Publiée jeudi 19 décembre en fin de soirée, la dernière « Note de conjoncture » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dresse un véritable réquisitoire de la politique économique et sociale du gouvernement. Elle vient ainsi confirmer que le chômage, loin de voir sa courbe s’inverser à la fin de 2013 comme l’avait promis François Hollande, va continuer de progresser vers des nouveaux sommets. Et le pouvoir d’achat, lui, traverse une dépression sans précédent depuis près de trente ans. En somme, ce que présente l’institut, c’est la radiographie d’une politique économique et sociale qui est en train d’échouer.
L’Insee se garde de la moindre polémique et dit les choses de manière retenue. En titre de son étude, qui présente ses prévisions économiques pour le premier semestre de 2014, l’Insee ne parle ainsi que d’une « reprise poussive ». Ce qui n’est guère réjouissant, mais ce qui ne laisse pas, pour autant, présager un retour aux pires heures de la crise.
Voici donc cette « Note de conjoncture » de l’Insee :
Mais, pour quiconque lit avec attention le diagnostic des conjoncturistes de l’Insee, le ton ne fait guère illusion : on devine, au travers des statistiques que livre l’étude, l’ornière profonde dans laquelle le pays s’est embourbé. Les politiques d’austérité budgétaire et salariale conduisent à la stagnation économique, qui elle-même alimente d’innombrables souffrances sociales…
Ainsi donc, sans grande surprise, l’Insee ne prévoit pas de sortie de crise pour les prochains mois. Comme le révèle le tableau ci-dessous, qui présente les principales prévisions de l’institut, la croissance aura certes une petite bouffée d’accélération au quatrième trimestre de 2013, avec une hausse de +0,4 % du produit intérieur brut (PIB), mais ensuite, la croissance ne serait que de +0,2 % au cours de chacun des deux premiers trimestres de 2014. Au total, la croissance française qui a été nulle (0 %) en 2012 puis quasi nulle (+0,2 %) en 2013 devrait afficher un acquis de seulement +0,7 % à la fin du premier semestre de 2014.
Et si l’économie est rongée par l’anémie, c’est effectivement l’onde de choc de la politique d’austérité conduite par le gouvernement, qui agit comme un corset, et qui freine toute possibilité de reprise. Si l’Insee ne s’attarde pas sur cet aspect des choses, de nombreuses autres études économiques publiées ces dernières semaines le mettent clairement au jour. Dans une étude récente (elle est ici), l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) faisait ainsi ces constats ravageurs : « En 2013, l'économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d'année le niveau de production atteint six ans plus tôt, fin 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu'aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise. Cinq ans après le début de la crise, le potentiel de rebond de l'économie française est important. Mais cette "reprise" a été freinée principalement par les plans d'économies budgétaires en France et dans l'ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé de 2,4 points de PIB l'activité en France. »
L’Insee ne reprend pas les mêmes constats, mais sa note dresse un paysage économique identique : on devine que la politique économique choisie par François Hollande est inappropriée pour relancer l’activité économique. Parce que les restrictions budgétaires et salariales fonctionnent comme des garrots. Mais aussi parce que la politique de l’offre défendue par le chef de l’État, celle qui le conduit à avantager perpétuellement les entreprises au détriment des salariés ou des consommateurs, ne produit pas les effets escomptés.
Ce sont toujours les chiffres de l’Insee qui en témoignent. Continuons à observer en effet les chiffres du même tableau présenté plus haut. Ils révèlent un fait accablant : si la croissance va progresser très légèrement d’ici la fin du printemps, c’est exclusivement à cause d’une hausse de la demande mondiale adressée à la France, mais pas du tout parce que les moteurs internes de la croissance française – l’investissement des entreprises ou la consommation des ménages – commenceraient à accélérer. CQFD ! La France profite d’une amélioration de la conjoncture mondiale, mais elle ne fait rien pour y contribuer elle-même.
