« À l’échelle de l’histoire, le Front de gauche ne peut pas quand même pas se prendre les pieds dans le tapis d’un logo… » Clémentine Autain aimerait tant que le Front de gauche, dont elle est l’une des porte-parole (pour le mouvement Ensemble !), ne se fracasse pas dans la division stratégique, qu’elle observe en spectatrice impuissante entre le parti communiste (PCF) et le Parti de gauche (PG). Que Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon posent à nouveau ensemble sur les photos. Au moins se sont-ils reparlé, ce vendredi, dans un restaurant parisien du parc des Buttes Chaumont. Une « bilatérale », selon le jargon communiste, après plus de quatre mois à s’éviter, sauf le temps d'une manif un peu frisquette, le 1er décembre dernier, ou d’un clash madrilène devant les partis frères européens, peu avant Noël.
Entourés de leurs délégations respectives (sept dirigeants de chaque côté), ils ont discuté 2 h 30 durant, de l’avenir de leur alliance, des conséquences du virage libéral de Hollande, des prochaines élections européennes… « Une vraie discussion politique, se félicite Éric Coquerel, secrétaire national du PG aux relations extérieures, qui prouve que la crise est surmontable. » Mais un obstacle préalable se dresse encore en travers du chemin de la réconciliation : quid du logo du Front de gauche aux prochaines municipales ?
Le débat n’est pas que symbolique, il résume la fracture entre communistes et mélenchonistes, récurrence de l’éternel débat de la gauche radicale : le refus, ou pas, de toute alliance avec le PS. Après les controverses sémantiques sur la « majorité alternative », voici désormais que le PG milite pour que le Front de gauche s’identifie comme l’« opposition de gauche » au gouvernement. Une radicalisation verbale, « la politique le stylo à la main », comme aime à le dire Mélenchon, que rejoindrait presque Pierre Laurent. Même s’il préfère parler d’« opposition au gouvernement », visiblement beaucoup plus soucieux de ménager les déçus potentiels de Hollande parmi les responsables socialistes et écologistes. « Une majorité des électeurs de François Hollande cherche peu à peu une autre voie, sans pour autant souhaiter le retour de la droite, analyse le secrétaire national du PCF en marge de ses vœux, lundi dernier. La question de l’alternative va se poser inéluctablement, ne serait-ce que parce qu’il n’y aura pas d’amélioration de la situation, avec de tels choix politiques. »
Mais Jean-Luc Mélenchon est, comme souvent, d’humeur plus combative et moins attentiste. Lors de ses vœux à la presse, ce jeudi, l’ancien candidat à la présidentielle a promis : « En 2014, ça va secouer ! » Et de souhaiter « que les solfériniens perdent un maximum de positions au profit de l’autre gauche ». Devant quelques micros, il expliquera ensuite ne pas avoir « quitté le PS (en 2008 - ndlr) pour ça : revenir au point de départ et être assimilé à la gauche des solfériniens, comme un Maurel ou une Lienemann ».
