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Vallaud-Belkacem: « Sexisme: la honte doit changer de camp »

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Le « cot cot cot codec » d'un député apparenté UMP, en plein débat nocturne sur les retraites à l'Assemblée nationale, a fait office d'électrochoc. Brusquement, le sexisme latent et quotidien que subissent les femmes engagées en politique devenait l'objet d'un débat public, alors que la parité reste largement inappliquée et que la parole publique est toujours largement monopolisée par les hommes. Entretien avec la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, qui revient également sur le récent arrêt BabyLoup, les centres IVG et la proposition de loi sur la prostitution, actuellement en discussion à l'Assemblée.

La parité avance très lentement, avec seulement 27 % de femmes députées, 22 % de sénatrices, deux femmes présidentes de conseils régionaux. 6 à la tête d’un conseil général. Faut-il accélérer le mouvement par des mesures radicales ?

Najat Vallaud-Belkacem. Bien sûr ! Dans la loi sur l’égalité femmes-hommes (qui sera rediscutée à l’Assemblée à partir de janvier, ndlr), nous doublons les sanctions financières pour les partis ne respectant pas la parité aux élections nationales. Nous avons aussi choisi un mode de scrutin paritaire aux cantonales qui aura des effets très importants, et nous avons revu à la baisse le seuil d’habitants des communes concernées par la parité aux municipales.

Najat Vallaud-BelkacemNajat Vallaud-Belkacem © Reuters

Mais des pénalités financières existent depuis longtemps. Pensez-vous que cela suffise ?

Il en va en politique comme dans l’entreprise avec l’égalité professionnelle. Un seul levier n’est jamais suffisant, il faut utiliser à la fois la contrainte et l'incitation. Dans cette palette des outils indispensables, les sanctions permettent d’envoyer un message fort. En amont, les partis politiques doivent développer la formation aux candidats et aux élus, et mieux accompagner les femmes qui s’engagent en politique pour qu’elles montent dans les échelons.

Et des circonscriptions gagnables ! Sinon, cela provoque ce qui s’est passé au parti socialiste : des candidatures quasiment paritaires mais un groupe de députés très déséquilibré…

Exactement. En plus de la loi, il faut un discours et une dynamique pour davantage de parité, et plus d’accession des femmes aux responsabilités dans le fonctionnement quotidien des partis politiques. Dans notre vie démocratique aussi, il y a un plafond de verre qui doit céder pour éviter les inégalités de traitement au moment des désignations des candidats aux élections.

Comment expliquez-vous que la France soit aussi en retard, avec des remarques sexistes comme celle qui a visé la députée écologiste Véronique Massonneau ?

Je ne suis pas certaine que la France soit beaucoup plus en retard que les autres. En Italie, par exemple, on compte de plus en plus de femmes dans le personnel politique mais, en réalité, les remarques désobligeantes à l’égard des femmes politiques y sont très nombreuses. À l’inverse, il est vrai que les pays anglo-saxons sont moins goguenards sur ces sujets. Il faut noter que le niveau de tolérance baisse à l’égard du sexisme ordinaire : il ne faut rien laisser passer.

Rétrospectivement, pensez-vous que la loi sur la parité devait être beaucoup plus radicale ?

Quand je suis devenue ministre, je voulais supprimer toute aide publique pour les partis ne respectant pas la parité.

C’était même un engagement de campagne !

Oui. J’aurais voulu aller plus loin, mais c’est constitutionnellement impossible. Les financements aux partis politiques sont fractionnés en deux parties : la première correspond au nombre de candidats présentés et la seconde au nombre d’élus obtenus par le parti. Supprimer toute aide revient à toucher à cette deuxième tranche et à remettre en cause le vote des citoyens. On ne peut toucher qu’à la première partie de ce financement – c’est la position d’équilibre à laquelle nous sommes parvenus pour concilier l’objectif de parité et la liberté de choix des électeurs.

Sur un registre plus symbolique, faut-il davantage sanctionner les propos sexistes, comme ce député ayant imité une poule ?

