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La lutte contre la fraude fiscale revue à la baisse

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En quelques coups de rabot, donnés un an pile après le début de l’affaire Cahuzac, le Conseil constitutionnel a invalidé, ce mercredi 4 décembre, plusieurs dispositions de la loi « relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » adoptée le 6 novembre dernier. À l'origine de cette saisine, une soixantaine de sénateurs UMP et centristes, qui estimaient non conformes à la Constitution 11 des 73 articles de loi adoptés par les députés PS et écologistes, ces derniers s’étant montrés soucieux de faire oublier la chute de l’ex-ministre du budget en durcissant la législation.

Au bout du compte, le Conseil constitutionnel n’a pas été aussi loin que ces sénateurs d’opposition l’espéraient (on peut lire l’intégralité de la décision ici). Il a toutefois envoyé quelques signaux qui indiquent que la délinquance en col blanc n’a pas la même gravité pour tout le monde, alors que, selon l’économiste Gabriel Zucman, 350 milliards d’euros français dorment dans des paradis fiscaux.

Les « sages » autoproclamés de la rue Montpensier ont ainsi censuré une mesure avant tout destinée à frapper les esprits : la garde à vue de 96 heures en matière de fraude fiscale dans des cas exceptionnels (elle existe déjà en matière de terrorisme et de criminalité organisée). Ce faisant, le Conseil constitutionnel a mis en avant les principes de liberté individuelle et de respect des droits de la défense, croyant devoir préciser au passage que les délits « de corruption et de trafic d’influence ainsi que de fraude fiscale et douanière constituent des délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ».  

Jérôme CahuzacJérôme Cahuzac

D’autres dispositions – plus importantes en terme d’efficacité de l’enquête – ont néanmoins été conservées : ainsi en est-il de la possibilité, pour la justice, d’autoriser « l’interception, l’enregistrement et la transcription des correspondances émises par la voie des télécommunications », ainsi que la sonorisation « des lieux ou véhicules privés ou publics », et l’accès aux données informatiques « sans le consentement des intéressés ». Des « techniques spéciales d’enquête » qui sont déjà utilisées en matière de terrorisme et de criminalité organisée.

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, censuré une disposition qui avait tout pour déplaire aux milieux d’affaires : elle prévoyait, dans certains cas, d’aggraver les peines encourues par les personnes morales, en les portant soit au « quintuple du taux maximum de l’amende prévu pour les personnes physiques », soit au « dixième du chiffre d’affaires moyen de la personne morale », voire à un million d’euros dans des circonstances particulières.

Les « sages » ont estimé que le fait de prendre en compte le chiffre d’affaires de la personne morale condamnée est un critère qui ne dépend pas de l’infraction, et « est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction constatée », et est donc contraire à « l'article 8 de la Déclaration de 1789 ».

Autre coup de rabot, le Conseil a sensiblement restreint l’utilisation espérée des listes de fraudeurs fiscaux. La loi établissait que le fisc aurait le droit de s’appuyer sur des informations de tout type, et quelle que soit leur origine. Autrement dit, qu’il lui serait possible de piocher dans des listes de fraudeurs transmises par des employés de banques à l’étranger, même si elles sont volées. 

L’Allemagne n’hésite pas à acheter de telles listes, comme l'a par exemple indiqué en avril le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. En France, le seul cas connu date de 2009, quand Hervé Falciani, l’informaticien de HSBC Genève, avait fourni à Bercy la fameuse liste de 3 000 contribuables français disposant de comptes en Suisse (lire l’entretien que Hervé Falciani a accordé à Mediapart).

Or, si le Conseil constitutionnel ne censure par cette disposition à proprement parler, il indique tout de même (au détour d’une « réserve ») que le fisc et les douanes ne pourront se servir de telles listes si elles sont déclarées illégales par la justice, y compris a posteriori.

Autre bâton dans les roues des enquêteurs travaillant sur ces précieuses listes : la loi prévoyait qu’ils pourraient demander au juge l’autorisation d’aller effectuer des « visites domiciliaires », c’est-à-dire des perquisitions ou contrôles à domicile, sur la base des informations contenues dans ces listes. Cette disposition est elle aussi censurée, toujours au nom du respect de la vie privée et des droits de la défense.

