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Espionnage: après Ikea, Quick

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L’affaire d’espionnage des salariés d’Ikea va sans doute éclabousser d’autres enseignes. D’après nos informations, le groupe Quick, numéro deux de la restauration rapide en France, a eu recours au même détective privé que le géant du meuble et à des pratiques également illégales.

© DR

En consultant plusieurs pièces de l’instruction sur Ikea menée par le juge Alain Gallaire, Mediapart a en effet découvert que l’ancien policier en question, Jean-François Fourès, avait encaissé avec sa société Eirpace plus de 165 000 euros du groupe Quick entre janvier 2009 et juin 2011, un montant plus de deux fois supérieur aux émoluments versés par Ikea sur la même période.

Ces informations apparaissent sur des relevés bancaires d’Eirpace débusqués par les enquêteurs lors d’une perquisition chez le comptable de Jean-Pierre Fourès, en mars 2012. Dans la liste de ses clients apparaissent deux ou trois autres entreprises (Thales Security systems, Control risks group ou SCAIC), mais pour des versements beaucoup plus limités. Pour Quick, les policiers insistent : « (C’était) une source importante de revenus d’Eirpace », écrivent-ils dans leur synthèse d’enquête préliminaire.

Sollicité par Mediapart, le groupe Quick a confirmé avoir contracté avec la société de sécurité privée de Jean-Pierre Fourès de 2006 à 2011, notamment pour des « vérifications » sur des antécédents judiciaires et bancaires, selon une porte-parole. Une pratique qui enfreint clairement la loi : en France, l’accès aux casiers judiciaires et au fichier des interdits bancaires n’est pas ouvert à tous les vents ni toutes les curiosités, au nom de la nécessaire protection de la vie privée.

Aucun dirigeant de Quick n’a cependant souhaité nous répondre en direct, préférant missionner une agence de communication de crise pour déminer le dossier. « Eirpace n’a jamais été utilisée pour enquêter sur la vie professionnelle ou personnelle des salariés, mais uniquement dans les procédures de recrutement des franchisés », assure ainsi Agnès Catineau, de la société Brunswick, balayant tout parallèle avec le “profilage” massif d’employés mis en œuvre chez Ikea.

Environ 80 % des restaurants de Quick sont en effet exploités en franchise (par des entrepreneurs indépendants qui contractent avec la chaîne pour développer le concept). « (Le groupe) reçoit des centaines de dossiers de candidature, poursuit Agnès Catineau. Or la restauration est une activité qui brasse beaucoup d’argent liquide. Quick a donc demandé des renseignements sur la capacité des candidats à gérer un business, leur réputation, leur capacité à appliquer l’éthique… » Concrètement ? « Ne pas être frappé d’interdiction bancaire, ne pas être condamné pour des actes de gestion frauduleuse, des abus de bien sociaux, etc. Je pense que c’est licite. » Ça ne l’est pas.

L’accès au fichier central des chèques (FCC), qui recense les individus interdits de chèques et de cartes bleues, est en effet réservé aux services judiciaires, aux établissements bancaires et à la Commission de surendettement (voir les explications sur le site de la Banque de France). Quant au casier judiciaire (en particulier le B1, voir article 774 du code de procédure pénale), il n’est délivré qu’aux autorités judiciaires.

De toute façon, sachant qu’une “fiche” extraite du Stic (fichier de police géant) coûtait seulement 180 euros par salarié à Ikea, comment la somme de 165 000 euros versée par Quick entre 2009 et 2011 peut-elle correspondre seulement à quelques centaines d’enquêtes sur les franchisés (ou candidats à la franchise) ? Mediapart a proposé à la chaîne de restauration de communiquer ses contrats signés avec Eirpace, sans résultat.

Ces derniers ne figurent pas non plus dans le dossier d’instruction Ikea, et pour cause. Une semaine après les premières révélations de Mediapart et du Canard enchaîné sur l’implication de Jean-Pierre Fourès dans cette affaire, le détective privé a fait détruire les archives de sa société, jusque-là stockées dans un box (comme Le Monde l’a raconté). Le contenu de « trois armoires hautes métalliques », « quelques cartons et plus ou moins de 100 kg d’archives » ont ainsi été broyés, d’après une pièce du dossier consultée par Mediapart.

L’été dernier, dans Le Monde, l’avocat de Jean-Pierre Fourès niait toute volonté de son client de détruire la moindre preuve : « Il s’agissait d’une opération programmée à la suite de la cessation d’activité d’Eirpace… » Le hasard fait tout de même bien les choses. Et Jean-Pierre Fourès continuait de nier toute activité illégale au service d’Ikea, malgré les aveux répétés de son “correspondant” au cœur du groupe suédois (lire notre article).

Le parcours du “privé” préféré d’Ikea et de Quick, par ailleurs, ne manque pas d’interpeller. Cet ancien inspecteur divisionnaire affecté aux RG (renseignements généraux) puis à la DST (direction de la surveillance du territoire) a quitté la police en 1980, pour faire fructifier son réseau. À son domicile, les enquêteurs ont trouvé « une note blanche (…) citant les liens de M. Fourès avec le service d’action civique », le SAC, organisation gaulliste aux méthodes archimusclées souvent qualifiée de police parallèle. « (M. Fourès) aurait été un membre actif du SAC », rapportent les policiers dans leur synthèse d’enquête préliminaire.

La même « note blanche » suggère des « liens entre M. Fourès et M. Foccart », ancien collaborateur du général de Gaulle chargé des affaires africaines, pour ne pas dire de la “Françafrique”. Eirpace devait travailler au Gabon encore récemment, puisque les policiers sont tombés sur plusieurs factures adressées à l’État gabonais – la dernière d’un montant de 858 935 euros datant de janvier 2006 –, ainsi que des courriers adressés à la Présidence…

Pour interroger Jean-Pierre Fourès sur la nature exacte des prestations vendues à Quick, Mediapart a laissé plusieurs messages sur le portable de son avocat, Didier Leroux, sans succès. Quant au comptable d'Eirpace, il n'a pas souhaité s'exprimer.

Ces dernières années, l’achat par les grands groupes de données confidentielles puisées illégalement dans le fichier policier Stic semble en tout cas s’être banalisé (voir notre article sur la condamnation d’un gérant du Castorama d’Antibes). En juin, Eurodisney a ainsi été condamné à 150 000 euros d’amende pour avoir récupéré les fiches Stic de milliers de candidats à l’embauche (entre 1997 et 2004), avec la complicité de gendarmes véreux. Interrogé par Mediapart, le porte-parole de l’entreprise évoque des « raisons de sécurité » et des « précautions supplémentaires », mises en œuvre en réaction au viol d’un enfant par un employé.

En 2009, la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) avait pourtant estimé que 17 % seulement des fiches de personnes mises en cause dans le Stic (où 20 millions de Français sont cités) étaient exactes. « Un taux d’erreur sidérant », selon son président de l’époque.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Configurer le TRIM pour SSD sur Linux


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