Ces attitudes sont franchement déplorables. Mais la réaction a été à la hauteur. Un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal a été prononcé par le président de l’Assemblée, il a été privé d’un quart de son indemnité pendant un mois et la réaction médiatique et des réseaux sociaux a été très vive. Pourquoi ? Ce n’est pas que nous ayons beaucoup progressé ; c’est que Véronique Massonneau a eu le courage d’aller dénoncer ces propos. La plupart des femmes qui vivent ce genre de choses ont tendance à les taire. La honte doit changer de camp. C’est en dénonçant publiquement le sexisme en politique que celui-ci reculera. Il faut un message de tolérance zéro. C’est l’accumulation de petites blagues, que certains jugent anodines, et de petites agressions sexistes, qui semblent sans gravité, qui finissent par poser problème. J’ai voulu agir sur le plan des médias qui sont aussi concernés : la loi sur l’égalité prévoit une extension des compétences du CSA dans ce domaine.

Cela vous est-il arrivé depuis que vous êtes ministre ?

Non, mais quand j’ai fait mes premiers pas en politique, j’ai eu le droit à mon lot de remarques sexistes et on a parfois voulu me ranger dans la catégorie des pots de fleurs...

Vous avez un exemple précis en tête ?

Je n’en ai jamais vécu de terrible. Mais Aurélie Filipetti en a déjà parlé, Chantal Jouanno a raconté qu’elle n’osait plus venir en jupe à l’Assemblée… J’ai l’impression que dans les nouvelles générations, les femmes dénoncent davantage ces comportements. C’est parce que nous sommes plus nombreuses. Les études montrent que les femmes commencent à se sentir à l’aise dans une assemblée quand le seuil d’au moins 30 % est atteint. Nous n’y sommes pas encore à l’Assemblée mais, comme on en approche, cela induit des comportements différents.

Sur les nominations, vous espériez arriver à 40 % de femmes nommées en conseil des ministres avant la fin du quinquennat. Est-ce que cela progresse ? Pourquoi tant de difficultés ?

Des efforts ont été réalisés. Si l'on prend les personnes qui sont nommées cadres dirigeants pour la première fois de leur vie, on est déjà passé de 24 % de femmes nommées en mai 2012 à 31 %. Dans chaque ministère, le responsable des ressources humaines est à présent chargé de repérer les femmes d’environ 30 ans avec un fort potentiel. À cet âge-là, beaucoup s’absentent pour des grossesses, ce qui freine leur progression. Le DRH va pouvoir les faire progresser, en dépit de leur absence. C’est une réponse au fameux « manque de vivier » au moment des nominations aux postes de cadres dirigeants.

Par ailleurs, nous avons mis en place une plus grande fluidité entre ministères pour favoriser les femmes. Grâce à une déléguée pour la rénovation de l'encadrement dirigeant de l’État, on s’autorise à présent à aller chercher dans d’autres administrations les femmes qui peuvent sembler manquer dans certaines.

L’arrêt Baby-Loup rendu mercredi par la cour d’appel de Paris marque un nouveau revirement juridique. Après la décision de la Cour de cassation, vous n’aviez pas exclu de recourir à la loi. Êtes-vous toujours de cet avis ou avez-vous évolué ?
 
Au moment de l’arrêt de la Cour de cassation, je me suis en effet déclarée favorable à une clarification. Pour une raison rarement mise en avant mais très importante : je ne voudrais pas que des employeurs renoncent à embaucher une jeune femme musulmane en se disant “aujourd’hui elle ne porte pas le foulard, mais peut-être que demain elle voudra le porter – donc je ne l’embauche pas”. Je ne veux pas qu’on se retrouve dans des situations de discrimination par anticipation. Après, l’Observatoire de la laïcité a fait un travail remarquable. Son avis ne va pas dans le sens d’une loi pour de bonnes raisons. Le gouvernement s’appuie sur ce travail pour les crèches ou d'autres entreprises...

Clarifier peut-être, mais vous peinez à trouver un autre exemple qu’une crèche. Jusqu’où va-t-on dans l’interdiction du voile ? Jusqu’à quel type d’entreprise ? Jusqu’à quels types de métiers ? Est-ce qu’on va, par exemple, empêcher des femmes de ménage voilées d’exercer dans un palais de justice ?

Il y a une spécificité de l’accueil de la petite enfance où nous avons affaire à des publics influençables, à de jeunes enfants en construction et pour lesquels on doit défendre le principe de neutralité des opinions. Il me paraît donc normal de veiller aux tenues vestimentaires au sein des établissements dédiés à la petite enfance. Dans ce cadre, la confession a vocation à rester dans l’ordre du privé.