Le Conseil constitutionnel rétablit donc du même coup la jurisprudence de la Cour de cassation : en 2012, elle avait annulé des perquisitions du fisc reposant sur la liste Falciani, au motif que les données avaient été soustraites de manière illicite. Autrement dit, le fisc en possession de listings volés désignant des fraudeurs pourra leur demander de s’expliquer, mais ne pourra pas aller plus loin si ces mauvais payeurs refusent de coopérer.

Mais c’est sur un dernier point que le Conseil constitutionnel souligne son décalage avec la volonté politique du gouvernement français et de ses partenaires du G20. La loi stipulait qu’à partir du 1er janvier 2016, tous les États n’ayant pas signé d’accord d’échange automatique d’informations fiscales avec la France seraient inclus dans la liste noire française des États non coopératifs. La présence sur cette liste, qui comporte aujourd’hui huit minuscules territoires reconnus comme des paradis fiscaux, entraîne notamment de lourdes surtaxes sur toutes les sommes d’argent partant vers ces territoires.

Hervé FalcianiHervé Falciani © Reuters

Or les « sages » ont décidé de censurer cet article de loi, sur un motif quelque peu biscornu : « Selon les informations communiquées par le Gouvernement, la France n'a conclu à ce jour aucune convention bilatérale comportant une clause d'échange automatique de documents. De très nombreux États auraient donc été susceptibles d'être inclus dans la liste des États et territoires non coopératifs au 1er janvier 2016 », écrit le Conseil.  

Seul problème, la France, comme tous les pays du G20, s’est engagée à faire entrer en vigueur avec tous ses partenaires l’échange automatique avant la fin 2015 ! C’est encore ce que confirmait à Mediapart début novembre Pascal Canfin, le ministre délégué au développement.

Par ailleurs, cet échange automatique est déjà en place, pour un nombre très restreint de données, comme les intérêts générés par les comptes en banque, au sein de l’Union européenne (sauf avec le Luxembourg et l’Autriche).

Reste que le Conseil constitutionnel a validé une bonne partie du texte de loi, reconnaissant notamment le droit des associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile, ainsi que la création d’un procureur de la République financier (pourtant critiqué dans la magistrature).

Le Conseil a également confirmé le durcissement de certaines condamnations. La fraude fiscale aggravée sera maintenant passible d’une peine maximum de 7 ans de prison et 2 millions d’euros d’amende, « lorsque les faits ont été commis en bande organisée », ou encore « réalisés ou facilités » au moyen de comptes ouverts à l’étranger, de personnes physiques ou morales établies à l’étranger, d'une domiciliation fictive à l'étranger, ou encore d’une société écran.

Pour sa part, la garde des Sceaux Christiane Taubira « se félicite de la décision rendue ce jour par le Conseil constitutionnel qui valide, très largement, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière », fait-elle savoir mercredi par communiqué. Même satisfaction affichée du côté du député (PS) Yann Galut, le rapporteur du texte de loi.

Cette loi, qui devrait entrer en vigueur au deuxième trimestre 2014, a déjà un impact certain, qui se combine avec l'annonce par la Suisse de la mise en place prochaine de l'échange automatique d'informations fiscales. Le ministre du budget Bernard Cazeneuve, a indiqué (le 2 décembre sur France Inter) qu’en trois mois, quelque 8 500 contribuables s'étaient déjà signalés au fisc pour régulariser leur situation avant que les nouvelles sanctions ne s'appliquent. C'est plus que pour les quatre années précédentes. 

Malgré cela, tout le monde ne semble pas intimement persuadé des bienfaits de la lutte contre la fraude fiscale. Il est un ancien ministre du budget qui, alors même que le Conseil constitutionnel rendait sa décision, a fait entendre une voix discordante. Le député (UMP) Éric Woerth, bien qu’étant aux prises avec la justice dans les affaires Bettencourt et Compiègne, a délivré sans désemparer des leçons de bonne gestion au gouvernement, demandant notamment sur son compte Twitter (voir les captures d'écran ci-dessous) un « moratoire d’un an » sur les contrôles fiscaux, ainsi que de l’Urssaf et de l’inspection du travail...

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