En recherchant des invités politiques pour notre Live de vendredi soir (voir ici le programme), nous avons séché un long moment sur les hommes que nous pourrions convier. Aucun nom ne nous venait à l’esprit. Nous avons donc demandé son avis à Alban Jacquemart, sociologue, post-doctorant au Centre d'études de l'emploi et chercheur associé au centre Maurice-Halbwachs, auteur d'une thèse sur l'engagement d'hommes dans des mouvements féministes. Selon lui, l'histoire montre que les hommes n'ont rien contre accorder de nouveaux droits aux femmes, tant que cela n'empiète pas sur les leurs...
Il semble que peu d’hommes politiques portent les combats des droits des femmes. Est-ce exact ?
C’est vrai. Depuis que les femmes participent à la vie politique, ce sont très nettement elles qui portent les revendications féministes pour le droit des femmes et l’égalité des sexes. Si l'on prend la parité, Lionel Jospin était certes premier ministre, et c’est une assemblée et un sénat essentiellement masculins qui l’ont votée. Mais ce sont des femmes qui ont porté cette réforme. Il n’y avait quasiment que des femmes qui défendaient la version la plus contraignante de la parité, à l’exception notable d’Alain Lipietz (Verts), en raison de sa trajectoire politique ; il a par ailleurs une compagne féministe engagée.
Le mécanisme retenu au bout du compte pour les élections législatives est peu contraignant : par différents mécanismes, on aurait pu imposer une parité dans le résultat pour atteindre 50 % de députées femmes. Ou au moins imposer 50 % de candidatures. Alors que ce qui a été finalement retenu, c’est une simple incitation, par des sanctions financières si les objectifs ne sont pas atteints, à avoir 50 % de candidates. Le projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem prévoit d’ailleurs de doubler les sanctions financières mais ne met toujours pas en œuvre de mécanisme imposant 50 % de candidatures et encore moins 50 % d’élues.
Les conseils généraux, en revanche, viennent de rentrer dans le dispositif paritaire, et à moyen terme, les conseils généraux qui étaient l’institution la plus masculinisée, seront paritaires.
Tant que ça ne les concerne pas directement, les parlementaires seraient donc ouverts à la parité ?
Effectivement. Comme lorsqu’il s’agit du cumul des mandats ou de la transparence, les députés rechignent à voter des textes dont ils sont les premières victimes. À l’époque de la mise en place de la parité, ils étaient nombreux à redouter « une génération d’hommes sacrifiée ». Mais personne ne se souciait des générations de femmes sacrifiées.
Sans compter qu’on peut faire confiance aux partis, vu toutes les formes de fonctions qui existent autour du monde politique, pour que tous les jeunes hommes du PS ou de l’UMP trouvent un poste qui convienne à leur engagement.
La parité a minima est quand même passée…
Comme l'a montré Laure Bereni, elle est d’abord passée parce qu’il y a eu des mobilisations de femmes dans les partis politiques, mais aussi d’intellectuelles dans les médias, d’associations et de membres des administrations chargées de l’égalité des sexes. Elles ont notamment imposé l’idée, chiffres à l’appui, qu’il n’y avait aucune tendance « naturelle » vers l’égalité et qu’il fallait contraindre.
Et puis l’idée de parité a bénéficié d’un jeu politique où le PS voulait ne pas paraître à la traîne de la droite sur ce type de questions. Pour autant, la réforme n’a pas réellement mobilisé les hommes politiques, si ce n’est pour freiner, ou pour estimer que le vivier de femmes politiques n’était pas suffisant. Et le vote des lois sur la parité doit beaucoup à la discipline de parti.
Les hommes ont-ils été toujours si peu allants sur la question du droit des femmes dans l’Histoire ?
Quand le mouvement féministe se constitue à la fin du XIXe siècle, un homme, Léon Richer, est leader. Il parvient à réunir des hommes autour de lui en inscrivant la question du droit des femmes comme une question républicaine de plus dans un agenda qui comprend l’école, la laïcité, l’égalité des chances… Il déspécifie la question des droits des femmes. Mais assez rapidement, des femmes se saisissent de ce combat et affirment qu’elles doivent elles-mêmes avoir un rôle de premier plan et maîtriser l’agenda public. Elles le font en réponse à des républicains pour qui la question du droit de vote des femmes n’est pas prioritaire. Selon eux, il faut d’abord permettre l’égalité dans le code civil, la possibilité d’avoir un travail sans demander l’autorisation au père ou au mari, le fait de pouvoir gérer son argent. Car à l’époque, et cela durera jusqu’aux années 1960, les femmes sont des mineures civiles.
