Loin des bisbilles du VIIIe, des coups de théâtre du IIe et des petites phrases du XVIe, la campagne UMP du XIIe arrondissement fait figure de père tranquille dans la bataille de Paris. Pour rompre avec « les pratiques et les querelles du passé », Nathalie Kosciusko-Morizet a choisi de confier cet « arrondissement de la reconquête » à l’une de ses porte-parole : Valérie Montandon, une chef d’entreprise de 38 ans, élue du XIIe depuis 2008 et vice-présidente du groupe UMP du conseil de Paris depuis 2012.
Un choix hautement « symbolique », se plaît à souligner NKM. « La droite s’est beaucoup déchirée dans le XIIe par le passé, rappelle-t-elle en déambulant dans l’allée principale du marché Cours de Vincennes, un samedi de février. Il y a eu trop de parachutages… » De fait, en l’espace de six ans, la droite de cet arrondissement de l’Est parisien n’a connu que des candidats « venus d’ailleurs » : Arno Klarsfeld aux législatives de 2007, Christine Lagarde et Jean-Marie Cavada aux municipales de 2008, Charles Beigbeder aux législatives de 2012… Tous ont essayé de reprendre ce XIIe acquis à la gauche depuis 2001. Et tous s’y sont cassé les dents.
« La droite a eu raison d’arrêter le grand n’importe quoi », indique Alexis Corbière, candidat Front de gauche dans l'arrondissement. Certes, « pour une fois, ils n’ont pas investi une diva nationale venue sauver le XIIe », mais pour autant, « les problèmes de division de la droite n’ont pas été complètement réglés », estime-t-il. En témoigne la candidature de l’UDI Benoît Pernin – fils et petit-fils des anciens maires de l’arrondissement – qui après avoir vu la place de numéro 2 lui passer sous le nez – elle a été accordée au MoDem François Haab –, a finalement décidé de constituer sa propre « liste du centre, de la droite républicaine et de la société civile ».
« Benoît Pernin n’a pas été exclu de l’UDI malgré sa dissidence, souligne la candidate socialiste Catherine Baratti-Elbaz. Il a même reçu le soutien de Chantal Jouanno et d'Hervé Morin… » De son côté, l’UMP du XIIe fait mine d’ignorer cette candidature, tout comme Nathalie Kosciusko-Morizet ne prête aucune attention aux dissidences qui s'égrènent dans bon nombre d'arrondissements. La candidate à la mairie de Paris continue à se dire « très fière » d’avoir, à l’échelle de la capitale, « fait le choix de l’unité dès le premier tour, un choix particulièrement fort dans le XIIe ». À l'écouter, le reste ne serait qu'une question d'ego.
Pour briser la malédiction des parachutages à répétition, l'équipe de Valérie Montandon a fait du « local » et de la « proximité » les maîtres-mots de sa campagne. Un choix qui, là encore, colle parfaitement à la stratégie de communication de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui redouble d'efforts pour casser « l’image papier glacé que certains veulent lui coller », comme l’expliquait à Mediapart son directeur de campagne dans le XIVe.
Ce samedi pluvieux de février, sur le marché Cours de Vincennes, la candidate à la mairie de Paris parade, les mains dans les poches de son manteau. Goûte une fraise que lui tend un primeur. S’arrête sur le berceau des enfants. S’accoude sur les étals des commerçants. Lance un « yeeeeaahh » au placier du marché, avant de lui claquer une bise sonore.
« Ils font le show, c’est le jeu », plaisante un charcutier après le passage du groupe. Les militants du PS, qui tractent à quelques mètres de là, regardent la petite scène, l’air amusé. La plupart des passants sont indifférents. D’autres paraissent franchement agacés. Certains caddies forcent le passage en donnant des coups dans les chevilles, tandis que quelques personnes refusent de prendre le tract qu’on leur tend d’un hochement de tête catégorique.
« On nous écoute davantage parce qu’on est sur des enjeux très locaux, veut tout de même croire Frédéric, un jeune militant UMP présent ce jour-là. Les personnes que l’on rencontre voient bien qu’on n’est pas des professionnels de la politique et que notre discours n’est pas formaté. » Répéter autant que faire se peut que la liste UMP est exclusivement composée de personnes issues de la société civile et marteler que la politique n'est pas leur métier. Le discours n’est peut-être pas formaté, il n’en demeure pas moins bien rodé.
