À Neuilly, le vaudeville continue pour l'UMP, six ans après l'élection fiasco qui avait vu son candidat rejeté massivement et la ville lui échapper. Un comble pour cette commune des Hauts-de-Seine dirigée pendant près de vingt ans par Nicolas Sarkozy, et qui le plébiscite à 85 % à chaque présidentielle.
Sans candidat naturel et face à une liste de prétendants à droite, l'UMP avait tenté de négocier avec l'actuel maire (UDI), Jean-Christophe Fromantin, imbattable à toutes les élections depuis 2008. En vain. Début décembre, on apprenait que Michèle Alliot-Marie pourrait être parachutée pour reconquérir la ville. Dans la confusion, l'UMP avait commandé un sondage pour tester les chances de l'ancienne ministre (lire notre article). Une mise en scène ?
C'est en tout cas un étrange retournement qui a eu lieu en pleine semaine de Noël. Le 23 décembre, l'UMP annonce que MAM ne sera en fait « pas candidate à Neuilly », car elle « préfère se réserver pour les élections européennes ». D'après Roger Karoutchi, patron de la fédération UMP des Hauts-de-Seine, le sondage la donnerait « très nettement derrière » Fromantin (40 % des intentions de vote). L'intéressée s'est refusée à confirmer et son entourage a annoncé qu'elle s'exprimera « en janvier », « devant les Neuilléens ».
Le même jour, autre coup de théâtre. Dans une lettre adressée au président de la fédération UMP 92, Fromantin demande finalement le soutien de l'UMP locale, tout en rappelant son attachement à la Charte des candidats libres qu’il a rédigée à l'automne. La fédération départementale de l'UMP se réunira le 6 janvier pour décider si elle investit un autre candidat ou si elle apporte finalement son soutien au maire actuel. Les tractations continuent. Selon Le Parisien, des contacts entre Fromantin et Karoutchi ont eu lieu la semaine dernière, et, parallèlement, Alliot-Marie et Karoutchi devaient rencontrer Nicolas Sarkozy.
Longtemps la plus importante section UMP de France, Neuilly s'est transformée en « bâton merdeux » pour le parti, selon Franck Keller, candidat dissident aux municipales et militant UMP. Dans un entretien à Mediapart, ce cadre dans l'immobilier de 42 ans, arrivé à Neuilly voilà cinq ans, dénonce les « petits arrangements entre amis » des « apparatchiks locaux » de l'UMP. Il raconte par le menu les « négociations discrètes » qui ont eu lieu, selon lui, entre Jean-Christophe Fromantin et Jean Sarkozy depuis juillet, et affirme que ce dernier l'a aussi sollicité pour négocier. Il décrit la « catastrophe » UMP à Neuilly et l'hémorragie d'adhérents depuis 2008.
Mediapart.- Qu’est-ce qui a motivé votre candidature à l'élection municipale, dès le mois de juin ?
Franck Keller.- Il y a un an et demi, on s’est retrouvés à une cinquantaine de personnes (des membres de l’UMP, des gens qui l’ont quittée, d’autres qui n’ont jamais pris de cartes politiques) en se disant : il y a des problèmes à Neuilly, le maire ne va pas, l’UMP est nulle, et nous nous voulons travailler pour la ville. Depuis, on s’est réunis régulièrement pour mettre en place un vrai projet citoyen, quartier par quartier, thème par thème.
Mais deux mois plus tôt, vous aviez demandé le soutien de l’UMP dans une lettre à son président, Jean-François Copé ?
Peut-être ai-je été naïf. Je faisais le constat qu’il n’y avait apparemment aucun candidat UMP à Neuilly, que nous avions un programme, une équipe, et que donc l’UMP nous apporterait peut-être son soutien. Je n’ai obtenu aucune réponse de Jean-François Copé. En mai, j’ai pris contact avec Roger Karoutchi, qui m’a répondu “on te contactera le moment venu”.
Le 20 décembre, vous avez à nouveau écrit à Jean-François Copé (lire sa lettre ici), cette fois pour retirer votre demande d’investiture et dénoncer les agissements à Neuilly de votre parti, « plus intéressé par des enjeux médiatiques et personnels ».
Je me suis engagé à l’UMP pour défendre certaines valeurs : le travail, le courage, le mérite, l’action. Mais lorsque j’ai rencontré les apparatchiks locaux, ce n’est pas cela qui les intéressait. J’ai été écœuré. Dès juillet, les représentants locaux de l’UMP sont allés voir Jean-Christophe Fromantin pour négocier des places. En octobre, France Inter a révélé l’existence de négociations discrètes entre Jean Sarkozy et Jean-Christophe Fromantin. La révélation de cette information les a gênés. Ils ont appelé la journaliste pour la houspiller. Puis Fromantin a sorti à la va-vite sa charte du « candidat libre », sans pour autant renoncer à sa vice-présidence de l’UDI.
