Les quotas en fonction des origines des joueurs existent dans le football. Cette fois, il ne s’agit pas d’un projet au sein de la Fédération française de football (FFF), comme Mediapart l’avait révélé il y a deux ans (ici et là). Mais d’un constat, dressé par l'un des plus hauts dirigeants du foot français, Jean-Pierre Louvel, président de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF).
Alors qu’il représente les dirigeants du football professionnel, Jean-Pierre Louvel déclare dans le livre du journaliste de RMC Daniel Riolo, Racaille football Club (éditions Hugo et Cie) : « Cessons d’être hypocrites, et pas un président n’osera dire le contraire, cette histoire de quotas, c’est du pipeau à côté de la réalité. On regarde tous de près qui vient dans nos clubs aujourd’hui. Tous les clubs dosent et font en quelque sorte des quotas, pas trop de ceci ou cela… »
Il ajoute : « Tous les staffs de France se réunissent et dans leurs réunions disent des choses qui pourraient être très mal interprétées, mal comprises. Le quota tacite existe. Le nier serait absurde. »
Invités par Mediapart à réagir à ces propos, le président de la Ligue, Frédéric Thiriez, et le président de la fédération française de football, Noël Le Graët, ne les condamnent pas. Le premier se réfugie dans le silence. Le second a fini par nous raccrocher au nez après avoir expliqué « n’en avoir rien à secouer ».
Un non-sujet, les quotas ? Il y a deux ans, le monde du football avait déjà largement fait bloc, à quelques exceptions près, lorsque Mediapart avait révélé les propos tenus lors d'une réunion au sommet à la Fédération française de football. Laurent Blanc était resté sélectionneur et le directeur technique national (DTN) de la FFF, François Blaquart, avait fini par retrouver son poste.
La ministre des sports Chantal Jouanno avait pourtant estimé les propos tenus lors de la réunion de la DTN « à la limite de la dérive raciste ». Dans un rapport commandé par la FFF, le député Patrick Braouzec s’était offusqué d’une idée « telle que des enfants de douze ans, français, se verraient refuser l'entrée aux pôles de formation nationaux sur un double critère de discrimination (origine et apparence physique) ».
Le sélectionneur Laurent Blanc avait également dû présenter ses excuses publiquement – et à plusieurs reprises – après avoir démenti des propos qu'il avait bien tenus :
Le président Louvel s’en moque visiblement. Interrogé par Mediapart, il assume ses propos, « les revendique sans aucun problème » et s’en explique : « Oui, il y a tout le temps dans les clubs des discussions durant lesquelles il peut y avoir des prises de position extrêmes. Je ne vois pas où est le problème. Si vous avez 60 %, voire 80 %, de joueurs d'origine d'africaine dans un club, ce n'est pas un mal en soi, mais cela signifie mettre à l'écart des gens qui ne sont pas de leur culture. La vie sociale du club n'est plus la même. »
Invité à préciser sa pensée, Louvel avance un mystérieux problème lié à des « chants » et « aux rapports humains africains » : « Il y a par exemple des joueurs qui viennent de tribus dominantes et, du coup, ce sont toujours eux qui décident et pas les autres. »
Face à notre étonnement, il sort un argument imparable : « Et qu'on ne me dise pas que je suis raciste, ma belle-fille est camerounaise. »
Évoquant les problèmes liés aux « Nord-Africains », Louvel parle du ramadan : « Le ramadan, c'est un problème pour toutes les équipes de haut niveau. Il y a certains joueurs musulmans qui disent par exemple que, pour eux, le foot, c'est comme un combat ou une guerre, et que leur religion les autorise à manger pendant un combat lors du ramadan. D'autres vous diront que non. »
Dans son livre, le journaliste Daniel Riolo, qui se dit « sûr de ses informations », va plus loin. Il explique que « le Stade Rennais a vu partir avec plaisir la majorité de ses joueurs musulmans, lors de l’été 2012. Le nombre est désormais est limité ». Et qu’« à Saint-Étienne, le coach a passé consigne. Il ne veut plus de joueurs africains et reste vigilant sur les joueurs sud-américains ». À Rennes, malgré nos nombreuses relances, personne n’a pris le soin de démentir la mise en place d’une politique discriminatoire à l’égard des musulmans. À Saint-Étienne, ni l’entraîneur ni le club n’ont « souhaité commenter ».
Jean-Pierre Louvel, lui, explique « ne pas avoir connaissance de cela ». Mais il embraye : « C'est vrai que Rennes a eu pendant longtemps une politique de recrutement de grands gabarits et peut-être qu'à un moment donné, ils ont souhaité choisir d'autres gabarits. Mais je n'ai jamais entendu parler de lien avec l'origine. »
Lors de la polémique sur les quotas, un des arguments avancés pour justifier un tel projet était la morphologie des joueurs : il y en avait assez des joueurs noirs, forcément « grands, puissants et costauds » (dixit Laurent Blanc). Il fallait faire de la place aux petits Blancs, plus techniques, plus rusés.
Et puis, la discussion à la DTN était officiellement une « réponse à un vrai problème », la bi-nationalité : certains joueurs, formés par la fédération française de football, peuvent finalement choisir de jouer pour une autre sélection quand ils ont un aïeul, réel ou supposé, d’une autre nationalité.
Sauf que la bi-nationalité n’est pas le problème des clubs professionnels, qui sont des structures privées n’ayant pas à se soucier de l’origine des joueurs. Leur seul objectif supposé : faire jouer les meilleurs. Alors comment justifier de trier en fonction de l’origine, voire de la religion ?
