Depuis un an, Voreppe, petite commune située à une quinzaine de kilomètres de Grenoble, vit au rythme de la réforme des nouveaux temps scolaires. En janvier dernier, à peine le décret Peillon paru, la ville, qui compte quatre écoles pour 9 000 habitants, a commencé à consulter, pour déterminer si elle allait se lancer dès la rentrée 2013 dans la semaine de quatre jours et demi, comme l’ont finalement fait 20 % des communes.
Pour retenir ses jeunes actifs, la municipalité PS explique avoir voulu miser sur la qualité de l’offre scolaire. « Nous avions adhéré au réseau des villes éducatrices en 2010. L’Appel de Bobigny, cela correspondait à ce que nous voulions mettre en place », raconte Sandrine Miotto adjointe au pôle éducation de la mairie pour expliquer pourquoi sa ville, pas forcément a priori la mieux armée pour mettre en place cette réforme complexe, s’est décidée à l’appliquer. Créé à l’initiative de maires PS et de la Ligue pour l’enseignement, le réseau des villes éducatrices a été à l’initiative de l’Appel de Bobigny, un texte appelant à faire de l’éducation une priorité et se prononçant notamment pour de nouveaux rythmes scolaires. C'est sur ce texte, signé par la majorité des syndicats enseignants, sur lequel s’est beaucoup appuyé Vincent Peillon pour construire le projet PS pour l’école. Comme beaucoup de villes qui se sont engagées dès cette rentrée, à l'instar de Rennes ou Angers, Voreppe appartient donc à ce réseau.
Un an après, l’équipe municipale reconnaît que la réforme a pris, comme dans beaucoup de communes, presque toute la place et absorbé une part importante de son budget. « C’est un énorme travail, extrêmement chronophage : si nous n’étions pas persuadés que cela vaut le coup, on ne se serait sûrement pas lancés », admet le maire PS Jean Duchamp. Car les difficultés depuis un an n'ont pas manqué.
Du point de vue de la méthode, alors que les quatre jours et demi ont suscité dans de nombreuses villes la colère des enseignants et parfois des parents, le maire défend une mise en œuvre très concertée. Pour décider s’il fallait démarrer dès cette rentrée, la commune a réuni dès janvier 2013 un conseil consultatif de l’éducation regroupant parents, directions d’école et personnel municipal, lequel s’est réuni tous les quinze jours jusqu’au mois de mars pour trancher. Plusieurs réunions publiques ont également été organisées sur le sujet. « La polémique vient rapidement », admet le maire qui a donc cherché depuis un an à déminer le terrain : « Ce n’est pas une réforme simple à mener donc il faut la faire ensemble. » « Nous sommes arrivés à un dialogue serein, sans posture idéologique », assure Sandrine Miotto qui se dit surprise par la présentation médiatique souvent apocalyptique de la réforme dans certaines villes. « L’avantage d’une petite commune comme la nôtre, c’est qu’on est proche des gens de la mairie, on peut se parler simplement. Il n’y a pas comme dans les grandes villes cinquante services entre nous », confirme Pierre Bosquet, le directeur de l'école maternelle et primaire Debelle.
Du côté de la mairie, très favorable a priori à la réforme, on ne cache pas qu’il y a eu malgré tout des moments de flottement et de franche hésitation à cause des coûts engendrés. Le décret sur les rythmes scolaires, en réduisant la journée de classe, dégage trois heures par semaine dont la charge revient aux communes pour organiser des activités sportives ou culturelles, ce qui, pour certaines communes, représente un effort considérable.