Lui et son Parti de gauche ne digèrent toujours pas le choix des militants parisiens du PCF, fortement influencé par la direction communiste, de rejoindre la liste de la socialiste Anne Hidalgo dès le premier tour. Sur son blog, il estime le Front de gauche « en lambeaux ». Alors, pas question de voir la marque Front de gauche, déposée à l’Inpi par le PG, sur les affiches socialistes. Surtout à Paris, mère de toutes les batailles aux yeux de Mélenchon. « Il n’est pas pensable d’utiliser le logo de notre démarche stratégique autonome au profit du matériel électoral socialiste, alors même que – en plus ! – Hollande prépare une “grande union des libéraux”, assène Éric Coquerel. Les communistes doivent prendre leurs responsabilités. »
Au PG, on estime ce « logogate » (Mélenchon a même menacé de poursuites judiciaires) « difficilement contournable, en tout cas nécessaire pour passer à la suite ». Et si au PCF, le responsable des relations extérieures, Francis Parny, estime que « pour débloquer la situation, il faut en finir avec les propositions bloquantes », d’autres sont conscients qu’il va falloir « faire un geste ». « Il ne faut pas qu’il y ait de propriétaire unique ni que certains se sentent délégitimés, plaide Marie-Pierre Vieu, responsable au PCF de l’animation du Front de gauche. On a constaté que Jean-Luc ne cherchait pas la rupture, il communique à nouveau avec Pierre. Il est clair qu’au second tour, le Front de gauche appellera à battre la droite, que l’on participe ou pas à l’exécutif. On peut enfin réamorcer des débats, il ne faut pas tout foirer… »
Désormais, l’affaire du logo devrait se régler directement entre les deux leaders du Front de gauche, Laurent ayant modifié son agenda en urgence, pour finalement retrouver Mélenchon à la manifestation syndicale contre l'austérité à Marseille, ce samedi. Compromis possible : le PCF utilise le logo du Front de gauche pour des meetings qu’il organise seul dans la capitale, mais pas pour les affiches, tracts ou rassemblements socialistes. Reste à savoir si l’insistance du PG se bornera à Paris, ou concernera d’autres villes connaissant des situations similaires, comme par exemple à Toulouse ou Nantes, où le PCF entend apposer le logo sur les affiches du candidat PS.
Si le dénouement devait être heureux pour le cartel de l’autre gauche, les autres points mis en débat lors du « Yalta des Buttes Chaumont » pourraient être réglés relativement aisément. Tout le monde semble d’accord sur la répartition des têtes de listes aux européennes, trois pour le PCF et le PG, une pour Ensemble ! (qui regroupe alternatifs, communistes unitaires et anciens de la LCR et du NPA). « Il reste encore à savoir qui va où », avertit tout de même Clémentine Autain. Le cas de l’eurodéputée sortante Marie-Christine Vergiat, qui se revendique Front de gauche et non communiste, risque aussi de poser problème, personne ne souhaitant l’assumer sur son quota.
Quant aux autres revendications du PG, elles semblent ne pas heurter la direction du PCF. L’autonomie électorale future du PCF vis-à-vis du PS ne fait pas débat. « Aux régionales, il y avait déjà une large majorité des régions qui étaient Front de gauche au premier tour, rappelle le communiste Francis Parny. Et pour les cantonales, personne ne peut imaginer que le PS nous propose une alliance. » La proposition de Mélenchon, qui aimerait qu’un vote d’adhérents du Front de gauche vienne départager les différends stratégiques, recueille un avis plus réservé. « 95 % des membres du PCF ne veulent pas d’un parti unique », prévient Parny. « Après les élections européennes, nous sommes d’accord sur l'idée de “s'ouvrir” et redynamiser le Front de gauche », rassure Marie-Pierre Vieu.
Des « états généraux de la révolution fiscale » sont annoncés par le PCF « avant l’été ». Certains plaident pour des « assises du Front de gauche » dans la même période. Tous assurent que ces rassemblements doivent être « ouverts ». « Le budget 2015 va être très problématique pour la majorité gouvernementale, pronostique Pierre Laurent. À nous de réunir un arc de force très large pour défendre d’autres choix fiscaux. On doit faire vivre une démocratie de mise en mouvement. » « Pour redevenir attractif, il faut arrêter de se diviser, et donc sortir du tête-à-tête entre le PCF et le PG, abonde Clémentine Autain. En discutant avec les autres organisations, mais aussi les intellectuels et le mouvement social. On doit être mordant contre le gouvernement, mais aussi positif vis-à-vis de la société. »
Autain dit ne pas goûter « l’idée qu’il y aurait deux gauches », mais elle enchaîne : « Après le discours de Hollande, je suis bien obligée de le constater. » Paradoxalement, la droitisation du « gouvernement social-démocrate », tel qu’il est désormais présenté par François Hollande, peut faire les affaires du Front de gauche. « Ça nous redonne de la respiration, c’est clair, convient Mélenchon en marge de ses vœux. On nous dégage la piste. » Pour Pierre Laurent, « 2014 doit être l’année où tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans le cap de François Hollande se mettent à travailler ensemble ». Si cela peut déjà être le cas de ceux qui se reconnaissent dans le Front de gauche…
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