« Alors vous avez des infos pour le remaniement ? » Depuis deux semaines, les ministres du gouvernement ne pensent plus qu’au probable changement d’équipe. Comme leurs collaborateurs et l’appareil socialiste, ils guettent le moindre signe et lisent à peu près tout ce qui s’écrit sur le sujet. Tentent d’y déceler ce qui a été dit en off par leurs collègues, voire par François Hollande. Ils s’en piquent d’autant plus que la machine institutionnelle est presque à l’arrêt : campagne municipale oblige, le parlement est en vacances.
On les comprend, les ministres. Un gouvernement ressemble à n’importe quel collectif dans l’attente d’un plan social ou d’un changement de direction. Et cette attente leur semble d’autant plus interminable qu’elle s’étend sur plusieurs semaines. « On en est à un stade où beaucoup d’entre nous disent : remaniez-moi qu’on en finisse », plaisante une ministre. Un autre en a tellement marre que la gauche de gouvernement soit traitée de « nuls » qu’il jure être « content si ça s’arrête ». Et un dernier, dépité, lâche : « J’ai pas fait 40 ans de vie politique pour finir dans ce gouvernement. » Lui a la tentation de retrouver la collectivité locale dont il avait la charge, comme Christiane Taubira a la « tentation de Cayenne ».
En attendant, le feuilleton, largement alimenté par la presse, prend souvent des airs de farce. L’Opinion annonce Claude Bartolone à Matignon avant les municipales ? Les journalistes se précipitent à l’Assemblée ; le directeur de cabinet de l’ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis vient aux Quatre-Colonnes déminer une rumeur que les amis de “Barto” ont largement contribué à alimenter. La presse repart, déçue. Mais déjà prête à un nouveau scénario.
L’ombre de Manuel Valls plane toujours. Comme en novembre où il s’y était déjà vu – pas forcément à tort. Mais sa popularité baisse, entraînant avec elle sa cote apparente au marché des pronostics. Sauf qu’il y a VSD qui, la semaine dernière, choisit une Une d’une infinie prudence : « Manuel Valls, il va à Matignon. Pourquoi Hollande l’a choisi. »
Paris-Match enfonce le clou, avec un sondage sur « le gouvernement idéal souhaité par les Français » et cette phrase fascinante de dépolitisation et d’amour sondagier : « Face au dilemme du président, notre grand sondage lui donne des solutions. » C’est là aussi Valls qui sort en tête, et de loin, pour être à Matignon. Ses partisans – nombreux – s’en délectent. Et les ministres qui ne sont pas dans la course pour être chef mais espèrent rester dans le bateau gouvernemental, savourent d’être cités dans ledit sondage. Pour ne pas disparaître du paysage.
Quelques jours plus tard, le Journal du dimanche publie son dernier baromètre : surprise et pain bénit, un autre nom sort du chapeau. Celui de Laurent Fabius. « Fabius en tête », titre l’hebdomadaire en Une, puis « Fabius la revanche » dans ses pages intérieures. L’effet est immédiat. Dès le lendemain, une ministre au déjeuner ne voit plus que deux possibilités, Valls ou Fabius.
En parallèle se poursuit la course lente, moins spectaculaire et moins bruyante, de Jean-Marc Ayrault. Sa cote à lui est remontée. Parce qu’il a donné un entretien au Parisien dimanche, appelant à un gouvernement resserré. Des propos quasiment identiques tenus ce jeudi matin sur BFM. Une façon d’accréditer l’imminence du remaniement et de s’accrocher à Matignon. Et parce que plusieurs ministres proches de François Hollande, comme Michel Sapin ou Frédéric Cuvillier, continuent de le défendre.
De cette comédie où les responsables politiques alimentent la presse qui alimente les ministres pressés de connaître leur sort, il n’y a pas grand-chose à tirer. À part que parmi les favoris pour Matignon ne figure aucune femme. Et qu’aucun débat de fond n’accompagne ces hypothèses. Le remaniement qui devait, voilà encore quelques mois, symboliser un signal politique, n’est plus que l’espoir d’un nouveau souffle pour porter le pacte de responsabilité du président de la République. Le temps II du quinquennat, celui de la redistribution, a peu ou prou disparu dans les limbes élyséennes. De toute façon, c'est à l'Élysée que tout se décide, pas à Matignon.
Même le sort fait à la transition énergétique, dont sont censés dépendre les contours de la future majorité – avec ou sans les écolos –, rend les premiers concernés fébriles, tels Cécile Duflot, Arnaud Montebourg ou Philippe Martin. Mais elle ne semble pas préoccuper grand-monde.