C’est le même principe qui a conduit à adopter l’interdiction du foulard à l’école et dans le service public. Ensuite, la question est : jusqu’où aller dans ce qui n’est pas le service public ? Je suis d’accord avec les préconisations de l’Observatoire de la laïcité. Celui-ci a déconseillé d’en passer par la loi mais proposé que les collectivités locales aient recours plus largement à la délégation de service public pour ce type de crèche laïque. Des règlements intérieurs précis et respectueux du droit du travail doivent également pouvoir sécuriser ces établissements.

Lors de l’examen de votre projet de loi au Sénat, vous vous êtes opposée à un amendement donnant la priorité à la garde alternée en cas de divorce, tout en prévoyant des exceptions si elles sont motivées. Pourquoi ?

L’amendement, qui semblait répondre directement à la mobilisation dite des “pères à la grue”, disait que quelle que soit la situation, la priorité devait être donnée par le juge à la garde alternée. Or nous considérons qu’il n’y a pas d’autre priorité à avoir que l’intérêt supérieur de l’enfant. Et cet intérêt de l’enfant commande au juge de regarder avec précision au cas par cas. Je demanderai le retrait de cet amendement lors du passage à l’Assemblée nationale (prévu en janvier, ndlr).

Le projet de loi ne répond pas à la répartition toujours très inégale des tâches domestiques entre les hommes et les femmes. La situation évolue très lentement. Ne peut-on pas imaginer des politiques publiques qui permettraient un rééquilibrage ?

Toute la logique du projet de loi est de faire évoluer les mentalités, y compris dans la sphère privée et les représentations stéréotypées du rôle de chacun dans la société. La réforme du congé parental, par exemple, vise une meilleure répartition des temps, entre vie professionnelle et vie personnelle. La juste représentation des femmes dans les médias, et leur plus grande visibilité dans l’ensemble de la vie culturelle et sociale doivent avoir pour effet de modifier tous les comportements. L’éducation dès le plus jeune âge joue également un rôle fondamental dans le changement des habitudes, c’est l’enjeu des ABCD de l’égalité (nouveaux apprentissages expérimentaux en classe de primaire). À l’échelle d’une génération, on peut changer beaucoup de choses.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vous a récemment remis un rapport sur l’IVG : il s’avère très difficile d’y avoir recours dans certains territoires. Cent centres IVG ont fermé ces dix dernières années. Comptez-vous en rouvrir ?
 
Le diagnostic du Haut Conseil est incontestable et essentiel. On travaille avec Marisol Touraine sur cette question. Il faut que chaque femme puisse avoir accès à un endroit où procéder à l’IVG, et à la méthode qu’elle souhaite. Cela ne passe pas forcément par l’ouverture de centres : il faut que dans un plus large nombre d' hôpitaux, on puisse procéder à des IVG. On est en train d’y travailler.

Sur la proposition de loi touchant à la prostitution, beaucoup d’associations féministes considèrent que le projet risque d’enfoncer les prostituées dans la clandestinité. Cela ne vous fait-il pas douter de vos certitudes ?

Les associations féministes soutiennent quasiment toutes ce texte. J’ai beaucoup de considération et de respect pour le travail et l’expertise de toutes les associations : leurs réserves et leurs craintes ont été entendues par les parlementaires, et nous y répondons. La proposition de loi a été préparée avec le témoignage de nombreuses prostituées elles-mêmes. Leur protection est au cœur de la proposition de loi : non seulement elles seront enfin considérées comme des victimes au lieu d’être pénalisées, mais des moyens nouveaux sont créés pour mieux les accompagner sur le plan sanitaire et social et leur offrir enfin de véritables alternatives.

BOITE NOIRENajat Vallaud-Belkacem avait donné son accord pour participer à notre émission Live consacré aux femmes en politique depuis près de deux mois.

Mais le calendrier parlementaire a été entre-temps bousculé et les députés ont commencé d'examiner la proposition de loi sur la pénalisation de la prostitution vendredi. La ministre a donc dû annuler sa participation.

En remplacement, nous avons organisé un entretien rapide avec Najat Vallaud-Belkacem.

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