Début décembre, ce fut le grand jeu : le lancement d'une fausse piste, Michèle Alliot-Marie. Ce leurre médiatique était destiné à faire diversion. Les médias ont tous plongé : “Alliot-Marie candidate à Neuilly”, “l'UMP teste MAM dans un sondage”. Pendant ce temps, on ne parle pas du bilan de Fromantin, ni des préoccupations des Neuilléens.
L’hypothèse d’une candidature de Michèle Alliot-Marie n’était-elle pas plutôt un moyen pour l’UMP de faire pression sur Jean-Christophe Fromantin et le pousser à négocier ?
Non, je suis convaincu qu’ils sont de mèche. Tout cela visait à semer le trouble. On ne parachute pas quelqu’un deux mois avant une élection. En 2008, David Martinon était arrivé six mois avant. Michèle Alliot-Marie a été approchée dès le mois de mai, et en août elle s’est positionnée pour les européennes. Elle n’a jamais voulu venir à Neuilly, et n’y a aucun intérêt. À 67 ans, elle n’ira pas mener une campagne risquée alors qu’elle peut être tête de liste aux européennes. Mais elle aime qu’on parle d’elle, qu’on dise qu’elle est sollicitée, cela contribue à son retour sur le devant de la scène.
Mais n’y a-t-il pas une réelle confusion à l’UMP, à Neuilly : aucun candidat naturel, un sondage commandé à la va-vite ?
Si les dirigeants de l’UMP voulaient réellement faire un sondage pour tester des candidats, ils ne l’auraient pas annoncé eux-mêmes dans les médias. Ils n’auraient communiqué que le résultat, s’il avait été bon. Par ailleurs, il s’agissait d’un sondage tronqué puisque tous les candidats (moi par exemple) n’étaient pas testés.
Le 23 décembre, l’UMP a annoncé que Michèle Alliot-Marie ne serait finalement pas candidate, et Jean-Christophe Fromantin a finalement demandé le soutien de l’UMP locale. Comment percevez-vous ce retournement ?
En 2008, Jean-Christophe Fromantin s’est présenté comme un candidat divers droite. L’an dernier, aux législatives, il était divers droite soutenu par l’UMP. Le lendemain de l’élection, il prend sa carte non pas à l’UMP mais à l’UDI, où il devient vice-président. Puis il sort à la va-vite une charte de “candidat libre” sans pour autant renoncer à son poste de vice-président de l’UDI. Aujourd’hui, il demande le soutien de l’UMP, alors qu’il a passé son temps à taper sur Jean Sarkozy et dire qu’il voulait “désarkoïser” Neuilly. Est-il sans étiquette, UDI, ou UMP ? Depuis le début de l’année, il parle d’une candidature “libre” pour l’élection présidentielle. Il donne l’impression d’aller où il trouve son intérêt personnel et de ne s’intéresser qu’à des problématiques nationales. Sur son compte Twitter, 80 % de ses tweets parlent de sujets nationaux !
De votre côté, avez-vous été contacté par l’UMP, pour retirer votre candidature, vous rallier, ou fusionner votre liste ?
Le 8 novembre, Jean Sarkozy m’a reçu dans son bureau, au conseil général, à Nanterre. Je l’avais sollicité en juin, mais c’est six mois plus tard qu’il m'a recontacté ! Il m’a dit : “On est prêts à te donner le soutien de l’UMP si tu prends telle et telle personne sur ta liste.” Il s’agissait de proches à lui, qui selon moi n’apportaient rien. À aucun moment, il n’a voulu parler de projet. Il m’a assené : “Ton programme, ça n’intéresse personne. Pour une élection municipale il faut avoir une idée, deux maximum, les gens, ça ne les intéresse pas les idées.” C’est la discussion qu’il a eue avec Jean-Christophe Fromantin: celle des places. Je lui ai dit que cela ne m'intéressait pas.
Jean-Christophe Fromantin a en tout cas publiquement refusé de placer Jean Sarkozy sur sa liste, en expliquant dans Le Parisien qu’« à compétences égales », il prenait « les plus loyaux », « ceux qui tractent avec (lui) depuis 2007 dans le froid, sans rien demander ».
Mais maintenant que je vois sa demande de soutien à l'UMP, je me demande : “Qu’est-ce qui va sortir du chapeau ?” Il y a autre chose derrière ces petits arrangements entre amis. Qui peut croire que l’on donne le soutien de l’UMP sans contrepartie, surtout lorsqu’on négocie avec Jean Sarkozy ?