Mardi 4 mars, en début de soirée, Valérie Montandon effectue un porte-à-porte dans la très paisible Villa du Bel-Air, une voie pavée qui longe l’ancienne petite ceinture. Accompagnée de l’un de ses colistiers, Alexandre Bouchy, la candidate UMP sonne et frappe à toutes les portes d’un immeuble de neuf étages. Rares sont celles à s’ouvrir.
Aux quelques personnes qui consentent à leur parler, les deux compères déploient leurs arguments phare. « On est comme vous, explique Alexandre Bouchy à une jeune femme. On bosse la journée, on a des enfants, d’ailleurs ils nous attendent là. On ne fait pas de la politique par professionnalisme. » « Les gens sont très intéressés par le fait qu’on ait un métier, assure le numéro 2 de la liste, François Haab, qui attend au pied de l’immeuble. On sent qu’il y a un rejet du politique en général. Les municipales sont les meilleures élections pour réconcilier les gens avec tout ça, mais à condition qu’on leur parle de local. »
Les arguments de l'équipe UMP font sourire ses adversaires de gauche. « Valérie Montandon habite certes le XIIe, mais je n’ai pas l’impression qu’elle soit ni très présente ni très active », affirme le candidat EELV, Christophe Najdovski, qui se présente à Paris et dans cet arrondissement. « Elle dit qu’elle est chef d’entreprise, mais moi aussi j’ai un métier ! » moque la socialiste Catherine Baratti-Elbaz, avant d’ajouter : « En plus, ses entreprises sont à Marseille… »
Responsable de la section PS du XIIe et chef de cabinet du premier ministre en charge des relations avec les formations politiques, Emmanuel Grégoire estime pour sa part que Valérie Montandon « n’a pas de projet structurant dans l’arrondissement ». La Caserne de Reuilly ? Bercy-Charenton ? « Deux projets d’aménagement qui sont dans les tuyaux depuis longtemps, affirme-t-il. La candidate UMP est dans un détail qui ne parle pas aux électeurs. » Catherine Baratti-Elbaz va même plus loin pour évoquer le programme de son adversaire de droite : « La vérité, c'est qu'elle est beaucoup sur les sujets parisiens, mais très peu dans le XIIe. »
La propreté, la sécurité et le logement à destination des classes moyennes. Tels sont les principaux axes choisis par Valérie Montandon pour reconquérir l’arrondissement. Tels sont aussi les sujets grâce auxquels Nathalie Kosciusko-Morizet entend gagner la bataille de Paris. « Les thématiques du XIIe sont celles qui font la campagne de Paris, reconnaît cette dernière. C’est un des arrondissements dans lequel il y a plus d’évidences sur ces sujets. »
« On sent un vrai décalage entre les préoccupations des habitants et ce qu’on retrouve dans les journaux, qui est toujours très petites phrases, ajoute-t-elle. Je fais partie de ceux qui voudraient qu’on parle plus de fond et plus de projets. Les polémiques, c’est fait pour détourner les Parisiens des vrais sujets, mais comme vous pouvez le constater, ils ne se laissent pas détourner. »
Parmi ces « vrais sujets » : la sécurité. « Les cambriolages ont explosé. Les gens du XIIe ont peur de sortir de certains métros quand il fait nuit », poursuit NKM, soudain abordée par un homme : « Je compte sur vous ! Sauvez-vous ! J’en peux plus, lui dit-il. Il y a tout le temps des jeunes en bas de mon immeuble. Ils sont là, ils font leur deal. » La candidate UMP à la mairie de Paris prend alors un air connaisseur : « Ah ouais ? C’est quoi ? Haschich ? Coke ? » « Haschich », répond l’homme.
« Vous voyez ? Qu’est-ce que je vous avais dit ? » interroge NKM à l’adresse de Mediapart, avant de tourner les talons. L’homme nous explique alors avoir « toujours voté à droite » et « penser sérieusement à passer extrême droite parce que c’est plus possible ». Il s’appelle Patrick. Il a 38 ans. Et il vit dans le XXe arrondissement. Un peu plus loin, rue du Rendez-vous où le groupe effectue une visite de commerçants, une femme accoste Nathalie Kosciusko-Morizet pour lui expliquer que « (son) fils est harcelé par les flics alors qu’il s’installe simplement avec ses amis » dans la cité Debergue voisine. « Il va falloir s’occuper des vraies priorités Madame », lance-t-elle, avant de s'éloigner.
