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Bettencourt : échec de l’opération anti-juges

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Les grandes manœuvres visant à faire dessaisir les trois juges d’instruction bordelais en charge du dossier Bettencourt ont échoué. Annoncée à grands roulements de tambour, la requête en dépaysement examinée mardi par la chambre criminelle de la Cour de cassation (lire notre article ici) a été rejetée ce jeudi matin.

Dans un arrêt que l’on peut lire ici, la chambre criminelle donne une courte mais cuisante leçon de droit aux avocats des sept mis en examen – dont Nicolas Sarkozy – qui réclamaient à grands cris le dépaysement du dossier vers un autre tribunal.

Sarkozy quittant le tribunalSarkozy quittant le tribunal

 

« Attendu qu’il est allégué dans la requête qu’un collège de l’instruction du tribunal de grande instance de Bordeaux, chargé de la procédure dans laquelle les requérants sont mis en examen, ne présenterait pas toutes les garanties d’impartialité pour avoir procédé à la désignation et à la rémunération d’un expert dans des conditions irrégulières, et avoir tenu, personnellement ou par avocat, des propos polémiques », écrit la Cour, « il s’agit, dès lors, non pas d’une requête en suspicion légitime visant une juridiction, mais d’une requête en récusation », qui aurait donc dû être déposée auprès de la cour d‘appel de Bordeaux.

Cette nuance juridique de taille semble avoir échappé à l’avocat général Gilles Lacan, qui avait requis mardi le dépaysement du dossier en raison d’éléments pouvant « faire naître un doute dans l'esprit de certains mis en examen sur l'impartialité des juges », cela malgré l’avis contraire du procureur de Bordeaux et du procureur général de la cour d’appel (comme l’a révélé Mediapart).

Pour Christophe Regnard, président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), cette décision de la chambre criminelle n'est pas une surprise.  « C'est un magnifique plantage des avocats de la défense. Plutôt que de faire de la communication, ils feraient mieux de faire un peu de droit », a-t-il lancé ce jeudi sur France Info.

« La polémique vient au départ des avocats de Nicolas Sarkozy et de ses proches qui s'en sont pris très violemment aux magistrats instructeurs. Le but est de faire monter la pression et d'arriver à ce qu'ils soient mis en position difficile », a rappelé pour sa part Françoise Martres, la présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche).

Malgré cette gifle, les avocats de la défense, qui semblent décidés à épuiser toutes les voies procédurales, entendent se tourner maintenant vers la première présidente de la cour d‘appel de Bordeaux, pour réclamer la récusation de chacun des trois juges d’instruction de l’affaire Bettencourt.

Mais une telle démarche est probablement vouée à l’échec, dans la mesure où les trois magistrats instructeurs ont achevé leur instruction depuis le 28 mars. En outre, le parquet de Bordeaux s’est déjà exprimé dans un long communiqué, le 10 mai, sur ses réquisitions de non-lieu en faveur d’Éric Woerth et Patrice de Maistre dans le volet « trafic d’influence » de l’affaire Bettencourt (lire notre article ici).

Le 30 mai, les avocats de sept des mis en examen (à savoir Nicolas Sarkozy, Éric Woerth, Patrice de Maistre, Stéphane Courbit, François-Marie Banier, Martin d’Orgeval, et Carlos Verajano) s’étaient offusqués des liens entre le professeur Gromb et l’épouse du juge Jean-Michel Gentil (lire notre article ici), puis des réponses des juges Valérie Noël et Cécile Ramonatxo aux attaques lancées par eux-mêmes.

Mardi, devant la chambre criminelle, ce sont les avocats de Françoise Bettencourt-Meyers et du tuteur de Liliane Bettencourt qui ont dû prendre la défense des juges d’instruction. « Cette requête prétend recueillir les fruits d’une campagne contre un juge qui a été d’une grande intensité », avait remarqué Me Didier Bouthors. L’avocat ajoutait ceci, au sujet des articles sur la présence du professeur Gromb au mariage du juge Gentil en 2007 : « L’allégation par voie de presse peut faire craindre l’existence d’investigations poussées sur la vie privée et l‘intimité des magistrats. »

Liliane BettencourtLiliane Bettencourt

Ces attaques répétées contre les juges d'instruction bordelais attestent, s’il en était besoin, le caractère sensible du dossier Bettencourt et son importance.

C’est surtout Jean-Michel Gentil qui a été ciblé. Outre la réception de lettres anonymes et de menaces de mort, assez courante dans les affaires politico-financières, ce magistrat du tribunal de Bordeaux s’est vu accuser (à tort) par l’avocat de Sarkozy d’avoir confondu « Betancourt » et « Bettencourt », puis d’avoir signé une « tribune politique ».

Nicolas Sarkozy lui-même aurait menacé le juge – à mots couverts – de ne pas « en rester là » après sa mise en examen. Enfin, Henri Guaino a lâché que Jean-Michel Gentil avait « déshonoré la justice », puis refusé de se rendre une convocation de police en appelant les députés UMP à le défendre.

La bataille procédurale n’est pas achevée pour autant. Plusieurs demandes de nullité de la procédure doivent être examinées le 2 juillet par la chambre de l’instruction de Bordeaux, qui a déjà dû reporter l’audience à deux reprises en raison des demandes de dernière minute des avocats. Dans un réquisitoire du 31 mai, révélé par Mediapart, le parquet général près la cour d’appel de Bordeaux considère que la procédure est régulière, et se prononce pour un rejet de la demande d’annulation de la mise en examen de Nicolas Sarkozy, déposée le 24 avril par son avocat.

La défense de Sarkozy et des principaux mis en examen semble décidée à tout mettre en œuvre pour éviter un procès public, quitte à jouer la montre. Si la régularité de la procédure est confirmée et qu’ils ne sont pas récusés, le juge Gentil et ses deux collègues devraient rédiger leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel dans les semaines qui viennent.

Ayant mis Nicolas Sarkozy en examen pour abus de faiblesse, les juges devraient, en bonne logique, le renvoyer devant le tribunal. Dans ce cas, un espoir subsisterait encore pour l’ex-président : que le parquet de Bordeaux considère les charges contre lui insuffisantes, requière un non-lieu et interjette appel de l’ordonnance de renvoi des juges. Une démarche assez rare, pour ne pas dire rarissime.

BOITE NOIREMis en ligne jeudi 20 juin en fin de matinée, cet article a été mis à jour et complété dans l'après-midi avec les réactions des deux principaux syndicats de magistrats.

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