Quelle serait cette contrepartie ?
C’est un partage des postes. À Neuilly, beaucoup parlent du “pacte du canton sud”. D’un côté, l’UMP soutiendrait Fromantin pour garder des voix et éviter que je lui en prenne. De l’autre, lors des cantonales de 2015, il n’y aurait pas de candidat “fromantiste” contre Jean Sarkozy. Cela faciliterait sa réélection, qui est très loin d’être gagnée. Je ne veux pas commenter cette rumeur. Mais lorsque je vois des élus de la ville se rencontrer pour se partager des postes, sur le dos des habitants, je le condamne.
Ces derniers jours, Nicolas Sarkozy a rencontré Michèle Alliot-Marie puis Roger Karoutchi. Est-ce toujours lui qui tire les ficelles dans son ancien fief ?
Je n’en sais rien. En revanche, depuis juillet, Jean Sarkozy est très présent, alors qu’il avait abandonné la ville depuis plusieurs années. L’UMP est extrêmement mal à l’aise avec Neuilly. Ses dirigeants – y compris Copé – ne veulent pas toucher à la ville car le nom de Sarkozy est présent et qu’ils ne veulent pas contrarier l’ancien président. Pour eux, Neuilly est un “bâton merdeux”, il y a plus de coups à prendre qu’à gagner.
Votre liste comporte plusieurs membres issus de l’UMP locale, et même certains anciens proches de Jean Sarkozy. Avez-vous reçu des pressions suite à votre refus de négocier ?
Certains membres de mon équipe ont reçu des coups de fil de Jean Sarkozy. Nous les dérangeons, parce que nous sommes des insoumis et que nous parlons du bilan. Le 23 décembre, un gros bras m’a contacté de manière anonyme, il s’est présenté comme un émissaire envoyé par des dirigeants politiques. Je l’ai rencontré, il m’a demandé le retrait de ma candidature et les éléments de mon programme. Il était là pour m’impressionner. Je pensais que ces pratiques étaient révolues dans les Hauts-de-Seine depuis longtemps, j’ai trouvé cela choquant.
Vous êtes militant UMP de longue date. Quel regard portez-vous sur votre parti aujourd’hui ?
Je suis extrêmement déçu par les apparatchiks de l’UMP sur le terrain. Je me suis encarté en 1991 au RPR à Bordeaux, j’ai milité avec les équipes de Chaban-Delmas, qui se préoccupaient réellement des gens. Ce que je vois à Neuilly est une catastrophe. Les adhérents fuient les rangs de l’UMP : la section est passée de 4 000 à moins de 1 400 adhérents (à jour de cotisation, ndlr) en quelques années. Pourquoi ? Les militants n’ont pas supporté l’élection de 2008 avec David Martinon soutenu par Nicolas Sarkozy, la traîtrise interne pour des partages de postes, et la ville donnée à un étranger au parti. Et puis il y a eu le scandale de Jean Sarkozy à l’Epad. Depuis, l’UMP ne fait rien à Neuilly, il n’y a eu qu’une campagne nationale pour Nicolas Sarkozy, mais rien pour la ville. Beaucoup de gens disent qu’ils continueront de voter UMP au niveau national, mais qu’au niveau local ils sont écœurés.
Mais la situation à Neuilly, qui fut la première section UMP de France, n’est-elle pas emblématique de la crise profonde que traverse votre parti depuis plusieurs années, et qui est apparue au grand jour lors de l’élection interne, en novembre 2012 ?
Ce qu’on constate sur le terrain, c’est le ras-le-bol des guerres internes, des cuisines politiques de Copé, Fillon, Bertrand. Plus largement, s’il y a tant d’abstentionnistes ou de votes pour les extrêmes, c’est à cause d’un écœurement des partis classiques.
Neuilly a aussi été divisée lors de l'élection interne de l’UMP. L’appareil local (Roger Karoutchi, Jean Sarkozy) était derrière Jean-François Copé, mais les Neuilléens ont voté à 53 % pour François Fillon. Votre candidature n'est-elle pas aussi le fruit de ces divisions ?