« Il n’y a pas de problème de sécurité dans le XIIe », assure de son côté la socialiste Catherine Baratti-Elbaz, visiblement agacée par le fait que la droite « instrumentalise les chiffres ». Le directeur de campagne de Valérie Montandon, Pierre Bourdon, est pourtant catégorique sur ce point : « Il y a une vraie demande de sécurité sur le terrain, dit-il. On nous demande des caméras, des policiers… » Frédéric, le militant UMP croisé un peu plus tôt, explique d’ailleurs que le tract sécurité « testé » auprès des habitants et des commerçants du boulevard Soult, à la périphérie du XIIe, « a été hyper bien perçu ».
Plus généralement, le jeune homme se dit « très étonné » de l’accueil reçu lors des porte-à-porte réalisés « dans les quartiers défavorisés ». « En faisant ces barres d’immeubles, on pensait qu’on souffrirait de l’image un peu droitière qu’on a eue dans les médias, mais pas du tout. Les discours qu’on tient et les valeurs qu’on défend sont mieux perçus dans les quartiers où il y a des populations immigrées et des gens qui ont peur du déclassement, que dans des quartiers comme Aligre, où tout se passe bien pour les habitants. » Et même dans ces quartiers plus favorisés, « les choses changent », note Isabelle Tavaux, numéro 3 de la liste UMP. « À Aligre, on s’est déjà fait insulter lors des campagnes précédentes, alors que maintenant, plus du tout. »
Le meilleur moyen d’estomper cette « image droitière » ? Insister sur l’union. Mercredi 12 mars, c'est d'ailleurs l'une des figures centristes de l'UMP, Jean-Pierre Raffarin, qui est venu soutenir Valérie Montandon sur le marché d'Aligre. « Pour l’alternance à Paris : la droite ET le centre. » En porte-à-porte, comme en tractage, les militants UMP du XIIe accentuent la liaison. Tous gardent en mémoire les dernières campagnes de la présidentielle et des législatives où « tracter du Sarkozy était beaucoup plus difficile que tracter du Montandon », selon Pierre Bourdon. « L'union avec le centre, c’est ce qui plaît beaucoup », se réjouit Isabelle Tavaux.
Valérie Montandon n’est pourtant pas issue du courant centriste de l’UMP. Responsable de Génération France – le micro-parti de Jean-François Copé – dans le XIIe arrondissement, cette copéiste pur jus faisait également tandem avec Charles Beigbeder, un proche du patron de l’UMP, lors des législatives de 2012. Celui qui est depuis entré en dissidence contre Nathalie Kosciusko-Morizet a d’ailleurs choisi de ne pas présenter de liste « Paris Libéré » face à son ancienne suppléante. L'an dernier, tous deux défilaient encore ensemble contre le mariage pour tous.
Liste édulcorée ou pas, Christophe Najdovski estime que « Valérie Montandon fait une campagne de droite tout ce qui a de plus classique ». Le candidat écolo, qui axe son programme sur le logement, s’étonne que l’on puisse encore parler d’insécurité dans un arrondissement aussi paisible que le XIIe.
En ce sens, il partage le point de vue de la socialiste Catherine Baratti-Elbaz, qui présentait, le mercredi 5 mars au Théâtre 12, son projet, celui d’un arrondissement que la députée PS de Paris, Sandrine Mazetier, a qualifié ce soir-là de « bienveillant ». Aux dires des habitants réunis pour l'occasion – dont beaucoup étaient sympathisants PS –, la campagne des municipales dans le XIIe est à l’image de leur arrondissement : il ne s’y passe pas grand-chose.
« C’est toujours très calme par ici, nous sommes vraiment à part de Paris », s’amuse Véronique, qui habite le XIIe depuis 1988 et a décidé « d’aller jeter une oreille » à ce que propose la candidate PS, en sortant de son cours de yoga. Excepté quelques nez rouges collés çà et là sur les affiches des candidats, les équipes de militants PS et UMP s’accordent à dire que chaque camp mène une campagne « très respectueuse ».
