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«J'ai 55 ans. Je cherche du travail»

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Trop jeunes pour partir en retraite. Trop vieux pour représenter l’avenir. Ces chômeurs ont tout juste la cinquantaine, mais l’étiquette « seniors » leur colle à la peau. Et plus le temps passe, moins ils pourront l’arracher. Les chiffres publiés ce 27 janvier le démontrent : si le chômage des moins de 25 ans baisse de 0,4 % (-0,3 % sur un an) en catégorie A, celui des plus de cinquante ans bondit de 1,3 % (+11,6 % sur un an). Le chômage des seniors a doublé en cinq ans, pour franchir en juin dernier la barre du million, toutes catégories confondues (voir l'ensemble des chiffres sous l'onglet Prolonger). 

Le 6 août dernier, Nathalie Michaud a donné un visage à cette catégorie de chômeurs. Devant les caméras, la voix tremblante, cette mère de famille, à l’allure fluette, interpelle le président de la République François Hollande alors qu'il s'apprête à visiter une agence Pôle Emploi à La Roche-sur-Yon, en Vendée : « C’est bien de s’occuper des jeunes mais nous... » À 52 ans, faute d’emplois, elle a dû retourner vivre chez ses parents. Cinq mois plus tard, elle vit toujours au domicile parental. 

Mediapart l'a retrouvée et a choisi de donner également la parole à six autres chômeurs de son âge. Car si le gouvernement mise sur le contrat de génération au démarrage très poussif, et sur la réforme des retraites pour soutenir le maintien dans l’emploi des quinquas, il ne propose aucun outil pour redonner une dignité à ceux qui sont exclus du marché du travail depuis des années. Qu’ils soient anciens ouvriers ou cadres supérieurs, tous partagent la même amertume, la même angoisse face à l’âge de la retraite qui recule. Et la même incompréhension : pourquoi le monde du travail ne veut-il plus d’eux ?

Premiers mois de chômage, premières interrogations

Gérard Carrier a tout de suite très mal vécu le fait de ne plus travailler. « Je me souviens du premier jour. Je me suis levé, j’ai regardé par la fenêtre et je me suis dit : mais qu’est-ce que tu vas faire ? Tu ne vaux plus rien. » Cet ancien cadre logistique de la région lyonnaise, qui travaillait « 10 à 15 heures par jour » a été pris d’une peur qui ne l’a plus lâché, celle de « vivre au crochet de la société ». Gérard Carriez raconte avoir perdu 10 kilos au cours des trois premiers mois.


Chez Jean-Paul Gaudin, la crainte de l’irrémédiable n’est apparue qu’au bout d’un an. Après être tombé au chômage en 2009, il parvient en effet à conserver quelques missions, pense d'abord à « une transition ». Mais depuis 2010, « plus rien de significatif ». Ancien directeur financier d’un grand groupe anglo-saxon de matériel informatique, puis patron d’une entreprise de traduction de manuels de téléphonie, il atterrit brutalement. « Un jour, à l’APEC (association pour l'emploi des cadres), je me suis retrouvé entouré de plein de gens formidables de mon âge qui ne trouvaient pas d’emploi. J’ai compris. »

S’ensuit un profond malaise : « L’impression de ne servir à rien. De n’avoir rien fait de ma vie. » Et des regrets : « Je me dis que je n’ai pas bien choisi ma voie. » À 56 ans, lui qui gagnait encore 12 000 euros par mois il y a quelques années, se prend à regretter de ne pas avoir fait médecine, comme il l’avait envisagé près de 40 ans plus tôt.

