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En Moselle, le FN convoite la ville des hauts-fourneaux d'ArcelorMittal

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De notre envoyé spécial à Hayange.

Les jeudis matin, c’est marché : Hayange revit. Les rues, si vides le reste de la semaine, s’animent comme par miracle. Des familles, des retraités, des jeunes, des gens de toutes origines : une ville populaire, vieille cité de mineurs et d’ouvriers du fer italiens, polonais, maghrébins. Il y a des ballons pour les enfants. Ça sent le poulet rôti.

Les hauts-fourneaux, à l'entrée de la villeLes hauts-fourneaux, à l'entrée de la ville

Les six listes du premier tour – du jamais vu – ont envahi les étals et distribuent les tracts. Le maire et conseiller général socialiste, Philippe David, est là, en lice pour un quatrième mandat. Fabien Engelmann, blouson beige et chaussures vernies, dirige quelques militants : le trentenaire du Front national lorgne sur la mairie. Isabelle Iorio, jeune adjointe fâchée avec le maire, plaide pour la « démocratie participative ». L’agent immobilier Thierry Rohr, soutenu par l’ancien maire UDF, vante son profil de « gestionnaire ». Les tracts arides du parti ouvrier indépendant (POI) prédisent « la fin de la Sécurité sociale ». À Hayange, 16 000 habitants, il n’y a jamais eu autant de candidats pour une municipale. Le résultat de l’élection est incertain. Trois, voire quatre listes pourraient s’affronter au deuxième tour. La gauche est en difficulté, le Front national joue la victoire.

Les médias défilent : Hayange est un symbole. Plus grande ville de la vallée lorraine de l’acier, la Fensch, elle fut le cœur de l’empire paternaliste des Wendel : certains maîtres de forge de la famille reposent dans l’église monumentale qu’ils ont fait construire au XIXe siècle. Depuis la guerre, elle a souvent été gérée par le PS et le PCF. La gauche n’a pas empêché les mines de fermer, l’acier de partir, la ville de dépérir.

C’est à Hayange qu’étaient les derniers hauts-fourneaux ArcelorMittal de Lorraine, ceux que François Hollande n’a pas souhaité nationaliser partiellement. Les médias ont beaucoup parlé de Florange, où se trouvaient les bureaux de la direction et des syndicats, mais c'est à Hayange que les installations se trouvent. Les grandes tubulures tarabiscotées accueillent toujours le visiteur à l'entrée de la ville. Les hauts-fourneaux ne redémarreront jamais, témoins gênants de l’impuissance et des contradictions de la gauche au pouvoir.

Municipales obligent, c’est le défilé des politiques. Marion Maréchal Le Pen, pour soutenir le candidat Front national. Manuel Valls a fait une apparition. La semaine dernière, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, est venu motiver militants et candidats. Il leur a rappelé « l’état du pays dont nous avons hérité », les a exhortés à « remettre en perspective ce que nous avons fait ». Pas simple : dans cette terre ouvrière, la politique de la gauche au pouvoir n’enchante guère. « Quand le produit est compliqué à vendre, le service après-vente est difficile », déplore Jean-Pierre Liouville, le premier fédéral du PS en Moselle. Les socialistes locaux craignent l’abstention. « On sent une exaspération, on peut la comprendre », dit-il.

Dans le centre-ville. Cinéma "Le Palace"Dans le centre-ville. Cinéma "Le Palace" © M.M.

Chômage, hauts-fourneaux, impopularité du pouvoir socialiste, et maintenant cette polémique compliquée sur les écoutes de Nicolas Sarkozy, dont la plupart des habitants ne perçoivent que des échos confus : à Hayange, la détestation des politiques est dans bien des bouches. Sur le marché, on entend souvent : « Aucun ne vaut le coup d'être maire là-dedans », « s'ils sont si nombreux à se présenter, c'est que la place est bonne », etc. Daisy, 24 ans, n’a « jamais eu d’emploi fixe ». Elle a glissé un bulletin Mélenchon dans l’urne au premier tour en 2012, « donné une chance » à Hollande au second, votera FN dimanche. « Ni droite ni gauche, donc on se rabat sur les extrêmes, même si ça fait raciste. »

Sur les documents de campagne, le seul parti à afficher ses couleurs est le Front national. Les autres candidats préfèrent mettre en avant le faible nombre d'« encartés » sur leurs listes, se disent souvent « apolitiques » ou de seul intérêt local. Trois listes sur six ont « le bon sens » pour slogan (le FN, les listes Rohr et « divers gauche »).