Mais assez rapidement, un certain nombre de femmes vont dire : « Non, nous, on veut l’égalité civile et l’égalité politique maintenant. Et c’est à nous de fixer notre agenda politique. Pas aux hommes. »
Pendant longtemps, elles vont se heurter à de fortes réticences, notamment à gauche. Car on ne savait pas pour qui les femmes allaient voter. Cependant, le droit de vote des femmes va mobiliser un certain nombre d’hommes parce que ce n’est pas une atteinte directe à leur pouvoir : les hommes gardent leur pouvoir politique.
Et les hommes finissent par leur accorder le droit de vote en 1944...
Certes, mais cela survient après plusieurs décennies de mobilisations féministes ! Et pendant les années 1920 et 30, l’Assemblée et le Sénat n’ont eu de cesse de rejeter la réforme, en ne l’inscrivant pas à l’ordre du jour, ou en la votant en sachant que l’autre chambre ne la validerait pas…
Le droit de vote est finalement accordé dans un contexte exceptionnel : d’une part, ce sont des institutions provisoires (le Conseil national de la Résistance, ndlr) qui accordent ce droit, et non le Parlement ; d’autre part, l’engagement de nombreuses femmes dans la Résistance joue un rôle important dans la décision.
À l’inverse, de nombreux hommes se mobilisent dans les années 1970 pour le droit à l’avortement. Pourquoi ?
L’avortement est la question qui mobilise le plus les hommes dans les années 1970, pour tout un tas de raisons. Mais l’une d’entre elles est que ce n’est pas un droit ou un pouvoir qu’on enlève aux hommes. Les hommes hétérosexuels peuvent même en bénéficier, puisque l’angoisse de la grossesse pour leurs partenaires disparaît.
La mobilisation n’avait pas été la même quand il s’était agi, quelques années plus tôt, de laisser les femmes posséder un chéquier ou un compte en banque sans autorisation ?
C’est un peu différent. À la fin de la guerre, le mouvement féministe est fragilisé et doit faire face à l’absence de combat mobilisateur. Les effectifs féministes se réduisent. Le mot même devient stigmatisé. Dans les années 1960, il n’y a pas de mobilisation visible. Rien n’est inscrit à l’agenda politique. Entre 1965 et 1975, ce sont des réformes discrètes même si elles sont majeures : l’autorité parentale conjointe, le droit au chéquier, au divorce. Les maris perdent le droit d’ouvrir le courrier de leur femme. Mais les hommes y consentent car le droit était en décalage trop flagrant avec les pratiques et parce que ces réformes font l’objet de revendications féministes depuis près de cent ans !
Qu’en est-il de la loi Neuwirth sur la contraception ?
Comme l’a montré l’historienne Bibia Pavard, c’est au départ une question de femmes. La Maternité heureuse en 1956, ancêtre du Planning familial, mobilise des réseaux féminins de la bourgeoisie intellectuelle et pose le débat sur la place publique. C’est courageux, car la loi de 1921 interdit non seulement la contraception mais aussi d’en parler dans l’espace public. Ces femmes vont avoir le soutien de médecins, de gynécologues qui s’engagent dans le Planning familial, pour convaincre le pouvoir du bien-fondé de la contraception. Le Planning familial se masculinise alors et la loi Neuwirth est presque une réforme d’hommes. Mais encore une fois, c’est une réforme qui engage une vision du monde mais qui n’empiète pas sur le pouvoir des hommes de manière immédiate et directe.
Dans les années 1970, en dehors de la lutte pour l’IVG, les hommes se tiennent loin de bon nombre de revendications. Mais n’est-ce pas également parce que les femmes les tiennent à l’écart ?
En 1973 et 1974, les groupes MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) sont investis par des hommes. Mais tous les autres combats sont ultraféminisés. Le Mouvement de libération de la femme (MLF) affirme la non-mixité de ses assemblées générales. Les hommes ne sont pas autorisés à venir car en mixité, les femmes sont largement privées de la parole. La répartition des tâches militantes est aussi une question centrale. En 1972, lors de journées de mobilisation contre la violence faite aux femmes, les hommes sont invités à venir, mais pour occuper des activités spécifiques, comme s’occuper de la crèche. Très peu d’hommes viennent. Ou ils viennent et contestent.
Les hommes renoncent donc à ces combats ?