À 59 ans, Gérard Verdun n'a pas vécu les choses de cette manière. Quand le centre dans lequel il travaillait comme éducateur a fermé, il était usé de ces 34 années passées à aider des adolescents en difficulté. « Je ne sais pas ce que j’ai ressenti. J’étais tellement à bout, c’était tellement dur les dernières années que je n’avais même pas les ressources pour me projeter. Je ne savais pas si j’étais soulagé ou affligé, content ou horrifié. Parce que quand même, se faire lourder à 54 ans, ce n’est pas simple. »

Odette MorelOdette Morel © @dr

 

Odette Morel en sait quelque chose. Elle a vécu ce traumatisme à deux reprises. Ouvrière à l'usine de sachets de thé Fralib au Havre, elle est licenciée une première fois en 1998 lorsque le groupe Unilever transfère la production à Gémenos dans les Bouches-du-Rhône. À l'époque, elle fait partie des cinquante salariés sur la centaine de salariés havrais sacrifiés qui acceptent leur mutation vers le sud. « Quand le plan social nous est tombé dessus, le sol s'est dérobé sous mes pieds. J'avais 46 ans, trois enfants, j'étais séparée. Je n'avais jamais connu le chômage, j'étais effrayée, surtout dans cette région sinistrée par la désindustrialisation, je n'avais aucun diplôme. J'ai accepté la mobilité même si ce fut un sacrifice car j'ai dû laisser un de mes enfants. »

Odette Morel se rappelle que « certains collègues n'ont pas réussi à s'acclimater et sont remontés dans le nord au bout de trois mois ». Elle, elle a tenu treize ans avant d'être « de nouveau jetée en 2007 » : « Je suis revenue au Havre. J'avais 55 ans. Cette fois, j'étais fatiguée car travailler à l'usine, c'est une vie raccourcie par la pénibilité, les horaires de nuit, les gestes répétitifs. Je me suis dit : puisqu'ils ne veulent plus de moi et que je travaille depuis l'âge de 14 ans, je vais prendre le chômage jusqu'à la retraite pour me reposer un peu. » Le plan n’a cependant pas fonctionné : « Pôle Emploi et Sarkozy m'ont harcelée. J'étais constamment convoquée mais il n'y avait jamais de boulot pour moi. Il n'y en avait déjà pas pour les jeunes. »

Sa sœur, Sylvie Lucas, qui travaillait également chez Fralib, a fait un choix différent : elle a refusé la mutation vers le sud de la France, son mari travaillant au grand port maritime du Havre. Elle avait 42 ans. Pendant douze ans, elle ne connaîtra plus d'emploi stable, vivra de petits boulots, à temps partiel, tournés vers l'aide à domicile ou en milieu hospitalier, le service aux personnes âgées. Jusqu'à ce que le chômage « l'emprisonne définitivement à cinquante ans », en octobre 2010 suite au décès de la personne âgée dont elle s'occupait.

Le tabou de l’âge

Aucun n’avait réalisé que l'âge pouvait constituer un tel obstacle. « Au début, vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous cherchez partout, hors du département, mobile ; mais vous ne trouvez pas », raconte Nathalie Michaud. « Alors vous vous remettez en cause, vous vous dépréciez : "je dois être nulle". Jusqu'à ce que vous rencontriez des gens dans la même situation que vous. Vous réalisez que ce n'est pas un problème de CV, ni de comportement lors des entretiens, mais votre âge. On ne vous le dit pas forcément ouvertement mais on vous le fait comprendre. Et chaque année qui passe vous angoisse. Car vous avez un an de plus et que cela aggrave votre cas. »

Certains voudraient que les choses soient dites. Mais les réponses diffèrent, plus ou moins hypocrites. « À Pôle Emploi, j’ai demandé si mon âge pouvait constituer un handicap, raconte Jean-Paul Gaudin. Mon référent a fini par me répondre : "Je ne vais pas vous dire le contraire, je vous mentirais." Son bilan le prouve. «J’ai répondu à près de 300 annonces très ciblées, pour seulement deux ou trois entretiens au final. Tandis qu'une amie de 40 ans au parcours comparable décroche des rendez-vous régulièrement, même si c’est également compliqué pour elle. »

Jean-Paul Gaudin se rappelle avoir lui-même « eu des réticences » quand il était en position de recruter des seniors. « Alors, aujourd’hui, je me dis que c’est bien fait pour moi. » Il tente d’expliquer : « Quand on a 40 ans, on se dit que quelqu’un de 55 n’est plus au top de sa forme, de sa santé, ou de l’évolution technologique. »