Elle ne fait rien, ou plutôt… elle fait tout de travers ! Car le gouvernement ne cesse effectivement de répéter que la reprise économique viendra d’abord du « choc de compétitivité » décidé en faveur des entreprises et non d’une politique de relance, par exemple en faveur des salaires. Or, on se rend compte, au travers de l’étude de l’Insee, que les résultats de ce « choc de compétitivité » seront aléatoires ou imperceptibles tandis que la politique d’austérité va peser lourdement sur les ménages et contribuera à gripper la consommation. En clair, les deux grandes courroies d’entraînement du moteur de la croissance française vont rester grippées : l’investissement aussi bien que la consommation.
Dans le cas de l’investissement des entreprises, les chiffres publiés par l’Insee sont, de fait, éloquents. Malgré les 20 milliards d’euros apportés par l’État sur le dos des ménages sous la forme de crédit d’impôt, l’investissement des entreprises (voir la ligne FBCF pour les entreprises non financières) va à peine progresser au cours du premier semestre 2014.
Et dans le cas de la consommation, la tendance est encore plus sinistre, avec une quasi-stagnation (+0,1 %) au cours de chacun des deux premiers trimestres de 2014.
Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour le deviner : les conséquences de cette politique économique néolibérale, très proche de celle conduite sous le précédent quinquennat par Nicolas Sarkozy, seront socialement calamiteuses. D’abord, malgré l’ampleur des cadeaux faits aux entreprises, la croissance sera beaucoup trop maigrelette et le chômage va continuer à battre des records.
Examinons les chiffres. Voici les principales tendances décelées par l’Insee : « Du fait de la faiblesse passée de l’activité, l’emploi dans les secteurs marchands non agricoles a de nouveau reculé au troisième trimestre (-16 000). Sous l’effet du retour de la croissance et du crédit d’impôt compétitivité emploi, la baisse de l’emploi marchand s’atténuerait progressivement d’ici mi-2014 (-7 000 au quatrième trimestre 2013 puis -4 000 au premier semestre 2014). Après +80 000 postes en 2013, l’emploi non marchand continuerait de progresser au premier semestre 2014 (+33 000 emplois), porté essentiellement par les contrats aidés (…) L’emploi total progresserait ainsi au quatrième trimestre 2013 (+52 000), et de nouveau au premier semestre 2014 (+36 000). »
Mais « le taux de chômage s’est établi à 10,9 % de la population active en moyenne au troisième trimestre 2013 (10,5 % en France métropolitaine), en hausse de 0,1 point par rapport au trimestre précédent (revu à la baisse). D’ici mi-2014, le taux de chômage augmenterait de 0,1 point, à 11,0 %. À l’horizon de la prévision, les créations nettes d’emplois ne seraient en effet pas suffisantes pour absorber la hausse de la population active (+113 000) ».
Et ces créations d’emploi seraient elles-mêmes insuffisantes pour absorber le choc des évolutions démographiques et l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail. Résultat : François Hollande va perdre le principal pari qu’il avait pris devant le pays, celui d’inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de 2013. La prévision de l’Insee, résumée par le tableau et le graphique ci-dessous, le suggère clairement.
En clair, note l’Insee, « entre le troisième trimestre 2013 et le deuxième trimestre 2014, le taux de chômage augmenterait de 0,1 point, pour se situer à 11,0 % à la fin du premier semestre 2014 (10,6 % en France métropolitaine). Sur les trois trimestres de prévision, les créations nettes d’emplois (+76 000) ne seraient en effet pas suffisantes pour absorber la hausse anticipée de la population active (+113 000) ».
De 9,9 % au premier trimestre de 2012, le taux de chômage n’aura donc cessé de progresser jusqu’à atteindre 11 % en juin 2014 : c’est l’Insee, garde champêtre du débat public, qui l'atteste.