Dans les années 1970, les féministes se mobilisent d’abord pour un renversement de l’ordre social : contre le patriarcat comme système social qui assigne des positions différentes aux hommes et aux femmes. Certains hommes tentent alors de s’approprier cette critique féministe et constituent des « groupes d’hommes » pour changer leur comportement au quotidien, ne plus être dominants, et refuser ce qu’ils appellent « la virilité obligatoire ». Mais il s’agit d’une poignée d’hommes, numériquement marginale.
Et quand les féministes lancent des combats contre les violences faites aux femmes, les violences sexuelles ou l’égalité salariale, dans les années 1980, les hommes sont très peu nombreux.
Depuis les années 1990 en revanche, des associations féministes affichent la mixité : c’est le cas de collectifs comme Mix-Cité, Les Chiennes de garde, Ni putes ni soumises ou Osez le féminisme. Mais dans les faits, ces associations attirent peu d’hommes, et ils n’occupent pas de place de premier plan.
Si les hommes se mobilisent peu dans la société civile, il est donc logique qu’on ne les retrouve pas non plus à la pointe du combat dans la sphère politique ?
Au plan politique, depuis 1999, il y a une délégation au droit des femmes à l’Assemblée nationale et une au Sénat. Ces délégations sont toujours très majoritairement féminines, même si certains députés ou sénateurs s’y impliquent. Il faut dire aussi que ce ne sont pas des questions qui portent une carrière politique : mieux vaut être à la commission des finances qu’à la délégation aux droits des femmes. Si un parti peut avoir un intérêt électoral à s’afficher pour le droit des femmes, ce sont des questions encore marginales et illégitimes dans le champ politique.
D‘ailleurs, encore récemment, à la suite du caquetage d’un député UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob répond en substance que c’est certes regrettable, mais qu’il y a d’autres priorités, comme la lutte contre le chômage.
Un ministère des droits des femmes a cependant revu le jour...
Effectivement, et on voit que la ministre entend occuper la scène politique avec ces questions. Cependant, on constate que les droits des femmes, comme le Mariage pour tous, sont des réformes de société qui permettent de réaffirmer un clivage par rapport à la droite. Le tout à moindres frais. On est donc dans une configuration où la question des droits des femmes est un peu plus portée mais indépendamment de ce qu’elle est intrinsèquement. Et ça reste des femmes politiques qui portent ces réformes…
En somme, rien ne change ?
Pas beaucoup, en tout cas. On a pu voir depuis quelques années certains hommes s’engager en faveur de l’égalité professionnelle, notamment sur la question de la parentalité au travail, sur le temps de travail qui colonise trop la vie. Mais finalement on ne milite pas tant pour l’égalité femmes-hommes que pour une autre place du travail dans notre vie. Encore une fois, les hommes s’engagent si la lutte est déspécifiée : les luttes faites au nom des femmes, pour les femmes, sont au contraire délaissées par les hommes.
Des gens sans origine étrangère s’engagent pourtant bien contre le racisme. Pourquoi n’observe-t-on pas le même phénomène pour le droit des femmes ?
Êtes-vous sûr qu’il y ait tant de riches qui s’engagent activement contre la misère, tant d’hétéros contre l’homophobie, etc. ? Souvent, ce sont seulement des valeurs affichées...
RESF (Réseau éducation sans frontières) montre, entre autres, que c’est possible.
RESF est un bon exemple de gens qui ont lutté par solidarité. Mais les droits des étrangers n’empiètent pas directement sur les droits des militants. Cela ne remet pas en cause leur comportement au quotidien, ça n’implique pas de changer leur mode de vie.
Alors que le féminisme est un combat politique qui peut s’appliquer à toute la vie sociale, sexuelle, professionnelle, au quotidien. Ça invite à un travail sur soi qui peut être plus coûteux et donc ça n’encourage pas nécessairement à l’engagement.
Et dans la recherche ? Vous sentez-vous parfois seul en tant qu’homme ?
Les recherches sur le genre ont longtemps occupé une position très marginale dans le monde académique en France. Elles étaient portées par des femmes, la plupart au départ issues du mouvement féministe, qui ont dû affronter de nombreuses résistances de leurs collègues. D’ailleurs, les chercheuses des années 1980 et 90 qui ont travaillé sur ces questions avaient d’abord assis leur légitimité par des recherches sur d’autres problématiques.
Depuis les années 2000, le genre gagne en légitimité et il y a une nouvelle génération de chercheurs et chercheuses. Si les hommes sont plus nombreux, le champ reste largement porté par des femmes.
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