Il a envoyé des CV sans âge, pour voir. « Mais ça ne trompe personne. Vous avez un parcours, vous avez réalisé un certain nombre de choses : vous ne pouvez pas avoir 40 ans. Il fallait aussi enlever les années d’obtention de diplôme : ça faisait bizarre. »

Gérard Carriez abonde : « Les gens se disent : il va avoir 55 ans ; le directeur d’agence aura 35 ans. À cet âge, il sera moins maniable. Et même si vous faites des concessions au niveau du salaire, il y a la peur que vous réclamiez plus au bout d’un an. »

Selon Hervé Brunner, 56 ans, qui avait une entreprise d’aide au système d’information en ressources humaines, les préjugés sont tenaces : « Le senior a une image vieillotte. On l’imagine loin des nouvelles technologies, pas capable de s’intégrer. » Jean-Paul Gaudin confirme : « Il n’y a pas longtemps, j’ai montré à un ami plus jeune comment son nouveau téléphone marchait. Il n’en revenait pas. On nous imagine déconnectés. »

Il faut dire que parfois, un décalage existe. Odette Morel raconte : « En 1974, quand j'ai été embauchée par Fralib, on nous demandait de compter jusqu'à dix. Si on réussissait l'examen, on était pris. Aujourd'hui, pour faire des sachets de thé, il faut avoir bac +3. Les gens de mon âge n'ont aucune chance. Notre société, nos gouvernements sont hypocrites, ils veulent nous faire croire qu'à 55 ans, on a encore une place sur le marché du travail alors que les employeurs et les conseillers de Pôle Emploi te rappellent constamment que plus que ton CV, c'est ton âge qui est un handicap. »

Nathalie MichaudNathalie Michaud © reuters

Pôle Emploi et les formations

Sylvie Lucas enrage : « Pôle Emploi, c'est de la poudre aux yeux pour les seniors au chômage. Moi, j'ai ramé, j'ai changé de conseiller en vain, toujours la même chanson, je demande une formation d'animatrice auprès des enfants, la conseillère me dit : "Ah non, vous êtes trop vieille, ce n'est pas pour vous." Je voulais rebondir, devenir aide-soignante, passer le concours. On m'a refusé une VAE (validation des acquis de l'expérience) car mon parcours professionnel ne correspondait pas au métier visé ; à croire que j'étais maçon. Je ne demandais pas grand-chose, simplement une formation concrète pour retravailler car aujourd'hui, même pour faire de l'aide à domicile, il faut avoir fait Sciences-Po. C'est très humiliant à 55 ans de vouloir un tel poste et d'entendre la conseillère vous demander si vous savez récurer les toilettes. »

Nathalie Michaud, elle, utilise la notoriété qu’elle a acquise face à François Hollande : « Je ne lâche pas Pôle Emploi d'une semelle. Lorsqu'ils ne veulent pas m'aider, je les menace de rameuter une nouvelle fois les journalistes. C'est ce que j'ai fait il y a un an et demi pour obtenir le financement d'une formation en ressources humaines en contrat de professionnalisation. J'avais envoyé plus de 300 lettres à des employeurs. En vain, personne ne voulait me prendre en contrat pro. Je ne pouvais donc pas suivre cette formation qui avait été validée par Pôle Emploi. J'ai embêté mon agence Pôle Emploi jusqu'à ce qu'ils me la financent à hauteur de 1 500 euros. »

De son côté, Gérard Verdun s’est senti incompris : « Je n’avais pas d’exigences fortes. Mais je n’avais plus envie de me taper de l’internat avec des ados placés. J’en avais trop souffert. Dès les premiers mois de mon chômage, j’ai reçu une lettre du directeur de Pôle Emploi qui m’accusait d’avoir été agressif. Alors que je disais simplement les choses fermement. Ensuite, ils m’ont accusé de ne pas être aux rendez-vous téléphoniques fixés alors qu’ils n’avaient pas appelé. Je me suis senti trahi. Maudit. »