Au passage, l’Insee montre que même sur ce front de l’emploi et du chômage, les effets du « choc de compétitivité » et des 20 milliards d’euros, seront faibles. « Au total, il paraît vraisemblable qu’à long terme, les effets du CICE sur l’emploi s’élèvent à moins de 300 000 », dit l’Insee, avant d’ajouter : « Pour la prévision de la Note de conjoncture, nous faisons l’hypothèse que l’enrichissement de la croissance en emplois se traduit au premier semestre 2014 par un surcroît d’emplois de 15 000 par trimestre. »
Très modestes, ces chiffres viennent confirmer ce que l’on pouvait présumer : apportés sans condition ni contrepartie, ces crédits d’impôt généreront d’abord des effets d’aubaine pour les entreprises, et sans doute peu d’effets concrets sur le front de l’emploi et du chômage.En somme, ce seront d’abord les salariés qui feront les frais de cette croissance anémiée. Sous la forme d’une hausse du chômage, mais tout autant sous celle d’une dégradation continue du pouvoir d’achat. Que l’on regarde en effet le tableau ci-dessous qui résume ces évolutions : elles font apparaître les conséquences concrètes de cette politique d’austérité :
L’indicateur le plus fiable est non pas celui du pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) des ménages, qui est brouillé par les évolutions démographiques, mais celui du pouvoir d’achat par unité de consommation, qui est plus proche du « ressenti » des Français. Or, dans ce cas-là, la tendance est sinistre : après une baisse de -1,5 % en 2012, ce pouvoir d’achat a encore baissé de -0,1 % en 2013 et devrait stagner (0 %) au premier semestre de 2014.
Or, cette dégradation du pouvoir d’achat des Français – de surcroît pendant une période aussi longue – est sans précédent dans l’histoire économique récente. Il faut remonter à 1984, au lendemain du tournant dit de la « rigueur », pour relever une évolution aussi marquée.
Ces chiffres retiennent d’autant plus l’attention qu’ils ne sont pas le produit d’une fatalité. Non ! Ce choix de l’austérité salariale est au cœur de la politique économique du gouvernement. Le gouvernement en a apporté une confirmation récente, en informant au début de cette semaine qu’il n’y aurait toujours pas de « coup de pouce » en faveur du Smic au 1er janvier prochain, alors même que ce même jour entrera en vigueur les hausses de TVA décidées… pour financer le « choc de compétitivité » (lire Smic et TVA: les détestables étrennes de François Hollande).
Dans sa « Note de conjoncture », l’Insee s’applique d’ailleurs à mesurer ce que pourrait être l’onde de choc sur le porte-monnaie des Français de ces hausses de TVA décidées pour financer les 20 milliards d’euros apportés aux entreprises. Voici les évaluations de l’Insee :
Explication de l’Insee : « Si la hausse de la TVA était intégralement répercutée, les prix des produits au taux normal de TVA augmenteraient de 0,3 % et les prix des produits au taux intermédiaire de 2,8 %, soit une hausse de 0,5 point de l’inflation d’ensemble. En pratique, d’après les expériences passées de variation des taux de TVA, l’ajustement des prix se fait progressivement, si bien qu’un impact de l’ordre de 0,4 % serait attendu à fin juin 2014. »
En clair, le gouvernement embellit la vérité en prétendant que les hausses de TVA ne se diffuseront pas dans les prix, les entreprises préférant serrer leurs marges du fait de la concurrence. Non, rétorque l’Insee : l’histoire récente enseigne que la répercussion est quasi intégrale. Au total, ces hausses de TVA pèseront donc sur les prix à hauteur de +0,4 %, ce qui devrait amputer d’autant le pouvoir d’achat des Français. Et dans certains secteurs, l’impact sera encore plus spectaculaire. La hausse des prix pour le poste « transports et communication » pourrait ainsi atteindre +1,3 %.
En somme, c’est un constat très préoccupant que l’Insee dresse du cap choisi par le gouvernement. Un cap économique hasardeux avec des effets sociaux désastreux…
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