En finir avec les bidonvilles, de la même manière que la France des années 1960-70 s’est donné les moyens de résorber – partiellement tout du moins – l’habitat indigne. Tel est l’objectif ambitieux que se fixe le gouvernement de Jean-Marc Ayrault à travers la mise en place d’un plan national qui vise, sans le dire, principalement ces Européens démunis, issus le plus souvent de la minorité rom, installés dans des cabanons de fortune le long du périphérique, à proximité des axes routiers ou sur des friches industrielles.
À l’occasion de la présentation du rapport annuel sur l’état du mal-logement organisé par la fondation Abbé-Pierre, ce vendredi 31 janvier, au Palais des expositions de la Porte de Versailles, la ministre de l’égalité des territoires et du logement a prévu d’évoquer cette initiative d’envergure. Ce n’est pas un hasard : la journée de débats s’ouvre par une commémoration de l’appel lancé il y a soixante ans par l’abbé Pierre, qui a été l’un des premiers, à l’hiver 1954, à faire entendre la voix des familles vivant dans les bidonvilles. Selon nos informations, l’ensemble des préfets devraient « prochainement » être destinataires d’une lettre les informant de la mise à disposition de nouveaux outils pour les aider à trouver des solutions de logement aux sans-abri vivant dans des campements et menacés d’expulsion. Le premier ministre a donné son aval à l’envoi de ces instructions qui devraient être cosignées par la ministre du logement et le ministre de l’intérieur, en charge des questions d’immigration et d’intégration.
Un rôle majeur de coordination, d’ingénierie et de mise à disposition de chambres et studios est confié au bailleur « très social » Adoma, qui n’est autre que l’ex-Sonacotra, structure toujours majoritairement détenue par l’État, à laquelle les pouvoirs publics avaient fait confiance il y a quarante ans pour leur politique de relogement. À l’époque, la population résidant dans les taudis était estimée à 100 000 personnes, parmi lesquelles beaucoup d’Algériens et de Portugais, à Nanterre, Noisy-le-Grand ou Champigny-sur-Marne. Aujourd’hui, le nombre de migrants concernés est nettement inférieur. Selon les estimations du préfet Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (Dihal), qui rassemble les données fournies par l’ensemble des préfectures, ils seraient environ 17 000, dont 25 % d’enfants, répartis dans 400 campements informels. L’objectif, indique-t-on au ministère du logement, est de faire entrer ces personnes dans le droit commun. Aucun dispositif particulier n’est prévu pour elles. Autrement dit, l’approche consiste à traiter cette question comme un problème de bidonvilles, plutôt qu’un problème de Roms.
Malgré un premier été du quinquennat socialiste marqué par la multiplication des expulsions encouragées par le ministre de l’intérieur, sept ministres du gouvernement, dont Manuel Valls, avaient signé, selon la volonté du premier ministre, une circulaire du 26 août 2012 visant à anticiper les évacuations afin que soient proposées des solutions de relogement. Un an après, le constat a été fait que des efforts sont réalisés ici et là mais qu’ils restent insuffisants pour changer la donne.
Récemment, la Ligue des droits de l’homme (LDH), le European Roma Rights Centre (ERRC) et Romeurope ont observé que les démantèlements de campements illégaux ont atteint un record en 2013, 21 537 personnes ayant été délogées (certaines l’ayant été plusieurs fois). À l’automne, les propos du ministre de l’intérieur martelant que les Roms ne souhaitent pas s’intégrer en France pour des raisons culturelles et qu’ils ont « vocation » à retourner en Roumanie et Bulgarie ont suscité la polémique. Cécile Duflot, lors des journées parlementaires d’Europe Écologie-Les Verts, a accusé son collègue d’être allé « au-delà de ce qui met en danger le pacte républicain ». Elle en a appelé à « la responsabilité du président de la République », comparant ces déclarations au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy de l’été 2010. À son tour, Manuel Valls a jugé « insupportables » ces critiques, contraignant François Hollande à rappeler à l’ordre ses ministres lors de la réunion hebdomadaire à l’Élysée.