Sans qu’il en connaisse la raison, Gérard Verdun a même été radié des listes il y a quelques semaines. « Je me suis demandé si c’était pour arranger leurs chiffres. » De toute façon, pour lui, « l’emploi, c’est fini ». Deux formations qu’il a suivies – l’une de coordinateur maladie Alzheimer, l’autre d’accompagnateur social – ont fini de l’en persuader : « Dans ces formations, c’était la jungle. Les gonzesses avaient entre 25 et 45 ans, et un vieux comme moi… Je me suis fait massacrer. C’est difficile à expliquer. Il y a comme une sorte de compétition : tout le monde est dans les starting-blocks, a envie de briller au détriment des autres. Je n’étais pas habitué à ça. 34 ans d’internat, ça secoue, ça abîme. On a besoin d’un peu de compassion. Mais ça n’intéressait personne. Ni à Pôle Emploi ni dans les formations. Je n’ai eu ni écoute, ni échange, ni attention. Alors que je n’attendais que ça après les années de pression que je venais de traverser. »

Le découragement

« Je réponds encore à des offres d’emploi. Ça entretient une illusion, un projet. Pendant trois semaines, on s’imagine refaire sa vie. Et puis ce délai passé, on sait que la réponse n’arrivera jamais. On revient à l’état d’avant. » Jean-Paul Gaudin ne se dit pas pour autant découragé : « Ce n’est pas mon caractère. Mais il faut que je trouve une solution et je ne vois absolument pas ce que je peux faire. Je n’ai pas d’idée. Je ne suis pas aigri au point d’aller mettre une bombe quelque part mais j’ai fait mes études en France, j’y ai travaillé, et je ne peux pas y mettre en œuvre ce que j’ai construit. Je ne peux en faire profiter personne. » Il souffle. « On est tellement nombreux dans cette situation. Au niveau d’un pays, c’est dramatique. »

Gérard Carriez dit avoir « envoyé des courriers à tout le monde, au président de la République, à des députés, au Conseil général. On vous mène en bateau. Une députée m’a répondu : “On travaille sur le contrat de génération”. Pff... »

Gérard Carriez essaie tout ce qu'il peut : « Je prends la voiture, j’embarque 50 CV avec moi, je les dépose à l’accueil d’entreprises. Je ne sais pas s'ils remontent aux bonnes personnes mais au moins, je fais quelque chose. Je me dis que si mes courriers ne suffisent pas, il faut que je tente, que je me démarque des autres. » Il a encore des droits et ne se voit pas vivre demain avec le RSA. « Quand j’ai un moment de blues, je me dis qu’il y a des gens sur des lits d’hôpital. Il faut savoir se rebooster. »

Hervé Brunner cherche dans un secteur qui ne connaît pas la crise et l’absence de réponse ne fait que renforcer sa douleur : « Il suffit de taper SRH-emploi sur Google pour s’apercevoir que les offres sont très nombreuses. Mais moi, je ne décroche même pas un entretien. C’est profondément injuste. Je ne comprends pas. Un entretien, quand même… Juste un. »

Odette Morel souhaitait déménager. « Je voulais m'acheter des meubles mais parce que j'étais au chômage, personne ne voulait me faire de crédits, m'aider. J'étais une paria, une profiteuse, une assistée. Alors je me suis mise à mentir parce que je ne supportais plus d'appartenir à cette catégorie. Je disais : je suis pré-retraitée. Mais cela ne marchait pas pour autant. Petit à petit, je me suis découragée comme des milliers de personnes frappées par le chômage. »

Le regard des proches

Nathalie Michaud dit avoir « de la chance. J’ai une famille à l'écoute, qui me soutient, qui sait que je ne reste pas affalée sur mon canapé. Mes frères m'ont encouragée à retourner chez mes parents plutôt que de m'enfoncer financièrement en voulant garder à tout prix mon appartement. » Aujourd’hui, Nathalie Michaud travaille épisodiquement. Titulaire d'un DEUG de psychologie, elle est arrivée en fin de droits à la fin 2012, avant de retrouver par elle-même un job de surveillance dans un lycée en 2013. Elle gagne 500 euros par mois. « Le regard des autres qui vous disent "mais il y a plein de boulot, comment se fait-il que tu ne trouves pas, tu ne dois pas chercher ou alors tu es nulle", est parfois très difficile à supporter, lourd de culpabilisation mais c'est en train de changer car la crise est telle aujourd'hui que tout le monde connaît dans son entourage une personne victime du chômage. »

