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Flashball : un sapeur-pompier de 31 ans mutilé

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Cette fois, c’est un jeune sapeur-pompier de la caserne de Seyssinet-Pariset qui manifestait avec ses collègues, qui a été mutilé, vraisemblablement par un tir de LBD 40×46, le flashball nouvelle génération. Il vient s’ajouter à la longue liste des victimes de ces armes, une vingtaine depuis 2004 selon notre décompte.

Le 27 décembre 2013, quelque 150 sapeur-pompiers manifestent devant les grilles de la préfecture de l’Isère où doit exceptionnellement se tenir le vote du budget 2014 du service départemental d’incendie et de secours (Sdis), déjà reporté à deux reprises à cause de la mobilisation. Opposés à l’allongement sans compensation de leur durée de travail (lire sous la page Prolonger), les sapeurs-pompiers de l’Isère ont engagé depuis plusieurs semaines un bras de fer avec la direction du Sdis et leur employeur, le département. Face aux barrières de sécurité et la centaine de CRS déployés pour empêcher l’accès à la préfecture, les sapeurs-pompiers allument des feux de palette, jettent des œufs, de la farine et de l’huile. « De quoi faire un bon gâteau », plaisante Frédéric Bologna de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers. 

Le reportage de France 3 Alpes

Tout bascule quand des pompiers entreprennent d’arroser les CRS et de forcer le passage. « Des collègues ont mis en place une lance à eau directement sur un poteau à incendie, donc sans aucune pression. C’est ce qu’on fait l’été en caserne pour se rafraîchir », nuance Quentin Charron, sorti de l'hôpital le 3 janvier et joint par téléphone. « C’était juste pour les mouiller, nous ne voulions pas les blesser, dit Frédéric Bologna. Nous travaillons au quotidien avec eux, nous ne sommes pas inconscients ! Mais ils se sont sentis agressés. » Les policiers ripostent par des tirs de lanceur de balles de défense, de grenades lacrymogène et de désencerclement. « Il y a eu des tirs tendus et des collègues ont été mis en joue, c’était complètement disproportionné et inacceptable », dénonce Jean-Louis Mondange, représentant isérois de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers. Son collègue Frédéric Bologna affirme ainsi avoir été mis en joue par un policier muni d’un lanceur de balles de défense « à 5 ou 10 mètres » de distance.

« Les policiers visaient ceux qui tenaient la lance à eau, qui se sont pris des tirs dans le torse et aux doigts », explique un sapeur-pompier de Vienne, 30 ans, qui, comme Quentin Charron, a tenté de fuir cette scène de « guérilla urbaine ». « Je suis passé 4 ou 5 mètres derrière les pompiers qui tenaient la lance à eau et tout d’un coup, en me retournant, j’ai pris une balle perdue », raconte Quentin Charron. L’impact d’une « extrême violence » le couche dans les bras de son collègue. « Je l’ai évacué dans une rue voisine, car il avait une hémorragie à l’œil, décrit ce dernier. J’ai vu le globe oculaire en sang, le nez explosé, la paupière arrachée, et j’ai fait le 18. » Le sapeur-pompier de Vienne a d’abord pensé à un éclat de grenade, car « c’est arrivé exactement au moment où ça s’est mis à fumer autour de nous »

A l'hôpital, le 29 décembre 2013.A l'hôpital, le 29 décembre 2013. © DR

Opéré à plusieurs reprises, Quentin Charron souffre d’un éclatement du globe oculaire et de multiples fractures au nez, à l’orbite de l’œil et à l’arcade sourcilière. Des blessures qui lui ont valu 45 jours d’incapacité  totale de travail (ITT) selon ses parents. « La dernière opération (du 10 janvier, ndlr) a confirmé que l’œil était perdu : il pourra au mieux voir des ombres », précise son ami Sylvain Renard, 30 ans, qui exerce lui aussi à la caserne de Seyssinet-Pariset. « Du point de vue de sa pratique professionnelle, sa carrière va être compromise », redoute son avocat Me Arnaud Levy-Soussan. Dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur Manuel Valls (à lire ici), Claudine Charron s’étonne que ce dernier ne soit pas venu au chevet de son fils au CHU de Grenoble. « Accordez-vous plus d'importance à la souffrance d'un policier qu'à celle d'un pompier ? interroge-t-elle. Pourtant tous les deux dépendent 
de votre ministère ! »

