Depuis juillet 2012, la direction générale de la santé (DGS) a imposé, pour soigner la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), l’utilisation du traitement de référence, le Lucentis, alors qu’il existe un autre médicament, équivalent en termes d’efficacité et de sécurité, mais vingt fois moins cher, l’Avastin (voir notre article ici). La DMLA est une maladie de l’œil qui affecte environ un million de personnes en France et qui est la première cause de cécité après 50 ans. D’après les données de l’assurance maladie, les remboursements du Lucentis, commercialisé par Novartis, se sont élevés, en 2012, à 402 millions d’euros, et à 438 millions en 2013, ce qui en fait l’une des spécialités pharmaceutiques les plus coûteuses pour la Sécurité sociale.
Ce sont donc des centaines de millions d’euros qui auraient pu être économisés si la DGS n’avait pas, dans une circulaire du 7 juillet 2012, interdit l’utilisation de l’Avastin, anticancéreux vendu par Roche, pour le traitement de la DMLA. Le député Gérard Bapt, qui s’était déjà élevé contre ce gaspillage, vient d’adresser une lettre au directeur général de la santé, dans laquelle il demande le retrait de la circulaire de juillet 2012, jugeant « inacceptable de continuer à tolérer la rente de situation organisée par deux laboratoires capitalistiquement liés, au détriment des assurés sociaux français ».
La décision de la DGS était motivée par une interprétation réglementaire (l’Avastin n’a pas d’indication pour la DMLA dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché, AMM), mais elle avait suscité les protestations de plusieurs services hospitaliers d’ophtalmologie : ces derniers, notamment celui du groupe hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu, à Paris, et celui des Hospices civils de Lyon, avaient traité depuis des années leurs patients en utilisant l’Avastin plutôt que le Lucentis. D’après leur expérience, les deux produits étaient également efficaces et aussi bien tolérés l’un que l’autre.
Depuis, l’étude Gefal, menée par le CHU de Lyon et dirigée par le professeur Laurent Kodjikian, a confirmé que les deux traitements étaient équivalents (ce que démontraient déjà deux autres essais, CATT aux États-Unis et IVAN en Grande-Bretagne). À l’automne 2012, le gouvernement semblait avoir enfin pris la mesure du problème : Marisol Touraine, ministre de la santé, s’apprêtait à remédier à ce gâchis grâce à une modification législative figurant dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Il s’agissait, schématiquement, de contourner l’absence d’indication dans l’AMM par une « RTU », ou recommandation temporaire d’utilisation, qui aurait permis de continuer à utiliser l’Avastin pour la DMLA.
Mais le décret qui aurait dû mettre en œuvre cette mesure n’est toujours pas passé. Le directeur général de la santé, le professeur Vallet, a indiqué à Gérard Bapt qu’« une méta-analyse réalisée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) montre que les données actuellement publiées (…) ne permettent pas, dans l’immédiat, d’envisager favorablement l’emploi d’Avastin en hors AMM ». Cette position s’oppose pourtant aux conclusions de la littérature scientifique qui montre que l’Avastin n’entraîne pas plus de risques que le Lucentis et présente la même efficacité.
Gérard Bapt estime que le problème n’est plus seulement médico-scientifique mais relève d’une entente entre les deux laboratoires producteurs, Novartis et Roche. Ces deux laboratoires bâlois ont une longue histoire commune et des liens financiers.
L’autorité italienne de la concurrence, qui enquête depuis février 2013, estime qu’une entente illicite existe : « Les preuves accumulées montrent que depuis 2011, Roche et Novartis se sont entendus pour créer une différenciation artificielle entre produits et prétendre qu’Avastin est plus dangereux que Lucentis en vue d’influencer les prescriptions et les services de santé », affirme l’autorité italienne. Elle vient d’infliger aux deux laboratoires des amendes de 182,5 millions d’euros pour « entente illicite ».
L’autorité italienne considère que « les deux groupes ont conclu un accord illicite pour empêcher l’utilisation d’un médicament très bon marché, l’Avastin, qui traite la maladie de la vue la plus répandue parmi les personnes âgées ainsi que d’autres sérieux problèmes oculaires », afin de favoriser la prescription d’un produit beaucoup plus coûteux, le Lucentis. Cette entente aurait coûté 45 millions d’euros au système de santé italien en 2012.
Gérard Bapt demande que la Commission européenne mène une enquête pour « entrave à la concurrence ». Il a également appelé l’Autorité française de la concurrence à se saisir de l’affaire « afin de rendre un avis sur les pratiques potentiellement anticoncurrentielles des laboratoires Novartis et Roche ».
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