« Le chômage te transforme que tu le veuilles ou non, que tu prennes soin de toi ou non, psychologiquement, physiquement, explique Odette Morel. Tu perds confiance, tu rases les murs, c'est un quotidien de galères matérielles et d'humiliations. Moi, j'ai tenu grâce à mes enfants. Ils entraient dans la vie active, je ne voulais pas les fragiliser, je devais garder la tête haute, je me suis fait violence. »

Sa sœur Sylvie tient aussi grâce aux proches : « Si vous n'êtes pas soutenu dans cette épreuve, vous vous flinguez. Moi, j'ai la chance d'avoir mon mari et mes enfants à mes côtés... En revanche, je ne dis pas aux amis, aux connaissances que je passe des entretiens sans succès. J'ai peur qu'on me prenne pour une moins que rien, une ratée... »

Gérard Carriez pense à sa fille, culpabilise : « Elle essaie de me rassurer. Elle me dit que je ne l’ai même pas vue grandir tellement j’ai travaillé, que je n’ai rien à me reprocher, que je ne suis pas responsable de ma situation. Elle n’a pas tort. Mais je n’arrive pas à me le dire. » Gérard Carriez ressent une forme de honte, ou de gêne : « À part ma famille proche, personne ne sait que je n’ai pas de travail. Au cinéma, je refuse la réduction. C’est inconcevable de dire que je vis au crochet de la société. Et je n’ai pas envie d’en parler aux gens. J’ai trop mal. Ça remue. »

Et plus encore quand le regard se fait accusateur : « Certains regards veulent dire : “Avec ton profil, si tu ne trouves pas, c’est que tu n’as pas dû suer beaucoup”, observe Hervé Brunner. Les doutes existent même parmi les proches. Ma compagne me dit : "Peut-être que tu devrais t’y prendre autrement ?" Les gens essaient de trouver une explication cohérente et ils ne croient pas à la raison de l’âge. Quand j’évoque mes 57 ans, on me dit : “Revois ton CV. Il doit être mal rédigé. Ou ta lettre de motivation.” Alors que vous avez envoyé 100 CV, et qu’en 35 ans de métier, vous n’avez jamais eu aucun problème. Même les seniors en activité ne peuvent pas comprendre la situation des seniors en recherche s’ils ne l’ont pas vécue. »

Gérard VerdunGérard Verdun

Même ceux qui sont passés par là ne trouvent pas forcément les mots adéquats : « Mon père a perdu son emploi dans la sidérurgie, explique Gérard Verdun. Mais il n’a pas pour autant trouvé les mots. Tout de suite, il était dans la logique de l’emploi. J’aurais aimé qu’il me dise :“Je t’aiderai si ça ne va pas.” Ces paroles compassionnelles ou réconfortantes m’ont manqué. C’est compliqué de se retrouver dans une telle relation avec son père à cet âge. De devoir lui demander quelque chose. Et de devoir rendre des comptes. »

S’occuper

Au bout de quelques mois, Jean-Paul Gaudin ne sait plus où se mettre : « Ma femme est assistante maternelle. Elle reçoit des enfants à la maison. Je ne savais pas où aller. J'étais coincé dans une pièce, et je ne me voyais pas m'y morfondre toute la journée. » 

Il décide alors d’aller voir ailleurs : « J’ai trouvé quelque chose à faire du côté du Maroc, où j’aide deux entreprises au niveau de la gestion. En échange, ils me logent et j’ai une petite indemnité d’environ 1000 euros. C’est une sorte de stage. À mon âge. » Jean-Paul Gaudin ne s’en cache pas : il cherche juste à s’occuper. « Je suis éloigné de ma famille, je n’ai pas vraiment de couverture sociale, je ne valide pas mes points de retraite. C’est pas une vie. » C’est cependant celle qu’il a choisie, faute de mieux. « J’essaie d’être utile et je sais que je peux l’être. Si je trouvais à faire le même travail en France, même bénévolement, je le ferais. Mais je ne trouve rien. »