La question suscite un immense malaise. Le président de la Ligue de football, Frédéric Thiriez, n’a pas répondu à nos sollicitations malgré nos très nombreuses relances entre le 11 juin et le 16 juin. Pas plus que son directeur de la communication. Il y a deux ans, lors de l’affaire des quotas, il avait publié un communiqué titré « Assez ! ». « Assez » des dérives discriminatoires ? Non, assez des articles à ce sujet : « La vérité, c’est que le football, c’est l’apprentissage de la différence et du respect de l’autre. Que ceux qui en doutent viennent sur les terrains le samedi et le dimanche matin. Le football incarne l’égalité des chances, puisque seuls le talent et le travail permettent de réussir. »
L’actuel président de la FFF, Noël Le Graët, n’était pas en poste en 2011. Joint sur son portable, il ne se montre pourtant pas plus à l’aise aujourd’hui avec nos questions. Il dit ne pas accorder de crédit aux informations publiées sur Rennes et Saint-Étienne. Confronté aux propos réitérés de Jean-Pierre Louvel, il bredouille : « Appelez Louvel, ça le concerne. » C’est déjà fait. « Ça le regarde. Les propos des uns et des autres, surtout par téléphone, je n’en ai rien à secouer. Je ne réagis pas du tout. Ça ne m’intéresse pas. Louvel est un grand garçon. Appelez-le. J’en reste là. Je ne souhaite pas en parler. » Puis il nous raccroche au nez.
La ministre des sports, Valérie Fourneyron, nous a quant à elle fait savoir qu’elle ne « souhaitait pas réagir, pour l’instant ».
Sa prédécesseure, Chantal Jouanno, qui a géré l’affaire des quotas, se dit en revanche « choquée ». À la question de savoir si Jean-Pierre Louvel peut conserver son poste, elle répond : « Théoriquement, non. C’est quand même contraire à la législation. La République se fonde sur le mérite, point à la ligne. Si on commence à déroger à ça, on s’ouvre à beaucoup de difficultés, à beaucoup d’extrêmes. On ne va pas changer la logique républicaine : la laïcité ne s’arrête pas aux frontières des clubs. »
Mais visiblement, le malaise suscité par ces questions n’est pas limité au monde du football. L’actuelle sénatrice UDI révèle qu’elle n’a pas été soutenue au sein de son gouvernement quand, au début de l’affaire des quotas, elle a pris nos révélations au sérieux et exigé une enquête. « La présidence de la République et le premier ministre m’ont tous les deux dit : “Pourquoi tu te mêles de ça ? C’est à la FFF de faire le ménage.” Ils me disaient : “Comment, toi, ministre, tu peux donner du crédit aux déclarations de Mediapart ?” »
Chantal Jouanno poursuit : « Ils m’ont aussi reproché mes interventions trop nombreuses dans les médias. Alors que je pense que c’était le rôle du ministère d’être garant des valeurs du sport, des valeurs républicaines, de faire la transparence de la façon la plus indépendante et la plus objective possible. Je leur ai dit : “Vous avez tort. Si on ne fait rien, on va croire qu’on cautionne.” »
À l’époque – et encore aujourd'hui –, l’ancienne ministre avait toutefois fortement soutenu Laurent Blanc, pourtant auteur de propos comme : « Les Espagnols, ils disent : “Nous, on n'a pas de problème. Des Blacks, on n'en a pas.” » Elle précise : « C’est sûr que Laurent Blanc était une icône, tout le monde disait qu’il allait remonter une équipe. Tout ce qui le touchait était mal vu. Au gouvernement mes collègues ministres m’ont même dit : “Toi, de toute façon, tu n’aimes pas le foot.” Alors que ce n’était pas la question. »
Au regard de son expérience de ministre, la sénatrice ne se montre cependant pas surprise outre-mesure par les éléments rapportés par Daniel Riolo : « Il est évident qu’il y a une part de réalité dans tous ces propos. Mais pour le ministère, c’était quasi indétectable. Les clubs professionnels vivent en vase clos. »
Ce qui ne signifie pas que les clubs amateurs sont à l’abri de telles pratiques. En juin 2012, Mediapart racontait comment les deux présidents d’alors du Paris FC s’étaient opposés au fait de recruter trop de joueurs noirs dans l’effectif.
Selon le premier, Pierre Ferracci : « Tout le monde vous dira que les Blacks, certains Blacks, sont doués techniquement, très forts physiquement, parfois un peu décontractés, un peu indolents, et que ça peut être préjudiciable en terme de concentration. »
Le second, Guy Cotret, expliquait : « Quand on a une composition d'équipe avec seulement des joueurs africains, en termes de mobilisation, d'esprit de révolte, ce n'est pas toujours facile à animer. Ils ont un caractère qui engendre un certain laxisme. »
Guy Cotret tentait maladroitement de tempérer : « Je n'en fais pas une règle. Je dis simplement que c'est une conclusion qu'on pourrait tirer à la lumière de notre expérience de cette année. On ne finit pas loin de la relégation. J'essaie de trouver des explications. À chaque fois qu'on a été mené au score, on n'est jamais revenu, on ne l'a jamais emporté. C'est la race, pas la race, je n'en sais rien. »
Depuis, Guy Cotret est monté de division. Il est devenu président de l’AJ Auxerre.
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