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L'étau judiciaire se referme sur Dassault

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Serge Dassault, 88 ans, a le sens du contrepied. Et de l’humour. « Le sénat vient de lever mon immunité. C’est exactement ce que je lui demandais. Donc je suis très content », a réagi dans une vidéo, mercredi 12 février, l’industriel et parlementaire UMP, quelques minutes après l’annonce par le bureau du sénat de la levée de son immunité parlementaire. Celle-ci était réclamée par deux juges parisiens, Serge Tournaire et Guillaume Daïeff, qui enquêtent sur une affaire de corruption et d’achats de votes à Corbeil-Essonnes, dont le sénateur fut longtemps le maire (1995-2009) avant de laisser la place à l’un de ses employés, Jean-Pierre Bechter, suite à l’invalidation de son élection pour cause de votes truqués.

Serge Dassault dans le jardin du Sénat, le 10 mai 2011. Serge Dassault dans le jardin du Sénat, le 10 mai 2011. © Reuters

Milliardaire, industriel, propriétaire du Figaro, Serge Dassault est donc redevenu un justiciable comme les autres. Mais les juges ont dû s’y prendre à deux fois, après une première levée d’immunité empêchée, en janvier dernier, à la faveur d’un vote à bulletin secret au bureau du sénat.

Face à l’émoi suscité, le président de la haute assemblée, Jean-Pierre Bel (PS), avait annoncé que s’il devait y avoir un nouveau vote, il se ferait cette fois à main levée afin que chaque élu prenne ses responsabilités. L’appel du pied a manifestement été bien entendu par les juges qui, profitant d’éléments nouveaux découverts après une vague de gardes-à-vue, d’auditions et de mises en examen, ont formulé une nouvelle demande.

Après s’être battu comme un beau diable pour empêcher la levée de son immunité en janvier – il avait même écrit à tous les sénateurs du bureau pour les convaincre… –, Serge Dassault, comprenant que la bataille était perdue d’avance avec un vote à main levée, avait tenté une opération de communication audacieuse cette semaine en déclarant à l’AFP qu’il réclamait lui-même la fin de son immunité. Et ce, parce qu’il n’avait « rien à (se) reprocher ». Fallait-il dès lors en déduire qu’il avait des choses à se reprocher quand il bataillait ferme pour le maintien de son immunité ?

Quoiqu’il en soit, les juges et les policiers ont désormais les mains libres pour pouvoir entendre Serge Dassault sous le statut de la garde à l;vue et, dans la perspective d’une probable mise en examen, de lui imposer un contrôle judiciaire strict. Celui-ci peut, par exemple, lui interdire de rencontrer tel ou tel protagoniste du dossier. 

Les juges ont mis à la disposition du bureau du sénat de nombreux éléments de leur enquête pour justifier la levée de l’immunité de Serge Dassault. Dans le document fourni par les magistrats, d’importants versements d’argent, soupçonnés d’avoir alimenté un système organisé d’achats de votes à Corbeil, sont référencés. Les juges ont tenu à préciser que, d’après le sénateur, il s’agissait de prêts. Mais de prêts qui n’ont jamais été remboursés.

Neuf « observations » ont été énumérées par les juges dans ce document, selon plusieurs parlementaires qui en ont eu connaissance. En tout, il est question de plus de près de 7 millions d’euros. Parmi les heureux bénéficiaires des largesses de Serge Dassault, on retrouve par exemple l’actuel maire de Corbeil et candidat à sa succession, Jean-Pierre Bechter, déjà mis en examen dans le dossier. Il aurait perçu une somme de 350 000 euros pour “préparer” des élections. Jacques Lebigre, un autre proche du sénateur, secrétaire départemental de l’UMP et surnommé « le porteur de valise », aurait quant à lui reçu plus de 300 000 euros.

L’adjointe déléguée au logement et à la cohésion sociale de la mairie, Cristela de Oliveira (également mise en examen), a reçu de son côté 19 000 euros et, via un compte au Liban, 500 000 euros, comme Le Point s’en est déjà fait l’écho. Les enquêteurs s’intéressent en outre à de nombreux biens dont elle dispose au Portugal.

La somme la plus importante a été versée depuis le Liban, où Serge Dassault pouvait discrètement mouvementer des comptes, à Younès Bounouara (mis en examen) : deux millions d’euros. Actuellement en détention, Younès Bounouara a été mis en examen par des juges d’instruction d’Évry pour avoir tenté d’éliminer, en février 2013, un habitant de Corbeil, Fatah Hou, co-auteur d’un enregistrement clandestin accablant pour Serge Dassault dans lequel ce dernier avoue donner de l’argent de façon illicite. Sous surveillance policière, il expliquait lui-même ne plus pouvoir poursuivre ainsi ses sorties d’argent. 

Un ancien habitant d’un quartier populaire de Corbeil, Mamadou Kebe, présenté comme un acteur important du démarchage électoral pour Serge Dassault, a, lui, touché 1,2 million d’euros du sénateur. Il s’en est longuement expliqué à la police, puis au Monde cette semaine, accablant le sénateur.

Serge Dassault et ses avocats, qui multiplient les versions contradictoires au fil des ans et des soupçons, démentent cependant que cette prodigalité ait un lien avec des échéances électorales. Seulement voilà, selon Libération, les policiers en charge de l’enquête ont découvert lors d’une perquisition en juin 2013 au Clos des Pinsons, la résidence du milliardaire à Corbeil, une liste d’électeurs, avec les mentions« payé » ou « non payé ».

Dans la vidéo mise en ligne hier sur son site, Serge Dassault se drape dans son honneur : « On veut salir mon honnêteté et ma réputation. Je suis quelqu’un qui travaille. J’ai toujours travaillé dans le sens de la France. Je ne suis pas parti. Je suis resté en France. Je dépense mon argent à Corbeil et pas à Bruxelles. Personne n’a jamais dit que ce que j’ai fait à Corbeil-Essonnes, bah, c’est quand même formidable ! » Peut-être lui faudra-t-il avancer d’autres arguments pour convaincre les juges. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le Parlement de Turquie renforce le contrôle d’Internet


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