Dans notre équipe, nous n'avons pas voté pour les mêmes motions et candidats. On veut rassembler toutes les tendances, sous la bannière “droite républicaine”. J'ai rencontré des responsables du MoDem, de l'UDI, dès cet été. J’avais écrit à plusieurs dirigeants de l’UMP pour avoir du soutien, j’ai eu des réponses de Geoffroy Didier (cofondateur de la Droite forte, ndlr), que j’ai vu deux fois, et d'Alain Carignon, un proche de Nicolas Sarkozy. Je ne suis ni copéiste, ni filloniste, cela ne m’intéresse pas. Plus personne ne veut de Copé ni de Fillon, ils ont été décrédibilisés. Je ne sais même pas si je serai à l’UMP l’année prochaine. Car si ce que je vois à Neuilly a aussi lieu ailleurs, alors très clairement je n’ai plus rien à faire dans ce parti.
Le discours que vous tenez aujourd’hui ressemble à celui de Fromantin lors de sa campagne municipale, en 2008…
Sa démarche était intéressante : un candidat qui veut s’affranchir des partis politiques pour travailler pour sa ville. Les Neuilléens ont majoritairement voté pour lui parce qu’ils en avaient marre des cuisines politiciennes et qu’il donnait l’impression de vouloir faire quelque chose de différent. Malheureusement, son bilan est un triple échec. Échec financier, d’abord, avec une mauvaise gestion des budgets et projets. Le théâtre des Sablons, annoncé en grande pompe en 2009, n’a finalement pas coûté 42 millions d’euros mais 58 millions. Les 13 km de pistes cyclables, qui devaient coûter 600 000 euros, coûtent 2,6 millions.
C’est aussi un échec du point de vue de l’amélioration du cadre de vie (propreté, stationnement, sécurité) : il n’y a pas d’évolution, et, dans certains quartiers, c’est une dégradation. L’avenue Charles-de-Gaulle est la plus polluée d’Europe, rien n’a été fait pour régler ce problème, il n’y a eu qu’une grande campagne médiatique du maire. Beaucoup de jeunes actifs arrivent et demandent des services : en termes d’activités sportives, familiales, culturelles, il n’y a rien.
Enfin, c’est un échec moral. Le rapport de la chambre régionale des comptes pointe les rémunérations exorbitantes des personnes dont s’est entouré le maire, qui n’ont pas de diplômes mais sont des amis. L’adjointe à la culture s’est concentrée sur le développement de l’art contemporain alors qu’elle est propriétaire d’une galerie à Neuilly. Systématiquement dans le journal de la ville, on trouve des pages de publicité pour sa propre galerie. Où est la limite du conflit d’intérêts ? Ce n’est pas illégal, mais c’est moralement choquant. La différence entre ses intentions et ses actes a été visible lorsqu’il a obtenu un mandat national.
Ce que vous dénoncez, c’est un cumul des mandats et des fonctions ?
Il s’est présenté à toutes les élections : municipales, cantonales, législatives, vice-présidence de l’UDI, la métropole. Il cumule tous les mandats et postes possibles (Jean-Christophe Fromantin s'est prononcé en faveur du cumul des mandats, mais avec une limitation dans le temps, ndlr – lire sa lettre). Le local lui a servi de tremplin pour le national, son ambition n’est plus à Neuilly.
Si vous êtes élu, n’y a-t-il pas un risque que vous reveniez vous aussi aux vieilles pratiques, et soyez tenté par un cumul des mandats ?
On peut faire semblant d’avoir des valeurs, certains l’ont fait. Sauf qu’à un moment, les masques tombent. Sur le marché, Fromantin est constamment entouré de son fan club, il ne va pas vers les gens. Lorsqu’on est réellement impliqué dans sa ville, quelle que soit l’étiquette, les gens le voient.
Face à la machine UMP et au maire sortant, votre marge de manœuvre est réduite et votre notoriété très faible...
Ce sont eux qui maîtrisent les médias. Mais notre candidature dérange car nous sommes sur le terrain tous les jours depuis six mois : un porte-à-porte tous les matins entre 7 h 30 et 9 heures, une présence sur tous les marchés et événements. On veut débarrasser Neuilly de la caricature “ghetto de vieux riches” : la ville a changé, 25 % des Neuilléens ont moins de 18 ans. Nous allons lancer prochainement l’axe majeur de notre campagne : transformer Neuilly en ville de l’exemplarité. Exemplarité pour les élus, exemplarité dans l’offre de services, le cadre de vie, etc. Nous avons les moyens de le faire.
BOITE NOIRENous avons rencontré Franck Keller le 29 décembre. L'entretien a duré une heure et demie.
Nous publions ici sa lettre envoyée le 20 décembre à Jean-François Copé.
Mediapart s'était plongé, mi-décembre, sur la campagne municipale à Neuilly (notre article est ici). Jean-Christophe Fromantin avait alors décliné notre demande d'entretien. Michèle Alliot-Marie avait expliqué, via son directeur de communication, qu'elle ne s'exprimerait pas pour l'instant.
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