À la suite de la violente opération de police qui s’est déroulée lundi 8 juin 2015 dans l’après-midi à Paris pour déloger des migrants qui s’étaient installés sur l’esplanade de la Halle Pajol dans le XVIIIe arrondissement, Anne Hidalgo a déclaré mardi soir que « les migrants ne peuvent pas dormir dehors ». La maire de Paris s'inquiète que des campements se reforment dans la capitale, à l'image de celui du pont de La Chapelle, expulsé mardi 2 juin, et de celui du quai d'Austerlitz, sous le coup d'un arrêté d'évacuation, alors que les passages en Méditerranée s'accélèrent et que la tension est toujours plus palpable à Calais.
Interrogée sur BFM-TV au moment où avait lieu une manifestation en soutien aux personnes interpellées, elle a fait une proposition. « Face à l’afflux de migrants auquel nous sommes confrontés, il faut ouvrir un lieu qui permette d’accueillir ces personnes pendant une quinzaine de jours, qui leur permette de se poser, de réfléchir, de faire ce travail avec les associations, pour savoir si elles demandent le droit d’asile en France ou pas », a-t-elle affirmé, reprenant une mesure préconisée par différentes associations qui viennent en aide aux étrangers. En attendant, dans les heures qui ont suivi, des réfugiés ont passé la nuit au jardin collectif du Bois Dormoy, à proximité de la Halle Pajol.
La polémique politique enfle depuis quelques jours. Des représentants d’EELV, du PCF, du Parti de gauche et du NPA, rejoints par quelques élus socialistes, montent au créneau pour dénoncer les opérations de police à répétition, à propos desquelles le Défenseur des droits, Jacques Toubon, vient d'annoncer l'ouverture d'une enquête. Parmi les 84 exilés de Pajol conduits lundi soir au commissariat, 40 ont été placés dans des centres de rétention administrative, selon le dernier décompte des associations présentes dans ces lieux : neuf Érythréens et sept Soudanais ont été envoyés au Mesnil-Amelot, sept Érythréens et treize Soudanais à Vincennes, deux Éthiopiennes au Dépôt sur l’Ile-de-la-Cité à Paris et deux Érythréens à Palaiseau. Des audiences devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention devraient se tenir cette semaine.
Se sentant visé, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a fustigé, mardi lors de la séance des questions à l'Assemblée nationale, la « démagogie » et l’« irresponsabilité de ceux qui critiquent la politique du gouvernement ». Ce qui n'a pas empêché l'ex-ministre écologiste du logement Cécile Duflot de comparer la politique migratoire de la France à un « Waterloo moral », dans une lettre à François Hollande publiée mercredi dans Le Monde. « La situation faite aux migrants anciennement situés à La Chapelle et désormais régulièrement dispersés par les forces de police, est insupportable. […] À force de professer un pseudo-pragmatisme, nous ne réglons pas les problèmes concrets et nous perdons la bataille des valeurs », insiste la députée écologiste.
Selon une source gouvernementale citée par Reuters, une réunion sur la question des migrants s’est tenue à l’issue du conseil des ministres autour du président de la République, en présence du premier ministre et des ministres de l’intérieur et des affaires sociales. L'accueil et le logement sont des enjeux centraux. La mairie de Paris comme l'État communiquent actuellement sur le fait que des propositions de logement ont été faites à tous, mais que les personnes les refusent. Sans expliquer pourquoi. Leurs responsabilités en la matière sont partagées. La charge de l'hébergement d'urgence et du logement des demandeurs d’asile revient à l’État ; la mise à l'abri des mineurs isolés et des personnes vulnérables à la mairie.
« Ce n’est pas acceptable, ce n’est pas digne d’expliquer qu’ils doivent rester dehors alors qu’il y a des places d’hébergement disponibles », affirme Anne Hidalgo. De son côté, une semaine après les faits, le préfet d’Ile-de-France Jean-François Carenco rend public son bilan. D'après celui-ci, sur les 471 personnes « recensées » par Emmaüs Solidarité et France terre d’asile (FTDA), 49 personnes vulnérables (familles, mineurs isolés et femmes) ont été prises en charge par la ville de Paris et sont « suivies par les services sociaux » ; 45 ont obtenu le statut de réfugié « ouvrant droit à une protection et à un hébergement pérennes » ; près d’une centaine ont entamé des démarches de demandeurs d’asile et se sont vu proposer une place dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) ; enfin, 277 personnes diagnostiquées comme étant en transit sur le territoire ont été orientées vers des hôtels sociaux en Ile-de-France pour trois nuits prolongées de quatre (jusqu’à mardi 9 juin) ou vers des dortoirs, comme le Chapsa à Nanterre, ou la Boulangerie boulevard Ney à Paris, où sont recueillies les personnes sans domicile fixe. « Dire aujourd’hui que l’on peut avoir faim alors qu’un hébergement est proposé n’est pas acceptable. La République française applique sa devise de fraternité, au quotidien, dès lors que la main tendue est saisie », estime Jean-François Carenco, rappelant son credo, qui est celui de Bernard Cazeneuve, comme de la totalité des ministres de l'intérieur de droite comme de gauche qui l'ont précédé depuis au moins une décennie : « Fermeté et humanité. »
Une centaine de migrants puis deux cents ont en effet décliné progressivement les propositions d'hôtel social, jusqu’à se regrouper autour de l’église Saint-Bernard, d’où ils se sont fait chasser par les forces de l’ordre, avant de se rassembler devant la Halle Pajol. Pourquoi de tels refus ? Certains ont accepté de monter dans les bus et ont été envoyés dans des Formule 1 à Noisy-Champ, à Aulnay-sous-Bois ou à Évry-Courcouronnes. Ils s’y sont reposés une nuit mais, le lendemain, beaucoup n’avaient pas suffisamment d’argent pour prendre un petit déjeuner, alors qu’à La Chapelle, des voisins apportaient des vivres et des vêtements de rechange. Ensuite, ils se sont retrouvés isolés, sans possibilité de rejoindre le centre de Paris.
Sachant qu’ils ne bénéficieraient d’une chambre que pour une durée réduite, quelques-uns sont revenus. Entre-temps, ils avaient perdu les affaires amassées (tente, duvet, réchaud, etc.) sur le campement, le service de nettoyage de la ville de Paris les ayant mises à la décharge. Anticipant qu’ils perdraient leur réseau de sociabilité et leurs repères dans la ville, certains ont repoussé d’emblée ces offres très temporaires d’hébergement. D’autres, enfin, n’ont pas souhaité aller dans les austères centres réservés aux SDF, parce que les conditions de vie y sont particulièrement difficiles et les tensions fréquentes entre résidents.
La proposition de la mairie de Paris d’ouvrir un lieu adapté aux besoins des migrants correspond à une demande formulée par différentes instances, comme Médecins du monde. La question est de savoir de quels moyens dispose Anne Hidalgo pour mettre en place rapidement ce type d’endroit. Car l’urgence est là. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 100 000 personnes sont arrivées en Europe depuis le début de l'année en traversant la Méditerranée. Même si les personnes ne souhaitent pas toujours rester en France, cette situation ne peut être ignorée.
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