De là à parler d’ennui, il n’y a qu’un pas, que le candidat Front de gauche de l’arrondissement, Alexis Corbière, franchit aisément. « Il y a un ronronnement général, affirme-t-il. La bataille NKM-Hidalgo est une bataille sans passion. Le PS du XIIe fait campagne de manière tranquille. Quant à Valérie Montandon, elle mène une campagne honnête, mais enfin, tout cela ne crée pas franchement de dynamisme. Il n’y a pas de proposition forte qui marque. Les militants sont certes mobilisés, mais je ne sens aucun engouement chez les électeurs. » « C’est vraiment une campagne atone », renchérit l’écolo Christophe Najdovski.
Dans un tel contexte, Alexis Corbière a « du mal à croire les sondages flatteurs pour le PS ». Pour lui, « l’événement de cette élection risque d’être l’abstention ». « Le PS peut être en difficulté, ce qui l'amènera à engager des discussions avec des forces comme les nôtres. » Pour Catherine Baratti-Elbaz, ces discussions ne sont pas à l'ordre du jour, d'autant que la candidate socialiste rappelle que « les communistes sont avec (elle) » : « Corbière, c'est juste le Parti de gauche. »
Estampillé « bobo », le XIIe penche à gauche depuis plus de dix ans. François Hollande y a réuni 59 % des suffrages au second tour de l'élection présidentielle de 2012. Mais après deux années passées à la tête du gouvernement, les socialistes se trouvent aujourd'hui face à un « électorat déboussolé », indique l’écolo Christophe Najdovski.
« Beaucoup d'habitants de l'arrondissement ont voté à gauche, mais ils ne se reconnaissent pas dans les décisions qui sont prises par l’exécutif », précise-t-il. Catherine Baratti-Elbaz reconnaît elle-même qu’« il y a un peu plus de tentation d’abstention que lors des scrutins précédents » parce que « l’électorat de gauche s’interroge sur le national ». « Ça prend du temps à convaincre un abstentionniste, souffle la candidate socialiste. Mais tout cela avance, et plutôt dans le bon sens ! »
La droite peut-elle profiter de ce rejet de la politique gouvernementale ? Les équipes UMP du XIIe arrondissement en sont convaincues. Nathalie Kosciusko-Morizet aussi. « Je prédis à la gauche une grande surprise au soir du premier tour », a-t-elle encore répété le lundi 3 mars, lors d'un comité politique exceptionnel organisé à La Bellevilloise (Paris XXe). « Je n’observe pas une envie fabuleuse de droite », oppose Alexis Corbière. « Il n’y a aucun risque de droite dans le XIIe, tranche Christophe Najdovski. La droite est tout autant discréditée que la gauche, et encore plus avec la succession des affaires Copé, Buisson… »
Au-delà du PS ou de l’UMP, c’est l’ensemble de la classe politique qui semble poser problème aux habitants du XIIe, et plus largement aux Parisiens, selon le candidat EELV. « La défiance est généralisée, regrette-t-il. Ça se traduit par des discours fatalistes du genre “Voter, ça ne sert à rien”. Il y a une distance qui s’est creusée entre les citoyens et le personnel politique. » Un climat qui pourrait bénéficier au Front national et à son candidat dans l’arrondissement, Christian Vauge. « Fort heureusement, le FN n’est absolument pas présent sur le terrain. Vauge, c’est l’homme invisible de la campagne », glisse un militant socialiste.
Face au risque d’abstention, le PS et l’UMP du XIIe ont opté pour la méthode Coué. « Les gens iront quand même voter », « Je suis sûr que ça va le faire », « Ce sera moins pire qu’annoncé »… Des assertions que se répétent en boucle les militants de l'arrondissement pour rester motivés dans une campagne qui, à moins de quinze jours du premier tour, peine encore à intéresser les Parisiens.
BOITE NOIRECe reportage a été réalisé entre le 22 février et le 2 mars, à travers le XIIe arrondissement de Paris. Sauf mention contraire, toutes les personnes interrogées ont été rencontrées ou jointes par téléphone.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dossier partagé entre utilisateurs sous Linux