Dans les casernes et sur les camions du Sdis isérois, les inscriptions de soutien à Quentin se multiplient. Les pompiers ne décolèrent pas, d’autant que l’un d’entre eux avait déjà été blessé par les forces de l’ordre lors d’une précédente mobilisation le 12 décembre 2013. « Nous avons fait quatre manifestations avec des regroupements massifs de pompiers, décompte Frédéric Bologna. Les deux fois, où il y avait les forces de l’ordre, il y a eu des blessés. »  

L’enquête préliminaire a été confiée à l’antenne lyonnaise de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), après que la sûreté départementale a récupéré les premiers éléments de preuve (communications radio, films, vidéosurveillance). Selon Quentin Charron, qui a pu visionner les films des caméras de vidéosurveillance, c’est bien un tir de lanceur de balles de défense effectué par un CRS, et non un éclat de grenade, qui l’a mutilé. « Nous avons retravaillé jeudi matin (16 janvier 2013, ndlr) sur les vidéos avec l’IGPN (l’Inspection générale de la police nationale), explique le sapeur-pompier blessé. Sur la vidéosurveillance de la préfecture, on voit que c’est bien un tir de lanceur de balles de défense qui m’a atteint. »

Photo postée sur la page Facebook de soutien à QuentinPhoto postée sur la page Facebook de soutien à Quentin © DR

Contacté, le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, ne peut confirmer, attendant encore les retours de l’enquête. « C’est possible, c’est même peut-être probable, mais c’est prématuré de l’affirmer, indique-t-il. Plusieurs choses ont été utilisées : des grenades à main et à fusil, ainsi que des lanceurs de balles de défense. Il faut refaire le film des événements, savoir quelle est l’arme utilisée, dans quelles circonstances, et si c’est constitutif d’une faute pénale. » Le règlement d’emploi du LBD interdit son usage au-dessus de la ligne des épaules, sauf en cas de légitime défense. Et le jeune sapeur-pompier « n’était pas du tout en situation de représenter un danger pour les policiers », souligne son avocat.

À l’issue d’une marche de soutien à Quentin qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes, les parents et la compagne du jeune pompier ont été reçus le 4 janvier 2013 par le préfet de l’Isère, Richard Samuel. « Le préfet a reconnu que c’était lui qui avait donné l’ordre de tirer pour ne pas laisser passer les pompiers, assure Claude Charron, 60 ans. On a compris que pour lui les pompiers étaient des voyous, même s’il n’a pas utilisé ce terme. » Contacté, le préfet de l’Isère n’a pas souhaité nous répondre, arguant de l’enquête préliminaire en cours.

« A priori, les forces de l’ordre ont eu l’ordre formel de la hiérarchie de tirer », affirme également Quentin Charron, précisant que l’IGPN lui a même expliqué que « ce serait délicat au pénal, car le tireur a obéi à un ordre ». En avril 2012, le tribunal correctionnel de Nantes avait relaxé pour ce motif un policier qui avait éborgné cinq ans plus tôt un jeune manifestant de 16 ans. Selon l’article 122-4 du Code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Et le tribunal de Nantes avait estimé que l’acte du policier, qui avait tiré sur le lycéen malgré la grille métallique qui les séparait, n’était pas « manifestement illégal ». « C’est un permis de crever les yeux », avait déploré l’avocate du plaignant.

Le jeune sapeur-pompier et son avocat envisagent d’attaquer l’État devant le tribunal administratif. En janvier, le tribunal administratif de Paris a reconnu pour la première fois la responsabilité du préfet de police de Paris, condamné à indemniser un étudiant blessé par un tir de flashball. « Moi j’aimerais surtout que les responsables soient punis, mais j’ai l’impression que ce ne sera pas le cas, regrette Quentin Charron. Même si je reçois des dommages et intérêts, ce n’est pas ça qui me rendra mon œil. » Entré chez les sapeurs-pompiers de Paris à 22 ans avant de passer le concours de pompier professionnel, Quentin Charron venait d'être promu sergent fin novembre 2013. « Et puis le 24 décembre au soir, il a été convoqué pour lui dire qu'il n'y avait plus de budget et que les grades étaient remis en cause », soupire son père. La principale préoccupation du jeune sapeur-pompier est aujourd'hui de savoir s’il pourra continuer à travailler sur les camions. « J’ai encore trente ans devant moi, dit-il. Et je ne pourrai pas rester trente ans derrière un bureau… »

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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