Plusieurs décennies de crises et d'abandon ont comme dissous la politique. Enfant du cru et maire de Fameck, une ville à proximité, le député Michel Liebgott a dans son bureau des photos du champion de vélo Thomas Voeckler, et le portrait officiel de François Mitterrand, jauni – pas celui de François Hollande.

Il raconte : « Hayange, c’était la ville où l'on faisait les courses. On allait au cinéma. Il y avait les meilleurs gâteaux. » Depuis trente ans, la ville comate. Il y eu 23 000 habitants dans les années 80, ils ne sont plus que 16 000. Ont fermé : les mines, ArcelorMittal, le lycée technique, le tribunal d’instance, toujours à vendre. L’hôpital, plombé par les dettes, a dû cesser la chirurgie pour survivre. Le centre vivote. Les commerces tirent la langue, bon nombre sont fermés. 62 % des habitants ne paient pas d’impôts. Le Molitor, grande salle où sont passés Aznavour et Johnny, n’accueille plus beaucoup d’artistes. Des familles en demande d’asile sont logées dans un hôtel en plein centre-ville : leur simple présence déclenche toutes les aigreurs. Le chômage fait partie du décor. Les plus qualifiés s’en vont ou travaillent au Luxembourg, où les salaires sont une fois et demie plus élevés. À Hayange, un tiers des actifs travaillent de l’autre côté de la frontière.

Le maire Philippe David (PS), en lice pour un quatrième mandatLe maire Philippe David (PS), en lice pour un quatrième mandat © M.M.

La ville a raté le train de la reconversion. « On a été oubliés par tout le monde », peste le maire Philippe David. Il va bientôt signer avec Cécile Duflot un programme de rénovation du quartier le plus sinistre de la ville. « Pour garder les enfants ici », il voudrait que sa ville participe aux futurs projets industriels régionaux : une grande plateforme industrielle et fluviale, le centre de recherches sur l’acier promis par François Hollande lors de sa dernière visite, un pôle pour les entreprises chinoises en Lorraine, etc. Il aimerait une vraie « salle culturelle » afin de « donner de la joie, apporter du sourire ».

L’homme est attachant, mais il symbolise quoi qu’il en dise le déclin de sa ville. « À Hayange, il n’y a pas eu de choc de créativité. Les projets ont mis du temps à mûrir », juge Philippe Tarrillon, le président PS de la communauté de communes, homme fort de la vallée qui cumule mandats et fonctions. « J’ai le mauvais rôle : je fais tourner les pages. J’ai fermé des écoles, regroupé des associations. J’ai même tenté de regrouper les quatre clubs de foot de la commune qui nous coûtent cher : je me suis cassé la figure », se défend David.

Le «bon sens», slogan de campagne priséLe «bon sens», slogan de campagne prisé © M.M.

Ses opposants, mais aussi des partisans lui reprochent de faire « le mandat de trop ». Il repart avec des socialistes, une partie des élus PC, un ancien adjoint de droite. « J’ai fait l’ouverture », dit-il. Il espère virer en tête au premier tour, n’en est pas sûr du tout. « C’est la meilleure équipe que j’ai jamais eue, mais c’est la plus dure des campagnes. » « Il est soumis à toutes les critiques. Et il est socialiste : ça n’arrange pas… », explique Annelise Pellenz, la numéro deux de la liste, cégétiste qui craint le retour de la droite. Elle a voté Hollande à la présidentielle. Elle est déçue. « Faut que ça redémarre, surtout pour les jeunes. » Son fils de 26 ans vit chez elle, il multiplie les CDD courts. « Quand on vous propose de tout petits contrats, vous ravalez votre salive, vous signez quand même. » Elle dit : « Si le FN passe, je déménage. »

Le parti d’extrême droite fait ici de gros scores, et ça n’est pas nouveau. Marine Le Pen a réuni 27 % des voix à la présidentielle, juste derrière François Hollande, devant Nicolas Sarkozy. Dans le bassin minier, à l’est de la Moselle, elle a flirté avec les 40 %. Le Front national présente douze listes en Moselle. À Metz, Thionville et Forbach, les grandes villes. Mais aussi dans des communes plus petites. « Ils n’ont jamais eu autant de candidats », assure Jean-Pierre Liouville, le premier fédéral socialiste.

À Forbach, Florian Philippot, vice-président du FN, pourrait mettre en difficulté le député et maire socialiste Laurent Kalinowski. Les élus Front national vont faire leur entrée dans plusieurs conseils municipaux. Dans ce bastion d’élus socialistes, la droite et l’extrême droite vont aussi entrer dans les communautés d’agglomération, dont les conseillers sont désormais élus directement par les électeurs. Cela inquiète les élus PS du coin, habitués à décider entre eux.