Il n’est finalement plus question que de calendrier. Jusque-là, des proches de François Hollande juraient qu’il fallait attendre après les européennes, pour clore la séquence électorale et faire oublier les prévisibles défaites. Cela tombait bien : le pacte de responsabilité était prévu pour juin. Sauf que le président de la République, le nez sur les indicateurs économiques, pense qu’il faut aller vite. Pressés de s’entendre, le patronat et trois syndicats ont d’ailleurs trouvé un accord mercredi. D’où l’hypothèse d’un remaniement entre les municipales et les européennes. Et celle d’un gouvernement dit resserré. Il compte aujourd’hui 37 membres, 38 avec Ayrault.
Les ministres racontent que François Hollande a lourdement insisté devant eux sur le contre-exemple allemand. « On a tous vu son œil pétiller quand il en a parlé. Il a dit à Angela Merkel : “Bien sûr, c’est plus facile pour vous de vous déplacer à 16 que nous” », raconte l’une d’eux. « Le 19 février dernier, lorsque nous avons accueilli un conseil des ministres franco-allemand à l’Élysée, on a vu qu’il y avait quand même une petite différence de nombre », a aussi dit Ayrault au Parisien. Sauf qu’en Allemagne, il y a aussi des secrétaires d’État qui n’étaient pas du voyage et que chaque Land a son propre gouvernement régional.
En France, l’idée d’un « gouvernement resserré » revient à chaque remaniement ou presque. Sous Sarkozy, c’était déjà le cas. C’était même une promesse de campagne, elle n’a duré que le temps de la campagne des législatives. Et devinez quoi : en 2010, il était « moins resserré que prévu ». En 1995, le gouvernement d’Alain Juppé passe quant à lui de 43 membres à 32 au bout de quelques mois – huit femmes en font les frais (lesdites “juppettes”).
Sur le fond, le projet est loin d’être absurde : celui de construire le gouvernement autour de plusieurs pôles essentiels – la politique économique ; la transition écologique (écologie, énergie, transports) ; l’éducation, la jeunesse et la culture, etc. – animés par une personnalité influente, sous les ordres de laquelle plusieurs secrétaires d’État devraient se consacrer à des secteurs en particulier.
Mais les ministres en poste s’inquiètent déjà, dans ce cas, de voir leurs cabinets limités à 20 membres – c’est la règle que s’est imposée le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et qui n’est pas toujours suivie, au vu du nombre de chargés de mission dans certains cabinets, hors organigramme officiel. Pour que la règle fonctionne – c’était le discours initial –, il faudrait que les équipes ministérielles s’appuient davantage sur les administrations. Mais, d’après les témoignages de conseillers depuis deux ans, cela ne fonctionne pas. La faute au fonctionnement interministériel, à la lourdeur des procédures (la moindre note doit être validée par toute une hiérarchie de chefs avant de remonter au cabinet d’un ministre), au conservatisme supposé de l’administration qui serait rétive au moindre changement, à la RGPP qui l’a essorée et à Nicolas Sarkozy qui l’aurait durablement droitisée.
Le gouvernement resserré supposerait donc un changement dans le fonctionnement des institutions. Il supposerait aussi que l’équilibre entre tous les courants de la majorité et entre les personnalités du PS, dont les divergences se limitent parfois à des batailles d’ego plutôt qu’à des affrontements de lignes politiques, ne soit plus l’alpha et l’oméga de la composition d’une équipe. Mais Hollande a construit une partie de son parcours politique sur la « synthèse » entre les courants de la gauche.
Le président de la République a au moins un avantage à laisser prospérer toutes les rumeurs : celui de fixer l’attention médiatique loin des négociations sur le pacte de responsabilité, et le jeu de dupes sur les contreparties, et loin des discussions autour du plan d’économies de 50 milliards d’euros, dont plusieurs ministres doutent ouvertement et qui s’apparente à l’austérité version française.
Il confirme aussi l’essence de la Ve République, celle d’un président omnipotent, qui décide de tout et peut couper les têtes quand il veut. Cela ne peut que plaire aux éditorialistes qui dégoisent depuis deux ans sur le manque d’autorité du président.
D’ici là, le petit jeu va continuer. Mais Mediapart a un aveu à faire : François Hollande ne nous a pas appelés pour nous confier ses plans. Nous ne savons pas qui sera premier ministre.
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