Pour combler le vide, Hervé Brunner a écrit un roman. Il projette d’en rédiger un autre, peut-être sur les chômeurs longue durée. Car comme le dit Odette Morel, « le plus dur est de se lever le matin en sachant que tu n'as rien à faire. C'est une maladie qui te ronge de l'intérieur jour après jour comme si on te tapait sur la tête en permanence. Je comprends que des collègues basculent dans la boisson ou se suicident. Pour me sortir de cet enfer psychologique, j'ai rejoint les Restos du cœur. Je suis devenue bénévole. Cela m'a permis de m'occuper l'esprit, les mains, de voir que je n'étais pas seule. D’ailleurs, il n'y avait là que des chômeurs ou des petites retraites ».

Sa sœur Sylvie Lucas fait aussi du bénévolat, tout en essayant parallèlement de compléter le salaire de son mari : « En octobre, mon allocation de 800 euros s’est terminée. Fin de droits. Alors je travaille au black à droite à gauche, je fais des ménages chez les personnes âgées. Au moins, je sers à quelque chose. À 39 ans, on me disait que j'étais trop vieille pour aller à l'usine, alors à 55 ans... Mais je continue chaque mois à me déclarer auprès de Pôle emploi contrairement à beaucoup de chômeurs, qui disparaissent des statistiques lorsque leurs droits leur sont retirés. »

Nathalie Michaud a créé un blog, Les mendiants de l'emploi, et monté un collectif. « On a pris contact avec le Medef local pour organiser des tables rondes car on oublie trop souvent d'inviter des chômeurs dans les débats. On pense aux chefs d'entreprise, aux syndicalistes, jamais aux chômeurs. »

Cette semaine, suite à la démission d'une collègue, elle est passée à plein temps. « Ça va me permettre de doubler mon salaire, 1000 euros au lieu de 500. Mais je reste en CDD (jusqu'en juillet) avec l'épée de Damoclès du chômage. Faire de la surveillance dans un lycée, ce n'est pas un emploi viable jusqu'à 65 ans, ce n'est pas un métier que l'on peut faire à vie. »

La retraite

Odette Morel vient d’atteindre la retraite : « J'aurais dû y avoir droit en 2011 après 42 ans de travail, mais à cause de Sarkozy et de sa réforme de 2010, j'ai dû attendre l'été 2013. Deux ans d'humiliations supplémentaires. Je ne comprends pas pourquoi la droite et maintenant la gauche reculent l'âge de départ à la retraite alors que dès cinquante ans, on te pousse vers la sortie du marché du travail. C'est absurde, c'est assassin. »

Un raisonnement largement partagé parmi ceux que nous avons interrogés. Beaucoup ne savent pas quand exactement ils pourront toucher leur retraite. Ni de combien ils disposeront. « À force de ne pas cotiser... », résume Jean-Claude Gaudin.  

Nathalie Michaud ne veut même pas y penser. « Je sais que j'aurai tout juste droit au minimum vieillesse. Ma seule obsession, c'est travailler. Je n'ose imaginer atteindre 65 ans suite à 15 années d'allocations chômage. » Après avoir interpellé François Hollande, Nathalie Michaud a été invitée à rencontrer le président : « Il m'a parlé de leur volonté de mettre en place un contrat de professionnalisation pour les seniors. Mais je ne vois toujours rien dans la boîte à outils du gouvernement en faveur des plus de quarante ans, seulement des mesures tournées en faveur des jeunes. »

Gérard Verdun, l’ancien éducateur, témoigne d’un même désarroi : « La retraite, je ne l’attends pas mais je l’attends quand même. Mais est-ce qu’il n’y aura pas des changements politiques d’ici là ? De nouveaux reports ? Surtout, je n’ai pas vraiment l’impression d’y avoir droit. Il y a une forme de culpabilité. Pour moi, la retraite, ça devait être l’arrêt du travail. Ç'aurait été plus qu’un bonheur : une exaltation. J’en ai tellement bavé. Mais là, je ne sais même pas si je peux dire que je l’aurai méritée. »

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