Voreppe, pour ne pas trop plomber son budget, a choisi de ne financer que deux fois quarante-cinq minutes d’activités périscolaires par semaine, soit la moitié seulement des trois heures dégagées et surtout – contrairement aux recommandations ministérielles – de faire participer financièrement les familles. Comme le décret Peillon ne statue que sur le temps scolaire, pour le reste, l’organisation des temps périscolaires, les villes font un peu comme elles veulent ou peuvent. Ce qui a abouti à la rentrée à une multiplicité d’organisations dénoncées par les syndicats enseignants comme une aggravation des inégalités territoriales. « On nous a expliqué par A+B que c’était impossible de proposer ces activités gratuitement parce qu’il y avait d’énormes difficultés financières », raconte Jeanine Barbosa, responsable de la FCPE qui a commencé par claquer la porte de la concertation. « À l’origine la mairie proposait que les familles paient deux euros pour 45 minutes. Finalement, la mairie demande aux parents l’équivalent d’un euro par semaine. » La municipalité affirme aussi que cette participation, même modeste, provoque un certain engagement des familles et n’est pas négligeable pour le budget de la commune.
Comme dans de nombreuses villes, et même si Voreppe a également recruté des animateurs, pour limiter là aussi les coûts, les ATSEM – ces assistants territoriaux qui aident les enseignants dans les classes – ont été mis à contribution pour encadrer ces activités en maternelle. Alors que la caisse d’allocation familiale prend en charge une partie du budget de la réforme, Voreppe n’est pas sûre de pouvoir y prétendre parce que la ville ne répond pas aux exigences fixées par la CAF notamment en matière de formation des animateurs. « On va progressivement basculer vers ce qui est exigé par la CAF (l’exigence que les animateurs possèdent le BAFA par exemple) mais on ne peut pas faire tout d’un coup », explique Sandrine Miotto. Le maire, lui, reprend sa calculette : le coût brut des nouveaux rythmes est de 205 000 euros, et de 65 000 euros aides comprises pour 900 enfants. « Si nous ne recevons pas l’argent de la CAF, cela remet clairement en cause l’application de la réforme. On a quand même des limites », prévient-il.
En dépit du travail de concertation effectué en amont, la ville n’a pas évité les ratés à la rentrée. Et a dû procéder dès les premières semaines à plusieurs réajustements. « Pour les élèves de maternelles, cela a été compliqué », reconnaît l’adjointe à l’éducation. Les tout-petits ont dû d’un seul coup intégrer beaucoup de choses, et ont fait face à plus d’intervenants. Ils étaient un peu perdus. « Nous avions beaucoup de petits qui pleuraient et qui ne voulaient pas aller faire les activités. Comme on leur proposait souvent de refaire avec leurs ATSEM des choses qu’ils avaient déjà faites dans la journée, comme de la peinture, certains nous disaient : "C’est encore l’école" », raconte la directrice de l’école Stravinsky. Devant les signes de mécontentement de certains parents, la mairie a revu son projet au bout d’un mois et mis un terme à certains ateliers. « Nous nous sommes bagarrés pour dire que cette réforme était faite pour les enfants, donc quand on constate qu’il y a des problèmes, il faut répondre très vite. Sur la fatigue des enfants, nous sommes aussi obligés d’entendre ce que disent les familles : on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas. »
Après les vacances de la Toussaint, les seuils d’encadrement ont aussi été revus, passant de 18 à 12 enfants « là aussi parce qu’on s’est rendu compte que 18 enfants pour un animateur, c’était trop », rapporte l'adjointe éducation. Pour l’année prochaine, les ateliers en maternelle ne commenceront sans doute qu'après les vacances de la Toussaint pour que les enfants puissent prendre leurs marques et apprennent à connaître les intervenants. Un atelier libre en maternelle a aussi été finalement décidé « où l’animateur essaie simplement d’être à l’écoute de ce que veulent faire les enfants : pourquoi pas simplement sortir des Lego, écouter de la musique ?» s'interroge Sandrine Miotto. À la Bâtie-Divisin, le très petit village d’à côté, la mairie ne s’est pas trop compliqué la vie et passe par exemple des disques de Brel aux enfants sur les nouveaux temps périscolaires. Une solution à moindre coût et pas déshonorante, estime la mairie qui pourrait d'ailleurs s'en inspirer.