Le Molitor, ancien haut lieu culturel de la vallée de la Fensch.Le Molitor, ancien haut lieu culturel de la vallée de la Fensch. © M.M.

Le frontiste Fabien Engelmann, conseiller social de Marine Le Pen, incarne ce FN soi-disant relooké. Ce jeune employé d'une mairie socialiste des environs parle posément et surfe sur le « vu à la télé » : ex-CGT, candidat Lutte ouvrière à Thionville aux municipales de 2008, il a fait parler de lui quand il a rejoint le Front national et s’est fait exclure du syndicat. Il est le seul des candidats à avoir ouvert un local de campagne, une boutique barrée d’un portrait géant de lui et de sa numéro deux, Marie Da Silva, assistante de rédaction au Républicain lorrain, passée par la CGT, aujourd’hui à Force ouvrière.

Pour constituer sa liste, le FN a diffusé un questionnaire dans les boîtes aux lettres et organisé des « apéros saucisson-pinard ». De nouvelles têtes sont apparues. Mais le renouvellement atteint vite ses limites. Récemment, un ancien du Front national local a affirmé dans le Républicain lorrain avoir été témoin de « petites plaisanteries racistes contre les musulmans » et d'« imitations d'Adolf Hitler ». Le Front national a annoncé une plainte. « A-t-il des preuves ? Moi aussi je peux raconter que mon voisin est pédophile. La mayonnaise ne prend plus, ça nous victimise », balaie Fabien Engelmann.

Le programme local du parti est assez léger. Il y est question de l’organisation de « repas dansants à thème » pour les personnes âgées, d’une réduction de 20 % des indemnités du maire et des adjoints, de l’interdiction de la « mendicité agressive » et de l'organisation d’une « fête du cochon ». Les aides sociales seraient « accordées au cas par cas ». « Engelmann n’a aucun projet pour Hayange, toute leur campagne est nationale, lance le maire. Il n’a besoin de rien faire : son fonds de commerce est établi, ils disent qu’il y a des pigeons dans les rues et que la ville est sale. » De fait, le programme du FN propose un « pigeonnier municipal afin de réduire la surpopulation des volatiles dans le centre-ville ».

Isabelle Iorio, candidate « divers gauche ».Isabelle Iorio, candidate « divers gauche ». © M.M.

D'autres candidats sont décidés à troubler le duel annoncé. Isabelle Iorio, adjointe sortante (photo ci-dessus), a fait sécession : sa liste « divers gauche » est soutenue par des figures de la CGT et du PC local. Elle l'a baptisée « Plus belle ma ville », référence à la série télé marseillaise. Iorio entend « inverser la spirale de l’échec » d'un maire en « fin de règne ». Elle ne fait pas de promesses électorales, annonce un grand « concours » pour définir avec experts et habitants la ville de demain. « Il y aussi un ras-le-bol par rapport à la politique nationale. Les gens souffrent, ils en ont marre », dit-elle. « Elle veut son ego, elle fait son sketch », balaie le maire.

L'agent immobilier Thierry Rohr, dont la trombine s'affiche toute l'année sur les murs des maisons à vendre, pourrait créer la surprise. « On est donné favori », plastronne-t-il, fort du soutien d’un ancien maire centriste, Alphonse Bourguasser. « Je veux redresser la barre. Dans la vallée, toutes les commandes sont à gauche, il n'y a pas de réelle opposition. Les gens ne veulent plus du maire sortant, et pas non plus des extrêmes. Le contexte national va jouer en notre faveur. » Alain Leyder, éternel opposant de la mairie PS, entend quant à lui « foutre en l’air la politique de gauche de Hayange ».

Dimanche 23 mars, Ali et Sandrine iront sans doute voter. Il est plasturgiste, elle est femme de ménage. Ils vivent à Hayange, travaillent au Luxembourg : jackpot, 4 600 euros net à eux deux. Ils ne croient plus aux politiques. « Sarko est venu ici, on a eu Hollande, ils nous promettent que les usines ne fermeraient pas. La gauche et la droite, les gens sont dégoûtés, dit Ali. Ils ont l'impression que tout le monde profite d'eux, qu'on les oublie. » « On ne voulait plus de Sarkozy, et on voit que c'est pire avec Hollande. » Il cite les « impôts », le « chômage qui ne baisse pas », les « retraités qui paient des impôts ». S’ils vont aux urnes, ce sera sans illusion, pour « contrer le Front national ».

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