Il a confirmé qu’il s’agissait d’un projet de financement. Il nous l’a dit de manière très affirmative. Il a relu le document en arabe, il l’a retraduit et a confirmé la véracité de ce dernier. » Questionné sur les vérifications de France 2 concernant le document, M. Verley a précisé avoir « pris attache avec plusieurs (de nos) sources afin de vérifier si le document était ou non authentique ». « Toutes nos sources ont confirmé l’authenticité du document », a conclu le réalisateur.

L’ambassadeur François Gouyette a aussi été prié par les juges de livrer son avis sur le document et sa traduction. Au moment de sa publication, son « impression » avait été « qu’il pouvait s’agir d’un document authentique », relate le diplomate, en rappelant qu’un faux document sur la part de pétrole réservée à la France en cas de victoire du CNT avait circulé quelques mois plus tôt.

MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Elysée. MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Elysée. © Reuters

« Lorsqu’on a été amené, comme c’est mon cas pendant trois ans, à voir des documents officiels libyens, cette note à première vue donne les apparences d’un document libyen, en précisant que les en-têtes n’apparaissent pas, ce qui me paraît curieux, a déclaré aux juges M. Gouyette. En ce qui concerne la typographie du document, il n’y a rien de particulier, cela correspond aux documents que l’on voyait circuler provenant par exemple du ministre des affaires étrangères libyen. » 

Parfait arabophone, le diplomate, qui avait déjà occupé le poste de deuxième secrétaire de l’ambassade à Tripoli dans les années 80, a aussi été questionné par les juges sur la rédaction du texte. « Au sujet de la langue, il s’agit à l’évidence d’un texte écrit directement en arabe par un arabophone, il n’y a aucun doute pour moi. Il s’agit d’un texte en arabe littéral, en arabe de caractère administratif », affirmé le diplomate, contredisant une version répandue dans la presse par des proches de Nicolas Sarkozy, selon laquelle le document serait une traduction du français vers l’arabe.

L’ambassadeur a connu plusieurs personnalités officielles mentionnées dans le document : le chef des services de renseignements extérieurs Moussa Koussa, le directeur de cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh, considéré comme l’un des trésoriers occultes du régime et Abdallah Senoussi, chef des services de renseignements intérieurs et beau-frère de Kadhafi, condamné à perpétuité par contumace en France dans l’affaire de l’attentat contre le DC-10 UTA.

François Gouyette a indiqué avoir vu M. Senoussi essentiellement dans un cadre protocolaire. « Je n’avais pas de relation avec lui et ne souhaitait pas en avoir, s’agissant d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation en France », a-t-il souligné. À cette époque, l'entourage de Nicolas Sarkozy et son avocat personnel Me Thierry Herzog déployaient tous leurs efforts pour tenter de blanchir judiciairement le dignitaire libyen, comme Mediapart l'a déjà raconté.

« En ce qui concerne M. Saleh, je l’ai vu quelques fois, notamment à deux reprises en accompagnant M. Guéant lorsqu’il a été reçu par M. Kadhafi », a ajouté M. Gouyette.

Le diplomate rappelle au passage la protection française offerte à l’argentier du régime au moment de la chute de Kadhafi. « Bachir Saleh avait été interpellé en Libye et emprisonné en septembre 2011, la France était intervenue auprès de ses nouveaux interlocuteurs à Tripoli pour que Bachir Saleh ne soit pas maltraité, a poursuivi le diplomate, et j’ai su par la suite (…) qu’il avait pu rejoindre la Tunisie où il avait obtenu un visa, et de là la France. Concernant son titre de séjour (ndlr en France), ce que je peux indiquer simplement, c’est que Bachir Saleh avait depuis toujours une relation particulière avec la France, il avait également des relations avec Claude Guéant. »

BOITE NOIREMediapart est à l’origine des révélations sur les soupçons d’un financement occulte libyen sous le règne de Mouammar Kadhafi à l’occasion de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, lesquels soupçons sont aujourd’hui au centre des investigations judiciaires visant le premier cercle de l’ancien président de la République (lire notre dossier).

Après plusieurs mois d’une enquête commencée à l’été 2011 et ayant donné lieu à de nombreux articles sur les relations entre les proches entourages de Nicolas Sarkozy et de Mouammar Kadhafi, Mediapart a ainsi publié, le 28 avril 2012, un document officiel libyen évoquant ce soutien financier du régime de Tripoli au candidat Sarkozy au moment de l’élection présidentielle de 2007.

L’ancien chef de l’État français, qui n’a pas poursuivi une seule fois Mediapart en diffamation, a contourné le droit de la presse en nous attaquant pour « faux et usage de faux » au printemps 2012, tandis que nous ripostions en l’accusant de « dénonciation calomnieuse » (lire ici). L’enquête préliminaire menée par la police judiciaire ne lui ayant évidemment pas donné raison, Nicolas Sarkozy a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’été 2013, procédure qui donne automatiquement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour « faux et usage de faux ».

Mediapart, à travers son directeur de la publication Edwy Plenel et les deux auteurs de cette enquête, Fabrice Arfi et Karl Laske, a été placé fin 2013 sous le statut de témoin assisté dans ce dossier. Nous n’avons pas manqué de contester une procédure attentatoire au droit de la presse et de faire valoir le sérieux, la consistance et la bonne foi de notre enquête (lire ici et ).

De fait, nos révélations sont au cœur de l’information judiciaire ouverte un an plus tard, en avril 2013, pour « corruption » sur le fond des faits de cette affaire franco-libyenne qui inquiète grandement Nicolas Sarkozy et ses proches. C’est dans le cadre de cette instruction que Brice Hortefeux a été placé sur écoute (comme MM. Sarkozy et Guéant) par les juges Serge Tournaire et René Grouman. Le contenu de l’écoute Hortefeux a ensuite été versé dans l’enquête des juges René Cros et Emmanuelle Legrand, chargés d’instruire la plainte pour faux déposée par Nicolas Sarkozy. Placé sous le statut de témoin assisté dans ce dossier, Mediapart a accès au contenu de la procédure.

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