Conçue au ministère du logement alors que la tension était à son comble, la mission confiée à Adoma, élaborée dans un cadre interministériel sous l’égide de Matignon, a obtenu le soutien de Manuel Valls, ce qui était indispensable pour qu’elle ne reste pas lettre morte. Mine de rien, Cécile Duflot impose toutefois sa vision du dossier. « Nous voulions sortir d’une approche ethnicisée. Vivre dans un taudis n’est pas le résultat d’un mode de vie, c’est la conséquence d’une extrême pauvreté. Pour nous, la question est celle de l’habitat. Le problème, ce ne sont pas les personnes qui y vivent, mais les bidonvilles eux-mêmes », indique-t-on dans son entourage, où l’on rappelle le caractère inconditionnel de l’accueil par l’État en hébergement d’urgence.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la circulaire du 26 août 2012. Sans empêcher les expulsions, il renforce les mesures de prévention et d’accompagnement social en donnant aux préfets des moyens d’intervention supplémentaires. Depuis un an et demi, les représentants de l’État ont mis en œuvre de manière très inégale les préconisations officielles. Des « diagnostics » sociaux ont été réalisés (des fonds avaient été dégagés à cet effet), mais souvent trop tardivement et trop succinctement pour permettre aux intéressés de trouver une solution durable. Dans de nombreux cas, lorsque les expulsions interviennent, quelques nuits d’hôtels sont proposées aux familles. Il n’est pas rare que celles-ci les refusent pour différentes raisons : l’éloignement des écoles et des lieux de travail, la dispersion des familles, la saleté, l’impossibilité de faire la cuisine et de laver le linge.
Sachant qu’au bout d’une poignée de jours les occupants sont renvoyés vers le 115, saturé, beaucoup préfèrent retrouver un emplacement dans un campement. À chaque fois, le temps perdu pour les pouvoirs publics est énorme, il faut tout reprendre de zéro, de l’école à la médecine de ville, en passant par la protection maternelle et infantile (PMI). « Nous ne nions pas les difficultés, Manuel Valls a su faire entendre la parole des maires et des riverains, mais nous tenons à montrer que les expulsions en soi ne règlent rien. Elles sont parfois indispensables, mais il faut ne pas perdre de vue que le circuit démantèlement, errance, réinstallation, expulsion, est un cercle vicieux qui met à bas tout le travail social », affirme-t-on au ministère.
La mission d’Adoma, qui doit encore faire l’objet d’une convention avec l’État validée en conseil d’administration, est détaillée dans une annexe à la lettre que recevront les préfets. Elle comporte deux volets : d’une part « une intervention globale d’ingénierie sociale », selon ce document ministériel, qui vise à coordonner l’action des acteurs concernés sur le département (services de l’État, collectivités, associations) afin d’actualiser les diagnostics sociaux et mobiliser les ressources de logement existantes. Sont listées les possibilités : centres d’hébergement ; logements familiaux dans le diffus, dans le parc des bailleurs sociaux ; logements relevant du patrimoine de l’État, des collectivités locales, des hôpitaux publics, des comités d’entreprise, de La Poste, de la SNCF, de RFF, etc. ; logements modulaires préfabriqués sur des terrains publics disponibles ; ou encore places en hôtels « pour faire face à des situations de crise et d’urgence ». L’ensemble du territoire est mis à contribution, afin que les zones moins touchées par la crise du logement viennent en aide aux régions les plus concernées (Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes et PACA).
Un peu à la manière d’une Mission de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous), Adoma est aussi chargé de « s’assurer de l’accès effectif (de ces personnes) au droit commun », notamment en matière de couverture santé, de prévention et soins, d’aides sociales, d’aide alimentaire et vestimentaire et de scolarisation des enfants.
D’autre part, l’opérateur s’engage à « mettre à disposition ses capacités vacantes existantes en mobilisant l’ensemble de son parc » d'une capacité totale de près de 70 000 logements. Alors qu’un vaste plan de rénovation des foyers de travailleurs migrants est en cours depuis plusieurs années, le document précise que la nouvelle mission ne doit pas se faire au détriment des précédentes, en particulier la prise en charge des immigrés âgés et des demandeurs d’asile. Prendre appui sur les partenariats existants et impliquer les collectivités territoriales : telles sont, en terme de méthode, quelques-unes des règles établies. « La mission s’attachera à prendre en compte la situation spécifique de chacune des familles, leur souhait de s’intégrer, leur situation au regard du droit au séjour et ne devra pas faire obstacle à l’éloignement des familles ou des personnes lorsque celui-ci sera requis », note le document.
Le gouvernement espère une relative discrétion en matière de communication. « Il a été question de reporter la mise en œuvre de ce projet après les élections municipales, mais on ne peut pas tout décaler. Suffisamment de temps a été perdu, il y a urgence, nous devons avancer », indique-t-on au ministère du logement. « On va tout faire pour ne pas alimenter la pompe à haine », ajoute-t-on.
D’où un certain flou sur les contours budgétaires. Programmé pour trois ans, avec une montée en charge progressive, ce plan devra relever plusieurs défis : faire face aux critiques qui ne manqueront pas de lui être adressées, à tort ou à raison, de favoriser un « appel d’air » des populations pauvres venues de l’Est de l’Europe ; obtenir la mobilisation des préfets sans lesquels rien ne bougera ; et prendre en compte les expérimentations locales, afin de profiter des savoir-faire des acteurs engagés, parfois de longue date, sur le terrain.
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