« Il y a d’énormes difficultés financières qui ne sont toujours pas réglées dans cette réforme », assure la représentante de la FCPE, Jeannine Barbosa, qui regrette des choix dictés par le souci constant de limiter drastiquement les coûts. Autre inquiétude, à l’école Stravinsky située près d’un ensemble de logements sociaux, seuls 12 % des enfants fréquentent les nouvelles activités périscolaires contre plutôt 50-60 % dans les autres écoles. Un peu gênant quand on sait que la réforme a, en partie, été « vendue » comme l’occasion d’offrir à tous les enfants des activités culturelles ou sportives. Le coût, même modique, imposé par la mairie a peut-être joué mais la directrice de l’école en question pense surtout que « les parents ne voient pas ce que ces activités apportent à leurs enfants » et constate par ailleurs un fort taux d’absentéisme le mercredi matin.
Quant aux enseignants, malgré un dialogue plutôt apaisé avec la mairie, ils semblent encore dubitatifs. « Parfois je me demande si l’on ne fait pas tout ça pour faire plaisir aux parents. Mais est-ce vraiment dans l’intérêt de enfants ? » nous lance une enseignante qui semble peu convaincue par l’argumentaire selon lequel la France est le pays de l’OCDE à avoir les journées les plus longues et ramassées dans l’année sur le plus faible nombre de jours. Les deux journées de grève, locale et nationale, organisées en décembre contre la réforme des rythmes scolaires, ont été ici assez suivies par les enseignants.
« Quand on a reçu le décret, c’est vrai qu’il y a eu des inquiétudes, des frilosités. J’entendais : "Moi, ça me gonfle de travailler le mercredi" ou "Comment je fais garder mes enfants ce jour-là ?" Mais sur le fond il n’y a pas eu trop d’opposition frontale », estime Pierre Bosquet, directeur d’école. « Et puis ce sont les mêmes qui demandent qu’on supprime la réforme et qui voulaient qu’on en finisse avec la semaine de quatre jours », remarque-t-il. Pour lui, « ce sont d’autres choses qui s’expriment. Il y a de tels besoins dans le monde enseignant par rapport à des moyens toujours insuffisants ». Pierre Bosquet estime qu’il est encore trop tôt pour mesurer l’éventuel bénéfice de ces nouveaux rythmes pour l’apprentissage des enfants et constate, lui aussi, « un peu plus de fatigue que les autres années ».
Une animatrice passe la tête dans son bureau : « La petite Manon(le prénom a été changé) s’est foulé le poignet mais ses parents ne veulent pas venir la chercher parce qu’ils ont tous les deux une importante réunion », soupire-t-elle, ne sachant pas très bien, du coup, qui peut prendre en charge l’élève jusqu’au soir.
« Vous voyez, sourit-il, repenser les rythmes de l’école pour les enfants, c’est bien, mais c’est aussi bien d’autres choses qu’il faudrait revoir », assure le directeur qui s’interroge sur les rythmes sociaux, professionnels, et se demande si les enfants sont toujours autant au centre des préoccupations qu’on le dit. Il rappelle par exemple que pendant la consultation, les représentants des enseignants et des directeurs d’école avaient plébiscité une organisation quotidienne de façon que la journée de classe commence à neuf heures. Trop tard, a estimé la mairie en rappelant que beaucoup de parents de la commune travaillent à Grenoble et qu'il fallait donc tenir compte des horaires de train.
Malgré les multiples adaptations depuis la rentrée, le maire assure que « fin juin, nous ferons une vraie évaluation et tout peut encore changer ». Surtout, il se dit certain qu’en dépit des multiples problèmes rencontrés depuis un an et des inquiétudes qui perdurent « le jeu en vaut la chandelle ». Son adjointe ajoute : « Nous avons surtout eu cette année des débats sur l’école comme jamais auparavant, et avec tout le monde, ça c’est peut-être le plus important. »
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